mercredi, juillet 12, 2023

MILAN KUNDERA, LA LÉGÈRETÉ DE L’ART DU ROMAN

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L'ÉCRIVAIN MILAN KUNDERA
PHOTO CATHERINE HÉLIE
Milan Kundera, la légèreté de l’art du roman / Disparition Né à Brno, en Tchécoslovaquie, l’écrivain est mort à Paris, à l’âge de 94 ans. Entré de son vivant dans « la Pléiade », il affirmait avec force que pour « être libre et déjouer l’autorité, il faut en rire ». / Milan Kundera s’est éteint le 11 juillet, à Paris. Il avait 94 ans. Il a été l’auteur de dix-sept romans mémorables dont, d’abord, La vie est ailleurs (prix Médicis étranger en 1973), la Plaisanterie et l’Insoutenable Légèreté de l’être, en 1984, après quoi il décida de ne plus apparaître dans les ­-médias grand public.

par Muriel Steinmetz

MILAN KUNDERA LE 11 AVRIL 1979.
PHOTO JEAN-PIERRE COUDERC

Il naît le 1er avril 1929, à Brno, capitale de la Moravie, en Tchécoslovaquie, à 130 km de Vienne. De la mère, on ne saura pas grand-chose. Le père, Ludvik, élève du compositeur Leos Janacek, est un excellent pianiste, futur recteur de l’Académie de musique de Brno après la guerre. Dans l’appartement de la rue Littré, près de Montparnasse, où Kundera a longtemps vécu avec son épouse Véra, trônaient sur son bureau, outre une photo du grand écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951), son maître en littérature, un portrait de son père et un autre de Janacek. La musique fut pour Milan Kundera un élément capital. Il jouait du piano.

Après ses études secondaires à Brno, il en vient, à partir de 1948, à la littérature et à l’esthétique à Prague et aborde la « théorie du roman », avant de se tourner en cours d’année vers l’audiovisuel, à la Famu, faculté de cinéma. Inscrit au Parti communiste en 1947, il est, depuis ses 16 ans, un militant enthousiaste. Il acquiesce au « coup de Prague » organisé par Moscou. L’année d’avant était sorti son premier texte, dédié à son professeur de piano, Pavel Haas, dont il épousera brièvement la fille. En 1950, en raison d’un acte considéré comme délictueux, il est exclu du Parti communiste. Cela donnera la Plaisanterie, dont Ludvik, le personnage principal, a des ennuis pour avoir écrit « Vive Trotski ! » sur une carte postale.

« Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité »

À la même époque, il rencontre Véra Hrabankova, de six ans sa cadette, qui joue au théâtre avant de devenir une vedette du petit écran. Kundera achève ses études en 1952 et réintègre le Parti en 1956, avant l’exclusion définitive en 1970, à la suite de ses prises de position publiques.

Durant les années 1960, il choisit le roman. Il est un intellectuel encore proche du Parti. Ses premières œuvres littéraires datent de ces années-là. En juin 1967, il inaugure le IVe congrès des écrivains tchécoslovaques. Sa contribution s’intitule : « Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité ». Les écrivains d’alors marquent avec force leur désaccord envers la ligne politique des dirigeants du Parti. Kundera en tête. Il a déjà achevé la Plaisanterie. Le livre est « à l’observation » dans les bureaux de la censure. Contre toute attente, il paraît en avril 1967. L’année suivante, alors que le printemps de Prague bat son plein, Kundera est même distingué par le Parti. À Paris, Gallimard prépare sa traduction pour l’automne 1968. Aragon se charge de la préface, admirative, chaleureuse. Dans cette atmosphère de liberté neuve, Kundera compose Risibles amours, recueil de nouvelles sur les relations intimes sous le prisme d’une parole dysfonctionnelle, sans oublier les questions d’identité et d’authenticité (les faits se changent en leur contraire).

Dans la nuit du 20 au 21 août, les chars soviétiques entrent dans Prague. Après une réhabilitation au sein du Parti au temps de la déstalinisation (1956), il perd son poste d’enseignant. Ses livres, introuvables en librairies, disparaissent des rayons des bibliothèques. Période de vaches maigres, évoquée dans le Livre du rire et de l’oubli.

Il continue d’écrire et c’est La vie est ailleurs, publié pour la première fois à Paris. Il s’y penche avec ironie sur le « stupide âge lyrique », à travers la figure de Jaromil, jeune poète, son double, qu’il suit de sa naissance jusqu’à sa mort précoce à 20 ans. Jaromil est un Rimbaud pris au piège de la révolution. Ce roman tient lieu de catharsis pour Kundera, qui s’y confronte à son passé de militant et à son être d’artiste. Le couple Véra-Kundera est alors mis sur écoute. Filatures, courriers interceptés, ouverts…

Une méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images

Le 20 juillet 1975, ils quittent la Tchécoslovaquie en Renault 5. Direction la France avec une autorisation de séjour de « 730 jours ». Il a 46 ans. Elle a 39 ans. À l’arrière du véhicule : des caisses de livres, à l’avant, des vinyles. Ils s’installent à Rennes . Kundera y est professeur invité en littérature comparée (son cours porte sur « Kafka, ses interprètes, le roman et l’Europe centrale ») jusqu’en 1979, année où il est élu à l’École des hautes études en sciences sociales et où la nationalité tchécoslovaque lui est ­retirée. Mitterrand lui octroie la nationalité française deux ans plus tard. Il reste sous surveillance de la StB, les services de renseignements tchécoslovaques.

Il s’installe à Paris, rue Littré avec Véra. Il s’épuise à écrire ses cours, phrase par phrase, en français sans pouvoir improviser, ce qu’il aime pourtant. Il enseigne Hermann Broch, Kafka, Musil, Dostoïevski… Il développe et approfondit les idées qui donneront lieu à ses essais sur l’Art du roman puis aux Testaments trahis… La langue française maîtrisée, il se lance dans la correction des traductions de ses livres, tous entièrement revus par ses soins. En 1982, il achève l’Insoutenable Légèreté de l’être. Une adaptation en a été tirée pour le cinéma, réalisée par Philip Kaufman et Jean-Claude Carrière. Il a écrit en 1981 une pièce en trois actes Jacques et son maître en hommage à Diderot, mise en scène par Jacques Lassalle. En 1990, ce sera l’Immortalité, méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images. En 1993, il achève la Lenteur, sa première œuvre écrite en français. Viendront ensuite l’Identité et l’Ignorance.

LA PLEIADE KUNDERA
TOME 1 OEUVRES

En mars 2011, Kundera, en deux volumes, est dans « la Pléiade », accédant de son vivant à l’illustre collection. Il avait mis comme condition sine qua non qu’elle ne comporte aucune note, préface, commentaire ni appareil critique. Il a encore écrit la Fête de l’insignifiance. En 2019, l’ambassade de la République tchèque en France lui restituait sa citoyenneté initiale. Il aimait ce vers de son compatriote romantique, le poète Karel Macha (1810-1836) : « Un sourire léger à la bouche, une tristesse profonde au cœur ».

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OEUVRES T.1 ET T.2 (COFFRET
2 VOLUMES SOUS COFFRET ;
PRÉFACE FRANÇOIS RICARD ;
TRADUCTION CONJOINTE FRANÇOIS KÉREL)

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