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AFFICHE DU FILM |
Nous sommes à Santiago du Chili, dans le milieu des années 1980, en pleine dictature militaire. Le réalisateur Rodrigo Sepulveda met en scène une histoire d'amour baroque entre un travesti interprété par Alfredo Castro et un jeune révolutionnaire, Carlos. Un film sensible, politique aussi et une nouvelle épiphanie pour le comédien chilien. / «CE N'EST QUE DU CINÉMA»
RÉFÉRENDUM DU 4S 2022 « J'APPROUVE » |
alfredo Castro est La loca del frente, la folle d'en face de la petite épicerie de doña Olguita, dans une ruelle sombre où les maisons tiennent debout par miracle, soutenues par de fragiles étais de bois. Il vit dans une demeure qui fut bourgeoise, mais est désormais aussi déglinguée que les autres, fissurée de partout, aux murs tristes et au pauvre mobilier. Un cadre à l'image d'un pays, le Chili qui vit sous la menace des sbires du dictateur Augusto Pinochet, et des violents séismes. Nous sommes dans les années 1980, la rue est agitée de manifestations contre le tyran mais la loca del frente se tient à l'écart de cette agitation. Elle vit dans son monde, celui des travestis, des cabarets, de la musique des années 1930-50, des chiffons colorés, des passes dans un cinéma « pour adultes », du « show ».
Romantisme et politique conjugués au présent
RÉFÉRENDUM DU 4S 2022 « J'APPROUVE » |
Un univers baroque dans lequel Alfredo Castro excelle, lui qui aime que le cinéma conjugue émotion et politique. Récompensé par le prix du meilleur acteur pour son interprétation au festival du film de Guadalajara, il habite littéralement ce personnage aux mèches rousses mal peignées et aux vêtements troués, capable de se transformer en vamp à capeline d'un tour de cape de toréador. Le regard las souligné d'un crayon bleu, la lippe boudeuse ou gourmande selon l'humeur, et les rides fatiguées du vieux travesti se métamorphosent quand le « show » commence : « la réalité me fait peur, je préfère le monde de la nuit, de la scène », confie la loca.
Elle tombe amoureuse de Carlos, un beau jeune Mexicain qui lui demande de garder chez elle de mystérieuses caisses. « Je serai 'la doña', et toi tu seras mon Pedro Negrete », taquine la loca, clin d'oeil à Maria Felix, « la doña » et aux comédiens Jorge Negrete et Pedro Infante qui partagèrent avec elle les affiches de l'âge d'or du cinéma mexicain... Avec Carlos, la loca sort de la nuit, de l'ombre de l'appartement lépreux pour trouver le soleil à l'occasion d'un pique-nique, d'une fête d'anniversaire aux murs pavoisés de drapeaux cubain, mexicain et chilien. La loca s'engage et le soleil entre dans la maison.
Operación Siglo XX
Le comédien mexicain Leonardo Ortisgriz est Carlos, jeune révolutionnaire arrivé de Cuba pour soutenir la guérilla du Front patriotique Manuel Rodriguez qui commettra un attentat - Opération Siglo XX, resté dans les annales parce qu'il faillit réussir - contre Augusto Pinochet en septembre 1986. Entre les deux personnages s'établit une relation paradoxale - l'un aimerait de l'amour quand l'autre ne veut offrir que son amitié - avec de belles séquences de complicité et de jeu quand Carlos se laisse entraîner dans les shows de la loca sur Tengo miedo torero, un tube de Lola Flores. Tout autant que les foulards colorés et nappes que brode la loca pour le compte de femmes de généraux putschistes, la musique participe de l'ambiance baroque du film, baroque comme son principal personnage.
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JE TREMBLE, Ô MATADOR (TENGO MIEDO TORERO) - BANDE ANNONCE
« Il n'y a pas de communiste homo »
« La vie me devra l'histoire d'amour qu'elle a inventée pour tous les autres ». Adapté d'une œuvre de Pedro Lemebel, le film - découvert à Cinélatino de Toulouse l'an passé où il a remporté plusieurs prix - et ses personnages interrogent aussi sur la place de la différence - par rapport à la norme sexuelle en l'occurrence - dans le monde merveilleux promis par Carlos le militant communiste, qui doute de sa sexualité.
« Tous les mêmes, il n'y a pas plus de place pour les folles dans ton monde que dans celui-ci », rétorque La Loca. « On s'en fout de qui nous gouverne, militaires ou communistes, pour eux on ne sera jamais qu'une bande de tafioles ! Si un jour il y a une révolution qui inclut les folles, fais-moi signe... J'en serai et au premier rang ». Pedro Lemebel a été « un auteur et un activiste gay LGBTQI extrêmement puissant et courageux », explique Alfredo Castro qui a connu l'écrivain et raconte qu'il y a une quinzaine d'années celui-ci lui avait confié le rôle de La Loca. Lemebel était un rebelle qui se maquillait et portait des talons hauts et faisait de ces provocations dans le Chili machiste et conservateur une arme politique.
« Le fait est que Lemebel a été très malmené par la droite, bien entendu, mais également par la gauche chilienne. Dans le film, raconte le comédien qui a participé à l'écriture du rôle et du scénario, il y a quelques passages de textes que j’ai extraits, avec l’accord du réalisateur, de certains livres de Lemebel et qui retracent son attitude vis-à-vis de la gauche chilienne, dont il a été très critique. » La première fois que Pedro Lemebel a porté des talons hauts, raconte encore Alfredo Castro, c'est en 1986, à l'occasion d'une réunion de militants de gauche. L'écrivain a lu son manifeste Je parle de/du point de vue ma différence, devant une assemblée médusée. Le film témoigne de cet abîme aussi.
La vie pour certains est comme le combat d'un torero, seul dans l'arène. Et ce film est une nouvelle fois l'occasion d'une magnifique épiphanie pour Alfredo Castro.
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RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION lLE 4S 2022 « J'APPROUVE » |