jeudi, janvier 23, 2025

SOUS L'ÈRE MILEI, L'ARGENTINE FAIT SES COURSES AU CHILI POUR FUIR LA HAUSSE DES PRIX

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LES ARGENTINS ACHÈTENT MASSIVEMENT AU CHILI, AIDÉ
PAR UNE CONVERTIBILITÉ QUASI SEMBLABLE AU DOLLAR.
LE BILLET VERT ÉQUIVAUT À 1.046 POUR LE PESO ARGENTIN
 ET 998 POUR LE PESO CHILIEN. (GETTY IMAGES)

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Les Echos
Reportage / Sous l'ère Milei, l'Argentine fait ses courses au Chili pour fuir la hausse des prix / Des groupes entiers d'Argentins traversent la frontière chilienne tous les jours en quête de bonnes affaires. En 2024, ils étaient près de 2 millions à se rendre au Chili afin d'acheter des produits devenus beaucoup trop chers dans l'Argentine de Javier Milei.

Par Marion Torquebiau

Publié le 23 janv. 2025 à 12:34

«LES FAKE NEWS D'AYUSO /
 LA TRONÇONNEUSE DE MILEI»
DESSIN D'ENEKO

Dans les escalators du Costanera Center, plus haute tour d'Amérique du Sud et plus grand centre commercial de Santiago du Chili, ils sont facilement reconnaissables. Parmi les clients chiliens venus profiter de la climatisation en plein été austral circulent des groupes entiers d'Argentins équipés de grands sacs à dos et de valises vides. « Depuis Noël, on en voit débarquer des centaines », détaille cette vendeuse d'une enseigne de parfums.

« Et si tu frappais avant d'entrer, mec ?
Oups, désolé mec !  Bonne année ! »
DESSIN SERGIO LANGER
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Dans les couloirs aseptisés du centre commercial, des couples, des groupes d'amis, des familles entières venus d'Argentine sillonnent les quelque 300 enseignes à la recherche de bonnes affaires. « On est arrivés hier à l'aéroport de Santiago et on repart dans deux jours », explique Karen, 26 ans, avocate originaire de Buenos Aires. Un voyage express de quatre jours avec sa mère, non pas pour visiter le Chili mais pour profiter des prix bas.

À la recherche de bonnes affaires

« En Argentine, tout est beaucoup trop cher, c'est parfois du simple au double. Par exemple, je viens d'acheter ces chaussures neuves, ici elles sont à 50.000 pesos argentins, contre 100.000 dans mon pays », explique la jeune Argentine, le sac rempli de dizaine de vêtements. Sur les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram, des dizaines d'Argentins expliquent à leur communauté comment ils ont réussi à acheter au Chili des produits largement moins chers qu'en Argentine.

Ce qui est vrai pour les chaussures est le cas pour des centaines d'autres produits, notamment multimédias. Par exemple, un iPhone 16 vaut 2,5 millions de pesos argentins (soit 2.388 dollars), contre 1,3 million de pesos argentins au Chili. Le différentiel se vérifie également sur des produits du quotidien typiquement argentins comme la bière Quilmes à la couleur du drapeau qui se vend 1.900 pesos argentins (1,82 dollar) dans son pays d'origine, contre 540 pesos argentins au Chili.

Perte de pouvoir d'achat

Pour expliquer cette différence de prix, il faut revenir sur les derniers chiffres de l'inflation en Argentine. Malgré une baisse ces derniers mois, la hausse des prix s'est élevée à 117,8 % en niveau annuel en 2024 - contre 211,4 % en 2023. Une inflation qui n'a presque pas été compensée par la hausse des salaires et a fait passer la moitié de la population sous le seuil de pauvreté.

Selon le centre de recherche Fundar, après la dévaluation du peso décidée par le président Javier Milei en décembre 2023, la perte de pouvoir d'achat a représenté la plus forte baisse mensuelle des trente dernières années. Par ailleurs, les prix élevés s'expliquent également par les restrictions de change toujours en vigueur dans le pays et qui augmentent le prix des importations.

Forte consommation

De l'autre côté de la cordillère des Andes, les conditions sont au contraire propices à la consommation. Union européenne, États-Unis, Chine… le Chili a établi des accords commerciaux avec de nombreuses zones, ce qui lui a permis de réduire le coût de ses importations. De plus, le pays gouverné par le socialiste Gabriel Boric cherche à faire approuver une loi visant à exempter les touristes du paiement de la TVA nationale lorsqu'ils achètent des produits au Chili.

Résultat, selon la Chambre nationale du commerce des services et du tourisme du Chili, entre janvier et octobre 2024, environ 1,5 million d'Argentins sont entrés dans le pays exclusivement pour acheter, ce qui représente une augmentation de 60 % par rapport à 2023.

« Bien que les touristes argentins aient une dépense quotidienne moyenne inférieure à celle d'autres visiteurs de la région, comme les Brésiliens, le grand nombre de personnes qui viennent dans le pays stimule la demande et les revenus dans le secteur, en particulier dans le commerce », selon Monica Zalaquett, présidente exécutive de la Fédération des entreprises touristiques du Chili, dans un entretien avec le journal « Ciper ».

Tourisme commercial

« Cela stimule également les économies locales des destinations où arrivent la plupart des Argentins », ajoute-t-elle. Outre les centres commerciaux de la capitale, depuis le mois de décembre, les plaques d'immatriculation des voitures argentines sont légion dans les régions touristiques du Chili comme le désert d'Atacama ou la Patagonie. Sur le Paso Los Libertadores entre Mendoza et Santiago - un des 26 points de passage sur les 5.308 kilomètres de frontière entre le Chili et l'Argentine - les files d'attente quotidiennes sont interminables. Selon les médias locaux, ces dernières semaines, près de 14 heures d'attente ont été enregistrées pour entrer au Chili.

UNE FILE DE BUS ATTEND À LA FRONTIÈRE DU PASO LOS LIBERTADORES
 ENTRE MENDOZA EN ARGENTINE ET SANTIAGO AU CHILI.
PHOTO MAÏEUL ROLLAND DE RAVEL

Une fois la frontière traversée, les Argentins se rendent principalement sur la côte Pacifique, dans la station balnéaire de Viña del Mar, devenue la nouvelle Miami latino-américaine. Selon Rodrigo Rozas, président de la Chambre de tourisme de Viña del Mar, « cette réactivation était attendue depuis longtemps par l'ensemble de notre industrie, et les raisons sont claires : le taux de change et le fait que le Chili reste une destination privilégiée ».

En tout, « les Argentins représentent 45 % du total des touristes étrangers qui arriveront au Chili entre janvier et février », estime Monica Zalaquett. Une vraie manne pour le Chili, qui essaie massivement de relancer son potentiel touristique. En 2024, le pays a reçu plus de 5 millions de visiteurs, un record depuis la pandémie.


Marion Torquebiau (Correspondante au Chili)

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DES MAGASINS DANS LE CENTRE
DE SANTIAGO DU CHILI, EN 2019.
 © FLICKR CC BY NC 2.0 ALF IGEL