vendredi, décembre 09, 2005

DISCOURS D'HAROLD PINTER

Close up on Harold Pinter delivering his Nobel Lecture.Copyright © Illuminations 2005
Art, vérité & politique











En 1958 j’ai écrit la chose suivante :
« Il n’y a pas de distinctions tranchées entre ce qui est réel et ce qui est irréel, entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n’est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être tout à la fois vraie et fausse. »
Je crois que ces affirmations ont toujours un sens et s’appliquent toujours à l’exploration de la réalité à travers l’art. Donc, en tant qu’auteur, j’y souscris encore, mais en tant que citoyen je ne peux pas. En tant que citoyen, je dois demander : Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ?

La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. Vous ne la trouvez jamais tout à fait, mais sa quête a quelque chose de compulsif.Cette quête est précisément ce qui commande votre effort. Cette quête est votre tâche. La plupart du temps vous tombez sur la vérité par hasard dans le noir, en entrant en collision avec elle, ou en entrevoyant simplement une image ou une forme qui semble correspondre à la vérité, souvent sans vous rendre compte que vous l’avez fait. Mais la réelle vérité, c’est qu’il n’y a jamais, en art dramatique, une et une seule vérité à découvrir. Il y en a beaucoup. Ces vérités se défient l’une l’autre, se dérobent l’une à l’autre, se reflètent, s’ignorent, se narguent, sont aveugles l’une à l’autre. Vous avez parfois le sentiment d’avoir trouvé dans votre main la vérité d’un moment, puis elle vous glisse entre les doigts et la voilà perdue.

On m’a souvent demandé comment mes pièces voyaient le jour. Je ne saurais le dire. Pas plus que je ne saurais résumer mes pièces, si ce n’est pour dire voilà ce qui s’est passé. Voilà ce qu’ils ont dit. Voilà ce qu’ils ont fait.

La plupart des pièces naissent d’une réplique, d’un mot ou d’une image. Le mot s’offre le premier, l’image le suivant souvent de près. Je vais vous donner deux exemples de répliques qui me sont venues à l’esprit de façon totalement inattendue, suivies par une image, que j’ai moi-même suivie.

Les pièces en question sont Le Retour et C’était hier. La première réplique du Retour est « Qu’est-ce que tu as fait des ciseaux ? » La première réplique de C’était hier est « Bruns ».

Dans un cas comme dans l’autre je n’avais pas d’autres indications.

Dans le premier cas, quelqu’un, à l’évidence, cherchait une paire de ciseaux et demandait où ils étaient passés à quelqu’un d’autre dont il soupçonnait qu’il les avait probablement volés. Mais d’une manière ou d’une autre je savais que la personne à qui on s’adressait se fichait éperdument des ciseaux, comme de celui qui posait la question, d’ailleurs.

« Bruns » : je présumais qu’il s’agissait de la description des cheveux de quelqu’un, les cheveux d’une femme, et que cela répondait à une question. Dans l’un et l’autre cas, je me suis trouvé contraint de poursuivre la chose. Tout se passait visuellement, un très lent fondu, passant de l’ombre à la lumière.
Je commence toujours une pièce en appelant les personnages A, B et C.

Dans la pièce qui est devenue Le Retour je voyais un homme entrer dans une pièce austère et poser sa question àun homme plus jeune, assis sur un affreux canapé, le nez dans un journal des courses. Je soupçonnais vaguement que A était un père et que B était son fils, mais je n’en avais aucune preuve. Cela s’est néanmoins confirmé un peu plus tard quand B (qui par la suite deviendrait Lenny) dit à A (qui par la suite deviendrait Max), « Papa, tu permets que je change de sujet ? Je voudrais te demander quelque chose. Ce qu’on a mangé au dîner tout à l’heure, ça s’appelait comment ? Tu appelles ça comment ? Pourquoi tu n’achètes pas un chien ? Tu es un cuisinier pour chiens. Franchement. Tu crois donc que tu fais la cuisine pour une bande de chiens. 1 » Donc, dès lors que B appelait A « Papa », il me semblait raisonnable d’admettre qu’ils étaient père et fils. A, manifestement, était aussi le cuisinier et sa cuisine ne semblait pas être tenue en bien haute estime. Cela voulait-il dire qu’il n’y avait pas de mère ? Je n’en savais rien. Mais, comme je me le répétais à l’époque, nos débuts ne savent jamais de quoi nos fins seront faites.

« Bruns. » Une grande fenêtre. Ciel du soir. Un homme, A (qui par la suite deviendrait Deeley), et une femme, B (qui par la suite deviendrait Kate), assis avec des verres. « Grosse ou mince ? » demande l’homme. De qui parlent-ils ? C’est alors que je vois, se tenant à la fenêtre, une femme, C (qui par la suite deviendrait Anna), dans une autre qualité de lumière, leur tournant le dos, les cheveux bruns.
C’est un étrange moment, le moment où l’on crée des personnages qui n’avaient jusque-là aucune existence. Ce qui suit est capricieux, incertain, voire hallucinatoire, même si cela peut parfois prendre la forme d’une avalanche que rien ne peut arrêter. La position de l’auteur est une position bizarre. En un sens, les personnages ne lui font pas bon accueil. Les personnages lui résistent, ils ne sont pas faciles à vivre, ils sont impossibles à définir. Vous ne pouvez certainement pas leur donner d’ordres. Dans une certaine mesure vous vous livrez avec eux à un jeu interminable, vous jouez au chat et à la souris, à colin-maillard, à cache-cache. Mais vous découvrez finalement que vous avez sur les bras des êtres de chair et de sang, des êtres possédant une volonté et une sensibilité individuelle bien à eux, faits de composantes que vous n’êtes pas en mesure de changer, manipuler ou dénaturer.

Le langage, en art, demeure donc une affaire extrêmement ambiguë, des sables mouvants, un trampoline, une mare gelée qui pourrait bien céder sous vos pieds, à vous l’auteur, d’un instant à l’autre.
Mais, comme je le disais, la quête de la vérité ne peut jamais s’arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l’affronter là, tout de suite.

Le théâtre politique présente un ensemble de problèmes totalement différents. Les sermons doivent être évités à tout prix. L’objectivité est essentielle. Il doit être permis aux personnages de respirer un air qui leur appartient. L’auteur ne peut les enfermer ni les entraver pour satisfaire le goût, l’inclination ou les préjugés qui sont les siens. Il doit être prêt à les aborder sous des angles variés, dans des perspectives très diverses, ne connaissant ni frein ni limite, les prendre par surprise, peut-être, de temps en temps, tout en leur laissant la liberté de suivre le chemin qui leur plaît. Ça ne fonctionne pas toujours. Et la satire politique, bien évidemment, n’obéit à aucun de ces préceptes, elle fait même précisément l’inverse, ce qui est d’ailleurs sa fonction première.

Dans ma pièce L’Anniversaire il me semble que je lance des pistes d’interprétation très diverses, les laissant opérer dans une épaisse forêt de possibles avant de me concentrer, au final, sur un acte de soumission.

Langue de la montagne ne prétend pas opérer de manière aussi ouverte. Tout y est brutal, bref et laid. Les soldats de la pièce trouvent pourtant le moyen de s’amuser de la situation. On oublie parfois que les tortionnaires s’ennuient très facilement. Ils ont besoin de rire un peu pour garder le moral. Comme l’ont bien évidemment confirmé les événements d’Abu Ghraib à Bagdad. Langue de la montagne ne dure que vingt minutes, mais elle pourrait se prolonger pendant des heures et des heures, inlassablement, répétant le même schéma encore et encore, pendant des heures et des heures.

Ashes to Ashes, pour sa part, me semble se dérouler sous l’eau. Une femme qui se noie, sa main se tendant vers la surface à travers les vagues, retombant hors de vue, se tendant vers d’autres mains, mais ne trouvant là personne, ni au-dessus ni au-dessous de l’eau, ne trouvant que des ombres, des reflets, flottant ; la femme, une silhouette perdue dans un paysage qui se noie, une femme incapable d’échapper au destin tragique qui semblait n’appartenir qu’aux autres.

Mais comme les autres sont morts, elle doit mourir aussi.

Le langage politique, tel que l’emploient les hommes politiques, ne s’aventure jamais sur ce genre de terrain, puisque la majorité des hommes politiques, à en croire les éléments dont nous disposons, ne s’intéressent pas à la vérité mais au pouvoir et au maintien de ce pouvoir. Pour maintenir ce pouvoir il est essentiel que les gens demeurent dans l’ignorance, qu’ils vivent dans l’ignorance de la vérité, jusqu’à la vérité de leur propre vie. Ce qui nous entoure est donc un vaste tissu de mensonges, dont nous nous nourrissons.

Comme le sait ici tout un chacun, l’argument avancé pour justifier l’invasion de l’Irak était que Saddam Hussein détenait un arsenal extrêmement dangereux d’armes de destruction massive, dont certaines pouvaient être déchargées en 45 minutes, provoquant un effroyable carnage. On nous assurait que c’était vrai. Ce n’était pas vrai. On nous disait que l’Irak entretenait des relations avec Al Qaïda et avait donc sa part de responsabilitédans l’atrocité du 11 septembre 2001 à New York. On nous assurait que c’était vrai. Ce n’était pas vrai. On nous disait que l’Irak menaçait la sécurité du monde. On nous assurait que c’était vrai. Ce n’était pas vrai.

La vérité est totalement différente. La vérité est liée à la façon dont les États-Unis comprennent leur rôle dans le monde et la façon dont ils choisissent de l’incarner.

Mais avant de revenir au temps présent, j’aimerais considérer l’histoire récente, j’entends par là la politique étrangère des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je crois qu’il est pour nous impératif de soumettre cette période à un examen rigoureux, quoique limité, forcément, par le temps dont nous disposons ici.
Tout le monde sait ce qui s’est passé en Union Soviétique et dans toute l’Europe de l’Est durant l’après-guerre : la brutalité systématique, les atrocités largement répandues,la répression impitoyable de toute pensée indépendante. Tout cela a été pleinement documenté et attesté.
Mais je soutiens que les crimes commis par les États-Unis durant cette même période n’ont été que superficiellement rapportés, encore moins documentés, encore moins reconnus, encore moins identifiés àdes crimes tout court. Je crois que la question doit être abordée et que la vérité a un rapport évident avec l’état actuel du monde. Bien que limitées, dans une certaine mesure, par l’existence de l’Union Soviétique, les actions menées dans le monde entier par les États-Unis donnaient clairement à entendre qu’ils avaient décrété avoir carte blanche pour faire ce qu’ils voulaient.
L’invasion directe d’un état souverain n’a jamais été, de fait, la méthode privilégiée de l’Amérique. Dans l’ensemble, elle préférait ce qu’elle a qualifié de « conflit de faible intensité ».« Conflit de faible intensité », cela veut dire que des milliers de gens meurent, mais plus lentement que si vous lâchiez une bombe sur eux d’un seul coup.Cela veut dire que vous contaminez le cœur du pays, que vous y implantez une tumeur maligne et que vous observez s’étendre la gangrène. Une fois que le peuple a été soumis – ou battu à mort – ça revient au même – et que vos amis, les militaires et les grandes sociétés commerciales, sont confortablement installés au pouvoir, vous allez devant les caméras et vous déclarez que la démocratie l’a emporté. C’était monnaie courante dans la politique étrangère américaine dans les années auxquelles je fais allusion.
La tragédie du Nicaragua s’est avérée être un cas extrêmement révélateur. Si je décide de l’évoquer ici, c’est qu’il illustre de façon convaincante la façon dont l’Amérique envisage son rôle dans le monde, aussi bien à l’époque qu’aujourd’hui.
J’ai assisté à une réunion qui s’est tenue à l’Ambassade des États-Unis à Londres à la fin des années 80.
Le Congrès américain était sur le point de décider s’il fallait ou non donner davantage d’argent aux Contras dans la campagne qu’ils menaient contre l’État du Nicaragua. J’étais là en tant que membre d’une délégation parlant au nom du Nicaragua, mais le membre le plus important de cette délégation était un certain Père John Metcalf. Le chef de file du camp américain était Raymond Seitz (alors bras droit de l’ambassadeur, lui-même nommé ambassadeur par la suite). Père Metcalf a dit : « Monsieur, j’ai la charge d’une paroisse au nord du Nicaragua. Mes paroissiens ont construit une école, un centre médico-social, un centre culturel. Nous avons vécu en paix. Il y a quelques mois une force de la Contra a attaqué la paroisse. Ils ont tout détruit : l’école, le centre médico-social, le centre culturel. Ils ont violé les infirmières et les institutrices, massacré les médecins, de la manière la plus brutale. Ils se sont comportés comme des sauvages. Je vous en supplie, exigez du gouvernement américain qu’il retire son soutien à cette odieuse activité terroriste. »
Raymond Seitz avait très bonne réputation, celle d’un homme rationnel, responsable et très bien informé. Il était grandement respecté dans les cercles diplomatiques. Il a écouté, marqué une pause, puis parlé avec une certaine gravité. « Père, dit-il, laissez-moi vous dire une chose. En temps de guerre, les innocents souffrent toujours. » Il y eut un silence glacial. Nous l’avons regardé d’un œil fixe. Il n’a pas bronché.
Les innocents, certes, souffrent toujours.
Finalement quelqu’un a dit : « Mais dans le cas qui nous occupe, des « innocents » ont été les victimes d’une atrocité innommable financée par votre gouvernement, une parmi tant d’autres. Si le Congrès accorde davantage d’argent aux Contras, d’autres atrocités de cette espèce seront perpétrées. N’est-ce pas le cas ? Votre gouvernement n’est-il pas par là même coupable de soutenir des actes meurtriers et destructeurs commis sur les citoyens d’un état souverain ? »
Seitz était imperturbable. « Je ne suis pas d’accord que les faits, tels qu’ils nous ont été exposés, appuient ce que vous affirmez là », dit-il.
Alors que nous quittions l’ambassade, un conseiller américain m’a dit qu’il aimait beaucoup mes pièces. Je n’ai pas répondu.
Je dois vous rappeler qu’à l’époque le Président Reagan avait fait la déclaration suivante : « Les Contras sont l’équivalent moral de nos Pères fondateurs. »
Les États-Unis ont pendant plus de quarante ans soutenu la dictature brutale de Somoza au Nicaragua. Le peuple nicaraguayen, sous la conduite des Sandinistes, a renversé ce régime en 1979, une révolution populaire et poignante.

Les Sandinistes n’étaient pas parfaits. Ils avaient leur part d’arrogance et leur philosophie politique comportait un certain nombre d’éléments contradictoires. Mais ils étaient intelligents, rationnels et civilisés. Leur but était d’instaurer une société stable, digne, et pluraliste. La peine de mort a été abolie. Des centaines de milliers de paysans frappés par la misère ont été ramenés d’entre les morts. Plus de 100 000 familles se sont vues attribuer un droit à la terre. Deux mille écoles ont été construites. Une campagne d’alphabétisation tout à fait remarquable a fait tomber le taux d’analphabétisme dans le pays sous la barre des 15%. L’éducation gratuite a été instaurée ainsi que la gratuité des services de santé. La mortalité infantile a diminué d’un tiers. La polio a été éradiquée.
Les États-Unis accusèrent ces franches réussites d’être de la subversion marxiste-léniniste. Aux yeux du gouvernement américain, le Nicaragua donnait là un dangereux exemple. Si on lui permettait d’établir les normes élémentaires de la justice économique et sociale, si on lui permettait d’élever le niveau des soins médicaux et de l’éducation et d’accéder à une unité sociale et une dignité nationale, les pays voisins se poseraient les mêmes questions et apporteraient les mêmes réponses. Il y avait bien sûr à l’époque, au Salvador, une résistance farouche au statu quo.

J’ai parlé tout à l’heure du « tissu de mensonges » qui nous entoure. Le Président Reagan qualifiait couramment le Nicaragua de « donjon totalitaire ». Ce que les médias, et assurément le gouvernement britannique, tenaient généralement pour une observation juste et méritée. Il n’y avait pourtant pas trace d’escadrons de la mort sous le gouvernement sandiniste. Il n’y avait pas trace de tortures. Il n’y avait pas trace de brutalité militaire, systématique ou officielle. Aucun prêtre n’a jamais été assassiné au Nicaragua. Il y avait même trois prêtres dans le gouvernement sandiniste, deux jésuites et un missionnaire de la Société de Maryknoll. Les « donjons totalitaires » se trouvaient en fait tout à côté, au Salvador et au Guatemala. Les États-Unis avaient, en 1954, fait tomber le gouvernement démocratiquement élu du Guatemala et on estime que plus de 200 000 personnes avaient été victimes des dictatures militaires qui s’y étaient succédé.

En 1989, six des plus éminents jésuites du monde ont été violemment abattus à l’Université Centraméricaine de San Salvador par un bataillon du régiment Alcatl entraîné à Fort Benning, Géorgie, USA. L’archevêque Romero, cet homme au courage exemplaire, a été assassiné alors qu’il célébrait la messe. On estime que 75 000 personnes sont mortes. Pourquoi a-t-on tué ces gens-là ? On les a tués parce qu’ils étaient convaincus qu’une vie meilleure était possible et devait advenir. Cette conviction les a immédiatement catalogués comme communistes. Ils sont morts parce qu’ils osaient contester le statu quo, l’horizon infini de pauvreté, de maladies, d’humiliation et d’oppression, le seul droit qu’ils avaient acquis à la naissance.

Les États-Unis ont fini par faire tomber le gouvernement sandiniste. Cela leur prit plusieurs années et ils durent faire preuve d’une ténacité considérable,mais une persécution économique acharnée et 30 000 morts ont fini par ébranler le courage des Nicaraguayens. Ils étaient épuisés et de nouveau misérables. L’économie « casino » s’est réinstallée dans le pays. C’en était fini de la santé gratuite et de l’éducation gratuite. Les affaires ont fait un retour en force. La « Démocratie » l’avait emporté.

Mais cette « politique » ne se limitait en rien à l’Amérique Centrale. Elle était menée partout dans le monde. Elle était sans fin. Et c’est comme si ça n’était jamais arrivé.

Les États-Unis ont soutenu, et dans bien des cas engendré, toutes les dictatures militaires droitières apparues dans le monde à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Je veux parler de l’Indonésie, de la Grèce, de l’Uruguay, du Brésil, du Paraguay, d’Haïti, de la Turquie, des Philippines, du Guatemala, du Salvador, et, bien sûr, du Chili. L’horreur que les États-Unis ont infligée au Chili en 1973 ne pourra jamais être expiée et ne pourra jamais être oubliée.

Des centaines de milliers de morts ont eu lieu dans tous ces pays. Ont-elles eu lieu? Et sont-elles dans tous les cas imputables à la politique étrangère des États-Unis? La réponse est oui, elles ont eu lieu et elles sont imputables à la politique étrangère américaine. Mais vous n’en savez rien.

Ça ne s’est jamais passé. Rien ne s’est jamais passé. Même pendant que cela se passait, ça ne se passait pas. Ça n’avait aucune importance. Ça n’avait aucun intérêt. Les crimes commis par les États-Unis ont été systématiques, constants, violents, impitoyables, mais très peu de gens en ont réellement parlé. Rendons cette justice à l’Amérique : elle s’est livrée, partout dans le monde, à une manipulation tout à fait clinique du pouvoir tout en se faisant passer pour une force qui agissait dans l’intérêt du bien universel. Un cas d’hypnose génial, pour ne pas dire spirituel, et terriblement efficace.

Les États-Unis, je vous le dis, offrent sans aucun doute le plus grand spectacle du moment. Pays brutal, indifférent, méprisant et sans pitié, peut-être bien, mais c’est aussi un pays très malin. À l’image d’un commis voyageur, il œuvre tout seul et l’article qu’il vend le mieux est l’amour de soi. Succès garanti. Écoutez tous les présidents américains à la télévision prononcer les mots « peuple américain », comme dans la phrase : « Je dis au peuple américain qu’il est temps de prier et de défendre les droits du peuple américain et je demande au peuple américain de faire confiance à son Président pour les actions qu’il s’apprête à mener au nom du peuple américain.»

Le stratagème est brillant. Le langage est en fait employé pour tenir la pensée en échec. Les mots « peuple américain » fournissent un coussin franchement voluptueux destiné à vous rassurer. Vous n’avez pas besoin de penser. Vous n’avez qu’à vous allonger sur le coussin. Il se peut que ce coussin étouffe votre intelligence et votre sens critique mais il est très confortable. Ce qui bien sûr ne vaut pas pour les 40 millions de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ni aux 2 millions d’hommes et de femmes incarcérés dans le vaste goulag de prisons qui s’étend d’un bout à l’autre des États-Unis.

Les États-Unis ne se préoccupent plus des conflits de faible intensité. Ils ne voient plus l’intérêt qu’il y aurait à faire preuve de réserve, ni même de sournoiserie. Ils jouent cartes sur table, sans distinction. C’est bien simple, ils se fichent éperdument des Nations Unies, du droit international ou des voix dissidentes, dont ils pensent qu’ils n’ont aucun pouvoir ni aucune pertinence. Et puis ils ont leur petit agneau bêlant qui les suit partout au bout d’une laisse, la Grande-Bretagne, pathétique et soumise.

Où est donc passée notre sensibilité morale ? En avons-nous jamais eu une ? Que signifient ces mots ? Renvoient-ils à un terme très rarement employé ces temps-ci – la conscience ? Une conscience qui soit non seulement liée à nos propres actes mais qui soit également liée à la part de responsabilité qui est la nôtre dans les actes d’autrui ? Tout cela est-il mort ? Regardez Guantanamo. Des centaines de gens détenus sans chef d’accusation depuis plus de trois ans, sans représentation légale ni procès équitable, théoriquement détenus pour toujours. Cette structure totalement illégitime est maintenue au mépris de la Convention de Genève. Non seulement on la tolère mais c’est à peine si la soi-disant « communauté internationale » en fait le moindre cas. Ce crime scandaleux est commis en ce moment même par un pays qui fait profession d’être « le leader du monde libre ». Est-ce que nous pensons aux locataires de Guantanamo ? Qu’en disent les médias ? Ils se réveillent de temps en temps pour nous pondre un petit article en page six. Ces hommes ont été relégués dans un no man’s land dont ils pourraient fort bien ne jamais revenir. À présent beaucoup d’entre euxfont la grève de la faim, ils sont nourris de force, y compris des résidents britanniques. Pas de raffinements dans ces méthodes d’alimentation forcée. Pas de sédatifs ni d’anesthésiques. Juste un tube qu’on vous enfonce dans le nez et qu’on vous fait descendre dans la gorge. Vous vomissez du sang. C’est de la torture. Qu’en a dit le ministre des Affaires étrangères britannique ? Rien. Qu’en a dit le Premier Ministre britannique ? Rien. Et pourquoi ? Parce que les États-Unis ont déclaré : critiquer notre conduite à Guantanamo constitue un acte hostile. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. Résultat, Blair se tait.

L’invasion de l’Irak était un acte de banditisme, un acte de terrorisme d’État patenté, témoignant d’un absolu mépris pour la notion de droit international. Cette invasion était un engagement militaire arbitraire inspiré par une série de mensonges répétés sans fin et une manipulation flagrante des médias et, partant, du public ; une intervention visant à renforcer le contrôle militaire et économique de l’Amérique sur le Moyen-Orient et se faisant passer – en dernier ressort – toutes les autres justifications n’ayant pas réussi à prouver leur bien-fondé – pour une libération. Une red outable affirmation de la force militaire responsable de la mort et de la mutilation de milliers et de milliers d’innocents.

Nous avons apporté au peuple irakien la torture, les bombes à fragmentation, l’uranium appauvri, d’innombrables tueries commises au hasard, la misère, l’humiliation et la mort et nous appelons cela « apporter la liberté et la démocratie au Moyen-Orient ».

Combien de gens vous faut-il tuer avant d’avoir droit au titre de meurtrier de masse et de criminel de guerre ? Cent mille ? Plus qu’assez, serais-je tenté de croire. Il serait donc juste que Bush et Blair soient appelés à comparaître devant la Cour internationale de justice. Mais Bush a été malin. Il n’a pas ratifié la Cour internationale de justice. Donc, si un soldat américain ou, à plus forte raison, un homme politique américain, devait se retrouver au banc des accusés, Bush a prévenu qu’il enverrait les marines. Mais Tony Blair, lui, a ratifié la Cour et peut donc faire l’objet de poursuites.Nous pouvons communiquer son adresse à la Cour si ça l’intéresse. Il habite au 10 Downing Street, Londres.

La mort dans ce contexte devient tout à fait accessoire. Bush et Blair prennent tous deux bien soin de la mettre de côté. Au moins 100 000 Irakiens ont péri sous les bombes et les missiles américains avant que ne commence l’insurrection irakienne. Ces gens-là sont quantité négligeable. Leur mort n’existe pas. Un néant. Ils ne sont même pas recensés comme étant morts. « Nous ne comptons pas les cadavres » a déclaré le général américain Tommy Franks.

Aux premiers jours de l’invasion une photo a été publiée à la une des journaux britanniques ; on y voit Tony Blair embrassant sur la joue un petit garçon irakien. « Un enfant reconnaissant » disait la légende. Quelques jours plus tard on pouvait trouver, en pages intérieures, l’histoire et la photo d’un autre petit garçon de quatre ans qui n’avait plus de bras. Sa famille avait été pulvérisée par un missile. C’était le seul survivant. « Quand est-ce que je retrouverai mes bras ? » demandait-il. L’histoire est passée à la trappe. Eh bien oui, Tony Blair ne le serrait pas contre lui, pas plus qu’il ne serrait dans ses bras le corps d’un autre enfant mutilé, ou le corps d’un cadavre ensanglanté. Le sang, c’est sale. Ça salit votre chemise et votre cravate quand vous parlez avec sincérité devant les caméras de télévision.

Les 2000 morts américains sont embarrassants. On les transporte vers leurs tombes dans le noir. Les funérailles se font discrètement, en lieu sûr. Les mutilés pourrissent dans leurs lits, certains pour le restant de leurs jours. Ainsi les morts et les mutilés pourrissent-ils, dans différentes catégories de tombes.

Voici un extrait de « J’explique certaines choses », un poème de Pablo Neruda :
Et un matin tout était en feu,
et un matin les bûchers
sortaient de la terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des Maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.

Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !

Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :

mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l’endroit
de votre cœur.

Vous allez demander pourquoi sa poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de son pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues ! 2
Laissez-moi préciser qu’en citant ce poème de Neruda je ne suis en aucune façon en train de comparer l’Espagne républicaine à l’Irak de Saddam Hussein. Si je cite Neruda c’est parce que je n’ai jamais lu ailleurs dans la poésie contemporaine de description aussi puissante et viscérale d’un bombardement de civils.

J’ai dit tout à l’heure que les États-Unis étaient désormais d’une franchise totale et jouaient cartes sur table. C’est bien le cas. Leur politique officielle déclarée est désormais définie comme une « full spectrum dominance » (une domination totale sur tous les fronts). L’expression n’est pas de moi, elle est d’eux. « Full spectrum dominance », cela veut dire contrôle des terres, des mers, des airs et de l’espace et de toutes les ressources qui vont avec.
Les États-Unis occupent aujourd’hui 702 installations militaires dans 132 pays du monde entier, à l’honorable exception de la Suède, bien sûr. On ne sait pas trop comment ils en sont arrivés là, mais une chose est sûre, c’est qu’ils y sont.

Les États-Unis détiennent 8000 ogives nucléaires actives et opérationnelles. 2000 sont en état d’alerte maximale, prêtes à être lancées avec un délai d’avertissement de 15 minutes. Ils développent de nouveaux systèmes de force nucléaire, connus sous le nom de « bunker busters » (briseurs de blockhaus). Les Britanniques, toujours coopératifs, ont l’intention de remplacer leur missile nucléaire, le Trident. Qui, je me le demande, visent-ils ? Oussama Ben Laden ? Vous ? Moi ? Tartempion ? La Chine ? Paris ? Qui sait ? Ce que nous savons c’est que cette folie infantile – détenir des armes nucléaires et menacer de s’en servir – est au cœur de la philosophie politique américaine actuelle. Nous devons nous rappeler que les États-Unis sont en permanence sur le pied de guerre et ne laissent entrevoir en la matière aucun signe de détente.

Des milliers, sinon des millions, de gens aux États-Unis sont pleins de honte et de colère, visiblement écœurés par les actions de leur gouvernement, mais en l’état actuel des choses, ils ne constituent pas une force politique cohérente – pas encore. Cela dit, l’angoisse, l’incertitude et la peur que nous voyons grandir de jour en jour aux États-Unis ne sont pas près de s’atténuer.

Je sais que le Président Bush emploie déjà pour écrire ses discours de nombreuses personnes extrêmement compétentes, mais j’aimerais me porter volontaire pour le poste. Je propose la courte allocution suivante, qu’il pourrait faire à la télévision et adresser à la nation. Je l’imagine grave, les cheveux soigneusement peignés, sérieux, avenant, sincère, souvent enjôleur, y allant parfois d’un petit sourire forcé, curieusement séduisant, un homme plus à son aise avec les hommes.

« Dieu est bon. Dieu est grand. Dieu est bon. Mon Dieu est bon. Le Dieu de Ben Laden est mauvais. Le sien est un mauvais Dieu. Le Dieu de Saddam était mauvais, sauf que Saddam n’en avait pas. C’était un barbare. Nous ne sommes pas des barbares. Nous ne tranchons pas la tête des gens. Nous croyons à la liberté. Dieu aussi. Je ne suis pas un barbare. Je suis le leader démocratiquement élu d’une démocratie éprise de liberté. Nous sommes une société pleine de compassion. Nous administrons des électrocutions pleines de compassion et des injections létales pleines de compassion. Nous sommes une grande nation. Je ne suis pas un dictateur. Lui, oui. Je ne suis pas un barbare. Lui, oui. Et lui aussi. Ils le sont tous. Moi, je détiens l’autorité morale. Vous voyez ce poing ? C’est ça, mon autorité morale. Tâchez de ne pas l’oublier. »
La vie d’un écrivain est une activité infiniment vulnérable, presque nue. Inutile de pleurer là-dessus. L’écrivain fait un choix, un choix qui lui colle à la peau. Mais il est juste de dire que vous êtes exposé à tous les vents, dont certains sont glacés bien sûr. Vous œuvrez tout seul, isolé de tout. Vous ne trouvez aucun refuge, aucune protection – sauf si vous mentez – auquel cas bien sûr vous avez construit et assuré vous-même votre protection et, on pourrait vous le rétorquer, vous êtes devenu un homme politique.

J’ai parlé de la mort pas mal de fois ce soir. Je vais maintenant vous lire un de mes poèmes, intitulé «Mort».
Où a-t-on trouvé le cadavre ?
Qui a trouvé le cadavre ?
Le cadavre était-il mort quand on l’a trouvé ?
Comment a-t-on trouvé le cadavre ?

Qui était le cadavre ?
Qui était le père ou la fille ou le frère
Ou l’oncle ou la sœur ou la mère ou le fils
Du cadavre abandonné ?

Le corps était-il mort quand on l’a abandonné?
Le corps était-il abandonné?
Par qui avait-il été abandonné?

Le cadavre était-il nu ou en costume de voyage?
Qu’est-ce qui a fait que ce cadavre, vous l’avez déclaré mort?
Le cadavre, vous l’avez déclaré mort?
Vous le connaissiez bien, le cadavre ?
Comment saviez-vous que le cadavre était mort?

Avez-vous lavé le cadavre
Avez-vous fermé ses deux yeux
Avez-vous enterré le corps
L’avez-vous laissé à l’abandon
Avez-vous embrassé le cadavre
Quand nous nous regardons dans un miroir nous pensons que l’image qui nous fait face est fidèle. Mais bougez d’un millimètre et l’image change. Nous sommes en fait en train de regarder une gamme infinie de reflets.Mais un écrivain doit parfois fracasser le miroir – car c’est de l’autre côté de ce miroir que la vérité nous fixe des yeux.

Je crois que malgré les énormes obstacles qui existent, être intellectuellement résolus, avec une détermination farouche, stoïque et inébranlable, à définir, en tant que citoyens, la réelle vérité de nos vies et de nos sociétés est une obligation cruciale qui nous incombe à tous. Elle est même impérative.

Si une telle détermination ne s’incarne pas dans notre vision politique, nous n’avons aucun espoir de restaurer ce que nous sommes si près de perdre – notre dignité d’homme.


1. Harold Pinter : Le Retour. Traduction Éric Kahane. Gallimard, 1969.
2. Pablo Neruda : « J'explique certaines choses », dans Résidence sur la terre, III. Traduction Guy Suarès. Gallimard, 1972.
Traduction Séverine Magois
Le discours d'Harold Pinter, prix Nobel de littérature : un artiste courageux qui dit la vérité sur l'impérialisme américain


Le 9 décembre 2005

Le dramaturge britannique, Harold Pinter, prix Nobel de littérature 2005, a prononcé mercredi à l'Académie suédoise un discours de remerciements passionné, véridique et courageux. Auteur de renom, qui a écrit des pièces aussi célèbres que The Homecoming (Le Retour) et The Caretaker (Le Gardien), Pinter n'a jamais cessé d'élever la voix avec fermeté contre la guerre en Iraq et contre les déprédations commises par l'impérialisme américain dans les Balkans, l'Amérique centrale et partout ailleurs auparavant.

Il profita de son discours de remerciements pour intensifier et développer sa lutte en faisant une critique virulente de l'ensemble de la politique étrangère américaine couvrant la période d'après-guerre et en accusant la Grande-Bretagne pour son rôle de « second couteau » et de complice de Washington. Ne mâchant pas ses mots, Pinter qualifia Bush et Blair de criminels de guerre ; il lança un appel passionné à la résistance politique de masse contre le militarisme et la guerre.

Agé de 75 ans, le dramaturge, scénariste, poète, acteur et militant anti-guerre fit sa déclaration dans un discours préenregistré en Grande-Bretagne et qui fut diffusé sur des écrans au public assemblé à Stockholm. Pinter, qui fut récemment soigné pour un cancer de l'oesophage, est encore de santé fragile. Sur les conseils de son médecin, il s'abstint de se rendre en Suède.

Il apparut sur l'enregistrement, assis sur une chaise roulante, un plaid sur les genoux. Sa voix était rauque mais, selon des commentaires, elle n'en était pas moins déterminée.

Le discours de Pinter, qui avait pour titre « Art, vérité et politique », avait une fraîcheur et un élan particuliers de par son honnêteté et sa franchise concernant l'impact catastrophique de la subversion, de la violence et de l'agression américaines partout dans le monde au cours de ces nombreuses décennies. Même certaines sections des médias de l'establishment, en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, comme par exemple le Guardian et le New York Times qui ont participé pleinement à disséminer les mensonges et à couvrir les crimes liés à la politique étrangère américaine, durent reconnaître, dans une certaine mesure, l'impact puissant des paroles de Pinter.

Pinter commença une présentation de son oeuvre dramatique et de son approche à l'art par les observations suivantes :

« En 1958 j'ai écrit la chose suivante: « Il n'y a pas de distinctions tranchées entre ce qui est réel et ce qui est irréel, entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n'est pas nécessairement vraie ou fausse; elle peut être tout à la fois vraie et fausse. »

Je crois que ces affirmations ont toujours un sens et s'appliquent toujours à l'exploration de la réalité à travers l'art. Donc, en tant qu'auteur, j'y souscris encore, mais en tant que citoyen je ne peux pas. En tant que citoyen, je dois demander: Qu'est-ce qui est vrai? Qu'est-ce qui est faux?»

Pinter poursuivit en donnant un aperçu du processus complexe et insaisissable de création de ses pièces de théâtre, en expliquant clairement que son souci majeur était l'utilisation de la langue, de l'intrigue et des personnages dans le but de découvrir d'importantes vérités humaines et sociales.

Au sujet de la relation entre l'art, le langage et la vérité il dit : « Le langage, en art, demeure donc une affaire extrêmement ambiguë, des sables mouvants, un trampoline, une mare gelée qui pourrait bien céder sous vos pieds, à vous l'auteur, d'un instant à l'autre.

« Mais, comme je le disais, la quête de la vérité ne peut jamais s'arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l'affronter là, tout de suite. »

Ce thème de la responsabilité qui incombe à l'artiste de rechercher et de présenter la vérité fut la transition entre ses remarques sur l'art dramatique et ses remarques concernant l'histoire et la politique. Il dit : « Le langage politique, tel que l'emploient les hommes politiques, ne s'aventure jamais sur ce genre de terrain, puisque la majorité des hommes politiques, à en croire les éléments dont nous disposons, ne s'intéressent pas à la vérité mais au pouvoir et au maintien de ce pouvoir. Pour maintenir ce pouvoir il est essentiel que les gens demeurent dans l'ignorance, qu'ils vivent dans l'ignorance de la vérité, jusqu'à la vérité de leur propre vie. Ce qui nous entoure est donc un vaste tissu de mensonges, dont nous nous nourrissons. »

Il poursuivit : « Comme le sait ici tout un chacun, l'argument avancé pour justifier l'invasion de l'Irak était que Saddam Hussein détenait un arsenal extrêmement dangereux d'armes de destruction massive, dont certaines pouvaient être déchargées en 45 minutes, provoquant un effroyable carnage. On nous assurait que c'était vrai. Ce n'était pas vrai. On nous disait que l'Irak entretenait des relations avec Al Qaïda et avait donc sa part de responsabilité dans l'atrocité du 11 septembre 2001 à New York. On nous assurait que c'était vrai. Ce n'était pas vrai. On nous disait que l'Irak menaçait la sécurité du monde. On nous assurait que c'était vrai. Ce n'était pas vrai. »

Pinter passa ensuite à une discussion de la politique étrangère des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. « Tout le monde sait ce qui s'est passé en Union soviétique et dans toute l'Europe de l'Est durant l'après-guerre: la brutalité systématique, les atrocités largement répandues, la répression impitoyable de toute pensée indépendante. Tout cela a été pleinement documenté et attesté.

« Mais je soutiens que les crimes commis par les États-Unis durant cette même période n'ont été que superficiellement rapportés, encore moins documentés, encore moins reconnus, encore moins identifiés à des crimes tout court. ... Bien que limitées, dans une certaine mesure, par l'existence de l'Union Soviétique, les actions menées dans le monde entier par les États-Unis donnaient clairement à entendre qu'ils avaient décrété avoir carte blanche pour faire ce qu'ils voulaient. »

Pinter parla ensuite du bilan des subversions internationales de Washington : « Dans l'ensemble, elle préférait ce qu'elle a qualifié de 'conflit de faible intensité'. 'Conflit de faible intensité', cela veut dire que des milliers de gens meurent, mais plus lentement que si vous lâchiez une bombe sur eux d'un seul coup. Cela veut dire que vous contaminez le coeur du pays, que vous y implantez une tumeur maligne et que vous observez s'étendre la gangrène. Une fois que le peuple a été soumis ­ ou battu à mort ­ ça revient au même ­ et que vos amis, les militaires et les grandes sociétés commerciales, sont confortablement installés au pouvoir, vous allez devant les caméras et vous déclarez que la démocratie l'a emporté. C'était monnaie courante dans la politique étrangère américaine dans les années auxquelles je fais allusion. »

Il continua ensuite par décrire les massacres et la dévastation infligés en 1980 au Nicaragua par les terroristes de la Contra avec le soutien des Etats-Unis. « Je dois vous rappeler » dit-il « qu'à l'époque le président Reagan avait fait la déclaration suivante : 'Les Contras sont l'équivalent moral de nos Pères fondateurs.' »

Pinter détailla le rôle joué par les Etats-Unis au Nicaragua et en Amérique centrale dans son ensemble. Relevant les acquis sociaux conquis par le régime Sandiniste des nationalistes de gauche qui renversa en 1979 le dictateur Somoza bénéficiant du soutien des Etats-Unis ­ abolition de la peine de mort, réforme agraire, progrès réalisés dans l'alphabétisation et l'éducation publique, santé publique gratuite ­ il dit :

« Les États-Unis accusèrent ces franches réussites d'être de la subversion marxiste-léniniste. Aux yeux du gouvernement américain, le Nicaragua donnait là un dangereux exemple. Si on lui permettait d'établir les normes élémentaires de la justice économique et sociale, si on lui permettait d'élever le niveau des soins médicaux et de l'éducation et d'accéder à une unité sociale et une dignité nationale, les pays voisins se poseraient les mêmes questions et apporteraient les mêmes réponses. Il y avait bien sûr à l'époque, au Salvador, une résistance farouche au statu quo.

« Le Président Reagan qualifiait couramment le Nicaragua de 'donjon totalitaire'. Ce que les médias, et assurément le gouvernement britannique, tenaient généralement pour une observation juste et méritée. Les 'donjons totalitaires' se trouvaient en fait tout à côté, au Salvador et au Guatemala. Les États-Unis avaient, en 1954, fait tomber le gouvernement démocratiquement élu du Guatemala et on estime que plus de 200 000 personnes avaient été victimes des dictatures militaires qui s'y étaient succédé.

« Les États-Unis ont fini par faire tomber le gouvernement sandiniste. Cela leur prit plusieurs années et ils durent faire preuve d'une ténacité considérable, mais une persécution économique acharnée et 30 000 morts ont fini par ébranler le courage des Nicaraguayens. Ils étaient épuisés et de nouveau misérables. L'économie 'casino' s'est réinstallée dans le pays. C'en était fini de la santé gratuite et de l'éducation gratuite. Les affaires ont fait un retour en force. La 'Démocratie' l'avait emporté.

« Mais cette 'politique' ne se limitait en rien à l'Amérique centrale. Elle était menée partout dans le monde. Elle était sans fin. Et c'est comme si ça n'était jamais arrivé.

« Les États-Unis ont soutenu, et dans bien des cas engendré, toutes les dictatures militaires droitières apparues dans le monde à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Je veux parler de l'Indonésie, de la Grèce, de l'Uruguay, du Brésil, du Paraguay, d'Haïti, de la Turquie, des Philippines, du Guatemala, du Salvador, et, bien sûr, du Chili. L'horreur que les États-Unis ont infligée au Chili en 1973 ne pourra jamais être expiée et ne pourra jamais être oubliée. » [Note de l'éditeur : Il existe d'autres pays qui pourraient être ajoutés à la liste de Pinter, dont l'Argentine, l'Iran et le Paskistan].

Passant aux méthodes de propagande bien affinées et sophistiquées de l'establishment américain, Pinter dit : « Le langage est en fait employé pour tenir la pensée en échec. Les mots 'peuple américain' fournissent un coussin franchement voluptueux destiné à vous rassurer. Ce qui bien sûr ne vaut pas pour les 40 millions de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ni aux 2 millions d'hommes et de femmes incarcérés dans le vaste goulag de prisons qui s'étend d'un bout à l'autre des États-Unis. »

Pinter poursuivit : « Les États-Unis ne se préoccupent plus des conflits de faible intensité. Ils ne voient plus l'intérêt qu'il y aurait à faire preuve de réserve, ni même de sournoiserie. Ils jouent cartes sur table, sans distinction. C'est bien simple, ils se fichent éperdument des Nations Unies, du droit international ou des voix dissidentes, dont ils pensent qu'ils n'ont aucun pouvoir ni aucune pertinence. Et puis ils ont leur petit agneau bêlant qui les suit partout au bout d'une laisse, la Grande-Bretagne, pathétique et soumise.

« Où est donc passée notre sensibilité morale ? Regardez Guantanamo. Des centaines de gens détenus sans chef d'accusation depuis plus de trois ans, sans représentation légale ni procès équitable, théoriquement détenus pour toujours. Cette structure totalement illégitime est maintenue au mépris de la Convention de Genève.

« L'invasion de l'Irak était un acte de banditisme, un acte de terrorisme d'État patenté, témoignant d'un absolu mépris pour la notion de droit international. Une redoutable affirmation de la force militaire responsable de la mort et de la mutilation de milliers et de milliers d'innocents.

« Nous avons apporté au peuple irakien la torture, les bombes à fragmentation, l'uranium appauvri, d'innombrables tueries commises au hasard, la misère, l'humiliation et la mort et nous appelons cela 'apporter la liberté et la démocratie au Moyen-Orient.'

« Combien de gens vous faut-il tuer avant d'avoir droit au titre de meurtrier de masse et de criminel de guerre ? Cent mille ? Plus qu'assez, serais-je tenté de croire. Il serait donc juste que Bush et Blair soient appelés à comparaître devant la Cour internationale de justice. Mais Bush a été malin. Il n'a pas ratifié la Cour internationale de justice. Donc, si un soldat américain ou, à plus forte raison, un homme politique américain, devait se retrouver au banc des accusés, Bush a prévenu qu'il enverrait les marines. Mais Tony Blair, lui, a ratifié la Cour et peut donc faire l'objet de poursuites. Nous pouvons communiquer son adresse à la Cour si ça l'intéresse. Il habite au 10 Downing Street, Londres

« Les 2000 morts américains sont embarrassants. On les transporte vers leurs tombes dans le noir. Les funérailles se font discrètement, en lieu sûr. Les mutilés pourrissent dans leurs lits, certains pour le restant de leurs jours. »

Pour résumer, Pinter dit : « J'ai dit tout à l'heure que les États-Unis étaient désormais d'une franchise totale et jouaient cartes sur table. C'est bien le cas. Leur politique officielle déclarée est désormais définie comme une 'full spectrum dominance' (une domination totale sur tous les fronts). L'expression n'est pas de moi, elle est d'eux. 'Full spectrum dominance', cela veut dire contrôle des terres, des mers, des airs et de l'espace et de toutes les ressources qui vont avec.

« Des milliers, sinon des millions, de gens aux États-Unis sont pleins de honte et de colère, visiblement écoeurés par les actions de leur gouvernement, mais en l'état actuel des choses, ils ne constituent pas une force politique cohérente ­ pas encore. Cela dit, l'angoisse, l'incertitude et la peur que nous voyons grandir de jour en jour aux États-Unis ne sont pas près de s'atténuer.

« Je crois que malgré les énormes obstacles qui existent, être intellectuellement résolus, avec une détermination farouche, stoïque et inébranlable, à définir, en tant que citoyens, la réelle vérité de nos vies et de nos sociétés est une obligation cruciale qui nous incombe à tous. Elle est même impérative.

«Si une telle détermination ne s'incarne pas dans notre vision politique, nous n'avons aucun espoir de restaurer ce que nous sommes si près de perdre ­ notre dignité d'homme.»

jeudi, octobre 27, 2005

ARAUCARIA ARAUCANA OU (DÉSESPOIR DES SINGES)


Araucaria du CHILI ou "désespoir des singes", ces animaux ne pouvant atteindre les fruits à cause du tronc et des branches aux fortes écailles, recourbées vers le haut. Le nom du genre provient de la tribu indienne des Araucanos, sur le territoire desquels furent découverts les premiers arbres.


ARAUCARIA


Tout l'hiver, toute la bataille,
tous les nids de fer mouillé,
dans ta fermeté traversée d'air,
dans ta ville sylvestre se lèvent.


La prison reniée des pierres,
les fils submergés de l'épine,
font de ta chevelure barbelée
un pavillon d'ombres minérales.

Pleur hérissé, éternité de l'eau,
montagne d' écailles, foudre de fers,
ta maison tourmentée se construit
avec des pétales de pure géologie.
Le haut hiver embrasse ton armure
et il te couvre de lèvres détruites :
le printemps de arôme violent brise
sa soif dans ta statue implacable :
et l'automne grave attend inutilement
de verser de l'or dans ta stature verte.
Traduction : Manu Riska



ARAUCARIA

TODO el invierno, toda la batalla,
todos los nidos del mojado hierro,
en tu firmeza atravesada de aire,
en tu ciudad silvestre se levantan.

La cárcel renegada de las piedras,
los hilos sumergidos de la espina,
hacen de tu alambrada cabellera
un pabellón de sombras minerales.

Llanto erizado, eternidad del agua,
monte de escamas, rayo de herraduras,
tu atormentada casa se construye
con pétalos de pura geología.

El alto invierno besa tu armadura
y te cubre de labios destruídos:
la primavera de violento aroma rompe
su sed en tu implacable estatua:
y el grave otoño espera inútilmente
derramar oro en tu estatura verde.

Pablo Neruda




Le jour en feu
Elle est retrouvée!
Quoi?
L' éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil

Mon âme éternelle,
Observe ton voeu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Arthur Rimbaud


samedi, juillet 09, 2005

Au Chili, les cygnes se crashent, les consciences s’éveillent

Le 9 juillet 2005, le Chili a connu sa première manifestation nationale pour l’environnement à l’appel d’une vingtaine d’organisations citoyennes. Si la marche menée dans 21 villes n’a rassemblé que 5 000 personnes, elle marque l’éveil d’une sensibilité écologique au sein de la population. Une sensibilité née récemment avec l’emblématique affaire Celco, qui pourrait trouver son épilogue aujourd’hui. Cette papeterie fermée en juin pour cause de pollution doit décider si elle rouvre ses portes.
Tout commence en novembre 2004 lorsque des cygnes perdent l’équilibre en plein vol et chutent jusqu’à s’écraser violemment dans les jardins, sur les voitures ou dans les rues de Valdivia. Le spectacle macabre mobilise cette ville de 140 000 habitants, située au sud du pays. La question à la une des journaux : pourquoi les cygnes à cou noir, symbole de la touristique Valdivia, meurent-ils ? L’espèce vulnérable d’Amérique du Sud fuit son habitat, la zone marécageuse Carlos Anwandter, située à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville. Près de 5 hectares inscrits sur la liste de la convention internationale de Ramsar sur la protection des zones humides, et considérés comme le plus important site de nidification de l’espèce en Amérique latine. De 5 000 à 9 000 cygnes fin 2003 on serait passé à moins de 200 aujourd’hui, selon le collectif Action pour les cygnes, formé par les habitants de Valdivia. « En cette période de nidification, aucun nid n’a été aperçu dans la zone, souligne José Araya, porte-parole du collectif. On a retrouvé près de 1 000 cygnes morts. Les autres ont migré plus au sud. » A la recherche de nourriture.
Car les cygnes meurent de faim. Selon l’unique étude scientifique réalisée par l’université australe à la demande de la Commission nationale de l’environnement, la Conama, la plante aquatique (luchecillo) dont ils se nourrissent a disparu. Dès le début, tous les yeux se tournent vers l’usine de cellulose Celco, de 580 millions d’euros, qui a commencé à fonctionner en février 2004. Une étude, publiée en avril la désigne comme responsable du désastre écologique. L’usine du groupe Arauco (1), qui concentre la moitié de la production chilienne de papier et 5 % de la production mondiale, rejette ses déchets dans la rivière Cruces. « Trente-neuf tonnes de sulfate sont déversées par jour, ainsi qu’une grande quantité d’aluminium », souligne le biologiste Eduardo Jaramillo, coordinateur de l’étude. Il a constaté des rejets de métaux lourds (cuivre, plomb) et de dioxines. Des déchets qui se répandent 35 kilomètres en aval dans la zone humide, tuant le luchecillo.
Les scientifiques de l’université estiment la restauration de la zone humide très difficile. Et se disent également préoccupés pour la santé des habitants proches de l’usine ou consommateurs de l’eau contaminée par l’usine. Un taux anormal de maladies respiratoires et de dysfonctionnements du comportement aurait été enregistré, selon le quotidien La Nacion (2). Symptômes associés par les médecins locaux aux émissions gazeuses (dioxines notamment) de l’entreprise dans l’atmosphère, sans qu’aucune étude épidémiologique ne puisse le confirmer.
Si Arauco nie l’ensemble des accusations, elle a cessé volontairement de fonctionner le 8 juin. La Conama lui a depuis imposé de nouvelles exigences : il lui faut baisser de 20 % sa production, réduire ses émissions d’aluminium, de chlore et sulfure, et proposer une alternative d’ici neuf mois au rejet des déchets industriels dans la rivière Cruces. L’entreprise devait dire aujourd’hui si elle rouvre ou non ses portes. Action pour les cygnes ne s’y oppose pas mais réclame la fin de la pollution. « Si la loi existante au Chili était appliquée, explique le porte-parole José Araya, si les services publics chargés de la faire respecter fonctionnaient, l’usine serait fermée, étant donné les mensonges, le manque de transparence et les graves irrégularités qu’elle a commises. Ce que nous demandons, c’est que la loi au Chili ne soit plus bafouée au bénéfice des entreprises. »
Par Claire MARTIN, mardi 26 juillet 2005. Santiago (Chili) de notre correspondante
(1) Arauco appartient au plus puissant conglomérat chilien, Copec, propriété d’un des hommes les plus riches du Chili, Anacleto Angelini.
(2) Editions des 8 et 10 juillet.

mercredi, mai 18, 2005

La Cour suprême sépare une mère lesbienne de ses enfants

Il y a près d'un an, la plus haute juridiction du Chili, la cour suprême, a retiré la garde de ses trois petites filles à Karen Atala.

samedi, avril 23, 2005

LES MURS COMME SUPPORT DU POLITIQUE : LA BRIGADE CHACÓN AU CHILI


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« QUE LES NOUVEAUX TEMPS…
NE PRIVATISENT PAS NOS RÊVES… »
« La gloire de ce peintre est invulnérable, car (...) des tableaux qu’il a exécutés, il n’en reste plus aucun ». Jorge Luis Borges 1
1 Le présent dossier porte son attention sur une modalité paradoxale de la prise de parole : parole muette, peinte sur un mur, que donne à voir la brigade Chacón au Chili. Cette expérience a des précédents que l’on examine avant d’en venir aux caractéristiques spécifiques de la brigade choisie. Le témoignage d’une brigadiste – et, en annexe, quelques propos du peintre Roberto Matta – complètent ce dossier dans sa version papier2. Cette expérience nous renvoie certes à une histoire spécifique. En l’occurrence à une histoire chilienne. Elle est aussi symptomatique d’un phénomène plus large : les nombreux liens de l’image et du politique ; et, dans le cas précis, ceux de la peinture et du politique 3. Que la parole soit censurée, ou qu’elle s’avère impropre, le tracé participe parfois de la contestation. Parole muette donc, non dépourvue de sens.

Emergence des brigades murales au Chili 4


2 Surgies à la fin des années 1960, les brigades murales acquièrent une visibilité à l’occasion de la campagne présidentielle de 1970. Les brigades sont alors affiliées à des partis politiques, elles sont constituées de militants – jeunes pour la plupart ; et si l’ensemble du spectre politique chilien se dote à un moment donné de sa brigade, l’émergence du travail muraliste reste associée à la gauche chilienne, à ce que fut la dernière campagne électorale de Salvador Allende, à ce que fut le gouvernement de l’Unité populaire (1970-1973). Les murs de Santiago sont ainsi investis. Sur ces murs, on écrit et on peint.

3 D’abord instrument de propagande, la concurrence entre brigades, et notamment entre celle des jeunesses communistes (Brigada Ramona Parra, BRP5) et celle des jeunesses socialistes (Brigada Elmo Catalán, BEC6), ne se donne pas sur le seul terrain du politique stricto sensu. Les brigades rivalisent en innovant dans le tracé, la complexité des figures, l’usage des couleurs. L’image qu’elles présentent aux passants les identifie tout autant que les messages véhiculés et que leur signature. Ainsi, chemin faisant, les brigades ouvrent-elles un espace d’expression artistique, étroitement lié à la vie politique mais suscitant, au-delà, l’attention et l’intervention ponctuelle d’artistes reconnus dont le peintre Roberto Matta.

4 C’est sur cette dimension artistique que s’est en partie bâtie la renommée d’une de ces brigades, la BRP. Cette renommée tient également à une manière de faire, issue de la nécessité : la vitesse. Ceci nous renvoie à une période relativement courte allant de la création de la brigade à l’élection présidentielle du candidat socialiste (1968-1970) : il fallait travailler vite pour échapper à la surveillance de la police. Dans un premier temps, ce qu’on peignait c’était des messages conçus à l’avance et destinés à un lieu précis. Au sein de la brigade, il y avait des « traceurs » chargés du contour des lettres et des « remplisseurs » chargés de colorier l’intérieur ; chaque brigadiste ayant sa couleur. Deux traceurs se plaçaient aux extrémités du mur choisi pour peindre de l’extérieur vers l’intérieur. Les premières lettres étant tracées, le remplissage commençait. Sur un mur de deux mètres de haut et de trente mètres de long la BRP écrivit un jour « Avec Allende nous vaincrons ». L’opération prit deux minutes et demie7.

5 Plus tard, sous le gouvernement de l’Unité populaire (1970-1973), cette expression à la fois politique et artistique fut sollicitée ouvertement par les nouvelles autorités. Des fresques entières ont alors été conçues. L’une d’elles raconta en images l’histoire du mouvement ouvrier chilien sur les rives du Mapocho à Santiago. Les méthodes de travail se modifièrent. Désormais, on pouvait prendre son temps. Puis, à partir du coup d’Etat du 11 septembre 1973, tous les partis politiques furent proscrits, les brigades interdites et leurs membres poursuivis. On entreprit d’effacer chaque peinture effectuée et de cette première étape des brigades murales, il ne resta rien. Plus tard encore, au carrefour des années 1980, et à la faveur de la réorganisation d’une opposition politique complexe8, le travail mural refit surface : sur les murs, les images renvoyaient désormais à l’histoire de la dictature, au coup d’Etat, aux crimes commis, on y voyait les visages des morts et des disparus. Depuis, les brigades se sont multipliées. Elles admettent aujourd’hui des sujets fort variés et ne sont pas nécessairement liées à des partis politiques. Une des brigades surgies à la fin des années 1980 choisit de ne plus mettre en images mais de revenir aux mots de la première période : la brigade Juan Chacón Corona, dite « la Chacón »9.

Spécificités de la brigade Chacón


6 La brigade Chacón naît en 1989 au sein du Parti communiste. Cette brigade est ainsi contemporaine du plébiscite de 1988 10 et des élections présidentielles de 1989, lesquelles mettent fin officiellement à la dictature de la junte militaire 11. Danilo Bahamondes, l’un des fondateurs de la BRP, sera chargé de la Chacón entre 1989 et 1997. Un différend avec le comité central l’amène alors à quitter le parti. À partir de cette année, il existera deux brigades Chacón : celle officielle du PC et celle que Bahamondes dirige en franc-tireur suivi dans cette initiative par quelques compagnons. Les repères donnés ci-dessous pour caractériser la singularité de cette brigade font fondamentalement référence à la période 1989-1997 pendant laquelle se définit : une technique d’exposition sur les murs ; une calligraphie spécifique ; et quelque chose comme un « parler », inédit jusque-là.

7 « Papelógrafo ». On pourrait dire «Papierlographe»: un rouleau de papier d’environ un mètre de hauteur et de longueur variable selon l’inscription. Le plus souvent Danilo Bahamondes prend en charge le tracé et le remplissage des lettres (une seule couleur : noir sur fond blanc). Il est parfois assisté par l’un des membres de la brigade. Une fois les lettres séchées, le papier est enroulé. A l’extérieur du rouleau, on précise le contenu du message et le lieu où aura lieu le collage.

8 Cela se passe à la tombée de la nuit. Le nombre des présents peut varier d’un soir à l’autre (une dizaine au début des années 1990). Deux ou trois véhicules sont mobilisés. En une soirée environ dix « papelógrafos » sont disposés sur les murs de Santiago. Une fois rendus sur le lieu d’un collage, il faut – comme autrefois à la BRP – agir très vite pour leurrer les policiers. Deux ou trois brigadistes sont chargés de guetter. Au niveau du mur certains se chargent de préparer la surface (de retirer des débris éventuels, des affiches en parties décollées). Simultanément un autre passe la colle. Dès qu’un ou deux mètres sont encollés, le reste de la brigade se met en mouvement : l’un tient l’extrémité du « papelógrafo », un autre le déroule, les autres passent leurs mains pour lisser le papier. L’ensemble de l’opération prend environ deux minutes.

9 Où colle-t-on ? Il y a les murs réguliers. Ceux dont on sait qu’ils seront disponibles et que Danilo Bahamondes a choisis en fonction du nombre de gens susceptibles de transiter à cet endroit. Il y a également des murs mobilisés ponctuellement en fonction des chantiers de la ville et des parois disposées pour protéger lesdits chantiers. Au centre de Santiago, au moins quatre « papelográfos » sont collés sur les murs de l’Alameda (avenue principale de la capitale) ; un autre directement sur la « panaméricaine », route traversant le pays de nord à sud dont les parois sont visibles par les automobilistes et les passagers du métro. La brigade agit dans plusieurs quartiers. Un jour par semaine. Chaque quartier a son jour. D’une semaine sur l’autre les « papelógrafos » sont remplacés et toujours disposés au même endroit – exception faite des quelques espaces variables – de telle manière qu’il est possible de générer une expectative.

10 Les messages en question se distinguent ainsi par: leur support, le « papelógrafo » ; leur signature (une étoile noire au bout du message, au bas de laquelle figure le nom de la brigade ; ponctuellement, en particulier en période électorale, l’étoile devient rouge et jaune) ; la calligraphie utilisée, toujours la même d’un « papelógrafo » à l’autre. Cette calligraphie est mise au service de l’objectif souhaité : que les « papelógrafos » soient lus y compris de très loin. Elle a été reprise depuis par des groupes divers liés à l’actuelle gauche chilienne – et, plus ponctuellement, aux secteurs de droite, en période électorale. Plus fondamentalement, les messages de la Chacón se distinguent par leur contenu.

11Que dit la Chacón ? Si la brigade accompagne les campagnes électorales diverses du Parti communiste sa fonction n’est pas réductible à la propagande politique. La diversité des messages est telle qu’il n’est pas possible, dans le cadre de cette présentation, de se livrer à une catégorisation satisfaisante. On peut néanmoins poser qu’il existe deux grands types de messages : les conjoncturels, étroitement liés à la vie politique chilienne et internationale ; et les autres, réflexions plus générales sur ce que devrait être la politique, la démocratie, la justice, l’économie. Le tout premier message de la Chacón a été formulé dans le cadre de l’affaire dite « des raisins ». En mars 1989, on découvre à Philadelphie qu’un chargement de fruits chiliens contient du cyanure. L’embargo est déclaré. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Cáceres, accuse ouvertement les communistes d’être à l’origine de l’empoisonnement. Dans ce contexte, la Chacón écrit sur les murs : « Cáceres miente », « Cáceres ment ». Ce message se décline sur un ton affirmatif. D’autres se présentent comme des questions. D’autres encore comme des sentences. La plupart accordent une large place à l’humour (noir, en règle générale).

12 Précisons avant de donner la parole que la grande majorité des phrases sont rédigées en espagnol mais il y en a eu en français, en italien et en anglais selon l’actualité commentée et les compétences linguistiques des brigadistes (ils signaient alors « Chacón polyglotte »). Il y a eu dans la brigade des hommes et des femmes. Certains d’entre eux étaient affiliés au Parti communiste. D’autres non. Il s’agissait en majorité d’adultes âgés de 30 à 45 ans. Il y en a eu aussi de plus jeunes. Durant la période 1989-1997, la brigade avait ses militants fixes auxquels se joignaient des compagnons épisodiques.

Danilo Bahamondes a la parole 12

13 « Je sens qu’au sein de la Brigade Chacón nous sommes des privilégiés. Nous avons, oui, le privilège de dire ce que nous sentons, ce que nous pensons, ce dont nous sommes profondément convaincus, dans la rue (…). Quand ton objectif est de faire de la politique, ce qui est nôtre cas, car nous communiquons des idées dans la rue, il faut que tu sois bien informé. Il faut frapper juste. Il faut avoir des convictions pour ensuite être crédibles ».

14 « La brigade Chacón a été pensée pour fonctionner en démocratie, la culture militaire était alors hors-jeu... Le ‘Non’ avait triomphé, nous étions en démocratie. Il fallait adapter le travail (...). Nous n’avions pas de culture démocratique. Et même plus, nous ne croyions pas à la démocratie bourgeoise – c’est ainsi que nous la cataloguions. De plus, nous n’approuvions pas le type de démocratie instaurée, dans le respect de la Constitution de 1980... Ma formation était celle d’un communiste des années 1960, et les plus jeunes s’étaient formés sous la rigueur de la dictature. C’est pourquoi, nous devions apprendre à croire en la démocratie et à respecter ses codes. C’était un apprentissage ».

15 « Parmi les phrases que nous mettons dans la rue beaucoup viennent de gens importants de ce pays. Ils s’expriment dans la presse écrite et dans les journaux télévisés. Parfois, ce sont des idées compliquées ou alors exprimées de manière très longue. Alors, nous synthétisons (...). Par exemple, quelqu’un a dit : ‘Les êtres humains ont besoin de faire partie d’un projet. Cela exige des idées fondamentales sur ce qu’est une société. Ce sont ces idées que nous voudrions élaborer et partager avec d’autres. Il faut réenchanter et re-signifier la politique pour qu’elle puisse tenir sa vocation d’action en vue du bien commun’. Nous, nous avons écrit sur ce sujet : ‘La politique doit redevenir une pratique d’idées’, ‘La politique doit de nouveau interpréter des rêves collectifs’ ».

16 « Nous n’avons pas de concurrence, il n’y a pas d’autres brigades avec lesquelles nous puissions avoir un échange d’idées. C’est ennuyeux parce qu’il n’y a pas de pression pour nous surpasser. Si on entend une phrase intelligente d’un tel de l’UDI13, nous devons nous montrer plus intelligents. On aimerait avoir une concurrence. Mais nous constatons que les seuls à pouvoir surpasser notre travail c’est... nous-mêmes ».

Quelques messages de la Chacón

N’avez-vous pas l’impression que cette démocratie nous a été prêtée ?
[¿No le da la impresión de que esta democracia está prestada?]
 
Est-ce qu’aujourd’hui le manque de courage porte le nom de raison d’Etat ?
[¿Es que hoy a la falta de coraje se le llama razón de Estado?]
 
Empêchons que le Chili ne devienne un pays de spéculateurs
[A impedir que Chile sea un país de especuladores]
 
Le néolibéralisme empeste... l’air, les rêves, la vie...
[El neoliberalismo apesta... el aire, los sueños, la vida...]
 
Le système de santé a-t-il collapsé ou est-ce qu’il vaut que dalle, vous en pensez quoi ? 
[El sistema de salud colapsó o es que vale callampa, ¿qué opina usted?] 14
Maintenant les livres ne sont plus interdits par un ministre… mais par les prix
 
[Ahora los libros no los prohibe un ministro... sino los precios]
Un fantôme hante l’Europe. Magistrats du monde : unissez-vous15
 
[Un fantasma recorre Europa. Jueces del mundo uníos] 
Une société grise et médiocre... mérite le foot que nous avons 
[Una sociedad gris y mediocre... se merece el futbol que tenemos]


« QUE LES NOUVEAUX TEMPS…
NE PRIVATISENT PAS NOS RÊVES… 
17 « Que les nouveaux temps… ne privatisent pas nos rêves… »


Témoignage : Alfonsina et le mur 16

18J’ai rencontré Danilo Bahamondes en 1991. J’avais 18 ans et j’étais rentrée depuis peu au Chili avec ma famille. Nous entrions alors dans la catégorie des « retornados », sorte de pendant aux « exilés ». Nous étions donc les « revenants ». Un ami espagnol était venu à Santiago faire une enquête sur les brigades murales. Je l’ai accompagné dans ses divers rendez-vous et dans l’une de ses sorties avec la brigade Chacón. Mon ami devait repartir et il n’a pas eu le temps de faire l’entretien qu’il prévoyait avec Danilo. J’y suis allée à sa place, rue Arturo Prat où la Chacón avait alors ses ateliers. J’y suis restée.

19 En principe, ma place n’aurait pas dû être à la Chacón mais à la BRP. À cause de l’âge. La nouvelle BRP était la brigade des jeunesses communistes. Son travail consistait fondamentalement à peindre de grandes fresques sur les murs. Ses brigadistes participaient ainsi de la vie des quartiers les plus démunis avec le soutien des habitants. Il fallait toute une matinée ou un après-midi pour peindre ces fresques. La Chacón faisait autre chose. Elle ne dessinait pas. Elle ne peignait pas l’histoire politique chilienne. Elle en commentait le présent. C’est cet ancrage dans le présent que j’ai choisi et j’ai choisi aussi la compagnie de Danilo, qu’on appelait « Commandant » au sein de la brigade.

20 On m’en avait souvent parlé comme d’une personne sortant de l’ordinaire. Avec d’autres, il avait conduit, en 1969, une marche à pied de Valparaíso à Santiago contre la guerre au Vietnam, au Laos, et au Cambodge. On disait aussi qu’il avait accroché un drapeau vietnamien dans un bateau nord-américain et qu’on l’avait enfermé pour cela dans une grotte. Surtout, il était une figure emblématique de la première BRP. L’homme au casque jaune. Ce casque jaune, caractéristique des ouvriers du bâtiment, était le signe distinctif des brigadistes de la BRP. Ce n’était pas une coquetterie. Le casque permettait de protéger la tête lors des affrontements avec les carabiniers. On peut en contester l’efficacité et pour preuve, ce souvenir de ma mère, militante des jeunesses communistes à l’époque :

21 Les dirigeants du PC et ceux de la BRP avaient proposé que les murs soient pris d’assaut le 4 septembre 1970 : chaque jeune communiste, accompagné d’un brigadiste « professionnel », s’en est allé peindre les murs. Santiago fut pour ainsi dire totalement revêtue de couleurs en ce jour où Salvador Allende remporta les élections présidentielles. C’est coiffé d’un casque, et sous le casque, les bandages… que Danilo s’est posté devant son mur.

22 En 1991, il devait avoir une quarantaine d’années. Si j’examine mes propres souvenirs, je dirais que c’était un homme inventif, souvent irrévérencieux, irréductible. C’est aussi ce que transmettaient les messages de la Chacón en ce début des années 1990 et ce n’était pas rien.

23 Je ne peux pas me prononcer pour les autres mais je me souviens de ce retour au Chili et des années 1990 en général comme d’une période de grande tristesse. Je sentais que tous mentaient. Les hommes politiques, les journalistes, les professeurs au lycée puis à l’université, et même, l’homme de la rue. Le président de la République était alors Patricio Aylwin, démocrate-chrétien. Il était celui qui avait soutenu le coup d’État de 1973 et son repentir tardif ne changeait rien à l’affaire 17. C’était l’époque où les anciennes autorités de la dictature pouvaient s’exprimer en toute impunité et dire que telle chose n’avait pas eu lieu. Ce fût le cas de Contreras notamment. L’ancien directeur de la police secrète, la DINA. Dans une de ses déclarations, il avait nié les prisons secrètes, la torture et les disparus. A l’entendre, on aurait rêvé. L’histoire chilienne de 1973 à nos jours était un cauchemar, rien de plus. Il y avait aussi les manifestations en soutien à la libération des prisonniers politiques de la dictature dont certains n’avaient pas encore été libérés. Cela se finissait souvent en altercations avec les carabiniers et j’ai entendu un jour un passant hurler : « Qu’est-ce que vous voulez ! Le retour des militaires? ». Je ne savais pas s’il avait fait, lui, quelque chose pour chasser les militaires. Mais c’était le cas des prisonniers politiques au nom desquels nous étions sur les lieux.

24 Dans ce contexte, le travail de la Chacón prenait du sens. Sans négliger le caractère novateur de la technique, son aspect esthétique aussi – car ces lettres immenses habitaient les murs de la ville et sont devenues caractéristiques d’un certain paysage urbain : l’aspect central était donné par la composante politique. Du fait même de coller directement sur les murs, ce qu’on contestait c’était le monopole de la prise de parole. Dans une société où les médias appartiennent aux classes dominantes, où ils soutiennent la politique de l’autruche, et où l’hypocrisie fait rage, écrire sur un mur des phrases qu’aucun journal n’accepterait de publier (sauf ceux d’extrême gauche que presque personne ne lit) c’était un geste hautement politique. Un geste entrepris par les bases. L’écriture sur les murs ce n’était pas l’affaire des élites, pas mêmes des élites communistes. Les brigadistes ne sortaient pas de la Sorbonne. A ce propos, il y a une anecdote. J’entamais à l’époque des études universitaires. Au sein de mon cursus, on devait suivre des cours d’économie. Je les séchais avec assiduité pour m’en aller à l’atelier peindre les papelógrafos avec Danilo. Un jour, il m’a demandé ce que je faisais comme études :

 - Histoire.

 - Histoire ? C’est bien. Vous serez une chômeuse cultivée.

25 Il y avait des chômeurs au sein de la Chacón. Des mères de famille aussi. D’autres avaient des activités variées. On se connaissait plus ou moins, selon les affinités. On était plus mystérieux au sujet des noms. Chacun avait été rebaptisé d’office. C’était une vieille habitude liée à la clandestinité. Un soir, nous nous sommes fait arrêter et il a fallu sortir les cartes d’identité. Ce qu’on a pu rire en découvrant nos vrais prénoms… Dans mon cas, le baptême est venu d’une erreur. Au cours d’une sortie, le Commandant m’a appelée « Alfonsa » :

- Je ne m’appelle pas Alfonsa… Qu’est-ce que c’est que ce prénom ?

- Mais c’est un très joli prénom. Il y a même une chanson…

- La chanson s’appelle « Alfonsina et la mer », Commandant…

- Ah, oui. Alfonsina. Va pour Alfonsina, comme la poétesse 18.

26 Les sorties n’étaient pas tristes. On était content d’y être. Il y avait un camarade, on va dire V., qui avait un certain penchant pour la boisson. Ça lui prenait le soir, uniquement le soir. Mais à l’heure de la sortie, il était déjà gris. Alors souvent le Commandant l’empêchait de venir. C’était toute une histoire. Notre brigade, celle du centre de Santiago, collait le mardi. Chaque mardi, la même chose. V. qui s’approche des voitures, qui crie qu’il veut sortir lui aussi, qui s’accroche à la camionnette et les camarades lui décollent les doigts, et il finit par lâcher prise et reste au milieu de la chaussée. Mais de temps en temps, il venait. C’était un ami de Danilo, de l’époque de la BRP. Je me souviens qu’une fois, il s’est mis à pleurer dans la voiture, il a mis sa tête sur mon épaule et il a pleuré. Il disait : « ah !... Alfonsina, si tu savais, on venait du monde entier pour nous voir... même Guayasamin est venu au Chili». La BRP de sa jeunesse c’était toute sa fierté.

27 La Chacón aussi était motif de fierté. Pour les brigadistes et à certains égards pour les dirigeants du Parti communiste. C’est qu’il n’y avait pas d’équivalent au Chili. Il n’y en a jamais eu par la suite. Les papelógrafos de la Chacón étaient conçus comme un média alternatif. Ce qu’on voulait c’était faire entendre un autre discours et que ce discours, cette pensée, cette réflexion parviennent au plus grand nombre possible. La plupart des messages étaient l’oeuvre de Danilo. Il était pourtant preneur de toutes les bonnes idées. Seulement, de bonnes idées, nous n’en avions pas tous les jours alors qu’il était prolifique. Indiscutablement, le fait que Danilo ait été le chef de la brigade, sa principale autorité (même si le mot autorité aurait fait rire le bonhomme) donnait le ton. Il avait une manière bien à lui de penser les écrits, de les élaborer et maniait l’ironie comme personne. Les expressions utilisées étaient quelque peu codifiées et avaient souvent recours à l’argot. Il y avait un « style Chacón ».

28 Parmi les messages, ma préférence allait à ceux qui revendiquaient le mot politique. Là encore, c’était important à cause de la déroute. Les hommes politiques professionnels étaient les otages des militaires. Beaucoup d’entre eux étaient pris du syndrome de Stockholm. L’extrême gauche n’était plus une force politique significative. Chez les jeunes, cette déroute était aussi visible. Bien sûr, tous les partis avaient leurs « jeunesses », à gauche, à droite, et au centre. Mais, d’autres jeunes ne savaient pas toujours où s’immiscer. Sans trop généraliser, j’ai tendance à penser que ma génération (et j’entends par là, les « enfants » de l’Unité populaire) a été caractérisée par le très grand respect qu’on éprouvait pour les « vieux ». Car ces vieux, nos parents, constituaient un exemple. Un exemple que l’on ne savait pas toujours comment suivre dans le contexte politique auquel nous avions affaire. Cela peut sembler naïf mais il s’est trouvé des jeunes pour choisir la lutte armée dans les années 1990. Certains, parmi les plus âgés, et qu’on appelle « la génération des années 1980 », avaient assumé des fonctions politiques. Mais, les jeunes des années 1990 (que, de fait, on n’a pas appelé la « génération des années 1990 », c’est une génération sans nom particulier) avançaient dans le noir et il n’était pas du tout clair que cette chose politique, que l’on pouvait observer à travers les médias, ait un quelconque lien avec ce qu’avait été la politique du temps de nos parents. Alors, quand la Chacón écrivit sur les murs « Que les nouveaux temps… ne privatisent pas nos rêves… », je me suis sentie pleinement concernée.

29Pourtant, à côté de ce sentiment de fierté, la Chacón était aussi l’objet de critiques. Parfois, elles étaient d’ordre disciplinaire. Les dirigeants du Parti communiste n’étaient pas informés au préalable des messages qu’on allait coller. Or, la Chacón était clairement identifiée par le public comme étant du PC. Ce qu’elle était effectivement mais de manière bien moins organique qu’on n’aurait pu le penser. De telle sorte, qu’il y avait parfois des divergences sur l’opportunité de tel message.

30 Je voudrais ouvrir une parenthèse pour clarifier les liens de la brigade avec le PC. Il s’est dit beaucoup de choses depuis la rupture de 1997. Cette année-là Danilo s’éloigna du parti et il y eut une scission au sein de la Chacón. Outre les dénigrements dont Danilo a personnellement fait l’objet au sein du parti (avec de respectables exceptions), certains ont cru bon de souligner que la brigade Chacón ne faisait que retranscrire les positions et les consignes du PC. Ceux-là mentent. Mon expérience parle d’autre chose. Les liens entre le PC et la Chacón (même si le PC finançait et même si ses dirigeants pouvaient donner des orientations) étaient étanches. D’où très précisément, les rappels à l’ordre. Il fut une époque où le PC chilien était une force politique capable de promouvoir le changement, de susciter l’enthousiasme de la jeunesse et d’éveiller en elle ce qu’elle avait de plus créatif. La BRP témoigne aussi de cela. Ce n’était plus le cas au tournant des années 1990. Le PC luttait alors pour sa survie et peinait très précisément à trouver ses mots, à se faire entendre, à élaborer une pensée crédible du changement politique. Il m’en coûte de le dire, car je crois encore aujourd’hui que le PC chilien, même diminué, même cherchant le chemin et ne le trouvant pas, a joué un rôle important durant ces années-là. Ce fut l’acteur borné, refusant d’accepter tous les pactes indignes que les élites de la Concertation nous proposaient. Que Danilo Bahamondes ait fait une analyse différente à un moment de sa vie : ça le regarde. Cela ne saurait compromettre à posteriori ce qu’a été son rôle au sein de la brigade du temps où elle était communiste.

31 Et du temps où elle était communiste, ce qu’on nous contestait également c’était quelque chose comme un manque de tenue. Outre l’anecdote de V., les bouteilles de pisco étaient parfois de la partie. C’était le propre de quelques camarades, pas de tous, de quelques uns. Personnellement, je n’ai jamais rien trouvé à redire. La seule question importante pour moi c’était « Le travail est-il fait ? Oui ? Non ? » Oui, il l’était. Certains camarades de la Chacón aimaient le pisco, le foot et les séries télévisées, surtout une série brésilienne qui passait à l’époque, il y avait une actrice très belle dans ce téléfilm. Autrement dit, ces camarades de la Chacón étaient comme 90% des Chiliens. Ils faisaient en plus de la politique, à leur manière, certes. Mais aux yeux d’autres militants, peut-être plus « orthodoxes », ils n’étaient pas des militants comme les autres. Selon les occasions, on les présentait comme des pionniers, des braves, ou comme des militants de second ordre. Puis, il y avait cette image de la brigade « groupe de choc ». En ce sens que les militants n’étaient pas des intellectuels et qu’ils étaient parfois prompts à la bagarre. La brigade était un groupe de choc. Dans un sens noble. Elle innovait tous les jours et elle assumait parfois d’autres tâches que les siennes dont beaucoup se félicitaient. C’est un militant de la Chacón, dit « le loup-garou », qui le 11 septembre 1992 a éteint la « flamme de la liberté » instaurée par les militaires pour célébrer le coup d’État de 1973.

32 Autre aspect qu’il est important de retenir c’est que le travail de la Chacón était un travail relationnel. Et ce à différents niveaux. Danilo rassemblait. Avoir la volonté d’être ensemble, après tant d’années de dispersion, c’était en soi un acte de force. Les jours de collage, on arrivait toujours en avance pour préparer le café et discuter de politique, mais aussi de tout autre chose, des soucis quotidiens, d’un livre qu’on avait lu, ébaucher un pas ou deux de salsa. Puis, à un autre niveau, il y avait la rue. C’est peut-être parce que j’avais longtemps vécu hors du Chili, le fait est que c’est auprès de la Chacón que j’ai compris qu’un pays, c’est fait de beaucoup de rues et de tout autant de murs. Ces murs m’appartenaient parce que j’en connaissais la surface, j’y avais posé mes mains, j’en avais retiré les clous. « Ce pays est aussi le nôtre. Nous avons notre mot à dire ». C’était ça, l’élan de la Chacón. Puis, dans les rues, il y avait les passants.

33 Peu à peu les gens prenaient l’habitude. Coller sur les murs ces immenses rouleaux de papier, c’était devenu normal. Mais une fois, je n’ai assisté à ça qu’une seule fois, les gens qui étaient là et qui attendaient le bus ont applaudi... Je n’ai plus aucune idée de ce qu’on avait collé à cet endroit, mais ils ont applaudi et ça nous a fait drôle. On ne cherchait pas à discuter avec les passants. On n’avait pas le temps. Il y avait toujours la possibilité de se faire arrêter, on agissait donc très vite. Mais ce petit échange a eu lieu au moins ce soir-là. Les autres échanges c’était avec la police et ils étaient moins sympathiques. Cela se finissait souvent en course. Sauf une fois. Un carabinier nous a interpellés. C’était l’un de ces carabiniers que nous appelions les « tortues ninjas » parce qu’ils étaient en moto et qu’ils portaient sous leur casque une sorte de cagoule verte. Le flic s’approche, nous demande ce que nous faisons là, nous expliquons. Le type lit ce qu’il y a sur le mur et là... Il enlève le casque, la cagoule et nous dit : « vous voyez, je vous montre mon visage, je suis d’accord avec ce que vous avez écrit ». On a été pris au dépourvu. C’était du jamais vu.

34Plus généralement, les papelógrafos de la Chacón ne laissaient pas indifférents. D’une part, ils étaient bien faits. Il faut tout de même le dire. Il suffit de comparer avec les nouveaux. « Non à l’APEC », « Bush : dehors ». On pourrait dire : « façon Chacón ». Sauf que le tout est écrit en lettres rouges, trop petites et bien serrées. La calligraphie ne suffit pas. Il n’y a pas de cause à effet. Les papelógrafos de la Chacón « accrochaient ». J’ai souvent entendu, dans les lieux les plus divers, « tu as vu le dernier papelógrafo de la Chacón ? », comme on aurait dit : « tu as lu l’article d’un tel ? ». J’ai aussi entendu de dures critiques à l’égard de certains messages et notamment à propos de la remise en question de la classe politique en tant que telle. Peu importe. L’objectif était de communiquer, d’interpeller, de faire parler, de générer des discussions. Cet objectif a été atteint.

35 Quand je regarde aujourd’hui les nouveaux écrits sur les murs, mon sentiment est partagé. Peindre sur un mur, c’est une petite victoire. Il y a ce côté obstiné. Que les partis de droite se soient saisis de la technique ne change rien. Ça leur passera. Ça leur passe déjà. Reste la volonté de laisser une trace ; de donner son avis aussi, quand personne ne vous le demande. Mais je ne peux m’empêcher de traquer les murs. Je ne peux m’empêcher de chercher les mots de la Chacón que j’ai connue. C’est qu’il ne reste rien ou si peu. Danilo avait pris la précaution de photographier les papelógrafos, semaine après semaine. Il s’agit d’une collection personnelle. Les gens n’y ont pas accès. On ne sait pas vraiment qu’elle existe. Le PC n’en a rien fait. Du moins à ma connaissance. D’autre part, le passant ordinaire n’associe pas le nom de Danilo Bahamondes à cette ancienne brigade. Cela est d’autant plus vrai pour les autres brigadistes. Nous n’avions pas de nom. Notre nom à nous c’était « Chacón ».

36Au mois d’août 2001, quelqu’un m’a appelé pour m’annoncer de vive voix que Danilo était mort, qu’il s’était étalé sur un trottoir. Depuis, Santiago n’est plus la même. Il y a cette perte au sein de la vie politique. Puis, les relations personnelles. Le mur que l’on porte en soi. Celui qu’on longe aussi en pensant à la petite phrase insidieuse qu’on aurait bien envie d’écrire. Il m’arrive de relire un mot que Danilo m’avait envoyé alors que je me trouvais de nouveau à l’étranger, histoire de parfaire mon avenir de chômeuse cultivée. Ce mot disait : « Du Chili je ne te dirai rien pour ne pas t’attrister. Mais j’éprouve un grand amour pour ce que je fais et les peines et les désillusions glissent sur moi ». Comme sur le mur.

37 Annexe : Propos du peintre Roberto Matta

38 Tu as travaillé au Chili avec la brigade Ramona Parra...

39 À vrai dire, c’était une manifestation de solidarité, d’amitié. Je me souviens d’une fois, on était à La Granja, j’avais organisé les couleurs : un tel était le vert, un autre le rouge, un autre le jaune, un autre le blanc, un autre le noir. Chacun avec son pot de peinture. Ça se passait dans une piscine. J’avais besoin du rouge et le rouge était dans la piscine. Je l’engueulais parce qu’il me fallait absolument le rouge et il fallait attendre parce qu’il était en train de se sécher. Et le vert, par exemple, il était en train de faire de la balançoire ou en train de boire une bière. Le bleu était bien là mais ce n’était pas du bleu que je voulais. Alors il fallait que j’utilise le bleu au lieu du vert. C’est comme ça que, pour finir, les drapeaux rouges étaient bleus. Peut-être que, ce n’est pas impossible, je leur ai donné un peu d’humour, et c’est avec cet humour, partie intégrante de la poésie, qu’on peut se réveiller pour voir certaines choses (…).

40Il me paraît important de contester la réputation que certains essaient de donner à ces jeunes du peuple. Les brigades avec lesquelles j’ai travaillé, la brigade Ramona Parra, par exemple, sont un modèle de travail volontaire. Ces jeunes n’ont pas plus de dix-sept ans ; ils peignent en dehors des heures d’étude ou de travail. Ils sont en train d’essayer de mettre en place une sorte d’université populaire. A propos des problèmes, par exemple, de l’art. J’ai discuté avec eux. Ces brigades essayent d’apprendre le plus qu’elles peuvent et elles exercent. Le grand problème des universités bourgeoises c’est qu’elles ne donnent pas un langage pour se comprendre avec les travailleurs. Il y a au sein des brigades une volonté d’université populaire (…).

41 Sources – Conversation avec L. Guastavino et G. Torres, revue Araucaria, 1978 ; Conversation du peintre Roberto Matta avec les élèves des Beaux Arts. Instituto de Arte Latinoamericano. 25 octobre 1971. Enregistré par E. Saúl. Voir : http://www.abacq.net/​imagineria/​arte2.htm

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Notes
1. Sarmiento F. Domingo, Recuerdos de Provincia, Buenos Aires, Emecée Editores, 1998 (1ère édition 1850), p. 17. Edition préfacée et annotée par Jorge Luis Borges. L’écrivain fait ici référence à Appelle de Clos, portraitiste d’Alexandre le Grand.2. Le lecteur trouvera une sélection d’images sur le site Internet. Voir : http://conflits.org3. Voir sur le sujet, le numéro spécial « Painting politics » de Social Alternatives, Vol. 20, No. 4, octobre 2001, dirigé par Roland Bleiker.4. Ce dossier prend appui sur un ouvrage principal : Sandoval A., Palabras escritas en un muro. El caso de la brigada Chacón, Santiago, Ediciones Sur, 2001. Il a été effectué par une jeune sociologue chilienne et comprend une bibliographie importante. On peut s’y rapporter pour en savoir plus sur les antécédents non chiliens de la peinture sur les murs et ses liens avec le politique. Voir également : Kaulen V., Martínez B., Sepúlveda J., « Análisis comprensivo de la construcción de un discurso crítico de la modernidad chilena : brigada Chacón », Universidad Diego Portales, Escuela de Periodismo, Santiago, 2003.5. Ramona Parra : jeune militante communiste morte aux mains de la police suite à une arrestation en 1946.6. Elmo Catalán : journaliste chilien, membre du ELN (Ejército de Liberación Nacional ; Armée de Libération Nationale) section chilienne et du ELN bolivien. Il est assassiné en Bolivie en 1970.7. Voir témoignage de Luis A. Corvalán in Sandoval A., op. cit., p. 30.8. Dans le milieu des années 1980, un dialogue s’instaure progressivement entre autorités militaires et forces d’opposition d’abord réunies au sein d’une « Alliance démocratique » puis au sein de la « Concertation des partis politiques pour le ‘Non’ » (en référence au plébiscite de 1988) puis « pour la démocratie » (à l’occasion des élections présidentielles de 1989). Les principaux acteurs de cette opposition sont le Parti Démocrate-chrétien et le Parti socialiste – farouches adversaires sous le gouvernement de l’Unité populaire.9. Juan Chacón Corona (1896-1965) : ouvrier d’origine paysanne, militant du Parti communiste depuis sa fondation en 1922.10. Lors du plébiscite du 5 octobre 1988, le « Non » (à la poursuite du gouvernement militaire) l’emporte avec 56% des voix versus 44% des voix favorables au « Oui ».11. Les élections présidentielles ont lieu en décembre 1989. Le président sortant, leader de la « Concertation », est investi en mars 1990. En dépit de ces élections libres les autorités civiles doivent composer au jour le jour avec les autorités militaires en vertu de la Constitution de 1980 et d’une série de mesures adoptées à la fin du gouvernement militaire. Entre autres, la Constitution de 1980 proclame que les forces armées sont les garantes des institutions chiliennes. Bien qu’amendée sur certains points, cette constitution détermine les limites de la démocratie chilienne et le rapport des forces entre autorités civiles élues et autorités militaires de fait – plus ou moins présentes dans la vie politique chilienne selon l’agenda politique des différents gouvernements qui ce sont succédés depuis 1989.12. Extraits d’entretiens cités dans l’ouvrage de Sandoval A., op. cit.13. Union démocratique indépendante. Parti politique d’extrême droite.14. « Vale callampa », expression très populaire, cela ne vaut rien (« callampa » : champignon).15. Référence à l’arrestation du général Augusto Pinochet à Londres en octobre 1998.16. Témoignage d’une brigadiste, traduit de l’espagnol (Santiago, novembre 2004). Alfonsina a travaillé à la Chacón pendant un peu plus d’un an.17. En 1990, une commission gouvernementale est chargée d’enquêter sur les crimes commis sous la dictature. Les résultats de cette enquête sont présentés publiquement par Patricio Aylwin à la télévision (mars 1991). A cette occasion, le président de la République demande pardon aux victimes en tant que plus haut mandataire de la nation.18. Alfonsina Storni, poétesse argentine (1982-1938). La chanson « Alfonsina y el mar », d’Ariel Ramirez et Felix Luna, lui est dédiée. 

URL http://journals.openedition.org/conflits/docannexe/image/1848/img-1.jpg

Antonia GARCIA CASTRO, « Les murs comme support du politique : la brigade Chacón au Chili (1989-1997) », Cultures & Conflits, 57 | 2005, 259-275.

Référence électronique
Antonia GARCIA CASTRO, « Les murs comme support du politique : la brigade Chacón au Chili (1989-1997) », Cultures & Conflits [En ligne], 57 | printemps 2005, mis en ligne le 10 janvier 2006, consulté le 23 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/conflits/1848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.1848


Auteur Antonia GARCIA CASTRO
Antonia Garcia-Castro est docteur en sociologie, co-rédactrice en chef de Cultures & Conflits