DEPUIS JANVIER, SUR LES MAILLOTS DE CLUB CHILIEN DEPORTIVO PALESTINO,
UNE CARTE DE LA PALESTINE D'AVANT 1948 REMPLACE LE CHIFFRE 1
PHOTO TAREK CARMASH / CLUB DEPORTIVO PALESTINOPalestino, l’équipe de football chilienne devenue symbole de la cause palestinienne / Au Chili, un club de football, fondé il y a plus d’un siècle, entretient toujours un lien fort avec les Territoires occupés. Depuis l’offensive de l’armée israélienne à Gaza, les joueurs observent une minute de silence avant de jouer. [« On s'en foot !» ]
« La paix est possible : deux États pour deux peuples » DESSIN SERGIO LANGER |
Santiago (Chili).– Il est rouge, vert et noir comme le drapeau de la Palestine. Ce maillot est celui du Palestino (Club Deportivo Palestino), un club de football qui joue en première division chilienne. Et à chaque fois qu’une attaque se produit à Gaza, la demande pour le maillot de l’équipe augmente, et le voilà porté comme un symbole.
C’est ce qui s’est passé au cours des dernières semaines de bombardements incessants, suivies d’une trêve de quatre jours depuis vendredi. Au Maroc, en France, en Suède, en Allemagne et en Tunisie, dans les manifestations de soutien à la Palestine, on a vu des maillots de cette équipe fondée en 1920, surnommée « Tino ». Ceux-ci ont pourtant été retirés en 2014 après une polémique, car le chiffre « 1 » au dos dessine les contours d’une carte de la Palestine d’avant 1948, qui n’intègre pas l’État d’Israël.
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Au cours des dernières décennies, le CD Palestino, actuellement cinquième du championnat chilien, est devenu bien plus qu’une simple équipe de football : il porte un héritage culturel, un lien entre le Moyen-Orient et le Chili, territoire où vit la plus grande communauté palestinienne en dehors du monde arabe, avec plus de 500 000 personnes.
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« Il a été fondé par des immigrants arrivés de là-bas dans les années 1890 et au début des années 1900 pour conserver leur identité et la culture palestinienne, alors qu’Israël n’existait pas encore et qu’il s’agissait d’une immigration forcée par l’Empire ottoman », explique José Nabzo, responsable de la communication du club.
Selon ce dernier, le club s’est professionnalisé en 1948, année de la création de l’État d’Israël, ce que les Palestiniens appellent la Nakba – la « catastrophe » en arabe –, afin de donner une voix à un peuple qui commençait à être opprimé.
« Les Palestiniens qui se trouvaient au Chili, qui avaient très bien réussi, ont voulu profiter de leur situation avantageuse pour faire savoir au monde entier ce qu’est la Palestine, pour maintenir notre culture en vie et pour parler de ce qui se passe là-bas », dit-il.
Disposant de son propre stade à La Cisterna, une commune de la banlieue de Santiago, le club a étendu son action au-delà du terrain, en se lançant dans un travail social et en ouvrant ses portes à la communauté locale. En 1955, Palestino a remporté le championnat de première division et, depuis, il est devenu populaire auprès de la population chilienne, devenant bien plus qu’un phénomène sportif. Il a remporté un deuxième titre de champion en 1978.
Nous sommes le seul pays à avoir deux équipes.
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne
« Je pense que la contribution de Palestino a été cruciale pour amplifier une solidarité avec la Palestine qui est profondément enracinée dans le peuple chilien. Au moins depuis les années 1980, le soutien à la lutte de libération palestinienne a été assez transversal au Chili. Cela s’explique en partie par le travail du militantisme politique palestinien de gauche qui s’est efforcé de positionner la cause et d’ouvrir un canal de communication avec l’OLP dans ces années-là. Au Chili, les générations qui ont suivi connaissent en partie la situation et Palestino a entraîné un retour de la solidarité avec la Palestine dans la culture populaire », affirme Pablo Abufom, Chilien d’origine palestinienne et membre de la Coordination pour la Palestine, qui regroupe une douzaine d’organisations sociales, syndicales, politiques et culturelles chiliennes et palestiniennes.
La situation actuelle dans la bande de Gaza a eu un impact immédiat sur le fonctionnement du club. L’engagement est tel que les joueurs observent une minute de silence avant de jouer, portent un ruban noir au bras en signe de deuil, ou entrent sur le terrain avec un keffieh autour du cou. De plus, la direction de l’équipe a décidé de donner des cours d’histoire sur la Palestine et le Moyen-Orient afin que les joueurs soient conscients du contexte et de la situation entourant le maillot qu’ils représentent.
José Nabzo explique qu’en tant qu’attaché de presse, il est chargé de sensibiliser l’équipe première mais plus largement l’équipe féminine, et les plus jeunes. « L’idée est qu’ils puissent se faire leur propre opinion, qu’ils sachent ce que signifie le maillot qu’ils portent, qu’ils en soient conscients. »
Des matchs suivis dans les Territoires occupés
En 2016, ils ont même effectué un voyage dans les Territoires occupés, où ils ont pu se rendre compte de la situation locale et rencontrer des supporters de Cisjordanie et de Gaza, assister à des matchs dans les écoles pour enfants et pour jeunes que possède le club dans un pays qui voit cette équipe chilienne comme s’il s’agissait de sa propre équipe nationale. « Nous sommes le seul pays à avoir deux équipes », a même déclaré Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, lorsqu’il les a reçus à Ramallah.
En 2014, Palestino été condamné à verser une amende de mille euros pour discrimination, car la carte qui remplaçait le chiffre « 1 » sur leur nouveau maillot n’incluait pas l’État d’Israël. L’équipe avait porté ce maillot lors des trois premiers matchs du championnat et la communauté juive du Chili avait porté plainte. Palestino s’était défendu en faisant valoir qu’en 1920, année de création de l’équipe, cette carte correspondait à son territoire.
Bien que Palestino ait dû le retirer pour l’équipe professionnelle, celui-ci reste le modèle le plus demandé par les supporters, devenant même le maillot le plus vendu d’une équipe chilienne à l’étranger. « C’est l’un des objectifs du club : positionner l’équipe comme l’un des symboles de la cause palestinienne dans le monde entier. Tous ceux qui soutiennent la Palestine libre savent ce qu’est le club Deportivo Palestino », explique Nabzo.
« Antisionistes, jamais antisémites »
Pour Pablo Abufom, le maillot a une valeur culturelle au-delà du football. « C’est tout simplement magnifique que ce qui ressort soit la carte de la Palestine, qui est la principale contestation matérielle et symbolique de notre peuple contre l’occupation israélienne. […] Chaque personne qui porte le maillot de la Palestine avec le 1 ou le 11 avec la carte est un porte-parole de la lutte pour la libération de la Palestine. »
Il arrive que les supporters des autres équipes apportent leur soutien. Il est courant de voir des bannières avec des slogans tels que « Palestina libre » (« Palestine libre ») ou « Aguante Palestina » (« Palestine, tiens bon ») suspendues aux tribunes d’équipes rivales comme Colo-Colo, Universidad Católica ou Universidad de Chile.
L’un des groupes de supporters les plus connus du « Tino » s’appelle « Barra Intifada Antifascista ». Dans leur description Instagram, ils se définissent comme « antisionistes, jamais antisémites ». « De La Cisterna à Gaza et à la Cisjordanie, nous résistons », écrivent-ils.
Alexander Iturra, 30 ans, a connu le Palestino à l’âge de 6 ans, alors qu’il cherchait une école de football pour s’entraîner près d’El Bosque, la commune où il vit encore aujourd’hui. Il a rejoint le club et ne l’a plus jamais quitté. Il est fier de dire qu’il est le premier de sa famille, sans être d’origine palestinienne ou arabe, à être devenu un fidèle supporter de l’équipe.
« Palestino, ici au Chili, est un club très populaire, évidemment à cause de la question palestinienne. En fait, j’ai plusieurs amis qui sont fans de Colo-Colo et de La U, qui mettent leurs drapeaux palestiniens sur Instagram, partagent des publications, enquêtent sur la question palestinienne, et c’est la beauté de Palestino », explique Iturra, qui éprouve de l’empathie envers les Palestiniens. Il compte bien se rendre au Moyen-Orient, car il est attiré non seulement par l’histoire, mais aussi par la culture arabe.
« Les barras [groupes de supporteurs de football – ndlr] sont un phénomène de socialisation très profond au Chili et ont un effet de politisation notable sur la jeunesse populaire. Ils ont été en première ligne dans les rues dans les luttes, antifascistes par exemple ou lors de la révolte sociale de 2019. Ce n’est pas un hasard s’ils ont la capacité d’ouvrir un espace pour rendre visible un problème qui pourrait sembler si lointain. Mais le football rassemble les gens et met différentes nationalités sous le même toit sur le terrain et dans la tribune. C’est très puissant et Palestino l’a très bien fait », juge Pablo Abufom.
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Dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie occupée, les matchs du club sont également suivis malgré les plus de six heures de décalage horaire. « Parfois, cela signifie que les matchs ont lieu à 4 ou 3 heures du matin en Palestine, ce qui représente un effort considérable pour eux de rester éveillés jusqu’à cette heure-là pour soutenir leur équipe. Et pour nous, c’est aussi une source de fierté qu’ils s’intéressent à nous et que Palestino soit un motif de joie pour eux », déclare Iturra.
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DES SUPPORTRICES DU CLUB DE FOOTBALL « PALESTINO » |
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