samedi, juillet 09, 2005

Au Chili, les cygnes se crashent, les consciences s’éveillent

Le 9 juillet 2005, le Chili a connu sa première manifestation nationale pour l’environnement à l’appel d’une vingtaine d’organisations citoyennes. Si la marche menée dans 21 villes n’a rassemblé que 5 000 personnes, elle marque l’éveil d’une sensibilité écologique au sein de la population. Une sensibilité née récemment avec l’emblématique affaire Celco, qui pourrait trouver son épilogue aujourd’hui. Cette papeterie fermée en juin pour cause de pollution doit décider si elle rouvre ses portes.
Tout commence en novembre 2004 lorsque des cygnes perdent l’équilibre en plein vol et chutent jusqu’à s’écraser violemment dans les jardins, sur les voitures ou dans les rues de Valdivia. Le spectacle macabre mobilise cette ville de 140 000 habitants, située au sud du pays. La question à la une des journaux : pourquoi les cygnes à cou noir, symbole de la touristique Valdivia, meurent-ils ? L’espèce vulnérable d’Amérique du Sud fuit son habitat, la zone marécageuse Carlos Anwandter, située à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville. Près de 5 hectares inscrits sur la liste de la convention internationale de Ramsar sur la protection des zones humides, et considérés comme le plus important site de nidification de l’espèce en Amérique latine. De 5 000 à 9 000 cygnes fin 2003 on serait passé à moins de 200 aujourd’hui, selon le collectif Action pour les cygnes, formé par les habitants de Valdivia. « En cette période de nidification, aucun nid n’a été aperçu dans la zone, souligne José Araya, porte-parole du collectif. On a retrouvé près de 1 000 cygnes morts. Les autres ont migré plus au sud. » A la recherche de nourriture.
Car les cygnes meurent de faim. Selon l’unique étude scientifique réalisée par l’université australe à la demande de la Commission nationale de l’environnement, la Conama, la plante aquatique (luchecillo) dont ils se nourrissent a disparu. Dès le début, tous les yeux se tournent vers l’usine de cellulose Celco, de 580 millions d’euros, qui a commencé à fonctionner en février 2004. Une étude, publiée en avril la désigne comme responsable du désastre écologique. L’usine du groupe Arauco (1), qui concentre la moitié de la production chilienne de papier et 5 % de la production mondiale, rejette ses déchets dans la rivière Cruces. « Trente-neuf tonnes de sulfate sont déversées par jour, ainsi qu’une grande quantité d’aluminium », souligne le biologiste Eduardo Jaramillo, coordinateur de l’étude. Il a constaté des rejets de métaux lourds (cuivre, plomb) et de dioxines. Des déchets qui se répandent 35 kilomètres en aval dans la zone humide, tuant le luchecillo.
Les scientifiques de l’université estiment la restauration de la zone humide très difficile. Et se disent également préoccupés pour la santé des habitants proches de l’usine ou consommateurs de l’eau contaminée par l’usine. Un taux anormal de maladies respiratoires et de dysfonctionnements du comportement aurait été enregistré, selon le quotidien La Nacion (2). Symptômes associés par les médecins locaux aux émissions gazeuses (dioxines notamment) de l’entreprise dans l’atmosphère, sans qu’aucune étude épidémiologique ne puisse le confirmer.
Si Arauco nie l’ensemble des accusations, elle a cessé volontairement de fonctionner le 8 juin. La Conama lui a depuis imposé de nouvelles exigences : il lui faut baisser de 20 % sa production, réduire ses émissions d’aluminium, de chlore et sulfure, et proposer une alternative d’ici neuf mois au rejet des déchets industriels dans la rivière Cruces. L’entreprise devait dire aujourd’hui si elle rouvre ou non ses portes. Action pour les cygnes ne s’y oppose pas mais réclame la fin de la pollution. « Si la loi existante au Chili était appliquée, explique le porte-parole José Araya, si les services publics chargés de la faire respecter fonctionnaient, l’usine serait fermée, étant donné les mensonges, le manque de transparence et les graves irrégularités qu’elle a commises. Ce que nous demandons, c’est que la loi au Chili ne soit plus bafouée au bénéfice des entreprises. »
Par Claire MARTIN, mardi 26 juillet 2005. Santiago (Chili) de notre correspondante
(1) Arauco appartient au plus puissant conglomérat chilien, Copec, propriété d’un des hommes les plus riches du Chili, Anacleto Angelini.
(2) Editions des 8 et 10 juillet.