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« La paix est possible : deux États pour deux peuples »
DESSIN SERGIO LANGERDossier : Gaza, l’onde de choc / Le vieux rêve d’un État binational / En Palestine, le communisme a été fondé en 1919 par des immigrés juifs, qui avaient quitté le mouvement sioniste pour créer le Parti ouvrier socialiste hébreu. Celui-ci prit, en 1922, l’appellation yiddish de Palestinishe Kommunistishe Partei (Parti communiste palestinien, PCP). Le PCP a adhéré à la IIIe Internationale (Komintern), dirigée par le Parti communiste soviétique.
par Shlomo Sand Le Monde diplomatique
PAMPHLET DU MAKI |
Durant toute son existence, ce parti a récusé le sionisme, qu’il considérait comme un mouvement colonialiste illégitime. Les communistes ne pensaient pas que les Juifs du monde entier constituaient une nation spécifique, et ne croyaient pas qu’après deux mille ans ils puissent revendiquer des droits historiques en Palestine. Ils rejetaient la déclaration Balfour (1), qualifiée d’acte impérialiste à l’état pur, appelaient à l’expulsion des Britanniques et à la création d’un État démocratique à majorité arabe, où les Juifs, y compris ceux arrivés après 1918, seraient des citoyens à égalité de droits. Ces positions ont eu pour effet, pendant toute la durée du mandat britannique (1922-1948), d’attirer au PCP la haine de la partie juive, et de le maintenir dans l’isolement, car il parvenait tout aussi difficilement à recueillir le soutien de sympathisants arabes. La grande révolte arabe des années 1930 lui permit cependant de renforcer ses rangs et de voir son influence progresser quelque peu parmi les travailleurs urbains. Au nom de l’« internationalisme prolétarien », il n’a cessé, durant toute cette période, d’appeler à la solidarité entre la population locale et la communauté des immigrés.
Propagande électorale
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L’isolement du parti vis-à-vis des Juifs s’est notablement résorbé après l’entrée en guerre de l’URSS en 1941. Le changement de position du PCP concernant l’implantation hébraïque lui a aussi permis d’élargir significativement son audience. Un tournant s’était lentement amorcé à la fin de la seconde guerre mondiale, avec la prise de conscience de la réalité de l’entreprise nazie d’extermination. Le maintien en Allemagne de camps de rescapés et de réfugiés, qu’aucun État occidental n’était disposé à accueillir, créait une situation insupportable, qui amena les communistes juifs de Palestine à réviser leur position.
ÉMILE TOUMA |
Le PCP connut une scission en 1943. Ses adhérents arabes fondèrent la Ligue de libération nationale, sous la direction d’Émile Touma, jeune et brillant intellectuel de Haïfa, devenu marxiste pendant ses études à l’université de Cambridge. Ces communistes n’appréciaient guère le tournant, qui s’opérait chez leurs camarades juifs, vers la reconnaissance d’une identité nationale juive en formation et en développement.
SHMUEL MIKOUNIS |
ESTHER VILENSKA |
Shmuel Mikounis, porte-parole du parti, ainsi que les autres dirigeants, très prudents, hésitaient et s’interrogeaient face au changement en cours, impulsé par Vilner et sa compagne, Esther Vilenska, et soutenu par de nombreux jeunes. Vilner et Vilenska n’ont pas hésité à accélérer la percée vers une ligne politique originale. En mars 1945, s’adressant aux comités locaux du parti, Vilner déclarait ainsi : « Le caractère exclusivement arabe du pays s’est effectivement modifié, d’une part dans la composition de la population, et d’autre part dans son économie. La Palestine est aujourd’hui binationale. Voilà le changement historique en cours (…), d’où, s’agissant de notre politique, des conclusions à long terme (3). »
MEIR VILNER |
C’était, semble-t-il, la première fois qu’un dirigeant communiste local formulait, du bout des lèvres, le concept de « binationalisme ». Lors du IXème Congrès, réuni la même année, le PCP décide de se prononcer explicitement pour « un État arabo-juif » indivisible qui « doit être fondé sur le principe d’égalité des droits, sans distinction de race, de nationalité, de religion ni de genre, et donc sur le principe d’égalité de droit national des Juifs et des Arabes à un développement national, économique et culturel libre ». Un an plus tard, en 1946, lors du Xème Congrès, il sera finalement décidé que « la Palestine est un pays binational ».
En fait, les communistes juifs se mirent à substituer désormais à leur antisionisme habituel des positions que l’on pourrait, avec prudence, qualifier d’« a-sionistes ». Ils ne prônaient pas l’émigration massive des Juifs en Palestine, mais, pour des raisons humanitaires, constatant la dure réalité des camps de rescapés en Europe, ne s’y opposaient pas non plus et dénonçaient même les dispositifs mis en place par les Britanniques, destinés à faire obstacle à l’immigration « illégale ». Ils récusaient toutefois la création d’un État juif exclusif et n’imaginaient pas un seul instant qu’une telle entité devrait mettre fin à la « diaspora » et qu’il faille faire venir tous les Juifs du monde en Eretz Israël (« Terre promise »).
Cependant, énoncer la proposition d’un État binational sans être capable de refonder un Parti communiste composé de militants issus des deux peuples était perçu comme une absurdité par de nombreux adhérents de base. Aussi, le parti « juif » s’employa-t-il à rénover l’entente avec la Ligue de libération nationale, afin de s’unir avec elle en un mouvement judéo-arabe commun. La Ligue rejeta fermement une telle union visant à un projet binational. Elle persistait à revendiquer un État démocratique, une « patrie arabe libre », qui protégerait sincèrement toutes ses minorités. Diverses actions furent menées en commun avec des Juifs, telles des grèves et manifestations, mais la partie arabe continua de refuser fermement d’apporter son soutien à l’accueil des réfugiés venus d’Europe, dès lors que d’autres pays du monde n’y seraient pas prêts.
En février 1947, se réunit à Londres une assemblée des partis communistes actifs dans l’ensemble de l’Empire britannique : Touma y représentait la Ligue de libération, tandis que le Parti communiste était représenté par Mikounis. Dans son intervention, Touma formula la position traditionnelle selon laquelle un État démocratique unifié, respectueux des droits civiques de la minorité juive et non de ses droits nationaux, constituait la solution adaptée à cette situation complexe. La quasi-totalité des représentants des partis communistes arabes partageaient ce point de vue. Mikounis, en revanche, exposa les positions binationales de Vilner et Vilenska, qui soulignaient : « Deux groupements nationaux vivent dans le pays. Tout programme de résolution du problème se doit de prendre en considération cette réalité, et de garantir aux deux peuples des droits et des possibilités égales de développement (4). » En parallèle, Mikounis exprima, d’une part, son opposition à un État démocratique arabe et, d’autre part, à la partition du pays avec la création d’un État juif séparé.
Plusieurs partis communistes se montrèrent sensibles au discours de Mikounis, au regard de l’extermination d’une grande partie des Juifs d’Europe, mais il y eut aussi un parti venu du Proche-Orient pour entériner ces arguments : il s’agissait du Mouvement égyptien de libération nationale, le plus important courant communiste égyptien à l’époque, qui s’était prononcé en 1945 en faveur d’une solution binationale en Palestine. Henri Curiel, marxiste et issu d’un milieu juif, en était le dirigeant ; il avait rédigé un compte rendu sur la situation de la communauté juive en Palestine, où il mettait en évidence l’opposition croissante entre le sionisme et la Grande-Bretagne, tout en critiquant les positions de la gauche sioniste, mais aussi la plate-forme de la Ligue emmenée par Touma. Curiel manifestait également de la sympathie envers la nouvelle prise de position du PCP en faveur du binationalisme.
Il importe de préciser que l’évolution du PCP et du groupe de Curiel vers l’idée binationale s’est effectuée de façon autonome, sans être dictée par Moscou. Le Komintern avait certes été dissous en 1943, mais les communistes juifs et égyptiens avaient très probablement senti, à l’occasion de leurs contacts avec les communistes soviétiques, qu’il n’y aurait pas de forte opposition à un point de vue visant à reconnaître le caractère national du Yishouv (5) juif en cours de constitution en Palestine. Tout comme les pays occidentaux, peu désireux d’accueillir les Juifs rescapés, l’URSS ne semblait pas tellement tenir à ce que les réfugiés est-européens, encore maintenus dans les camps, en Allemagne, regagnent leurs pays d’origine. Les Soviétiques avaient, de plus, identifié l’éventualité d’une alliance avec le Yishouv juif en opposition croissante à la présence britannique en Palestine. Et de fait, en mai 1947, Andreï Gromyko, ministre des affaires étrangères soviétique, déclarait devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), à la surprise de tous les communistes de la région comme du monde entier : « La délégation soviétique conclut à la nécessité de défendre les droits légaux des Juifs et des Arabes par la création d’un État binational indépendant et démocratique, avec des droits égaux pour les deux peuples (6). »
Quelques mois plus tard, l’URSS et ses États satellites d’Europe de l’Est apportèrent leur soutien à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU décidant le partage de la Palestine, et la création de deux États séparés, juif et arabe. Le PCP et la Ligue de libération nationale (à l’exception de Touma et de quelques autres membres connus) acceptèrent la directive soviétique, s’unirent et changèrent leurs intitulés en Parti communiste israélien (Maki). Vilner, au nom du parti, apposa sa signature sur la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, tandis que d’autres dirigeants de cette formation se rendaient en Europe de l’Est afin de collecter des armes pour la défense du nouvel État juif. Cela ne fait aucun doute : durant une courte période, Moscou fut davantage prosioniste que Washington.
Shlomo Sand Historien. Auteur de Deux Peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme (Seuil, Paris, à paraître en janvier 2024), dont ce texte est extrait.
Notes :
(1) La déclaration Balfour désigne une lettre ouverte du 2 novembre 1917, adressée par Arthur Balfour, secrétaire d’État aux affaires étrangères britannique, à une figure éminente du mouvement sioniste et dans laquelle Londres se déclare en faveur de l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine.
(2) Kol HaAm (La Voix du peuple), 11 mai 1944.
(3) Cité par Shmuel Dotan, dans Rouges. Le Parti communiste en Eretz Israël (en hébreu), Kfar Saba, Shevna Hasofer, 1991.
(4) Cf. Avner Ben-Zaken, Le Communisme comme impérialisme culturel (en hébreu), Resling, Tel-Aviv, 2006.
(5) NDLR. Terme hébreu désignant l’ensemble des Juifs présents en Palestine avant la création de l’État d’Israël.
(6) Cité dans Leon Zeavi, Séparés ou ensemble ? (en hébreu), Keter, Tel-Aviv, 2005.
«Paix» DESSIN MORO |
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