vendredi, novembre 15, 2019

JE VOUS ÉCRIS DU CHILI

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« PAIX,  JUSTICE »
DESSIN ALEN LAUZAN
Manifs, pillages, couvre-feu et répression militaire : trente ans après Pinochet, le Chili est à feu et à sang. L'écrivain santiaguino Mauricio Electorat raconte.
MAURICIO ELECTORAT  
LE 15 À PARIS, FRANCE 
PHOTO  ULF ANDERSEN

Le 8 octobre, Sebastián Piñera, président de la République, déclarait que le Chili est une oasis dans une Amérique latine en crise. On ignorait, jusque-là, à quel point on était heureux de vivre dans une oasis comme dans une pub Ricoré. Sauf que, curieusement, dix jours après ces propos, les stations de métro ont commencé à brûler. À la fin de la journée, 70 des 136 stations de Santiago étaient détruites ou sérieusement endommagées.

En milieu d'après-midi, le métro a fermé ses portes, privant 3 millions d'usagers de leur principal moyen de transport. Immédiatement, les gens sont descendus dans les rues. Les Chiliens sont énervants, ils ont une fâcheuse tendance à protester contre tout. Là, ils manifestaient contre la deuxième hausse de l'année du ticket de métro, qui coûte désormais plus d'un euro. Comme le salaire minimum des Chiliens est de 380 euros mensuels, c'est bien plus cher qu'à Paris. Car il n'existe ni abonnement ni tarif réduit. Pas plus que pour la santé, privée, ni pour l'éducation, la plus chère et la plus mauvaise de l'OCDE. Avec ça, des retraites de misère, privées, évidemment...

"Ma grand-mère avait peur, moi non"


C'est vrai aussi que le ministre de l'Economie avait proposé aux mécontents de se lever tôt, pour éviter les tarifs plus élevés aux heures de pointe. Les gens ont donc occupé les rues, et Piñera a instauré le couvre-feu et envoyé l'armée se rappeler aux bons souvenirs des citoyens. Et des souvenirs de l'armée, on en a chez nous. Conclusion ? Depuis le 18 octobre, les Chiliens manifestent dans tout le pays, en bravant le couvre-feu. Hier, dans mon quartier, j'ai vu une fillette brandissant une pancarte qui disait : "Ma grand-mère avait peur, moi non."

Les gens dansent et chantent en famille sur les boulevards. Et lorsque l'heure du couvre-feu arrive, les militaires sont obligés de les disperser à balles réelles. Ce qui est singulier, c'est que cela se passe aussi bien dans les quartiers populaires que dans les zones aisées. Le soir, la ville résonne d'une symphonie de casseroles. Dans les faubourgs, des foules pillent les magasins comme si on leur avait annoncé la fin du monde. Et les voisins s'organisent pour se protéger des pilleurs. Dans ces quartiers, pas d'armée ni de police, c'est l'anarchie totale. Piñera, notre ami Ricoré, appelle tous les soirs à l'unité nationale, car unis, dit-il, on peut accomplir des miracles. C'est vrai qu'il a annoncé le 22 octobre des mesures sociales et réussi deux miracles : 1. Unir une très grande majorité de Chiliens... contre lui. 2. Devenir notre premier président qui, en démocratie, aune vingtaine de morts sur la conscience. Encore faut-il qu'il en ait une.
Petits Cimetières sous la lune de M. Electorat (Métailié). En février.