C’est l’une des promesses phares de la présidente Michelle Bachelet : réformer le système électoral chilien, qui fausse la représentation politique du pays, et exclu les petits partis. Mais cette promesse semble difficile à concrétiser dans les faits, tant l’ancien dictateur Augusto Pinochet a rendu compliquée toute modification de la Constitution.
Héritage de la dictature, le système binominal est imposé par la constitution de 1980, rédigée par Pinochet lui-même. Notons qu’à cette époque, il n’y avait au Chili aucune vie politique et démocratique, et encore moins d’élections.
Augusto Pinochet, sachant que son « Gouvernement militaire » ne serait pas éternel, s’est assuré que plus aucun mouvement du type de l’Unité Populaire d’Allende ne se reproduirait, en créant un système politique qui, s’il a le goût, l’aspect et l’odeur d’une démocratie, s’apparente à une véritable arnaque pour les citoyens chiliens. En effet, la vie politique chilienne s’articule principalement autour d’un parti, centriste, la Démocratie Chrétienne (DC), qui l’orchestre depuis plus de 50 ans. Elle fait le jeu de la droite (comme sous le gouvernement d’Allende) ou de la gauche (comme depuis 1990, et la naissance de la Concertation, coalition regroupant le centre et gauche réformiste).
Ni la droite ni la gauche ne peuvent, depuis le retour de la démocratie en 1990, gouverner sans la DC, car la constitution de 1980 a institué un second tour lors de l’élection présidentielle qui n’existait pas avant le coup d’Etat. Auparavant, le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour était élu, une fois sa victoire ratifiée par le Congrès.
L’idée sous jacente des militaires au pouvoir était d’isoler les partis progressistes (PS, PC et Radicaux) de leur centre marxiste, de les marginaliser, afin de les obliger à chercher des alliances au centre, les rapprochant de la Démocratie Chrétienne, mère politique du pays. C’était l’une des manières d’étouffer tout mouvement à tendance marxisante ou révolutionnaire, après avoir assassiné, torturé et poussé à l’exil ses militants (3000 morts, 30 000 torturés, un million au moins d’exilés).
La particularité du système électoral chilien réside dans le fait que si deux candidats sont élus par circonscription, l’électeur, lui, ne dispose que d’un seul vote. Prenons ainsi l’exemple d’une circonscription lors des dernières élections parlementaires, dont les résultats sont très proches des résultats nationaux :
Parti Communiste 5%
Parti Socialiste / Parti Pour la Démocratie / Radicaux 25%
Démocratie Chrétienne 30%
Union Démocratique Indépendante 21%
Rénovation Nationale 19%
Ce qui aboutit à des coalitions :
- Concertation (DC + PS/PPD/PRG) 55%
- Aliance (UDI + RN) 40%
Pourquoi ? Parce que pour gagner les deux postes en jeu lors de l’élection, il faut «doubler» le score de l’adversaire. Pour emporter les deux postes de députés, l’un des blocs doit donc réaliser au moins 66,6% des suffrages. Il s’agit d’un concept d’une ingéniosité remarquable qui permet de contourner le jeu démocratique. Pour modifier la constitution de 1980, et donc le système électoral, il est nécessaire de bénéficier des 7/9e des votes du Congrès, ce qui est quasiment impossible à obtenir tant que le binominal est en vigueur. Cercle vicieux ? Peut-être pas.
Michelle Bachelet dispose d’une carte à jouer : le plébiscite. C’est d’ailleurs le chemin qu’elle semble vouloir emprunter pour mener à bien cette refonte de la Constitution. Cependant, si le chef de l’Etat dispose de l’initiative pour proposer un referendum, celui-ci doit être validé par les deux chambres qui peuvent le modifier. Comme les 7/9e des votes du Congrès sont nécessaires pour valider le referendum avant de le soumettre au peuple chilien autant dire que c’est loin d’être gagné...
Thomas HUCHON