jeudi, janvier 17, 2019

« PHOTOGRAPHIE ARME DE CLASSE »


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WILLY RONIS. — PRISE DE PAROLE AUX
USINES CITROËN – JAVEL, 1938
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L’exposition du Centre Pompidou intitulée « Photographie arme de classe » est pionnière à plusieurs titres (1). Il ne semble pas, en effet, qu’il y en ait eu de telle à Paris depuis 1935, et les historiens de la photographie, en France, ont pratiquement négligé ce domaine qui appartient à la fois à la photographie amateur, collective et politique, et qu’a recouvert l’expression fourre-tout et quelque peu lénifiante de « photographie humaniste ». Elle est par ailleurs le fruit d’une collaboration qui s’est révélée productive entre des universitaires et un musée, en l’occurrence de jeunes chercheurs du Labex Arts-H2H (Max Bonhomme, Gabrielle de la Selle, Eva Verkest, Lise Tournet Lambert, Mathilde Esnault), sous la conduite de Christian Joschke (maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense), et le Cabinet de la photographie du Musée national d’art moderne (MNAM) avec Florian Ebner, son directeur, et Damarice Amao, assistante-conservatrice. Un travail de plusieurs années a permis d’un côté de dépouiller, inventorier ce qui appartenait jusqu’à présent à cette terra incognita de la « photographie ouvrière », de l’autre à identifier et contextualiser les photographies sociales de la collection Christian Bouqueret (7 000 tirages environ), entrées dans les collection du MNAM en 2010.
ANDRÉ STEINER. — LIVREUR DE JOURNAUX
À VÉLO, VERS 1938.
Il en résulte une exposition mais aussi un catalogue qui innovent en travaillant sur ce phénomène et en produisant un nombre important de documents (manifestes, articles, brochures) ignorés jusqu’ici. Du moins en France puisqu’en Allemagne, en particulier — où le mouvement prit son essor, et acquit une place importante entre 1926 et 1932 —, il a été largement étudié après 1968. On dispose ainsi de la réédition du journal Der Arbeiter Fotograf (Cologne, Prometheus, 1977). De même s’est-on penché sur ce phénomène au Royaume-Uni (The Worker Photographer), aux Pays-Bas (Arbeiders-Fotografen), en Belgique ou aux États-Unis (The Photo League), ces pratiques passées fournissant une référence, et proposant un héritage aux militants et aux artistes en révolte des années 1970. En France, où le mouvement fut plus tardif, il fut oublié et laissé en friche après 1968. Les raisons de cette faiblesse française sont multiples ; à l’époque des débats firent rage à son sujet dans lesquels on retrouve les noms de Henri Tracol (qui lança l’expression donnant son titre à l’exposition), Célestin Freinet, Léon Moussinac, Elie Lotar, Louis Aragon, et un certain nombre de tiraillements politiques au sein de la presse et de la direction communistes (voir Jean-Paul Morel, Léon Moussinac à la tête de la section cinéma de l’AEAR : écartelé entre le militant et le critique, Paris, Ex Nihilo, 2014).