vendredi, juillet 14, 2023

LA PRISE DE LA BASTILLE : LE RÉCIT HEURE PAR HEURE

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LA PRISE DE LA BASTILLE,
DESSIN DE JEAN-PIERRE-LOUIS-LAURENT HOUËL, 1789

À partir du 17 juillet 1789, La Gazette nationale publie le compte rendu détaillé de la journée du 14. Racontée de façon épique, la prise de la Bastille devient le grand événement inaugural de la Révolution.

par Pierre Ancery

PRISE DE LA BASTILLE ET ARRESTATION
DU GOUVERNEUR M. DE LAUNAY,
LE 14 JUILLET 1789.

14 juillet 1789 : sans doute la date la plus connue de toute l'histoire de France. Une journée qui prendra rapidement une ampleur mythique dans l'imaginaire français, et dont la chronologie est très tôt rédigée par ceux qui l'ont vécue.

C'est le cas du rédacteur anonyme de La Gazette Nationale qui, dès le 17 juillet 1789, commence un récit extrêmement développé des événements survenus trois jours auparavant, sous le titre de « Détails des circonstances qui ont amené la prise de la Bastille, et relation de cet événement ».

Le ton, plein de bruit et de fureur, est à la fois épique et virulent. Ce récit, parmi d'autres, va contribuer à donner une charge symbolique très forte à la victoire des révoltés.

Le journal commence par raconter la rumeur qui, dans la journée du 14, court dans la capitale, et qui sera à l'origine de la prise de la Bastille : l'auteur du récit lui donne crédit. D'après cette rumeur, Louis XVI s'apprêterait à disperser par la force les députés réunis à Versailles et des troupes seraient même massées aux portes de Paris pour y pénétrer. 

« L'Assemblée nationale devait être dispersée, ses arrêtés déclarés séditieux, ses membres proscrits, le Palais-Royal et les maisons des patriotes livrés au pillage, les électeurs et les députés aux bourreaux. Tout était prêt pour consommer ce crime. Des brigands armés de haches, de torches et de poignards, attendaient leur proie ; la Bastille et les gibets, leurs victimes.

La nuit du 14 au 15 juillet avait été fixée, dit-on, pour l'invasion de Paris [...]. Six mille brigands auraient parcouru la ville, forçant et bouleversant les maisons des bons citoyens, et le pillage du Palais-Royal aurait été la récompense des hussards [...].

Le lendemain matin, le roi se serait transporté à l'Assemblée nationale pour la dissoudre, et les satellites de la tyrannie auraient chargé de fers les défenseurs de la liberté.

Tel est l'horrible tissu de forfaits, de brigandages et d'assassinats qu'une troupe de scélérats et de femmes perdues méditaient avec une joie barbare dans le tumulte de leurs exécrables orgies, pour forcer Paris à capituler avec la tyrannie. »

Dès que cette rumeur se répand, des milliers de Parisiens en colère se rassemblent vers l'hôpital des Invalides, où ils se munissent de fusils. Puis ils marchent sur la prison de la Bastille, censée contenir de la poudre.

« Un nombre assez considérable de citoyens vint alors se présenter devant la Bastille pour demander des armes et des munitions de guerre. Comme ils étaient la plupart sans défense, et n'annonçaient aucune intention hostile, M. de Launay les accueille, et fait baisser le premier pont-levis pour les recevoir.

Les plus déterminés s'avancent pour lui faire part du motif de leur mission. Mais à peine sont-ils entrés dans la première cour, que le pont se relève, et qu'un feu roulant de mousqueterie et d'artillerie fait mordre la poussière à une partie de ces infortunés qui ne peuvent ni se défendre ni se sauver. Ceux qui les attendaient au-dehors, révoltés d'une si lâche perfidie, courent sur-le-champ à l'Hôtel de Ville rendre compte et demander vengeance de cette barbarie.

Mais bientôt une immense multitude armée de fusils, de sabres, d'épées, de haches, se précipite dans les cours extérieures en criant : “La bastille , la bastille ; en bas la troupe”, s'adressant aux soldats placés sur les tours. »

C'est le début de l'attaque :

« La foule des assaillants augmente de moment en moment ; elle se grossit de citoyens de tout âge, de tout sexe, de toutes conditions, d'officiers, de soldats, de pompiers, de femmes, d'abbés, d'artisans, de journaliers, la plupart sans armes, et rassemblés confusément ; tous mus par une impulsion commune, s'élancent des différents quartiers de Paris et se précipitent par cent chemins divers, à la Bastille.

Le faubourg Saint- Antoine, placé sous l'artillerie du fort, plus animé encore en raison de sa proximité, y afflue tout entier. On y voit aussi accourir des gens de la campagne, des étrangers et des guerriers récemment arrivés de différents pays.

Un jeune Grec, sujet du grand-seigneur, y contemple notre enthousiasme, et en revient Français. »

La petite garnison de la forteresse succombe à la panique : elle comprend qu'elle ne pourra pas résister à la foule. Le gouverneur de la Bastille se sait perdu.

« Incertain et flottant entre la crainte et l'espérance, il prit le parti le plus dangereux de tous, celui de n’en prendre aucun ; celui des âmes faibles qui, dans des crises orageuses, paraissent poussés par une force irrésistible vers la catastrophe qu’ils cherchent le plus à éviter [...].

Enfin, il s'adresse à la garnison, et lui demande s’il ne vaut pas mieux se faire sauter, que de s'exposer à être égorgés par le Peuple, à la fureur duquel on ne pouvait plus se promettre d’échapper.

“Remontons, dit-il, sur les tours ; et s’il faut mourir, rendons notre mort funeste à nos ennemis ; écrasons-les sous les débris de la Bastille.”

Mais les soldats lui répondent qu’ils aiment mieux mourir que de faire périr un si grand nombre de leurs concitoyens, et qu'une plus longue résistance étant désormais impossible, il faut faire monter le tambour sur la plate-forme pour rappeler, arborer un drapeau blanc et capituler. »

Mais les soldats seront tous massacrés. Quant au gouverneur, on arbore sa tête au bout d'une pique. La forteresse est prise.

« Le plus grand nombre parcourait en tumulte les prisons, descendait dans les cachots, en ébranlait avec fracas les doubles, les triples portes ferrés, aussi épaisses que les portes extérieures des citadelles, et forçait à coups redoublés ces froides catacombes enveloppées des ténèbres et du silence de la mort ; car dans l’ivresse de la victoire, on avait oublié les malheureux enfermés dans la forteresse, et l’on portait en triomphe les clefs des verrous sous lesquels il gémissaient.

Tandis que tout était en combustion depuis le comble jusqu’au fond des cachots, l’or, l’argent, les archives étaient au pillage. Tout est ravagé, dévasté : une foule de documents, de manuscrits, de registres sont jetés des tours dans les fossés, dans les cours, dispersés, foulés, égarés, et tombent entre les premières mains qui veulent les ramasser. »

L'événement, d'une importance militaire relative, aura des répercussions incomparables sur le plan politique et symbolique : il marque l'effondrement de l'administration royale et le basculement du pays derrière les Constituants.

Depuis, le 14 juillet 1789 est considéré comme l'événement inaugural de la Révolution française. Le 14 juillet est fête nationale depuis 1880.

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