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L’adversaire
C’était le 11 septembre. Détournés de leur mission ordinaire par des pilotes décidés à tout, les avions foncent vers le cœur de la grande ville, résolus à abattre les symboles d’un système politique détesté. Très vite : les explosions, les façades qui volent en éclats, les effondrements dans un fracas d’enfer, les survivants atterrés fuyant couverts de débris. Et les médias qui diffusent la tragédie en direct...
1973 - 11 SEPTEMBRE - 2024
Le cinquante-et-unième anniversaire du coup d’État de 1973 au Chili
New York, 2001 ? Non, Santiago du Chili, 11 septembre 1973. Avec la complicité des États-Unis, coup d’État du général Pinochet contre le socialiste Salvador Allende, et pilonnage du palais présidentiel par les forces aériennes. Des dizaines de morts et le début d’un régime de terreur long de quinze ans...
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SALVADOR ALLENDE AU PALAIS DE LA MONEDA LE 11 09 1973. PHOTO LEOPOLDO VÍCTOR VARGAS |
L’attitude des dirigeants et des médias occidentaux, leur surenchère proaméricaine ne doivent pas nous masquer la cruelle réalité. À travers le monde, et en particulier dans les pays du Sud, le sentiment le plus souvent exprimé par les opinions publiques à l’occasion de ces condamnables attentats a été : « Ce qui leur arrive est bien triste, mais ils ne l’ont pas volé! »
Pour comprendre une telle réaction, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que, tout au long de la «guerre froide » (1948-1989), les États-Unis s’étaient déjà lancés dans une « croisade » contre le communisme. Qui prit parfois des allures de guerre d’extermination : des milliers de communistes liquidés en Iran, deux cent mille opposants de gauche supprimés au Guatemala, près d’un million de communistes anéantis en Indonésie... Les pages les plus atroces du Livre noir de l’impérialisme américain furent écrites au cours de ces années, marquées également par les horreurs de la guerre du Vietnam (1962-1975).
C’était déjà « le Bien contre le Mal ». Mais à l’époque, selon Washington, soutenir des terroristes n’était pas forcément immoral. Par le biais de la CIA, les Etats-Unis préconisèrent des attentats dans des lieux publics, des détournements d’avions, des sabotages et des assassinats. A Cuba contre le régime de M. Fidel Castro, au Nicaragua contre les sandinistes ou en Afghanistan contre les Soviétiques.
C’est là, en Afghanistan, avec le soutien de deux Etats très peu démocratiques, l’Arabie saoudite et le Pakistan, que Washington encouragea, dans les années 1970, la création de brigades islamistes recrutées dans le monde arabo-musulman et composées de ce que les médias appelaient les «freedom fighters », les combattants de la liberté ! C’est dans ces circonstances, on le sait, que la CIA engagea et forma le désormais célèbre Oussama Ben Laden (lire « Les liaisons douteuses du Pakistan »).
Depuis 1991, les États-Unis se sont installés dans une position d’hyperpuissance unique et ont marginalisé, de fait, les Nations unies. Ils avaient promis d’instaurer un « Nouvel ordre international » plus juste. Au nom duquel ils ont conduit la guerre contre l’Irak. Mais, en revanche, ils sont demeurés d’une scandaleuse partialité en faveur d’Israël, au détriment des droits des Palestiniens (1). De surcroît, malgré des protestations internationales, ils ont maintenu un implacable embargo contre l’Irak, qui épargne le régime et tue des milliers d’innocents. Tout cela a ulcéré les opinions du monde arabo-musulman et facilité la création d’un terreau où s’est épanoui un islamisme radicalement antiaméricain.
Comme le Dr Frankenstein, les États-Unis voient maintenant leur vieille création - Oussama Ben Laden - se dresser contre eux, avec une violence démentielle. Et s’apprêtent à le combattre en s’appuyant sur les deux États - Arabie saoudite et Pakistan - qui, depuis trente ans, ont le plus contribué à répandre à travers le monde des réseaux islamistes radicaux, au besoin à l’aide de méthodes terroristes !
Vieux briscards de la guerre froide, les hommes qui entourent le président George W. Bush ne sont sans doute pas mécontents de la tournure que prennent les choses. Peut-être considèrent-ils même qu’il s’agit d’une aubaine. Car, miraculeusement, les attentats du 11 septembre leur restituent une donnée stratégique majeure dont l’effondrement de l’Union soviétique les avait privés pendant dix ans : un adversaire. Enfin ! Sous le nom de « terrorisme », cet adversaire désigné, chacun l’aura compris, est désormais l’islamisme radical. Tous les dérapages redoutés risquent maintenant de se produire. Y compris une moderne version du maccarthysme qui prendrait pour cible les adversaires de la mondialisation. Vous avez aimé l’anticommunisme ? Vous adorerez l’anti-islamisme !
Ignacio Ramonet.
Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.
(1) Lire Alain Gresh, Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, Paris, 2001.
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