Face aux progrès exponentiels des neurotechnologies, le Chili légifère afin de protéger les données cérébrales de sa population. Une première mondiale.
par Alan LOQUET, correspondant.
NEURALINK |
Protéger pour éviter qu’un jour les cerveaux des Chiliens ne soient hackés et manipulés. Ces mots ne sont pas ceux d’un auteur de science-fiction, mais de Guido Girardi, sénateur de centre gauche
Le Chili, pionnier des « neurosdroits »
Mardi 15 décembre 2020, le parlementaire a présenté devant le Congrès deux propositions de loi qui feront du Chili le pionnier mondial des « neurodroits ». Il s’agit de garantir les droits fondamentaux de la population devant l’expansion des neurotechnologies.
D’un côté, nous allons inclure le principe d’identité mentale dans la Constitution, poursuit le sénateur. De l’autre, nous inscrirons dans la loi l’impossibilité de collecter les données cérébrales, de surveiller et modifier le fonctionnement du cerveau sans le consentement de la personne.
L’application des neurosciences a depuis longtemps dépassé le champ médical. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est utilisée depuis des décennies par la justice américaine pour déterminer la responsabilité d’un accusé. Le marketing, l’armée, la politique ou encore l’éducation s’appuient aussi sur ces techniques.Il devient indispensable de réguler ces usages, notamment ceux comprenant une interface cerveau machine , ajoute Pedro Maldonado, directeur du département de neurosciences à l’Université du Chili.
Implant cérébral et écriture par la pensée
Les enjeux financiers des entreprises de neurotechnologie sont colossaux. Facebook conçoit un bracelet pour contrôler un ordinateur ou écrire un texto par la pensée. À travers sa start-up Neuralink, le fantasque Elon Musk mise, lui, sur un implant cérébral pour redonner parole et mobilité aux personnes paralysées. En Chine, des entreprises ont équipé, avec l’accord du gouvernement central, leurs ouvriers de casques munis de capteurs pour évaluer leur état émotionnel et améliorer la productivité.
Dans cinq à dix ans, il sera possible de déchiffrer la pensée et bientôt de la manipuler, prédit Rafael Yuste, chercheur à l’université Columbia, à New York, et proche du sénateur Guido Girardi. Il est urgent d’éviter de possibles dérives de la part d’entreprises voire de certains États.
Avant de conseiller les législateurs chiliens, ce neurobiologiste espagnol a été à l’origine du projet Brain, lancé en 2013 sous Barack Obama : doté d’un budget de 6 milliards de dollars, il ambitionne de réaliser une carte détaillée de l’activité cérébrale et d’être capable de la modifier.
Nous avons raté le train de la protection des données personnelles sur Internet et celui des données cérébrales est sur le point de quitter la gare, poursuit Rafael Yuste, proche de Facebook et de l’équipe de Joe Biden, le prochain président américain. L’Espagne devrait s’inscrire prochainement dans les pas du Chili, qui ouvre la voie sur ce sujet représentant un défi pour l’humanité. Et ce n’est pas de la science-fiction.