élèves du collège Carlos Salines Lagos de Talca
Photo: Juan Carlos Romo - El Mercurio
Diego Duran Jara, Université catholique de LouvainNous observons, face à la montée en puissance du concept d'évaluation dans le contexte des organisations éducatives et le nouveau rôle assumé par l'Etat, qu'un certain état d'incertitude se situe au coeur des établissements scolaires, ayant les enseignants comme acteurs principaux. Il s'agit d'évaluations visant à mesurer la qualité de l'éducation des établissements.
Cette recherche exploratoire met l'accent sur la perception des enseignants, à l'égard de leur confrontation à cette incertitude et la manière dont ils y répondent. Cette démarche est développée dans un cas particulier : le Chili et son système d'évaluation de la qualité, le SIMCE.
À partir d'une base théorique, qui comprend les courants "School effectiveness et School improvement", les organisations apprenantes et l'analyse stratégique des acteurs, cette étude vise la compréhension des processus internes des organisations face aux évaluations de qualité.
Les résultats principaux obtenus mettent au centre du débat la relation entre la perception des enseignants des tensions associées à la problématique et leur capacité de voir dans cette tension une opportunité pour le développement de l'organisation comme de son évaluation.
Présentation de la problématique et du cadre conceptuel
Problématique
Ces dernières années nous avons été confrontés à la montée en puissance du concept d'évaluation à l'égard des établissements scolaires. Ces évaluations ne visent pas exclusivement les apprentissages acquis des élèves, mais l'efficience et la capacité des organisations de gérer ce processus dans un cadre local de difficultés tant au niveau des différences liées aux élèves (les élèves ne comptent pas sur eux avec un même socle de compétences et d'expériences), qu'au niveau financier (les Etats ont de difficulté d'accorder aux établissements beaucoup de ressources).
Dans ce processus de transformation du concept de l'évaluation, l'Etat est devenu un acteur principal de celle-ci. D'une part, il a pris distance des écoles en laissant à celles-ci la gestion et la recherche de solutions aux problèmes locaux. D'autre part, il devient un Etat contrôleur et exige que les écoles lui rendent compte des résultats obtenus en fonction des moyens dispensés.
Ce contrôle réalisé de l'Etat vers les écoles a pris comme moyen principal une série d'évaluations de qualité associée aux acquis des élèves où les résultats obtenus sont mis à la disposition des parents en les comparants avec d'autres résultats d'écoles similaires (en fonction du type d'élève, de la localisation géographique, etc.), notamment le cas du Chili.
Les enseignants et les tensions associées aux évaluations des établissements scolaires.
Cette pratique d'évaluation de la qualité de l'éducation, qui ne caractérise pas exclusivement le Chili, car elle est devenu une pratique courante de plusieurs pays américains et européens, est source de tensions et d'incertitudes dans les écoles dont les enseignants sont les acteurs les plus touchés.
Si nous prenons les différences des réalités locales des établissements, certainement le niveau culturel, social des élèves, et les différences au niveau des objectifs poursuivis par les établissements rédigés dans les projets éducatifs, nous pouvons comprendre l'état d'incertitude auquel les écoles sont confrontées.
Comment répond l'organisation scolaire face à cette tension ? Comment résoudre ce problème ? Sur quoi donc évaluer les établissements scolaires ? Qu'est-ce que nous pouvons comprendre par qualité de l'éducation ? Est-ce que, si les indices de qualité (la réussite des élèves aux évaluations) montrent de bons résultats, nous serions face à un enseignement de qualité ?
Si nous considérons que l'organisation comme telle est toujours en mouvement, en construction permanente, l'évaluation est un avis à un moment déterminé qui peut ou non produire des actions, tant internes qu'externes dans l'organisation, et que les actions externes pourront exister depuis l'accompagnement dans la gestion (une sorte d'intervention), jusqu'à la fermeture de l'organisation.
Mais comment les écoles gèrent-elles ces incertitudes, ces tensions ? Ceci est le centre de notre problématique, pouvoir comprendre la perception de tensions comme des actions suivies par les acteurs dans les écoles, lors de la confrontation à celles-ci.
Cadre conceptuel
Notre démarche est basée principalement sur trois courants théoriques, d'une part le courant des écoles school effectiveness and school improvement, car ces courants nous fournissent des éléments théoriques et pratiques, prises tant individuellement que dans la perspective actuelle de complémentarité, pour la compréhension de la recherche d'effectivité dans le contexte de l'amélioration éducative des établissements. Un autre courant, que nous reprenons comme celui de l'organisation apprenante nous permet nous approcher du concept de la transformation des tensions en un champ de possibilité pour le développement institutionnel, pour l'innovation et pour le changement, et ceci dans un registre de logiques de fonctionnement des organisations au-delà de la logique bureaucratique et professionnelle. Et finalement nous prenons en considération la logique stratégique des acteurs, car ceci nous permet comprendre les logiques des actions entreprises par ceux-ci dans les organisations éducatives, dans une perspective à la fois de coopération et des jeux de pouvoirs.
Méthodologie utilisée
Nous avons abordé, cette problématique, dans la perspective d'une recherche exploratoire, à partir d'une réalité spécifique au Chili, à travers l'étude de cas de deux écoles de "financement partagé" entre l'Etat et les parents des élèves.
Nous avons choisi une perspective à la fois qualitative et quantitative. Nous avons mis en pratique deux méthodes dans notre collecte de données : l'enquête par questionnaire et interviews, et l'analyse de document (notamment le projet éducatif et le règlement interne des établissements).
Nous avons abordé la problématique à partir du système de l'évaluation de la qualité de l'éducation au Chili, le SIMCE1, et nous avons cherché à comprendre la représentation que les enseignants se font de cette évaluation et de sa relation avec l'établissement scolaire.
Nous avons mis en rapport la manière dont les enseignants perçoivent la tension, produit par la confrontation à cette évaluation de la qualité, et dont ils répondent dans le champ de leurs écoles.
1 Ceci est un système de contrôle de la qualité de l'éducation du Chili qui se traduit dans une épreuve aux élèves des établissements scolaires de tout le pays, en fonction des objectifs et des contenus éducationnels minimums du programme d'enseignement national 2
Les enseignants et les tensions associées aux évaluations des établissements scolaires.
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Principaux résultats et conclusions
Nous avons pu repérer quelques éléments très importants dans le contexte de la problématique exposée.
Tout d'abord nous avons pu constater de formes différentes de confrontation à l'évaluation du SIMCE. L'une de ces formes conduit les enseignants à une certaine indifférence à l'égard de cette évaluation en restant à l'écart de ses retombées. Une autre façon est plutôt conflictuelle, lorsque la relation au SIMCE devient une source de conflit interne pour l'organisation (tension mal vécue). Une troisième manière de se confronter au SIMCE observé des écoles, conduit à percevoir le SIMCE comme un instrument de régulation et de changement institutionnel.
Dans ce contexte, nous pouvons dégager dans une des écoles, que l'intérêt principal des acteurs n'est pas le SIMCE mais le projet éducatif propre, et le SIMCE devient ainsi un instrument qui permettra de réguler l'organisation dans la poursuite de ses objectifs.
Cette dernière situation met en place le surgissement du projet éducatif de l'établissement, au moins dans le contexte des idées (mission) partagées par les acteurs et qui les orientent, comme source et indicateur de qualité pour l'école.
Un autre élément que nous avons pu dégager est associé à la perception de la tension à l'égard de la confrontation à l'évaluation du SIMCE. Nous avons pu observer que les acteurs de l'école, davantage orientée par son projet éducatif, maintiennent une relation plus étendue avec le SIMCE que les acteurs de l'autre école.
Dans ce contexte, parler d'évaluation de la qualité de l'éducation, n'aura pas de sens si cette discussion ne prend pas en compte l'auto-évaluation dans les établissements comme une méthode de pris en compte de la vision des acteurs concernés.
Peut-être que le concept de qualité devra également être lié à la capacité des établissements scolaires de se transformer, de changer de manière à obtenir des résultats au niveau local (projet éducatif de l'établissement) comme national (projet éducatif de la nation).
Références bibliographiques
Demailly, lise 2000. Suffit-il évaluer ?. Paris : De Boeck Université.
Bonami, M. et Garant, M. (1996). Système et pilotage de l'innovation.
Émergence et implantation du changement. Bruxelles : De Boeck Université.
Huber, SG. (1998). Dovetailing School Effectiveness and School Improvement, ICSEI 98.
Friedberg, E. (1997). Le pouvoir et la règle. Dynamique de l'action organisée. Paris : Seuil.
Senge, P. (1990). La cinquième discipline. Paris : First