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À partir de l’enlèvement d’une lycéenne, la série tisse une toile d’araignée visqueuse, faite de souvenirs de la dictature et d’aliénation numérique.
il flotte sur les huit épisodes de La Meute un nuage noir en la personne d’un général à la retraite. Luis Gnecco, que le public français avait découvert sous les traits de Pablo Neruda, dans le film que Pablo Larrain a consacré au poète, exprime en quelques rodomontades agrémentées de moues méprisantes tout le poids que l’institution militaire continue d’exercer sur une société qui n’a toujours pas liquidé les séquelles de la dictature, qu’elles soient institutionnelles, économiques ou éthiques.
Cette marque du passé n’empêche pas La Meute d’être une série tout à fait moderne. D’abord parce qu’elle offre un écho de fiction au très réel mouvement féministe qui a animé les rues de Santiago et des grandes villes du pays en 2020. Ensuite parce que ce noir récit fait autant appel aux usages de l’ère numérique qu’aux figures de la fiction adolescente – pour mieux les mettre au service d’une fiction aussi pertinente qu’excessive.
Dans un lycée – privé, catholique, élitiste – de Santiago, un professeur est accusé d’agression sexuelle par plusieurs élèves. Alors que la majorité des lycéennes manifeste pour obtenir le renvoi de l’enseignant, quelques garçons, beaux gosses, rugbymen entraînés par le prêtre qui dirige l’établissement, rêvent de la tranquillité que connurent leurs pères et grands-pères et œuvrent à sa restauration. Blanca, figure de proue du mouvement de contestation, est enlevée, sans que le rapt soit revendiqué. L’affaire est confiée à trois enquêtrices (Antonia Zegers, Daniela Vega – elle tenait le rôle-titre dans Une femme fantastique, de Sebastian Lelio – et Maria Gracia Omegna), qui découvrent vite que la victime avait été désignée à ses agresseurs par l’organisateur d’un jeu en ligne dit « Juego del lobo », « le jeu du loup ».
Alliance imprévue
Le trio se fraye péniblement un chemin dans un dédale infernal de complicités entre notables de toutes obédiences (ecclésiastique, militaire, industrielle, policière), d’indifférence générale face aux violences faites aux femmes, mais aussi d’une alliance imprévue entre des adolescents séduisants et débordants de testostérone, et une poignée de leurs aînés mus par un ressentiment à l’égard de tout ce qui n’est pas leur genre, des « incels » (célibataires misogynes), en bref.
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La réalisatrice argentine Lucia Puenzo, autrice d’un film très angoissant – Wakolda –, qui racontait l’irruption d’un mystérieux médecin allemand dans la vie d’une petite Argentine, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a rejoint les créateurs chiliens de La Meute, Sergio Castro et Enrique Videla pour parfaire le scénario et mettre en scène le pilote de la série. C’est probablement elle qui insuffle cette sombre énergie à ces quelques heures d’angoisse. La mise en scène (à laquelle ont également contribué Nicolas Puenzo, Sergio Castro et Marialy Rivas) contemple de très haut le paysage urbain de Santiago, se glisse à la manière d’un espion dans les intérieurs glacés de la grande bourgeoisie, n’hésite pas à choquer par le spectacle de la violence, au risque parfois de la complaisance.
Malgré ces dérapages, La Meute parvient à tenir sa ligne : la mise en scène d’un jeu qui échappe même à ses concepteurs, pour créer une toile d’araignée visqueuse faite de pulsions multiséculaires et de technologies vieilles de quelques mois, de structures ancestrales qui doivent sans cesse se renouveler pour maintenir leur emprise.
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La Meute, série créée par Sergio Castro, Enrique Videla et Lucia Puenzo. Avec Antonia Zegers, Daniela Vega, Paula Luchsinger, Alfredo Castro (Chili, 2020, 8 x 45 min). Chaque jeudi à 20 h 55 du 24 juin au 8 juillet et en intégralité sur Arte.tv jusqu’au 23 juillet.
Thomas Sotinel