dimanche, novembre 15, 2020

CHILI. LES CERVEAUX DU PUTSCH ÉTAIENT À WASHINGTON

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 PHOTO PICTURE ALLIANCE CNP

Une ONG états-unienne publie une nouvelle collection de documents inédits qui éclairent la stratégie de Richard Nixon et Henry Kissinger pour renverser Salvador Allende.

par  Rosa Moussaoui

FAC-SIMILÉ

Les menées de la CIA au Chili pour déstabiliser le gouvernement de l’Unité populaire et l’appui apporté par Washington aux hommes d’Augusto Pinochet pour renverser le président socialiste Salvador Allende, le 11 septembre 1973, sont connues depuis longtemps. Un an après le coup d’État, le New York Times publiait à la une l’enquête du journaliste d’investigation Seymour Hersh sur le rôle de l’administration Nixon dans l’instauration d’une dictature qui allait perpétuer son joug pendant dix-sept ans, au prix de milliers de morts et « disparus », de dizaines de milliers de torturés, de centaines de milliers d’exilés.


Le rôle clandestin des États-Unis au Chili

Le scandale provoqué par ces révélations devait ouvrir la voie à la première enquête du Congrès sur le rôle clandestin des États-Unis au Chili, le sénateur Frank Church, à la tête d’une commission spéciale, estimant à l’époque que « la nature et l’étendue du rôle américain dans le renversement d’un gouvernement chilien démocratiquement élu sont des sujets de préoccupation publique profonde et continue ». À l’origine d ’un rapport nourri d’auditions et de documents déclassifiés, «Covert Action in Chile, 1963-1973», la commission Church s’était pourtant heurtée au « privilège exécutif », l’administration de Gerald Ford ayant choisi de retenir une partie des documents de la Maison-Blanche relatifs à l’intervention américaine au Chili.

Icon Bullhorn  Lire les documents inédits publiés par le  National Security Archive

À l’occasion du 50 e anniversaire de l’investiture de Salvador Allende, la National Security Archive (Archive de la sécurité nationale), une ONG dédiée à la défense de la liberté d’informer, publie une nouvelle collection de documents inédits qui éclairent les détails des délibérations et des décisions prises à Washington dans les jours qui ont précédé et suivi l’entrée en fonction de Salvador Allende. Ces archives, issues des dossiers déclassifiés par les États-Unis après l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres, en 1998, finissent de ruiner le récit officiel réduisant le rôle de Washington à un soutien à l’opposition au nom de la «  préservation de la démocratie ».

« Si (Allende) montre qu’il peut mettre en place une politique marxiste anti-américaine, d’autres feront de même. » NIXON, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

Washington redoutait l’écho du socialisme démocratique incarné par Allende

Au cœur des conversations et réunions dont les minutes sont rendues publiques ici : la hantise de la contagion. Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, redoutent plus que tout de voir le socialisme démocratique incarné par Allende et ses alliés faire des émules en Amérique latine… et partout dans le monde. « Si (Allende) montre qu’il peut mettre en place une politique marxiste anti-américaine, d’autres feront de même », s’alarme le président américain dans une conversation téléphonique, en novembre 1970. Kissinger acquiesce : « Cela aura un effet même en Europe. Pas seulement en Amérique latine. »

Nixon sous l’influence de Kissinger 

Deux lignes s’affrontent toutefois dans un premier temps, Nixon penchant d’abord pour la stratégie du modus vivendi. Le département d’État craint un scandale international si les efforts pour renverser Allende sont révélés : il défend une politique prudente, consistant à soutenir les partis d’opposition en vue des élections de 1976. Le Bureau des affaires interaméricaines prédit de son côté une réaction patriotique favorable à Allende si les États-Unis venaient à violer au grand jour « le résultat des élections démocratiques ».

« Le Chili pourrait finir par être le pire échec de notre administration : notre Cuba en 1972 ». HENRY KISSINGER, CONSEILLER À LA SÉCURITÉ NATIONALE

Kissinger, lui, défend une approche beaucoup plus agressive, une stratégie d’hostilité et de pression visant le renversement du gouvernement d’Unité populaire. Décidé à faire valoir ses vues, il manœuvre pour faire reporter une réunion du Conseil de sécurité nationale consacrée au Chili. Objectif : rencontrer seul le président dans le bureau ovale pour le rallier à sa ligne dure. « Le Chili pourrait finir par être le pire échec de notre administration : notre Cuba en 1972 », prévient-il, en désignant l’éventuelle « réussite d’un gouvernement marxiste élu au Chili » comme une grave « menace pour l’équilibre global » et les intérêts américains. Son influence sera décisive.


Objectif : «démolir» Allende

Le Conseil de sécurité nationale se réunit finalement le lendemain de cette entrevue, le 6 novembre 1970. Peu de participants savent que Nixon a ordonné à la CIA de promouvoir secrètement – et sans succès – un « coup d’État préventif » pour empêcher Allende d’entrer au palais de la Moneda. Le secrétaire d’État William Rogers s’oppose au choix de l’agression pure et simple : « Nous pouvons peut-être le faire tomber sans être contre-productif », suggère-t-il. Le secrétaire à la Défense, Melvin Laird, estime au contraire qu’il ne faut reculer devant aucun procédé pour « démolir » Allende. Le directeur de la CIA, Richard Helms, attire, lui, l’attention sur l’équipe formée par Allende, « un cabinet militant » annonçant « la politique la plus radicale ». Nixon tranche : « S’il existe un moyen de renverser Allende, vous feriez mieux de le faire. »


Mémorandum secret et carte blanche à la CIA

Trois jours plus tard, Kissinger fait distribuer un mémorandum secret détaillant les méthodes qui seront utilisées pour anéantir une expérience démocratique de transformation sociale : Washington collaborera avec d’autres gouvernements de la région – en particulier le Brésil et l’Argentine – pour coordonner les efforts contre Allende ; les prêts bancaires multilatéraux au Chili seront discrètement bloqués ; des entreprises seront invitées à quitter le pays ; les cours du cuivre seront manipulés pour nuire à l’économie chilienne. La CIA, elle, a carte blanche pour élaborer des « plans d’action » préparant la chute de Salvador Allende. Dès l’automne 1970, dans les conclaves de Washington, la « préservation de la démocratie » prenait le visage d’une dictature militaire prête à semer la terreur et la mort.

États-Unis

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BENDER, RICHARD NIXON
 ET HENRY KISSINGER

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