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DES MANIFESTANTS PASSENT DEVANT UN GRAFFITI QUI RÉCLAME UNE "NOUVELLE CONSTITUTION" PENDANT UNE MANIFESTATION CONTRE LE GOUVERNEMENT DU CHILI À SANTIAGO, CHILI, LE 5 NOVEMBRE 2019. PHOTO REUTERS/JORGE SILVA |
Les principaux partis politiques chiliens sont parvenus à un accord, dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 novembre, après un mois de crise, « pour la paix sociale et la nouvelle Constitution » qui remplacera celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Un référendum sera organisé en avril 2020 pour demander aux Chiliens s’ils souhaitent changer de texte, et si oui, qui devrait rédiger cette nouvelle Constitution.
« CONSTITUTION ZOMBIE »
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L’idéologue du régime d’Augusto Pinochet, Jaime Guzman (assassiné par un mouvement armé d’extrême gauche en 1991), est le principal artisan de cette Constitution, qui remplace le texte précédent, de 1925. « Cette Constitution est très controversée, car elle a explicitement pour philosophie celle de l’État subsidiaire », explique Alfredo Joignant, professeur de sciences politiques à l’université Diego Portales. Le texte entérine la prépondérance des acteurs privés dans des secteurs qui relèvent dans de nombreux pays du domaine public.
Lorsqu’elle est adoptée en 1980 à travers un référendum frauduleux et organisé dans un contexte de grave répression des opposants politiques, la Constitution ne garantit pas, par exemple, l’accès des Chiliens à l’éducation supérieure ni à un système public de retraites – aujourd’hui gérées par des fonds de pensions privés, qui fonctionnent par capitalisation individuelle. Le texte entre en vigueur en 1981.
Une Constitution amendée de multiples fois, jamais transformée en profondeur
« LA CONSTITUTION POLITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI, ÉDITION OFFICIELLE », « LES GARS, ÇA N'A PAS PRIS FEU » DESSIN ALEN LAUZAN |
De plus, « la Constitution a été habilement élaborée, de façon à ce qu’elle soit très difficile à réformer en profondeur », explique M. Joignant. Toute réforme constitutionnelle demande en effet l’approbation des deux tiers ou des trois cinquièmes du Congrès (Chambre des députés et Sénat), un seuil très difficile à atteindre, d’autant plus sur des projets remettant profondément en cause l’organisation politique et économique du pays.
Autre embûche : le poids du Tribunal constitutionnel, dont les membres sont désignés par le président chilien, le Congrès et la Cour suprême. « Ce tribunal se comporte comme une troisième chambre, comme un garant de dernière instance du modèle économique chilien », affirme Alfredo Joignant. Saisi à plusieurs reprises ces dernières années, en particulier par les partis de droite, le Tribunal constitutionnel a bloqué de nombreux projets de réformes notamment portés par Michelle Bachelet (présidente socialiste de 2006 à 2010 puis de 2014 à 2018).
Un sujet au cœur du mouvement social actuel
Le débat autour d’une nouvelle Constitution n’est pas nouveau, et a régulièrement été abordé par les partis de gauche, qui veulent tourner la page de l’ère Pinochet. En mars 2018, quelques jours à peine avant la fin de son second mandat, Michelle Bachelet envoie au Parlement un projet de nouvelle Constitution, immédiatement écarté par le président de droite Sebastian Piñera à son arrivée au pouvoir. « Michelle Bachelet a échoué parce qu’elle a tenté de générer un “processus constituant” sans qu’il existe un “moment constituant”, une conjoncture historique exceptionnelle durant laquelle le peuple délibère intensément sur les normes qui régissent la société», explique Alfredo Joignant.
« Au contraire, aujourd’hui, le débat constitutionnel est entré dans les maisons chiliennes. Lorsque les familles parlent de leurs droits sociaux, elles en viennent à évoquer la Constitution », poursuit le politologue. Les banderoles des manifestants et les murs des villes chiliennes sont couverts d’inscriptions appelant à l’adoption d’une nouvelle Constitution, qui garantisse notamment la gratuité de l’université, la fin du système des retraites par capitalisation individuelle et l’accès à la santé comme des droits fondamentaux.
Dimanche 10 novembre, le ministre de l’intérieur, Gonzalo Blumel, a annoncé que le gouvernement de Sebastian Piñera accepterait de débattre d’une nouvelle Constitution. Une première depuis le début du mouvement social, mi-octobre, et un premier pas fait en direction des manifestants.
Vers l’élaboration d’une nouvelle Constitution : les différents mécanismes envisagés
Une des options proposées sera celle d’une « Convention mixte », composée à 50 % de membres du Parlement chilien et à 50 % de délégués de la population, élus au suffrage universel.
Autre possibilité : la création d’une « Convention constituante », intégralement composée de citoyens chiliens élus pour rédiger le nouveau texte. C’est l’option que réclament de nombreux manifestants, car les membres du Congrès sont très critiqués au Chili, et même les partis d’opposition n’ont pas su récupérer et canaliser le mouvement social.
Pour Alfredo Joignant, « la droite est terrifiée par l’idée [d’une Convention constituante]. Elle a peur de perdre le modèle de développement chilien, et de perdre ses privilèges ».
Le futur texte devra recevoir l’aval des deux tiers de la Convention rédactrice et être approuvé par les Chiliens lors d’un référendum obligatoire.
Aude Villiers-Moriamé (Buenos Aires, correspondante)
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