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Entretien / Chili : « Daniel Jadue est persécuté parce qu’il est communiste et a mené des politiques anti-néolibérales » / Harcelé judiciairement depuis des années parce qu’il se bat pour construire un autre modèle de société dans un pays ultralibéral, le maire Daniel Jadue, membre du PC Chilien, est derrière les barreaux depuis le 3 juin dernier. Entretien avec un de ses avocats, Hugo Gutierrez.
Luis Reygada
7 min
Farouchement opposé à la doctrine libérale chilienne, le maire Danuel Jadue est un habitué des procédures judiciaires. Le 3 juin dernier, il a été placé en détention provisoire pour avoir vendu des médicaments à prix coûtants.
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# Daniel Jadue Libre
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Daniel Jadue dérange. Élu à la tête de la mairie de Recoleta – l’un des arrondissements du secteur nord de la ville de Santiago du Chili – en 2012, ce membre du Parti communiste d’origine palestinienne est un habitué des procédures judiciaires à des fins politiques (le « lawfare »). En douze ans de mandat, il a déjà été la cible de plus de cinquante procédures, enquêtes, expertises, jugements, appels… Avec à chaque fois un objectif très clair : tenter de paralyser ce qu’il représente, c’est-à-dire un projet populaire représentant une alternative concrète au modèle néolibéral chilien, hérité de la dictature d’Augusto Pinochet.
Son dernier crime en date ? Avoir tenté de faire du droit à la santé une réalité, en mettant en place un système facilitant l’accès aux soins à ses administrés et en ayant inauguré la première pharmacie municipale du pays, proposant à ses administrés des médicaments à un coût jusqu’à 70 % inférieur à celui du marché. Critiqué par la droite, accusé de concurrence déloyale par les géants de la distribution, ses adversaires ont finalement réussi à envoyer Daniel Jadue en détention (préventive), le 3 juin dernier.
« Sa liberté représente un danger pour la sécurité de la société » avait alors justifié la juge Paulina Moya, suivant la demande d’un parquet qui avait avancé sans aucune preuve solide plusieurs chefs d’accusation (notamment pour corruption) qui lui seraient imputables alors qu’il dirigeait l’Association chilienne des municipalités dotées de pharmacies populaires (Achifarp). « Ils me jugent pour notre gestion révolutionnaire » avait réagi l’intéressé, avant de commencer sa peine préventive dans une prison réservée aux délinquants en col blanc, au cœur de Santiago.
Entretien avec Hugo Gutierrez, avocat membre de l’équipe de défense de Jadue, qui revient pour l’Humanité sur ce qu’il qualifie d’un « montage dans une affaire instrumentalisée par l’oligarchie politique et médiatique chilienne pour ternir l’image et détruire leadership d’une personne considéré comme un danger pour leurs intérêts néolibéraux ».
Quelle est la situation juridique de Daniel Jadue ?
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HUGO GUTIERREZ, AVOCAT MEMBRE DE L’ÉQUIPE DE DÉFENSE DE DANIEL JADUE. |
Daniel Jadue fait l’objet de la mesure de contrôle la plus sévère de notre système juridique, l’emprisonnement préventif, pour laquelle il est incarcéré depuis le 3 juin dans une annexe pénitentiaire située à l’intérieur d’une prison de haute sécurité. En plus d’être privé de sa liberté, une mesure conservatoire a été appliquée à ses biens. En outre, la loi organique des municipalités stipule qu’après 45 jours d’absence du maire, le poste devient vacant. Le jeudi 18 juillet, Daniel Jadue a donc été destitué de ses fonctions, car il n’a pas été en mesure d’exercer son mandat de maire. Nous sommes pourtant dans un cas de force majeure puisque c’est une décision de l’autorité (qui l’empêche d’exercer son mandat).
En d’autres termes, Daniel Jadue est aujourd’hui emprisonné, privé de ses biens et déchu de sa fonction de maire, ce qui représente au passage une atteinte à la souveraineté populaire
Les accusations portées contre Daniel Jadue sont-elles vraiment solides ?
Nous sommes dans cette affaire face à un cas évident de prévarication de la part de la justice et du ministère public. Le ministère public est un organe de poursuite qui a le devoir d’enquêter sur ce qu’il incrimine comme sur ce qu’il disculpe. Mais la haine contre un maire communiste – et qui plus est d’origine palestinienne – qui représente un danger pour les intérêts néolibéraux d’une oligarchie politique, soutenue par certains médias, est telle que plusieurs règles élémentaires de droit n’ont pas été respectées. Daniel Jadue est accusé de cinq délits (fraude fiscale, administration déloyale, corruption, escroquerie et dissimulation d’actifs), mais au-delà des irrégularités procédurales, il n’y a surtout pas de preuves pour impliquer Daniel Jadue dans ces délits.
Les seules « preuves » contre lui sont des témoignages manifestement tendancieux de trois personnes aucunement fiables. L’une d’elles (qui aurait un intérêt économique manifeste dans cette affaire, NDLR) a d’ailleurs déjà été condamnée pour fraude et faux témoignage, et n’est soutenue que par son chauffeur. Toutes ces personnes, qui seraient impliquées dans une fraude au moyen de pots-de-vin dans cette affaire, ont aujourd’hui le statut de témoins protégés et ne sont pas poursuivies.
Tout cela est une aberration judiciaire qui n’est possible qu’avec un système judiciaire corrompu qui répond à des intérêts politiques particuliers. C’est l’héritage que nous a laissé la dictature (d’Augusto Pinochet, 1973-1990, NDLR).
Peut-on considérer qu’il s’agit d’une persécution politique ?
Lorsque vous commencez à regarder les titres des journaux, lorsque vous commencez à écouter ceux qui sont au courant de ce montage, vous commencez à voir clairement toute l’articulation politique contre Daniel, en commençant par le chef des renseignements du Chili, la nomination du procureur national Angel Valencia (résultat d’un accord entre le Parti socialiste et l’extrême droite) et la nomination du procureur anticorruption, un ancien procureur militaire.
Il y a des décisions politiques derrière la médiatisation de l’affaire, chacune des étapes de la persécution contre Daniel Jadue répond à un calendrier politique et électoral. Nous découvrons jour après jour comment cela a été complètement articulé depuis les plus hautes sphères du pouvoir politique, et comment cela a été lancé par le biais d’une société qui a réalisé un montage pour initier toute cette affaire. La nomination des juges qui instruisent l’affaire dans les différentes instances répond également à des intérêts politiques.
La haine contre Daniel Jadue est très grande, parce qu’il a mené depuis l’échelle locale des politiques anti-néolibérales qui ont été reproduites dans tout le pays. À travers lui, ce sont ses idées qui sont persécutées. La procureur Giovanna Herrera l’a dit clairement lors d’une audience à la Cour d’appel de Santiago : « Oui, c’est idéologique, car nous avons ici quelqu’un qui croit que c’est l’État qui doit résoudre les problèmes des gens (…) ». Par ces mots, elle indique clairement que l’hostilité contre Daniel Jadue est due au fait qu’il est communiste.
Le fait qu’il ait été considéré par le tribunal pénal comme « danger pour la société » est extrêmement choquant.
Ils disent que Jadue est un danger pour la société parce qu’il a exercé son mandat, en tant qu’élu communiste. L’objectif de toute cette affaire est clair : l’écarter de la mairie, l’empêcher de continuer à se dresser comme leader de la gauche. N’oublions pas que Daniel Jadue avait déjà été candidat à la présidence (candidat à la primaire de la gauche en 2021, il s’était finalement incliné face au plus modéré Gabriel Boric, postérieurement élu à la tête du pays, NDLR)…
Il est évident qu’il est un danger, non pas pour la société mais pour le modèle de société que nous avons su Chili. Mais ça, ils ne peuvent pas l’écrire cela dans une résolution judiciaire.
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