Affaire RCTV ... Il faut d’abord balayer devant sa porte
En Amérique latine, certains font tout un plat de la fin des transmissions de la chaîne de télévision RCTV, à laquelle le gouvernement vénézuélien n’a pas voulu renouveler la concession d’une fréquence qu’elle exploitait depuis 1956.
Trois ex-présidents panaméens, Mireya Moscoso, Guillermo Endara et Ernesto Pérez-Balladares planifient d’exercer un intense lobby pour que l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats Américains (OEA) traite le cas RCTV lors de sa réunion du week-end prochain [week-end du 1er et 2 juin 2007, ndlr]. Le président péruvien Alan García a affirmé, à propos de la mesure vénézuélienne, que « jamais une telle chose ne se fera » dans son pays.
Une telle chose comme quoi, pourrait-on se demander. Nombreux, au Venezuela, affirment que Radio Caracas Télévision (RCTV) en est arrivée à cette situation parce qu’elle s’oppose au gouvernement d’Hugo Chavez. D’autres la qualifient de putschiste pour avoir soutenu l’attentat contre la démocratie d’avril 2002 [le coup d’État des 11-12-13 avril 2002, ndlr].
Dans la Colombie voisine, le journaliste Juan Gossain, de RCN Radio, a demandé au président Alvaro Uribe : «L’expression que vous avez utilisée sur votre respect de la liberté de la presse me conduit à supposer que vous n’ôteriez pas par exemple à Radio Caracas sa licence de fonctionnement».
«A personne. Pour mieux dire, qu’ils exercent le journalisme sans licence, qu’ils disent ce qu’ils veulent, qu’ils parlent partout», a-t-il répondu.
Uribe ne peut pas fermer de chaîne de télévision d’opposition parce qu’elles n’existent pas. Toutefois, il a mis un terme en octobre 2004 à l’Institut de Radio et Télévision (Inravisión), un organisme public qui gérait trois signaux ouverts avec des franges horaires éducatives et culturelles, un programme radio d’interviews sur le mouvement social et des documentaires aux contenus souvent dérangeants pour le gouvernement.
Le président colombien avait annoncé la fermeture d’Inravisión un lundi et le jeudi suivant, «la police est entrée et a délogé les travailleurs la nuit même», raconte le sociologue Milciades Vizcaíno à IPS. Celui-ci a travaillé presque 27 ans dans le secteur de la télévision éducative, qui a été éliminée.
Bogota alléguait que Inravisión était inefficace. «Mais le fond de l’affaire était la force dont disposait le syndicat», soutient Vizcaíno, auteur du libre «Université et moyens de communication. De l’état de bien-être au marché», publié en avril et dans lequel il analyse le processus inverse à celui qui a été entamé au Venezuela, en destinant la fréquence de RCTV à une chaîne publique.
Inravisión a été remplacée par Radio Televisión Colombia (RTVC) qui «sous-traite» des activités moyennant des contrats de concession, en évitant la création d’un syndicat. Elle économise 72% des coûts opérationnels. Les transmetteurs sont gérés par une autre entreprise, Telecom.
En octobre, au cours du discours du sénateur d’opposition Gustavo Petro [1] sur les liens entre paramilitaires d’extrême droite et des politiciens des départements de Sucre et Córdoba [2], le signal de la chaîne publique, géré maintenant par RTVC et qui retransmet fréquemment depuis le parlement, a disparu dans ces deux département du nord de la Colombie.
Face aux plaintes, RTVC a remis l’affaire à Telecom. Mais «là, personne n’a pu donné d’explication», a signalé Hernán Onatra, responsable presse du sénateur.
«Il n’y a pas que la télévision publique. Des opérateurs privés par câble ont également suspendu le signal dans certains secteurs de Bogotá et de villes principales, comme Cúcuta (nord-est) et ils n’ont jamais fourni d’explication. On nous l’a rapporté durant le débat ou le jour d’après», a-t-il ajouté.
Au Honduras, le président Manuel Zelaya a initié depuis le lundi 28 mai une série de 10 transmissions d’un heure chaque jour par «cadena» [3] de radio et de télévision, en prime time pour contrecarrer ce qu’il qualifie de «désinformation» de la presse sur sa gestion.
La loi stipule qu’on ne peut transmettre de «cadenas» que pour convoquer des élections, dans le cas de désastres naturels ou d’urgence nationale. Par conséquent, la mesure rappelle l’usage fréquent que faisaient les militaires de ce mécanisme dans les années 70 quand ils gouvernaient et a été critiquée par des associations de journalistes, des médias et même par le président du parlement Roberto Micheletti.
L’analyste politique Juan Ramón Martínez a affirmé à IPS que la décision « porte atteinte à la liberté d’expression » et constitue un abus, «même les militaires n’ont pas été aussi loin que ce que nous annonce l’actuel gouvernement».
Le journaliste Edgardo Escoto, qui couvre l’actualité gouvernementale pour la radio d’opposition Circuito Radial Voces, a confié quant à lui à IPS qu’il a été censuré par les porte-parole de la présidence «pour ne plus poser de questions». «Ils refusent de me donner la parole, ils me cachent l’agenda du président», a-t-il dit.
Le dernier média au Nicaragua dont la concession fut révoquée pour d’apparents motifs politiques a été Radio La Poderosa en 2002, durant le mandat d’Enrique Bolaños. Ses équipements ont été confisqués sans procès judiciaire. La radio critiquait le gouvernement avec acharnement et était proche de l’ex-président Arnoldo Alemán, condamné par la justice [pour blanchiment, fraude et détournement de fonds, ndlr].
Quand Alemán gouvernait (1997-2001), des journaux critiques comme La Prensa ou El Nuevo Diario ont dénoncé le harcèlement fiscal et le boycott commercial du gouvernement pour avoir informé de faits de corruption de fonctionnaires publics.
RCTV n’est pas le seul média qui «cesse» ses activités par une mesure du pouvoir au Venezuela. Durant les deux jours d’avril 2002 au cours desquels Chavez fut écarté du pouvoir par la force, les putschistes avaient fermé le Canal 8, la chaîne publique.
En 2003, le maire du district de Caracas, Alfredo Peña, un opposant à Chavez, avait aussi fermé la télévision communautaire Catia Tv.
Les partisans du gouvernement se vantent qu’«ici, les seuls qui ont fermé des médias, c’est l’opposition» et ils insistent sur cela. Dans le cas de RCTV, «il ne s’agit pas d’une fermeture mais d’un non renouvellement de la concession», a répété à IPS l’ex-ministre de l’Information et président de la chaîne régionale Telesur, Andrés Izarra.
Mais la gestion discrétionnaire des concessions «met dans une situation difficile, presque d’incertitude, plus de 150 radios privées qui sont dans l’attente d’un renouvellement de leur licence», observe Ciro García, président de la Chambre de radiodiffusion.
De plus, l’organisme national des impôts [le SENIAT, ndlr] a dressé une amende de 13 000 dollars et a fermé durant deux jours, en octobre 2005, le quotidien centenaire El Impulso - dont la ligne éditoriale est d’opposition - dans la ville de Barquisimeto, dans le centre-ouest du pays.
Des amendes de millions de dollars ont été dressées contre RCTV et la chaîne d’information en continu Globovisión, plusieurs équipements satellitaires leur appartenant ont été retenus indéfiniment il y a deux ans [4], quand une inspection les a retrouvés orientés dans une direction distincte à celle autorisée. Aucune d’elles ne reçoit de publicité du gouvernement.
Mais «si nous comparons la diversité des médias au Venezuela, il y a beaucoup plus de liberté d’expression qu’au Chili», par exemple, pour le coordinateur du Programme de liberté d’expression de l’Institut de Communication et d’Image de l’Université publique du Chili, Felipe Portales.
Même si au Chili, on n’a pas enregistré de mesures arbitraires contre les médias au cours des dernières années, la liberté est restreinte de par la concentration de la propriété, selon Portales et la directrice de l’Observatoire des médias Fucatel, Manuela Gumucio.
«A l’exception de Cuba, le Chili est le pays avec le moins de liberté d’expression en Amérique latine, en termes de pluralité des médias», avec une situation «pire qu’à la fin de la dictature» d’Augusto Pinochet, en 1990, fait remarquer Portales. [5]
La couverture du cas RCTV est une preuve. «Les médias chiliens n’ont diffusé qu’une seule version, celle qui s’oppose à Chavez. Nous n’avons pas les éléments nécessaires pour nous faire une opinion sur cette affaire», affirme-t-il.
Tant Portales que Gumucio expliquent le manque de diversité à cause de la distribution inégale de la publicité d’État.
Comme en Colombie, mais pour des raisons différentes, à Cuba non plus il n’y a pas de chaîne d’opposition à fermer.
La propriété privée des médias est morte dans les années 60, après l’avènement du processus révolutionnaire. La presse écrite, la radio et la télévision sont régies par une politique que conçoit, dirige et contrôle le Parti communiste de Cuba.
Les opposants, considérés comme des «mercenaires à la solde de l’Empire» (les Etats-Unis) n’ont pas accès à ces médias. Un groupe de journalistes autonomes du gouvernement ou ouvertement critiques ont été sanctionnés en 2003 par de lourdes peines de prisons sous l’inculpation de transmettre ou de faciliter des informations à des médias ennemis. [6]
L’exception sont les revues catholiques Palabra Nueva et Vitral, fondée en 1994 dans le diocèse de la province de Pinar el Río, dans l’ouest du pays. L’équipe éditoriale de Vitral est entrée en crise au début de cette année, après l’arrivée du nouvel évêque Jorge Enrique Serpa.
Vitral a acquis de la notoriété par son approche critique de la réalité cubaine, mais Serpa a décidé que la publication évitera dorénavant l’ «agressivité» et sera moins contestataire.
La censure au Mexique, commune à tous les gouvernements du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) depuis 1929 a commencé à reculer au milieu des années 90.
Mais le Diario Noticias de Oaxaca, qui circule depuis 31 ans dans l’état du même nom, dans le sud du pays, et qui est très critique envers le très contesté gouverneur Ulises Ruiz, a été la cible d’attaques depuis 2005, dont des agressions contre des journalistes et des tentatives de délogement par la force.
Radio Monitor, en activité depuis 1975, a été un des rares médias à s’être affronté aux années de censure du PRI. Son propriétaire, José Gutiérrez, affirme que le Parti d’Action Nationale (PAN), au pouvoir, le punit en le privant de publicité gouvernementale à cause de ses prises de positions critiques et en lui refusant des interviews et des informations.
L’unique parti qui, quand il gouvernait, a révoqué une concession de fréquence en Uruguay, le Parti National (PN), de centre droit, a réclamé sans succès du gouvernement du Frente Amplio (gauche) une déclaration de condamnation pour le cas RCTV.
La gauche a rappelé que le gouvernement du nationaliste Luis Alberto Lacalle a été le seul à prendre une mesure similaire dans l’histoire uruguayenne et «sans attendre que le permis arrive à expiration», a rappelé le sénateur de la majorité Eleuterio Fernández Huidobro.
Lacalle a expulsé CX 44 Radio Panamericana des ondes en 1994 pour avoir convoqué la population à une manifestation, durement réprimée, contre l’extradition vers l’Espagne de trois citoyens de ce pays accusés d’appartenir au groupe séparatiste basque ETA.
Cet article a été rédigé grâce aux contributions de Constanza Vieira (Colombie), Daniela Estrada (Chili), Patricia Grogg (Cuba), Thelma Mejía (Honduras), Diego Cevallos (Mexique), José Adán Silva (Nicaragua), Humberto Márquez (Venezuela) et Darío Montero (Uruguay).
NOTES:
[1] [NDLR] Gustavo Petro, sénateur de gauche, membre du Pôle démocratique alternatif, est certainement la figure politique la plus en vue dans les dénonciations du scandale connu comme la « parapolitique », à savoir l’infiltration de l’État par le paramilitarisme, un scandale qui touche tout l’entourage du président Uribe.
[2] [NDLR] Consultez à ce propos sur le RISAL le dossier « Paramilitarisme et parapolitique » dans notre rubrique sur la Colombie.
[3] [NDLR] Procédé qui consiste à imposer à toutes les radios et chaînes de télévision de diffuser un même programme, une allocution du président par exemple.
[4] [NDLR] Lire à ce propos Thierry Deronne, Difficile naissance d’un État au Venezuela : la vérité comme pot de terre, RISAL, 4 octobre 2003.
[5] [NDLR] Consultez à ce propos sur le RISAL le dossier « Médias » dans notre rubrique sur le Chili.
[6] [NDLR] Lire notamment Wayne S. Smith, Pourquoi les arrestations à Cuba ?, RISAL, 8 avril 2003.