Entomologie. Avant la grande exposition sur les mouches qui commence mercredi au muséum d'histoire naturelle à Paris, Christophe Daugeron nous fait partager sa passion pour ces insectes qu'il est parti étudier aux quatre coins de la planète. Avec un objectif: réhabiliter "le peuple des mouches", fort de plus de deux mille espèces.
Par Emmanuelle CHANTEPIE
Il est parti chercher ses trophées dans le frigo du couloir. Dans ses mains, trois boîtes en plastique, genre Tuperware. Vite, un peu de place sur son bureau et le voilà qui dépose son précieux colis. Cachés sous le couvercle, des dizaines de petits tubes d'alcool sont soigneusement alignés. "Voici ce que j'ai ramené de ma mission en Patagonie, au Chili..." Christophe Daugeron a le sourire banane et l'oeil qui frise: tapis au fond de ses fioles, on distingue des milliers de vulgaires moucherons. "Non, ce sont des mouches. De la famille des Empididae", précise-t-il un peu vexé. "Et là-dedans il y a plusieurs dizaines d'espèces encore jamais identifiées", ajoute-t-il en remballant prestement son trésor.
Département systématique et évolution. Installé au bout d'un couloir du bâtiment d'entomologie du Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, le maître de conférences se donne du mal pour convaincre. S'il a choisi depuis près de quinze ans de se consacrer à l'étude de cette petite mouche, c'est qu'elle a un comportement exceptionnel. "Le mâle offre un cadeau aux femelles avant l'accouplement et, comble du raffinement, il va parfois jusqu'à emballer son présent dans un cocon de soie. On ne voit ça nulle part ailleurs. Pas même chez Homo sapiens !"
Sûr de son effet, Christophe Daugeron poursuit son récit. Et raconte qu'en guise d'offrande nuptiale l'Empididae ne mégote pas: il récupère un insecte mort, souvent deux fois plus gros que lui, pour l'offrir à sa belle. Et tout ça pour quoi? "Ces mouches se nourrissent du nectar des fleurs, et ces proies sont les seules sources de protéines dont disposent les femelles pour la maturation de leurs oeufs. Mais les mâles ne sont pas toujours réglo, avoue l'entomologiste. Parfois, le paquet cadeau est vide."
Fils de comptables, Christophe Daugeron est devenu dingue des mouches un peu par hasard. Après des études de biologie à Tours, son sujet de thèse l'a plongé dans le monde des diptères, ces insectes à deux ailes qui représentent entre 15 et 20 % des espèces animales vivant sur Terre. Grâce à une bourse décrochée à l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique, il va partir à la conquête des Empididae en Thaïlande et à Singapour. Equipé de pièges à mouches et d'un appareil photo, il va bientôt découvrir leur parade amoureuse, scruter à la loupe les détails de leurs soies plumeuses, observer les teintes métalliques qui parent leur abdomen. Des bestioles minuscules d'à peine un centimètre pour les plus grosses... mais qui vont vite séduire le jeune homme.
"L'histoire du monde est écrite sur l'aile d'une mouche."
A 38 ans, après avoir parcouru toutes les latitudes, des îles Célèbes en Indonésie à la chaîne des Pyrénées, Christophe Daugeron a déjà identifié plusieurs dizaines de nouvelles espèces qui viendront s'ajouter aux deux mille déjà répertoriées. Mais comment différencier un moucheron d'un autre moucheron ? "Vous savez distinguer un chat d'un chien; et bien c'est un bon début", s'esclaffe le technicien du labo. "C'est grâce à l'appareil génital du mâle", reprend le scientifique, qui raconte comment il regarde au microscope le zizi des mouches pour découvrir "la forme et la structure de ces pièces génitales qui caractériseront ou pas une nouvelle espèce".
Soudain très sérieux, le chercheur veut faire sienne la phrase du pape des mouches, l'illustre Eugène Séguy, auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages et de plusieurs centaines d'articles scientifiques sur les diptères: "L'histoire du monde est écrite sur l'aile d'une mouche." Et à écouter parler Christophe Daugeron de phylogénie, une discipline qui permet d'établir des arbres de parenté entre les êtres vivants, on se dit que la mouche est vraiment plus qu'une maudite engeance chargée de nous tourmenter.
Pour parfaire son entreprise de réhabilitation du peuple mouche, l'entomologiste ouvre d'immenses armoires de bois qui abritent la collection de diptères du Muséum. Plus de trois millions de spécimens accumulés au cours des siècles et méticuleusement embrochés sur des épingles. Il y a là, rangées sur des étagères, la famille des drosophiles, cette mouche du vinaigre bien connue des généticiens, des mouches tsé-tsé responsables de la maladie du sommeil, les redoutables mouches des fruits, dont les larves provoquent le pourrissement, ces mouches bleues aussi, véritables auxiliaires de la police lorsqu'il s'agit de dater un meurtre. "Quand on voit des mouches, on peut dire : ça a été des vers. Quand on voit des hommes, on peut dire : ça en sera", disait Raymond Queneau.
* A partir du 4 avril, "L'expo qui fait mouches". Jardin des Plantes, Grande galerie de l'évolution. 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, Paris 5e. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 heures à 18 heures.