samedi, août 14, 2021

DOIT-ON CRAINDRE UNE PANNE ÉLECTRONIQUE ?

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PHOTO ANDREAS GEBERT, REUTERS


Les semi-conducteurs au centre d’une bataille planétaire

Doit-on craindre une panne électronique ?

Les constructeurs automobiles contraints de mettre leurs chaînes à l’arrêt ; les consoles de jeux dernier cri introuvables ; les dirigeants politiques paniqués : la pénurie de semi-conducteurs qui affecte depuis un an l’industrie mondiale prend des allures de crise géopolitique. Elle remet brutalement en question l’évangile du libre-échange. Mais les États peuvent-ils assurer leur souveraineté numérique ?

par Evgeny Morozov  

PHOTO BLUE ANDY / SHUTTERSTOCK.

La pénurie mondiale de semi-conducteurs n’en finit pas d’avoir d’étranges répercussions, notamment sur le plan géopolitique. De quoi s’agit-il ? Depuis un an, les industriels peinent à se procurer ces puces électroniques qui équipent les appareils du quotidien, de l’ordinateur au grille-pain en passant par la machine à laver et la console de jeux. En mai dernier, un consortium d’entreprises américaines demandait au président sud-coréen l’amnistie de M. Lee Jae-yong, l’ancien président de Samsung, qui purge actuellement une peine de prison ferme pour corruption (1). Pour pallier la vulnérabilité des États-Unis en matière de puces, Samsung devait concrétiser sans délai ses projets d’investissements de plusieurs milliards de dollars sur le territoire américain. Sa souveraineté électronique en jeu, Washington mettait soudain en sourdine le discours obligé sur l’État de droit et le respect des procédures…

Pareille crise aurait régalé les intellectuels de l’école de Francfort, critiques emblématiques de la société de consommation, ne serait-ce qu’en exposant la débilité fondamentale des « villes intelligentes » : la pénurie de puces a différé la satisfaction de nos désirs de babioles électroniques. Sans ces semi-conducteurs, qui ne coûtent parfois que 1 dollar pièce, impossible d’animer les gadgets dernier cri, chics et onéreux. Voiture électrique, smartphone, réfrigérateur intelligent et brosse à dents connectée disparaissent dans le grand trou noir du capitalisme mondialisé, comme si un ennemi invisible avait déclaré la guerre à la Foire de l’électronique grand public de Las Vegas.

Si cette crise peut surprendre, elle n’est en rien inhabituelle : surabondance et pénurie alternent régulièrement sur le marché des puces électroniques. Toutefois, l’épisode actuel survient dans un contexte marqué par un questionnement général sur les bienfaits de la mondialisation et le déclin de l’activité industrielle occidentale. À cela s’ajoute la politisation croissante des hautes technologies, qui, à l’instar de l’intelligence artificielle, se retrouvent propulsées au rang d’enjeu stratégique dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine. Dès lors, une banale crise technique qui, il y a dix ans, n’aurait pas fait bouger grand monde en dehors des secteurs concernés occasionne d’affreuses migraines aux dirigeants de la planète.

La pandémie de Covid-19 y a évidemment contribué. Pour survivre confinés, il a fallu recourir comme jamais aux services numériques, qui impliquent routeurs, serveurs et autres engins bourrés de microprocesseurs. Les consommateurs ont ensuite noyé leur ennui dans une mer d’appareils électroménagers, provoquant une croissance inattendue de la demande de blenders ou de cuiseurs de riz. Enfin, les mesures sanitaires ont brièvement mis à l’arrêt les usines de semi-conducteurs, principalement situées à Taïwan, en Corée du Sud et en Chine.

L’une des entreprises les plus avancées dans ce domaine, Yangtze Memory Technologies, se trouve d’ailleurs à Wuhan. Félicités pour leur gestion initiale de la pandémie, Séoul et Taipei n’ont toutefois pas réussi à stocker suffisamment de doses de vaccin ; des flambées épidémiques sur les lignes de production ont encore ralenti les opérations.

On a vu émerger une insolite diplomatie à base de « vaccins contre puces » : Taïwan a démonstrativement tiré parti de ses ressources électroniques pour se procurer des doses auprès d’alliés avides de composants. Le Japon, désireux d’attirer les entreprises taïwanaises sur son territoire, a offert 1,24 million de doses d’AstraZeneca à son voisin. Washington, qui avait prévu un don de 750 000 doses de Moderna, a triplé sa mise. Mi-juin, Taipei mandatait son plus important producteur de puces, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), ainsi qu’un autre fleuron taïwanais de la technologie, Foxconn, pour négocier directement l’achat de 10 millions de doses avec l’allemand BioNTech (2).

La pénurie actuelle frappe d’autant plus rudement que les retards de production et de livraison touchent en premier lieu le secteur automobile, moteur de croissance et source d’espoir de reprise post-Covid-19. Or, depuis des décennies, cette industrie se prosterne devant l’autel du flux tendu, conformément à l’Évangile de la Sainte Mondialisation. Le principe : un minimum de stocks pour un maximum d’économies. Tant que les chaînes d’approvisionnement fonctionnent, les variations de la demande se règlent en temps réel, ce qui dispense les entreprises d’acheter et de stocker des composants superflus.

Limites du modèle sans usine

En raison de la pandémie, les constructeurs automobiles ont dû réviser leurs prévisions à la baisse et réduire ou annuler leurs commandes de semi-conducteurs. Mais ils n’avaient pas prévu que la demande mondiale de puces resterait élevée et que les ventes de véhicules repartiraient rapidement. Conformément aux règles de la distanciation physique, les consommateurs ont préféré s’offrir de nouvelles voitures plutôt que de retourner s’entasser dans les transports en commun. Or un véhicule dernier modèle contient entre 1 400 et 3 500 semi-conducteurs, et l’électronique représente désormais plus de 40 % de son coût (3).

La réaction naturelle aurait été de doper la production de microprocesseurs. Mais une série d’événements inattendus, combinés à la pandémie de Covid-19, l’ont empêché. Entre la vague de froid au Texas — où se situe la plus grande partie de la production américaine —, la sécheresse à Taïwan — qui a réduit l’accès à l’eau —, l’incendie sur une ligne de fabrication au Japon, un porte-conteneurs coincé dans le canal de Suez et la soudaine passion chinoise pour le stockage de semi-conducteurs avant l’entrée en vigueur des sanctions américaines, tout concourait à bloquer production et acheminement. Les constructeurs automobiles se sont laissé surprendre. Même les plus importants d’entre eux entretiennent rarement des relations directes avec les fabricants de puces. Tous sous-traitent leur approvisionnement à des équipementiers comme Bosch ou Continental. Or, sur un marché en tension, les producteurs de microprocesseurs ont préféré réorienter leurs capacités de production vers les puces les plus rentables, comme celles qui équipent ordinateurs et smartphones.

PHOTO DOUG MILLS

Pourquoi les constructeurs ne fabriquent-ils pas eux-mêmes leurs composants ? C’est la question qu’essaie de résoudre M. Elon Musk. Non seulement Tesla songe à prépayer ses stocks de semi-conducteurs — le flux tendu n’a décidément plus la cote —, mais le constructeur de voitures électroniques et hybrides envisage également d’acheter une ligne de production. De son côté, Volkswagen se lance dans la conception de composants électroniques pour voitures autonomes (4). Mais concevoir est une chose ; produire est une autre paire de manches.


Dans une Europe qui appréhende souvent la réalité géopolitique à travers les yeux de ses constructeurs automobiles, ces difficultés ne passent pas inaperçues. « Il ne me semble pas normal qu’un bloc de la taille de l’Union européenne ne soit pas en mesure de produire ses propres semi-conducteurs », remarquait la chancelière allemande Angela Merkel en mai dernier. Et d’ajouter : « Au pays de l’automobile, c’est un comble de ne pas pouvoir produire soi-même le composant principal » (5). Une remarque sensée : en 1990, l’Europe détenait 44 % des capacités de production mondiales, contre seulement 10 % aujourd’hui. Mais, pour que cet examen de conscience longtemps différé soit suivi d’effets, il faudrait à tout le moins interroger le credo en matière de mondialisation, de commerce, de sécurité nationale et de stratégie industrielle qui guide depuis des décennies la politique des semi-conducteurs à Bruxelles et à Washington.

Fabriquer une puce électronique est un processus effroyablement difficile, dont les nombreuses étapes peuvent s’échelonner sur plusieurs mois : gravure, nettoyage, traçage des circuits… Il faut parfois plus d’un millier d’opérations pour accomplir la métamorphose kafkaïenne d’un tas de sable — source de silicium, le plus courant des semi-conducteurs — en circuits intégrés d’une folle complexité. Pour autant, le principe reste simple. Une puce électronique se compose de millions, voire de milliards, de transistors ; plus ce nombre est élevé, plus elle a de la valeur. Ces transistors permettent de contrôler le flux du circuit électrique : ouvert ou fermé. C’est grâce à ce langage binaire fait de 0 et de 1 que l’informatique moderne transforme l’électricité en information (6).

Comme tout secteur concurrentiel, la fabrication de semi-conducteurs exige que l’on fasse toujours plus avec toujours moins. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’augmenter la puissance de calcul des puces tout en réduisant les coûts financiers et énergétiques associés. C’est la loi dite « de Moore », en hommage à M. Gordon Moore, cofondateur d’Intel : si la pente observée jusqu’ici se prolonge, le nombre de transistors par circuit intégré devrait doubler chaque année, s’accompagnant d’une réduction du coût et d’une augmentation de la puissance du composant.


Paradoxalement, le « faire toujours plus avec toujours moins » s’est transformé en « faire toujours plus avec toujours plus » (7). À mesure que les producteurs se heurtent aux lois de la physique, il leur faut investir dans des équipements de plus en plus onéreux. Entre 2021 et 2024, TSMC prévoit d’injecter 100 milliards de dollars dans ses lignes de production ; Samsung entend dépenser 151 milliards d’ici à 2030. Les autres géants du domaine avancent des chiffres similaires. En dollars, mais aussi en cerveaux : pour se maintenir sur la trajectoire des lois de Moore, il faut pouvoir compter sur un nombre de chercheurs dix-huit fois supérieur à ce qu’il était au début des années 1970.

Les puces électroniques se distinguent notamment par la finesse de la gravure. Un peu comme les « générations » pour d’autres produits, les tailles de gravure regroupent un ensemble de différences en termes de conception et de procédé de fabrication. En général, plus la gravure s’affine, plus le transistor est lui-même petit, rapide et frugal. Les derniers smartphones et tablettes comportent des puces gravées en 5 nanomètres (nm). Avec une gravure en 3 nm, dont la production industrielle ne commencera pas avant 2022, l’épaisseur du transistor ne dépasse pas 1/20 000 de cheveu. Mais ce genre de prouesse ne profite pas à tous : excepté pour l’intelligence artificielle, le secteur automobile se contente de puces moins sophistiquées.

Il n’y a pas si longtemps, la fabrication de microprocesseurs s’effectuait sous la houlette d’une seule entreprise : les fabricants de circuits intégrés concevaient, produisaient, testaient et emballaient leurs puces. C’est l’histoire d’Intel, d’IBM, de Texas Instruments… Ce système bien rodé commença à s’éroder à la fin des années 1980, lorsque M. Morris Chang, ingénieur d’origine chinoise formé aux États-Unis et fort de plusieurs décennies d’expérience chez Texas Instruments, partit à Taïwan pour y fonder TSMC. Féru de bridge et admirateur de Shakespeare, il avait compris que la production de puces devenait si gourmande en capital qu’elle appelait un autre modèle. Il lança donc la production de semi-conducteurs comme un service : TSMC mettait à disposition ses lignes de production rutilantes pour permettre aux grandes entreprises de se débarrasser des leurs et de se concentrer sur la conception plutôt que sur la fabrication. L’ère du modèle sans usine s’ouvrait. Le succès de M. Chang se confirma dans les années 2010, lorsque Apple lui confia la fabrication des composants de l’iPhone. Dirigé d’une main de fer, TSMC baignait dans une culture du secret à la limite de la paranoïa, avec une organisation stakhanoviste : durant une période, les ingénieurs du service recherche et développement travaillaient en trois-huit (8).

La fin d’une hégémonie américaine

Avec une capitalisation boursière de plus de 600 milliards de dollars — deux fois et demie celle d’Intel —, TSMC compte au nombre des dix entreprises les plus chères du monde. Elle dispose d’une avance technologique de plusieurs années sur ses concurrents. Sa nouvelle ligne de production, qui entrera en service l’an prochain, a coûté 20 milliards de dollars ; sa « salle blanche », équipement crucial sur la chaîne, fait la taille de vingt-deux terrains de football.

C’est en partie TSMC qui a fait passer les microprocesseurs du statut de puces multitâches à celui de composants d’une incroyable spécificité. Les géants comme Alphabet ou Amazon ont maintenant des besoins si particuliers, et disposent de telles ressources, qu’ils conçoivent leurs propres semi-conducteurs selon un cahier des charges très précis (9). Il est probable que, d’ici quelques années, les fabricants automobiles empruntent la même voie pour leurs circuits d’intelligence artificielle.

L’émergence de la puce sur mesure implique aussi un modèle d’entreprise qui s’articule autour de la propriété intellectuelle. En témoigne le cas du britannique ARM, qui appartient au japonais Softbank mais fait actuellement l’objet d’une offre de rachat controversée de la part du géant américain Nvidia pour la bagatelle de 40 milliards de dollars. ARM regroupe un impressionnant arsenal de propriété intellectuelle : l’entreprise propose des solutions abstraites qui, une fois mises en pratique, améliorent l’architecture, et donc les performances, d’une puce électronique. Les entreprises clientes lui paient une licence et des droits, en échange de quoi elles accèdent à un catalogue d’instructions expliquant comment appliquer ces règles abstraites dans un contexte spécifique.

Depuis les années 1950, la domination des États-Unis dans le secteur était incontestée. Des financements abondants pour la recherche, combinés à la bénédiction du Pentagone, assuraient l’hégémonie de leurs entreprises. Ce monopole se fissura dans les années 1970, quand les sociétés japonaises se mirent à les concurrencer dans le domaine des capteurs et des puces mémoire. Elles lancèrent d’audacieuses tentatives d’acquisition sur le territoire américain, tout en fermant jalousement leur propre marché aux incursions étrangères.

L’administration de Ronald Reagan n’apprécia pas la manœuvre et neutralisa ses concurrents japonais en usant de ses meilleures armes commerciales et géopolitiques (10). Washington favorisa également le rapprochement entre les industriels et la recherche universitaire. En définitive, l’essor du modèle sans usine se révéla profitable aux États-Unis, qui se recentraient sur la conception, laissant aux Japonais les coûteuses lignes de production. L’industrie nippone ne renouvela pas ses prouesses en matière de microprocesseurs : elle réalise désormais 10 % des ventes mondiales de puces, contre la moitié en 1988. Le Japon importe 68 % de ses besoins en semi-conducteurs.

Les États-Unis ont-ils remporté une victoire à la Pyrrhus, sachant que leur part dans la production globale est passée de 37 % en 1990 à 12 % aujourd’hui ? Ce n’est pas l’impression que donne l’industrie américaine représentée par Nvidia, Advanced Micro Devices (AMD), Broadcom, Qualcomm ou même Intel, malgré ses difficultés. Tous se sont scrupuleusement pliés aux exigences de la mondialisation : délocalisation en Asie des activités à marge réduite, comme la production ; développement sur le territoire des secteurs à forte marge, comme les activités liées à la propriété intellectuelle.

De son côté, la Chine surveillait de près l’essor de TSMC (11). Durant la plus grande partie des années 1990, ses entreprises de technologie, souvent proches de l’armée, avaient les mains liées par l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage. Ce protocole post-guerre froide, signé fin 1995, limitait sévèrement la marge de manœuvre du pays dans le domaine des semi-conducteurs.

Il fallait à la Chine des champions nationaux aux airs d’honnêtes commerçants indépendants, et non de marionnettes du régime. Le candidat désigné s’appelait Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC), fondé en 2000 par M. Richard Chang. Comme M. Morris Chang — avec qui il n’a pas de lien de parenté —, M. Richard Chang a passé plusieurs années chez Texas Instruments, puis a travaillé sous la direction de son homonyme chez TSMC. Il en est parti à la fin des années 1990 pour fonder un concurrent dont il a finalement perdu le contrôle.

Empli d’amertume, M. Richard Chang a alors quitté Taïwan pour retourner en Chine. Avec une centaine d’ingénieurs dans son sillage, il s’est installé à Shanghaï, où il a fondé SMIC. Difficile de voir en lui un allié spontané du Parti communiste. Très croyant, il a un jour déclaré : « Le Seigneur nous a appelés en Chine pour partager l’amour de Dieu avec le peuple chinois (12).  » Cela ne l’a pas empêché de lever d’importants financements de Goldman Sachs, qui est devenu l’un des investisseurs principaux de l’entreprise. Mais, après des années de procès avec son ancien employeur, aussi furieux de son départ que les autorités taïwanaises, il a dû quitter SMIC en 2009.

L’entreprise a continué son chemin, attirant au passage les investissements de diverses agences du gouvernement chinois, dont le dernier en date, effectué en mai 2020, s’élève à 2,2 milliards de dollars. Malgré ces aides, SMIC reste derrière Samsung et TSMC, et se limite pour l’instant à des gravures en 14 nm. Si les sanctions américaines l’ont empêchée d’acheter les appareils de lithographie extrême ultraviolet produits par les Néerlandais d’ASML, la pépite chinoise a annoncé avoir contourné l’obstacle : ses propres innovations devraient lui permettre de graver des puces en 7 nm.

Pour aboutir à ce succès, le gouvernement chinois a mis en place des mesures d’une précision chirurgicale destinées à doper la production locale. Et l’effort semble payant : la Chine construit actuellement plus d’usines de microprocesseurs que n’importe quel autre pays. Plus de mille plans officiels ont soutenu de près ou de loin la cause des semi-conducteurs. À lui seul, le plan « Circuits intégrés » de 2014 a mobilisé 150 milliards de dollars pour soutenir l’industrie nationale, encourager les acquisitions à l’étranger et assurer l’approvisionnement en matières premières. Une rallonge de 28,9 milliards l’a complété en 2019. Le président chinois lui-même, M. Xi Jinping, a promis d’investir jusqu’à 1 400 milliards de dollars dans les technologies stratégiques au cours des six prochaines années. M. Liu He, ancien de Harvard devenu vice-premier ministre, a été bombardé pape de la puce et chargé de développer des microprocesseurs de dernière génération.

Pékin ne manque ni de poigne ni d’imagination pour stimuler ses champions (13) : il peut forcer les entreprises étrangères à fusionner avec les chinoises en partageant leur propriété intellectuelle, mais aussi obliger les mastodontes chinois de l’électronique à s’approvisionner chez des producteurs nationaux encore balbutiants, sous peine de perdre tout soutien financier de l’État.

Pourquoi cette obsession ? Si la Chine veut rester l’usine du monde, il lui faut suffisamment de microprocesseurs pour satisfaire l’appétit de sa gargantuesque industrie. Et elle en est encore loin : rien qu’en 2020, le pays a acheté à l’étranger pour 350 milliards de dollars de puces électroniques, soit davantage que ses importations de pétrole. Depuis 2005, il détient officiellement le titre de plus gros importateur mondial de semi-conducteurs — distinction ambivalente qui souligne l’écart abyssal entre sa production et sa consommation.

Car le monde des semi-conducteurs est cruel. Pour chaque entreprise du gabarit de SMIC, des centaines, voire des milliers, d’autres périssent en silence. À en croire Le Quotidien du peuple, 58 000 sociétés de production de puces ont vu le jour en Chine rien qu’entre janvier et octobre 2020. Plus de 200 créations par jour, donc.

La tentative de rachat d’ARM par Nvidia préoccupe Pékin : si le négociant en droits de propriété intellectuelle intègre une entreprise américaine, Washington pourra faire pression pour empêcher que des licences soient vendues à des entreprises chinoises. La Chine pourrait bloquer la fusion, comme elle l’a déjà fait dans le passé. Mais, sur le long terme, elle place tous ses espoirs — comme l’Inde et la Russie — dans un concurrent libre de droits d’une technologie cruciale développée par ARM. Ce qui n’était qu’un petit projet de logiciel libre développé à l’université de Berkeley s’est métamorphosé en une association géante baptisée RISC-V International et installée en Suisse depuis novembre 2019. La raison de ce déménagement : l’organisation comptant parmi ses adhérents plus d’une vingtaine d’entreprises chinoises, elle aurait pu s’attirer les foudres de la réglementation commerciale américaine. Zhongxing Telecommunication Equipment (ZTE), Huawei et Alibaba explorent de leur côté les possibilités ouvertes par RISC-V (14).

Durant la crise des semi-conducteurs, le spectacle le plus distrayant aura été donné par le monde politique américain dans sa remise en question du consensus libre-échangiste. S’adressant en juin dernier à l’Atlantic Council, un cercle de réflexion conservateur, le conseiller économique du président Joseph Biden, M. Brian Deese, dénonçait le « coma artificiel provoqué par les politiques » en matière de semi-conducteurs, et rappelait que « les stratégies publiques visant à protéger et à soutenir les industries nationales sont déjà une réalité du XXIe siècle ». « Les marchés n’investiront pas de leur propre chef dans les technologies et les infrastructures qui bénéficieront à l’ensemble du secteur », concluait-il (15).

Aux États-Unis, la politique en matière de microprocesseurs répond à un double impératif : créer des emplois et mettre des bâtons dans les roues à la Chine. M. Biden a de toute façon promis de relocaliser des activités industrielles aux États-Unis, et qui s’opposerait à ce que les semi-conducteurs soient prioritaires ? Après tout, ces métiers offrent le double du salaire manufacturier moyen. Début juin, le Sénat a adopté la loi sur l’innovation et la concurrence, qui a débloqué 52 milliards de dollars pour sortir du marasme l’industrie américaine du semi-conducteur. Une partie de cette somme pourrait servir à inciter Samsung et TSMC à implanter des lignes de production avancées sur le territoire national. Mais si, dans de nombreux secteurs, 52 milliards de dollars représentent une somme importante, ce montant ne soutient pas la comparaison avec celui engagé par la Corée du Sud, qui prévoit d’investir durant les dix prochaines années un total de 450 milliards de dollars. En outre, les bénéfices à long terme de la relocalisation restent sujets à caution : sur dix ans, le coût d’exploitation d’une nouvelle ligne de production aux États-Unis serait environ 30 % plus élevé qu’à Taïwan ou en Corée du Sud, et 50 % plus élevé qu’en Chine (16).

À l’égard de la Chine, l’administration Biden poursuit la politique sans concession adoptée par M. Donald Trump, renforçant même certaines de ses mesures. Par exemple, un décret présidentiel signé début juin 2021 interdit tout investissement américain dans cinquante-neuf entreprises chinoises soupçonnées d’avoir des liens avec l’armée, y compris Huawei et SMIC (17).

Et l’Europe dans tout ça ? La réaction de ses dirigeants ressemble à celle observée de l’autre côté de l’Atlantique : la panique. En mai dernier, M. Thierry Breton, commissaire chargé de la politique numérique, a expliqué que l’Union devait changer sa politique, « trop naïve et trop ouverte », et viser au moins 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs d’ici à 2030. Une manière polie de dire que, contrairement aux États-Unis, l’Europe n’a pas su faire marcher la mondialisation à son avantage. Elle ne détient que 3 % du marché des concepteurs de puces sans usines. Dans le top 50, l’unique société européenne est la norvégienne Nordic Semiconductor ; on en compterait une deuxième si la britannique Dialog Semiconductor n’avait pas récemment été rachetée par les Japonais de Renesas Electronics.


Les plus grands noms du secteur en Europe — NXP Semiconductors (Pays-Bas), Infineon Technologies et Bosch (Allemagne), STMicroelectronics (France et Italie) — ont conservé une partie de leurs lignes de production, mais ils recourent aussi parfois à TSMC et consorts. Par ailleurs, ils travaillent avec des clients aux besoins très particuliers, notamment dans les secteurs industriel et automobile, et se spécialisent en capteurs et circuits intégrés d’alimentation. À la différence des semi-conducteurs plus avancés, ce type de puce électronique échappe aux lois de Moore. Par conséquent, la course à la gravure la plus fine s’avère moins cruciale.

Une défaite européenne

La plupart des entreprises européennes se portent plutôt bien, dans la mesure où la demande en provenance du secteur automobile ne décroît pas. Mais, si ces microprocesseurs conviennent aux véhicules, ils ne sont pas franchement à la pointe de la modernité. L’Europe ayant abandonné l’ambition de rivaliser avec Apple et Samsung dans la production de tablettes et de smartphones, nul ne peut assurer qu’il existe une demande européenne pour des microprocesseurs logiques de dernière génération les plus finement gravés. Et, si la demande ne se situe pas en Europe, pourquoi les multinationales installeraient-elles des lignes de production là où il leur faudrait payer des salaires plus élevés qu’en Asie ? On voit mal les entreprises américaines se précipiter pour faire fabriquer leurs composants à Dresde plutôt qu’à Taipei.

Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, les déclarations de M. Breton n’ont pas suscité l’enthousiasme. Les mastodontes européens n’ont nulle envie d’investir des milliards pour assurer la fabrication européenne de puces de pointe d’ici à 2030. Intel, appelé à l’aide avec Samsung et TSMC, s’est courageusement porté volontaire, à condition que chaque usine reçoive une subvention d’au moins 4 milliards d’euros.

M. Breton reste convaincu que, si l’Europe ne dispose pas pour le moment d’un marché pour les puces les plus avancées, sa mission consiste à créer les technologies qui le feront éclore. Voilà qui relève de la pensée magique. La dépendance européenne en matière de semi-conducteurs trahit un malaise bien plus profond, que des injections financières ne suffiront pas à dissiper. Ayant sous-traité sa défense au Pentagone et sa stratégie industrielle à ses constructeurs automobiles, l’Europe a perdu toute capacité à planifier stratégiquement sa production électronique. Elle se demande d’ailleurs parfois pourquoi il faut perdre tout ce temps à y réfléchir.

L’appareil technologique qui propulse l’économie européenne était censé n’obéir qu’aux lois du marché et rester à l’écart des enjeux géopolitiques. Ce pari se révèle tout à fait stupide. On peut en avancer un autre : l’« Airbus des semi-conducteurs » dont se gargarisent les technocrates européens volera sans doute sous pavillon chinois.

PHOTOGRAPHIES JAVIER LUENGO

Evgeny Morozov

Fondateur de la plate-forme The Syllabus. Auteur de Pour tout résoudre, cliquez ici. L’aberration du solutionnisme technologique, FYP, Limoges, 2013.

Notes :

(1) Edward White, « US companies lobby South Korea to free jailed Samsung boss », Financial Times, Londres, 20 mai 2021.

(2) Lauly Li et Cheng Ting-fang, « Foxconn and TSMC sign $350m deal to buy Covid vaccines for Taiwan », Nikkei Asia, 12 juillet 2021.

(3) « Semiconductors — the next wave. Opportunities and winning strategies for semiconductor companies », Deloitte, avril 2019.

(4) « Tesla set to pay for chips in advance in bid to overcome shortage », Financial Times, 27 mai 2021 ; « Volkswagen to design chips for autonomous vehicles, says CEO », Reuters, 30 avril 2021.

(5) Christoph Rauwald, « Bosch opens German chip factory to help relieve global shortage », Bloomberg Businessweek, New York, 7 juin 2021.

(6) Parmi les puces, on distingue entre autres les puces logiques et les puces de mémoire (les premières calculent, les secondes stockent), les puces analogiques (qui numérisent les signaux analogiques comme le son et la lumière), les capteurs, etc. Dans cet article, on utilise indifféremment les termes « puce » et « microprocesseur ».

(7) Cf. « Semiconductors : US industry, global competition, and federal policy » (PDF), Congressional Research Service, Washington, DC, 26 octobre 2020.

(8) Yang Jie, Stephanie Yang et Asa Fitch, « The world relies on one chip maker in Taiwan, leaving everyone vulnerable », The Wall Street Journal, New York, 19 juin 2021.

(9) Ian King et Dina Bass, « Why Amazon, Google, and Microsoft are designing their own chips », Bloomberg Businessweek, 17 mars 2021.

(10) Cf. Tom Meinderts, « The power of section 301 : The Reagan tariffs in an age of globalization », Globalizations, vol. 7, no 4, Abingdon-on-Thames, 2020.

(11) Seamus Grimes et Debin Du, « China’s emerging role in the global semiconductor value chain », Telecommunications Policy, Elsevier, Amsterdam, à paraître.

(12) « Richard Chang : Taiwan’s silicon invasion », Bloomberg Businessweek, 9 décembre 2002.

(13) Pour un point de vue américain, cf. Stephen Ezell, « Moore’s law under attack : The impact of China’s policies on global semiconductor innovation », Information Technology & Innovation Foundation, février 2021, et « China’s new semiconductor policies : Issues for Congress », Congressional Research Service, 20 avril 2021.

(14) Tobias Mann, « Is RISC-V China’s semiconductor salvation ? », SDX Central, 6 mars 2021, www.sdxcentral.com

(15) James Politi et Aime Williams, « Top Biden aide calls for US to embrace “industrial strategy” », Financial Times, 23 juin 2021.

(16) Antonio Varas, Raj Varadarajan, Jimmy Goodrich et Falan Yinug, « Government incentives and US competitiveness in semiconductor manufacturing » (PDF), Boston Consulting Group - Semiconductor Industry Association, septembre 2020.

(17) « Washington to bar US investors from 59 Chinese companies », Financial Times, 4 juin 2021.

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jeudi, août 12, 2021

CHILI: UN PROJET MINIER CONTESTÉ FRANCHIT UNE NOUVELLE ÉTAPE ADMINISTRATIVE

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PHOTO EDUARDO SORENSEN
Un projet controversé d'exploitation minière au Chili, à proximité d'une réserve nationale abritant une espèce de manchots menacés, a été approuvé mercredi par une commission d'évaluation environnementale malgré les protestations des défenseurs de l'environnement.

Par Le Figaro avec l'AFP

Le projet avait été rejeté en 2017 sous le gouvernement de la socialiste Michelle Bachelet pour des raisons environnementales, mais un tribunal a ordonné en 2018, sous le mandat de l'actuel président de droite Sebastian Piñera, une nouvelle étude d'impact environnemental. Le projet, qui prévoit un investissement de 2,5 milliards de dollars pour la construction de mines à ciel ouvert et d'un port pour l'exportation de métaux, est porté par Andes Iron, une société minière chilienne.

À LIRE AUSSI :Chili: accord pour éviter une grève dans la plus grande mine de cuivre du monde

La commission d'évaluation environnementale de Coquimbo, à 450 km au nord de Santiago, où se situe le projet, a approuvé l'étude d'impact environnemental par 11 voix contre une. Le projet, baptisé Dominga, doit maintenant être examiné en conseil des ministres pour être soit approuvé, soit rejeté. «C'est un processus qui est réglementé et encadré», a déclaré à la presse la ministre de l'Environnement, Carolina Schmidt.

Des écosystèmes marins menacés

Pour le député d'opposition Marcelo Diaz, il s'agit «d'accélérer un processus pour valider le projet avant la fin de ce gouvernement» car il est porté par un proche du président Piñera. L'ONG Oceana estime que ce projet minier menace «l'un des écosystèmes marins les plus importants au monde, reconnu par la science nationale et internationale comme un point chaud de la biodiversité qui doit être protégé».

La mine et le port seraient construits près de la réserve nationale de manchots de Humboldt, créée en 1990 autour de trois îles situées entre les régions d'Atacama et de Coquimbo, afin de protéger un écosystème unique comprenant des manchots d'une espèce menacée qui ne nichent qu'au Chili et au Pérou.

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« FLYER NON À DOMINGA»

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mercredi, août 11, 2021

CHILI: ACCORD POUR ÉVITER UNE GRÈVE DANS LA PLUS GRANDE MINE DE CUIVRE DU MONDE

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PHOTO JAVIER TORRES / AFP

Par Le Figaro avec l"AFP

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Dans un communiqué publié mardi soir, BHP a indiqué que l'accord, dont les contours n'ont pas été divulgués, devait être soumis à ratification aux mineurs. Le 31 juillet, ces derniers s'étaient exprimés à 99,5% en faveur du lancement d'une grève en cas d'échec des négociations.

Ils réclamaient une prime unique en reconnaissance de leur travail pendant la pandémie de Covid-19, «équivalente à 1% des dividendes perçus par les propriétaires». Et également un plan de développement de carrière et des avantages en matière d'éducation pour leurs enfants.

Selon le syndicat, dans un contexte de hausse historique du prix du cuivre sur les marchés internationaux, qui a dépassé les 10.000 dollars par tonne, la mine d'Escondida prévoit de dégager plus de 10 milliards de dollars de revenus cette année.

Chili, premier producteur mondial de cuivre

Détenue par les Anglo-Australiens BHP (57,5%) et Rio Tinto (30%) ainsi que le Japonais Jeco (12,5%), cette mine à ciel ouvert est située dans le désert de l'Atacama, dans le nord du Chili, à plus de 3.000 mètres d'altitude. Y sont extraites environ 1,1 million de tonnes de cuivre par an. C'est dans cette même région qu'en 2010, 33 hommes avaient été bloqués à 700 mètres sous terre pendant 69 jours à la suite d'un effondrement dans la mine de Copiapo.

Le Chili est le premier producteur mondial de cuivre, avec 28% de la production mondiale. Ce minerai, dont une grande partie est exportée vers la Chine, le plus grand consommateur mondial, représente 10 à 15% du PIB de ce pays d'Amérique du Sud.

En 2017, les travailleurs d'Escondida avaient organisé une grève de 44 jours, la plus longue de l'histoire minière chilienne. Ce mouvement social avait entraîné 740 millions de dollars de pertes pour l'entreprise et une contraction d'environ 1,3% du PIB du Chili.

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mardi, août 10, 2021

EN MARCHE FORCÉE

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«PASS APÉRO»

LE CHILI SOUHAITE EXPORTER DE L’HYDROGÈNE VERT DANS LE MONDE ENTIER

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PHOTO HANDOUT / AFP
En novembre 2020, un plan national a été lancé pour hisser le pays parmi les trois premiers exportateurs mondiaux de cette énergie, utilisée, entre autres, dans le transport ou la sidérurgie.

Par Julien Bouissou

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le Chili, champion des énergies renouvelables en Amérique latine, mise sur l’hydrogène vert, ce gaz obtenu par électrolyse avec de l’électricité propre, non carbonée. En novembre 2020, le président chilien Sebastian Piñera a dévoilé un ambitieux plan national pour hisser son pays parmi les trois premiers exportateurs mondiaux de cette énergie, utilisée, entre autres, dans le transport ou la sidérurgie. Le gouvernement prévoit la création d’un fonds doté de 50 millions de dollars (43 millions d’euros) pour soutenir les projets dans cette filière, et a commencé à déployer une « diplomatie de l’hydrogène vert » pour se positionner sur ce marché mondial encore balbutiant.

Le principal atout du pays réside dans sa capacité de production d’énergie renouvelable, à des prix compétitifs, grâce à ses conditions climatiques exceptionnelles et variées. Sur une étroite bande de terre qui s’étend sur 4 500 km du nord au sud, le pays peut produire toutes les énergies vertes de la planète. Outre le désert d’Atacama, qui bénéficie du rayonnement solaire le plus élevé au monde, le vent souffle fort sur les 4 000 kilomètres de côtes et même au-delà, comme sur les plateaux de la Patagonie chilienne. Les capacités de production d’énergie éolienne et solaire du pays ont été multipliées par dix au cours des sept dernières années grâce notamment aux investissements étrangers.

Renforcer son autonomie

Le fonds américain EIG Global Energy Partners a ainsi investi plus de 800 millions de dollars dans la construction de la première centrale solaire thermodynamique d’Amérique latine. Inaugurée en mars 2019, elle produit de l’électricité en continu pour 250 000 foyers, jour et nuit, grâce à la chaleur solaire qui produit de l’énergie à partir d’une turbine fonctionnant à la vapeur d’eau. Le pays a investi très tôt dans le secteur des énergies renouvelables pour renforcer son autonomie, peu après l’arrêt soudain, en 2007, de l’approvisionnement en gaz depuis l’Argentine.

Cette politique lui permet aujourd’hui de sortir du charbon plus tôt que prévu. Début juillet, le gouvernement a annoncé la fermeture de quatre centrales à charbon, quinze ans avant la date prévue. « Avec les énergies propres, l’électricité n’est plus produite et consommée au même endroit, comme cela pouvait être le cas avec les centrales à charbon, il faut donc bâtir un vaste réseau de distribution et de transmission », note Dario Morales, directeur des études à l’association Acera qui regroupe les acteurs des énergies renouvelables au Chili.

« Au fur et à mesure que le Chili s’approche du 100 % renouvelable, il faut mettre en place des technologies qui ajustent l’offre à la demande, et améliorer le stockage d’électricité » Dario Morales, expert

Or, l’acquisition de terrains pour construire des centrales ou des lignes de transmission se heurte à la résistance de communautés locales, dans un pays où l’agriculture est le deuxième secteur d’activité, après celui de l’extraction minière. « L’autre difficulté que doit gérer le Chili au fur et à mesure qu’il s’approche du 100 % renouvelable, ajoute Dario Morales, c’est qu’il faut mettre en place des technologies qui ajustent l’offre à la demande, et améliorer le stockage d’électricité. » Ce qui est justement le cas de l’hydrogène, l’une des rares énergies renouvelables pouvant être stockée.

Pour en augmenter la production, le pays doit cependant résoudre une contradiction : dans le nord, où la fourniture d’électricité verte, d’origine solaire, est la plus élevée, les ressources en eau sont rares. Ce qui est souvent le cas des régions ensoleillées, plutôt arides, où le coût environnemental de la production d’hydrogène peut être élevé en raison de sa forte consommation en eau. Pour combler ce manque, des usines de désalinisation ont été construites pour traiter l’eau de la mer. Dans le sud du Chili, c’est l’électricité éolienne qui transforme l’eau en hydrogène. Cette région proche du détroit de Magellan présente un autre avantage : elle se situe sur une route maritime importante à destination de l’Europe. Et le pays espère bien exporter les deux tiers de sa production dès 2025, même si son transport reste encore coûteux, difficile… et émet des gaz à effet de serre.

 INFOGRAPHIE RODRIGO ANGUIANO

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lundi, août 09, 2021

AU CHILI, LES MINEURS VEULENT PROFITER DE LA HAUSSE DU COURS DU CUIVRE

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PHOTO IVAN ALVARADO / REUTERS

Analyse Les plus grandes mines de cuivre du monde, situées au Chili, ont voté la grève. Les mineurs veulent bénéficier de la hausse vertigineuse du cours du cuivre qui se produit depuis plusieurs mois.

par Marion Esnault

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Dopés par l’accélération de la demande mondiale, les cours du cuivre sont au plus haut et les mineurs chiliens comptent bien bénéficier de la manne. Un peu plus du quart de la production mondiale du métal rouge – indispensable aux énergies renouvelables et aux voitures électriques – est le fruit de leur travail. Le Chili est en effet le plus grand producteur mondial de cuivre avec plus de 5,6 millions de tonnes annuelles extraites. La mine Escondida, située au cœur du désert d’Atacama représenterait à elle seule 5 % à 6 % de la production mondiale.

1 % des dividendes

Ses mineurs ont lancé un mot d’ordre de grève qui devrait prendre effet ce lundi 9 août. L’immense gisement qui produit près de 1,1 million de tonnes de cuivre par an est exploité par la multinationale australienne BHP Billinton. Le syndicat des travailleurs d’Escondida a refusé une première offre de 18 millions de pesos par mineur (environ 20 000 €) avancée par la direction. Ils exigent une prime plus élevée, correspondant à 1 % des dividendes, considérant que cette somme doit profiter aux Chiliens, et non « aux actionnaires étrangers »

Si les mineurs sont des ouvriers privilégiés dans le secteur industriel chilien, ils restent peu payés, selon les syndicats, par rapport aux bénéfices récoltés. Dans un pays néolibéral où l’intervention de l’État est réduite à son minimum, ils ont aussi subi de plein fouet, comme la majorité des Chiliens, les mois prolongés de confinement sans aides sociales du gouvernement du milliardaire Sebastian Piñera.

Cela fait plusieurs semaines que les discussions entre le syndicat – qui regroupe plus de 2 700 travailleurs – et la direction ont commencé, sans succès pour le moment. Le 27 mai dernier, alors que les prix du cuivre avaient augmenté, poussés par la demande des grandes puissances – États-Unis, Europe, Chine – en pleine relance de leur économie, les miniers d’Escondida avaient lancé un premier appel à la grève.

Une grève de 44 jours en 2017

Un peu plus de deux mois plus tard, les négociations sont au point mort et BHP Billinton a demandé la médiation de la direction du travail.

En 2017, ladite mine avait déjà vécu une grève de 44 jours, la plus longue de l’histoire du Chili. Elle avait engendré une perte de 740 millions de dollars pour la multinationale et provoqué une récession de près de 1,3 % du PIB chilien. L’industrie minière au Chili représente 15 % du PIB du pays et 60 % de ses exportations.

Le syndicat d’Escondida a été rejoint par les syndicats d’autres entreprises minières, notamment ceux de Codelco, l’entreprise publique chilienne dont les bénéfices ont été décuplés au premier semestre de 2021 par rapport à la même période de 2020.

Menace de l’inflation

Dans les prochains jours, ce sont donc presque 3 500 miniers qui pourraient paralyser les plus grandes mines de cuivre du monde. En cas de grève prolongée, le cours du cuivre pourrait connaître une nouvelle hausse, alimentant la menace d’inflation qui pèse sur l’ensemble des économies mondiales.

Chili, mines, Amérique latine

samedi, août 07, 2021

CHILI, LÉGENDES DE PÂQUES

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PHOTO ERIC MARTIN

Trois siècles après sa découverte par un Hollandais, ce caillou du Pacifique garde le secret de ses statues géantes.

LE VOYAGE PAR PASSION


ce qui frappe lorsqu'on aborde l'île de Pâques, ce sont ses côtes noires, déchiquetées, sur lesquelles bouillonne l'écume blanche. Vue du ciel, l'absence de verticalité intrigue : cet îlot de 117 km² est plat comme la paume de la main. Pas un arbre. Seul relief, le volcan Maunga Terevaka qui culmine à 506 mètres. Ce caillou perdu au bout du monde, à 3525 kilomètres des côtes chiliennes et plus de 4000 kilomètres de Tahiti, abrite l'une des plus grandes énigmes de l'Histoire : pas moins de 900 colosses de pierre y ont été ­découverts le 5 avril 1722 par l'explorateur hollandais Jakob Roggeveen.

La plupart de ces moaï gisent à terre, près de promontoires de pierre, où quelques-uns se dressent encore, comme sur l'ahu Tongariki, face à la mer, dans la baie d'Hotuiti. Le plus grand nombre se trouve dans le cratère du volcan Rano Raraku. Creusée à ciel ouvert dans ses flancs, cette carrière est, sans aucun doute, l'un des lieux les plus impressionnants de l'île. À pied, à cheval ou en voiture, on part à son rythme à la rencontre de ces géants de pierre avec une fascination chaque fois renouvelée.

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jeudi, août 05, 2021

COVID-19: LE CHILI DEVRAIT COMMENCER À PRODUIRE DES VACCINS SINOVAC L'AN PROCHAIN

PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA

L'entreprise pharmaceutique chinoise et les autorités chiliennes ont confirmé, mercredi 4 août 2021, la construction d'une usine et d'un centre de recherche scientifique dans le pays. Près de 60 millions de doses de vaccins de Sinovac pourraient ainsi être produites au Chili chaque année. L'usine devrait commencer à fonctionner en mars ou avril 2022.

par Justine Fontaine

L'entreprise pharmaceutique chinoise va investir près de 60 millions de dollars pour construire cette usine, qui fabriquera des vaccins contre le Covid-19, contre la grippe et contre l'hépatite. Objectif : fournir tout le continent sud-américain.

C'est ce qu'a expliqué le vice-président de Sinovac, Weining Meng, lors d'une visite à Santiago mercredi : « Nous avons décidé d'installer une usine de remplissage et de conditionnement dans la région capitale. Et d'autre part, nous souhaitons aussi mettre en place une collaboration de long terme, en travaillant sur la recherche et le développement de vaccins. »

Un centre de recherche sera en effet installé dans le nord du pays, en partenariat avec plusieurs universités chiliennes. Des annonces saluées par le ministre de la Santé, Enrique Paris : « C'est un jour très heureux pour nous, car le Chili annonce le retour de la production de vaccins sur son sol. Le Chili a commencé à produire des vaccins en 1867, mais n'en produit plus depuis 18 ou 19 ans maintenant. »

La relation du pays avec Sinovac n'est, en tout cas, pas nouvelle : l'entreprise chinoise a fourni près de 70% des vaccins inoculés au Chili contre le Covid-19 (sur le site du New England Journal of Medecine, consulter l'étude rendue publique le mois dernier à ce sujet).

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lundi, août 02, 2021

CHILI: L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE EN HAUSSE DE 20,1% SUR UN AN EN JUIN

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PHOTO JAVIER TORRES / AFP

L'activité économique du Chili a progressé de 20,1% en juin en glissement annuel, les secteurs productifs s'étant adaptés à la pandémie, a indiqué lundi la banque centrale.

Par Le Figaro avec l'AFP 

IMACEC

L'indice mensuel mesurant l'activité a progressé de 2,1% par rapport à mai en données corrigées des variations saisonnières, bien que le mois ait compté un jour de travail de moins qu'en juin 2020, au cours duquel il avait chuté de 12,4%, son plus fort repli pendant la crise sanitaire.

Lire aussi : CHILI: LES DÉPUTÉS APPROUVENT UN PROJET DE TAXE SUR LE CUIVRE ET LE LITHIUM

Toutes les composantes de l'indice ont progressé en juin sur un an. L'activité commerciale a augmenté de 46,4%, poussée par les aides économiques gouvernementales mises en place pour faire face à la pandémie, qui ont bénéficié à 15 des 19 millions d'habitants du pays.

En mai, l'activité économique avait déjà progressé de 18,1% sur un an. La banque centrale estime que le PIB du Chili devrait croître de 9,5% cette année, après une chute de 5,8% en 2020.

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dimanche, août 01, 2021

PARTAGE DES RICHESSES CHILI : LES TRAVAILLEURS DE LA PLUS GRANDE MINE DE CUIVRE AU MONDE VOTENT UNE GRÈVE

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PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

Alors que les négociations entre le syndicat et la direction d’Escondida s’enlisent, une grève a été votée par plus de 2 000 personnes. Ce qui pourrait renforcer la pénurie de matières premières.

par AFP et LIBERATION

Les travailleurs de la plus grande mine de cuivre au monde, Escondida, au Chili, menacent de se mettre en grève, estimant que leurs revendications salariales n’ont pas suffisamment été prises en compte par les propriétaires anglo-australiens BHP. Après une consultation du personnel qui s’est achevée samedi soir, le syndicat a déclaré dans un communiqué qu’il y avait 2 164 voix en faveur du lancement de la grève, contre 11 pour l’acceptation de la dernière offre de l’employeur. Des pourparlers doivent désormais s’engager. Ils pourraient durer entre cinq à dix jours, selon le droit du travail chilien. Si aucun accord n’est trouvé, la grève commencera.

«Nous espérons que ce vote conséquent sera un signal d’alarme décisif pour que BHP entame des pourparlers de fond… si c’est pour éviter un conflit de grande ampleur qui pourrait devenir le plus coûteux de l’histoire syndicale du pays», indique le syndicat. BHP, la plus grande entreprise minière au monde, a, elle, déclaré dans un communiqué après ce vote que la direction gardait espoir de parvenir à un accord avec le syndicat lors des prochaines négociations, grâce à la médiation du gouvernement. «L’intérêt de l’entreprise est toujours de conclure des accords avec ses travailleurs, nous restons donc ouverts au dialogue», a-t-elle dit.

Vers une pénurie mondiale de cuivre ?

Le syndicat a, de son côté, jugé que les négociations n’avaient pas permis d’avancer sur ses principales revendications, notamment un système amélioré de formation professionnelle et une rémunération indexée sur les performances de l’entreprise. Autre point de friction : les syndicats souhaiteraient que les travailleurs obtiennent 1% des dividendes versés aux investisseurs.

Chez Escondida, le souvenir de l’arrêt historique de quarante-quatre jours en 2017, qui a secoué les marchés mondiaux du cuivre et ralenti la croissance économique du Chili, reste dans toutes les têtes. Selon Reuters, une grève prolongée du principal syndicat des travailleurs de la mine réduirait les approvisionnements mondiaux en cuivre. De quoi faire encore grimper des prix déjà élevés dans un contexte de pénurie de nombreuses matières premières.

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