jeudi, mars 05, 2020

CHILI : LA DERNIÈRE LETTRE DE MARIANO PUGA

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MARIANO PUGA CONCHA
PHOTO ATON
Né dans une famille de la grande bourgeoisie, Mariano Puga avait choisi d’être « prêtre ouvrier », c’est sous ce nom qu’on le désigne. Il a toujours été proche du peuple, partageant la condition des ouvriers du cuivre, la vie de communautés populaires, dernièrement dans le quartier de La Legua . Avec Pierre Dubois, et le jésuite José Aldunate, il a été une des grandes figures qui ont marqué la présence de l’Église chilienne sous la dictature. Il s’était donné comme mission de faire connaître l’Évangile à ceux qui n’étaient pas dans l’Église, ou qui n’y étaient plus.
Dans la période récente, il a soutenu le combat des laïcs d’Osorno, et il s’est rendu présent aux victimes de la répression lors du récent soulèvement. Il y a quelques jours, déjà très affaibli, il avait célébré à Santiago une Eucharistie dehors, devant le Centre de Justice, avec les familles des victimes.

Âgé de 89 ans, Mariano Puga lutte depuis un an contre un cancer de la lymphe. Il est maintenant au plus mal. Hospitalisé mardi dernier, 3 mars, il a trouvé assez de lucidité pour écrire une lettre à ses frères prêtres, dernier message à son Église, qui sonne durement comme la déception de quelqu’un qui constate qu’elle est restée sourde à son témoignage.

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Frères prêtres, 
Mardi dernier à 10h 30, devant le Centre de Justice de Santiago, nous avons célébré le Repas du Seigneur Jésus, au milieu de centaines de personnes qui rêvaient d’un Chili autre. 

En particulier avec les familles de ceux qui ont été assassinés, des prisonniers politiques, des aveugles, de ceux qui se taisent, et de ceux qui ont été emprisonnés, à la suite de l’explosion sociale qui a débuté le 18 octobre et qui continue jusqu’à ce jour. Nous avons également fait mémoire des « carabineros » blessés, des commerçants et des habitants du voisinage qui ont vu leurs droits bafoués et violés. « Tout ce que tu as fait à ton frère le plus faible, c’est à moi que tu l’as fait » (Mt 25-40). 

En prenant connaissance de la réalité sociopolitique des familles des victimes, j’ai remarqué que très peu d’entre eux se sentaient en communion avec l’Église, bien que beaucoup admirent Jésus et son message. C’est la première impression qui m’est venue. Je n’avais jamais été touché par l’expérience d’une « Église en sortie » qui exigeait une catéchèse improvisée pour ce monde. 

Le pape François nous a dit : « L’Eucharistie n’est pas une récompense pour les bons, mais une force pour les faibles » et je l’ai répété de toutes mes forces. Ma deuxième impression a été de voir le nombre de personnes qui ont communié au corps et au sang de l’homme juste, Jésus de Nazareth. 

Pendant ces mois, nous avions tenté de communier au corps du Christ, blessé par balles, bafoué, mutilé, assassiné… N’était-il pas cohérent de communier au corps du Christ ?… « Celui qui mange le Corps du Christ indignement mange sa propre condamnation » (1 Cor 11, 27). 

C’est avec douleur que j’ai réalisé que nous n’étions que deux prêtres à partager le Cène du Seigneur avec cette foule de gens. Qu’est-ce que cela ? Est-ce l’Église en sortie que nous demande le cher Pape François ? 

Après tant de solidarité partagée avec ces frères crucifiés… Est-il normal que seulement deux prêtres aient accompagné ce PEUPLE le jour où nous dénoncions sa souffrance ? 

Que vaut la foi sans les œuvres (Jc 2, 14) ? Avec quel Christ communions-nous ?
MARIANO PUGA CONCHA
PHOTO BANNIÈRE DDHH LA LEGUA