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PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE » FACTUEL Nombre de pasteurs fondamentalistes mènent campagne pour la réélection du président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, en déversant des flots de fausses informations qui n’épargnent pas son adversaire de gauche, ni même l’Église catholique.
Par Anne Vigna (Rio de Janeiro, correspondance)
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Une soixantaine de fidèles prient, genoux au sol, ce mardi 18 octobre au soir, devant une image de l’esplanade des Mosquées de Jérusalem surmontée du nom de Jésus en lettres bleues lumineuses. Le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu, dans la favela de Fallet, au centre de Rio de Janeiro, est situé en haut d’une ruelle sombre. À l’entrée, les trafiquants continuent leur manège, emballant à plusieurs la drogue dans des sachets. « Ils ne nous gênent pas, au contraire, cette proximité leur permet d’entendre la parole de Dieu », dit le pasteur Moisés Virtuoso, qui préside cette petite assemblée.
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Cette réaction pourrait laisser présager qu’il s’agit d’un culte progressiste. Pourtant, après les chants d’introduction, le prêche dévie vite de la lecture biblique vers la politique. Le sourire du pasteur s’évanouit et le ton prend des accents dramatiques : «Ceux qui veulent fermer les églises, qui défendent l’avortement, ne sont pas croyants ! » Le nom de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva n’est jamais prononcé, mais tout le monde a bien compris qu’il est le mécréant en question. Et le pasteur de vociférer, en levant sa bible au ciel : « L’idéologie de genre, non ! S’ils ferment les églises, mes frères, nous irons prêcher dans la rue, mais dès aujourd’hui nous devons combattre de toutes nos forces un tel projet. » Entendez : il faut voter pour l’actuel chef de l’État, Jair Bolsonaro, dimanche 30 octobre, lors du second tour du scrutin présidentiel.
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Un pasteur prie dans le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu, dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022.
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Des femmes prient dans le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022. L’Assemblée de Dieu est la plus grande dénomination évangélique du Brésil, répartie dans tout le pays. Son chef a ouvertement déclaré son soutien à la réélection de Jair Bolsonaro à la présidence du pays.
Les fidèles montrent pourtant toutes les caractéristiques des électeurs de l’ancien président Lula : une assemblée majoritairement féminine, noire et pauvre, qui subit la violence des opérations policières que le président d’extrême droite a toujours défendues. « Lula, on ne le voit jamais à l’église », dit l’une ; « c’est quand même Bolsonaro qui défend la famille », ajoute une autre. Elles voteront bien pour le président sortant.
Ont-elles vu la récente déclaration du président sortant sur son attirance pour des jeunes filles de 14 ans et qui a fait scandale au Brésil ? Elles nient et assurent ne rien avoir reçu sur leur principal canal d’information : le groupe WhatsApp de l’Assemblée, où le pasteur Moisés envoie pourtant beaucoup de vidéos en lien avec la politique. Ce dernier connaît bien l’épisode, mais il le balaie d’un revers de la main : «C’est un malentendu de la part du président, car le vrai ennemi des chrétiens est bien Lula, et le mot ennemi n’est pas trop fort », assène-t-il, en élevant légèrement la voix vers les frères qui rangent l’autel.
« Satan veut détruire notre nation »
L’Assemblée de Dieu de Fallet rejoint donc la cohorte de temples évangéliques qui sont désormais en « guerre spirituelle », comme le répète tous les jours la première dame du Brésil, Michelle Bolsonaro. Au côté de la pasteur fondamentaliste et ancienne ministre de la famille Damares Alves, l’épouse du président voyage dans tout le pays pour ce second tour ; elle anime jusqu’à trois cultes par jour, avec un discours à la fois belliqueux et doucereux. Le 20 octobre, à Rio de Janeiro, devant six mille fidèles réunis dans le gigantesque temple de son ami le pasteur Silas Malafaia, Michelle décrit à nouveau « une guerre spirituelle, une lutte contre le mal, contre Satan qui veut détruire notre nation. Malheureusement, beaucoup de chrétiens ne le comprennent pas, mais le Brésil est la dernière barrière contre le communisme ». Et d’une voix apaisée, elle ajoute : « Ne regardez pas mon mari, tournez plutôt votre regard vers moi qui suis une servante du Seigneur. » A Michelle Bolsonaro, la bonté et le rôle d’adoucir l’image d’un mari rustre ; à Damares Alves, le langage cru et la mission d’insuffler la peur et l’effroi.
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Détail de la Bible pentecôtiste de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022. Le mouvement pentecôtiste est très important au Brésil.
Ainsi, le 8 octobre, l’ancienne ministre de la famille a prétendu en plein culte détenir « des images de nos enfants, âgés de 4 ans, à qui on arrache les dents pour qu’ils ne mordent pas pendant le sexe oral et qui mangent des aliments pâteux afin que leurs intestins soient libres pour le sexe anal ». Alors que le parquet fédéral lançait une enquête devant la gravité des accusations, la ministre a finalement reconnu que ses « sources » venaient de « conversations avec le peuple dans la rue ». Mais cela n’a en rien diminué les « dangers moraux » que la sénatrice, élue aux élections parlementaires du 2 octobre, dépeint à chaque culte si la gauche reprenait le pouvoir.
« Ces multiples manipulations ont provoqué un nombre record d’incidents dans les temples. Pour un croyant, le pasteur est le représentant de Dieu sur terre et son rôle est d’orienter, donc sa parole compte beaucoup, explique la chercheuse à l’Institut d’études sur les religions Christina Vital da Cunha. Or, en ce moment, les pasteurs sont devenus des auxiliaires de l’extrême droite, relayent leurs “fake news”, condamnent les fidèles qui ne suivent pas leur ligne, expulsent d’autres pasteurs, c’est du jamais-vu. »
La campagne de Lula semble dépassée
L’Eglise catholique n’est pas épargnée par cette « guerre » pendant cette campagne de l’entre-deux-tours. Des militants bolsonaristes ont interrompu des prêtres durant la messe en raison de leurs prêches jugés trop progressistes et ont traité le très conservateur cardinal de Sao Paulo de « communiste » sur les réseaux sociaux parce qu’il portait son vêtement liturgique rouge. Le 12 octobre, jour de la fête de Notre-Dame d’Aparecida, sainte patronne du Brésil, le président sortant s’est imposé pendant la messe, comme il l’avait fait lors d’une procession catholique à Belem. L’homélie de l’archevêque de la basilique d’Aparecida, Dom Orlando Brandes, qui a lancé qu’« une patrie aimée ne peut pas être une patrie armée », a déchaîné ses partisans, qui ont agressé en sortant les journalistes de la TV Aparecida.
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Pâmella Campos, une influenceuse évangélique de gauche, regarde une vidéo sur TikTok lors d’une réunion du groupe Nouvelles narratives évangéliques, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 16 octobre 2022.
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Un homme chante lors d’une célébration au temple évangélique de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022.
La campagne de Lula semble totalement dépassée par le tsunami de fausses informations divulguées dans les cultes, puis reprises sur les réseaux sociaux de « pasteurs-chanteurs de gospel » qui affichent des millions d’abonnés. Selon les derniers sondages, l’ancien président a encore perdu des intentions de vote chez les évangéliques, et ce malgré la publication d’une lettre à leur attention le 19 octobre, dans laquelle le leader de la gauche s’engage à « défendre les familles pour éloigner les jeunes des drogues », se déclare « opposé à l’avortement » et promet de respecter la foi religieuse en soulignant « le travail social fondamental fait par les églises ». Mais le geste de Lula a été fait tardivement et à reculons : il n’a pas lu la lettre, et a maladroitement laissé cette tâche non pas à un évangélique, mais à l’ancien ministre Gilberto Carvalho, qui fut séminariste catholique.
Le groupe Nouvelles narratives évangéliques, qui rassemble des collectifs d’évangéliques progressistes, n’a pas attendu cette lettre pour s’opposer sur les réseaux sociaux à ce qu’il nomme le « christo-fascisme ». En ce dimanche 16 octobre ensoleillé, une dizaine de jeunes adultes pianotent frénétiquement sur leurs ordinateurs derrière les volets clos d’un appartement du centre de Rio de Janeiro. Ils produisent des vidéos courtes, à partir de leurs propres expériences de croyants évangéliques rejetés dans leurs églises pour leurs idées politiques. « On déconstruit le christo-fascisme avec les mêmes outils que les influenceurs d’extrême droite, mais en utilisant l’humour et l’argumentation. On se refuse à alimenter cette guerre », explique Pâmella Campos, 24 ans, piercing au nez et tiktokeuse évangélique.
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Une femme avec un tatouage représentant la justice prie dans l’église progressiste Batista do Caminho, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 16 octobre 2022.
Des membres du groupe Nouvelles narratives évangéliques discutent, le 16 octobre 2022 à Rio de Janeiro, de leur stratégie sur les réseaux sociaux en vue du second tour de l’élection présidentielle brésilienne.
Tous sont conscients de la force de frappe des évangéliques conservateurs, mais ils pensent avoir eux aussi une influence en soulignant leurs contradictions : « L’intolérance et la stigmatisation qu’ils pratiquent vont se retourner contre eux. Car ils s’éloignent toujours plus de la parole de Dieu et les chrétiens ne pourront, à la fin, que s’en rendre compte », se persuade la pasteur baptiste Priscilla Reis. Mais peut-être pas avant le 30 octobre, jour de l’élection.
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