lundi, septembre 30, 2024

50ème ANNIVERSAIRE DE L'ASSASSINAT DU GÉNÉRAL CARLOS PRATS

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GÉNÉRAL CARLOS PRATS GONZÁLEZ
1974 -30 SEPTEMBRE- 2024
CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE DE L'ASSASSINAT DU GÉNÉRAL CARLOS PRATS GONZÁLEZ 

Exilé à Buenos Aires suite au putsch de Pinochet en 1973, le général Carlos Prats fut assassiné en Argentine, par des agents de la Dirección de inteligencia nacional, DINA (Direction nationale du renseignement) la police politique chilienne pendant la dictature militaire, le 30 septembre 1974, sous les ordres de Augusto Pinochet, dans un attentat à la voiture piégée. Son meurtre et celui de sa femme Sofia Cuthbert, sont les premiers de «l’Opération Condor», vaste campagne d’élimination d’opposants lancée par les dictatures militaires du cône sud.

«General Prats, usted tenía razón»  

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General Prats, usted tenía razón Quilapayún
Cette chanson fut enregistrée en studio en 1975
- 


FUNÉRAILLES DU GÉNÉRAL CARLOS PRATS ET
SON ÉPOUSE SOFÍA CUTHBERT DANS LE
CIMETIÈRE GÉNÉRAL DU CHILI
PHOTO MUSÉE DE LA MÉMOIRE

 ET DES DROITS DE L'HOMME 



SUR LE MÊME SUJET :

GAZA – LIBAN. UNE GUERRE OCCIDENTALE

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MAX ERNST, L’ANGE DU FOYER (LE TRIOMPHE DU SURRÉALISME),
 1937, HUILE SUR TOILE, 117.50 X 149.80 CM

Gaza – Liban. Une guerre occidentale / 
LOGO ORIENT XXI
L'image représente une œuvre surréaliste, où des formes humaines et animalières sont fusionnées dans un mouvement dynamique. La figure centrale, avec des couleurs vives et des drapés fluides, semble incarner une émotion intense, peut-être de la colère ou de la passion. Les éléments grotesques et déformés ajoutent une dimension d'étrangeté à la scène, et le fond clair contraste avec la complexité des figures, créant un effet visuel captivant et déroutant.

Israël/Palestine > Conflits > 

par Alain Gresh et Sarra Grira 

Gaza 2023—2024 Hezbollah Bande de Gaza Israël Liban Palestine

Jusqu’où ira Tel-Aviv ? Non content d’avoir réduit Gaza à un champ de ruines en plus d’y commettre un génocide, Israël étend ses opérations au Liban voisin, avec les mêmes méthodes, les mêmes massacres, les mêmes destructions, convaincu du soutien indéfectible de ses bailleurs occidentaux devenus complices directs de son action.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Le nombre de morts libanais des bombardements a dépassé 1 640, et les « exploits » israéliens se sont multipliés. Inaugurés par l’épisode des bipeurs, qui a suscité la pâmoison de nombre de commentateurs occidentaux devant « l’exploit technologique ». Tant pis pour les victimes, tuées, défigurées, aveuglées, amputées, passées par pertes et profits. On répétera ad nauseam qu’il ne s’agit après tout que du Hezbollah, d’une « humiliation », organisation que, rappelons-le, la France ne considère pas comme une organisation terroriste. Comme si les explosions n’avaient pas touché l’ensemble de la société, tuant miliciens ou civils de manière indifférenciée. Pourtant, le recours à des objets piégés est une violation du droit de la guerre, comme l’ont rappelé plusieurs spécialistes et organisations humanitaires (1).

BIPEURS
DESSIN NESTOR SALAS

Les assassinats sommaires des dirigeants du Hezbollah, dont celui de son secrétaire général Hassan Nasrallah, accompagnés chaque fois de nombreuses « victimes collatérales », ne font même pas scandale. Dernier pied de nez de Nétanyahou à l’ONU, c’est au siège même de l’organisation qu’il a donné le feu vert pour le bombardement de la capitale libanaise.

À Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU enfouissent chaque jour un peu plus les avis de la Cour internationale de justice (CIJ). La Cour pénale internationale (CPI) tarde à émettre un mandat contre Benyamin Nétanyahou, alors même que son procureur fait état de pressions « par des dirigeants mondiaux » et par d’autres parties, y compris personnelles et contre sa famille (2). Avons-nous entendu Joe Biden, Emmanuel Macron ou Olaf Scholz protester contre ces pratiques ?

Cela fait presque un an que quelques voix, qui passeraient presque pour les fous du village, dénoncent l’impunité israélienne, encouragée par l’inaction occidentale. Jamais une telle guerre n’aurait été possible sans le pont aérien des armes américaines — essentiellement, et dans une moindre mesure européennes —, et sans la couverture diplomatique et politique des pays occidentaux. La France, si elle le voulait, pourrait prendre des mesures qui frapperaient vraiment Israël, mais elle refuse encore de suspendre les licences d’exportation d’armement qu’elle lui a accordées. Elle pourrait aussi défendre à l’Union européenne, avec des pays comme l’Espagne, la suspension de l’accord d’association avec Israël. Elle ne le fait pas.

Cette Nakba palestinienne qui n’en finit pas et cette destruction en règle qui s’accélère au Liban ne sont pas seulement des crimes israéliens, mais aussi des crimes occidentaux, dans lesquels Washington, Paris et Berlin portent une responsabilité directe. Loin des gesticulations et des mises en scène dont l’Assemblée générale de l’ONU a été le théâtre ces jours-ci, ne soyons dupes ni des colères de Joe Biden, ni des vœux pieux énoncés par Emmanuel Macron sur la « protection des civils », lui qui n’a jamais manqué une occasion pour montrer un soutien sans faille au gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou. Oublions même nombre de ces diplomates qui ont quitté la salle de l’Assemblée générale de l’ONU au moment de la prise de parole du Premier ministre israélien, dans un geste qui relève davantage de la catharsis que de la politique. Car si des pays occidentaux sont les premiers responsables des crimes israéliens, d’autres, comme la Russie ou la Chine n’ont pris aucune mesure pour mettre fin à cette guerre dont le périmètre s’étend chaque jour, et déborde sur le Yémen aujourd’hui et peut-être sur l’Iran demain.

Cette guerre nous enfonce dans un âge sombre où les lois, le droit, les garde-fous, tout ce qui empêcherait cette humanité de sombrer dans la barbarie, sont méthodiquement mis à terre. Une ère où une partie a décidé de la mise à mort de l’autre partie jugée « barbare ». Des « ennemis sauvages », pour reprendre les mots de Nétanyahou, qui menacent « la civilisation judéo-chrétienne ». Le premier ministre cherche à entraîner l’Occident dans une guerre de civilisation à connotation religieuse, dont Israël se pense comme l’avant-poste au Proche-Orient. Avec un succès certain.

Par les armes et les munitions dont ils continuent à alimenter Israël, par leur soutien indéfectible à un fallacieux « droit à se défendre », par le rejet de celui des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes et à résister à une occupation que la CIJ a décrété illégale et dont elle ordonne l’arrêt — décision que le Conseil de sécurité de l’ONU refuse d’appliquer —, ces pays portent la responsabilité de l’hubris israélien. Membres d’institutions aussi prestigieuses que le Conseil de sécurité de l’ONU ou le G7, les gouvernements de ces États entérinent la loi de la jungle imposée par Israël et la logique de la punition collective. Cette logique était déjà à l’œuvre en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003, avec les résultats que l’on connaît. Déjà en 1982, Israël avait envahi le Liban, occupé le Sud, assiégé Beyrouth et supervisé les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila. C’est cette « victoire » macabre qui a abouti à l’essor du Hezbollah, tout comme la politique israélienne d’occupation a abouti au 7 octobre. Car la logique de guerre et de colonialisme ne peut jamais déboucher sur la paix et la sécurité.

par Alain Gresh et Sarra Grira 

Alain Gresh

Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui… (suite)

Sarra Grira 

Journaliste, rédactrice en chef d’Orient XXI.

  

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« DE TOUS LES FLEUVES À TOUTES LES MERS »


FENÊTRE SUR COUR

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 LA FRACTURE NORD-SUD

samedi, septembre 28, 2024

LES CHILIENNES MANIFESTENT À SANTIAGO POUR RÉCLAMER LA LÉGALISATION TOTALE DE L’AVORTEMENT

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DES MANIFESTANTES LORS D'UN RASSEMBLEMENT EN FAVEUR DE
LA DÉCRIMINALISATION DE L'AVORTEMENT DANS LE CADRE DE LA
JOURNÉE INTERNATIONALE DE L'AVORTEMENT À SANTIAGO,
LE 27 SEPTEMBRE 2024.
PHOTO RODRIGO ARANGUA

LOGO RFI

Les Chiliennes manifestent à Santiago pour réclamer la légalisation totale de l’avortement / Au Chili, depuis 2017, l’avortement n’est possible que dans trois cas : lorsque la vie de la personne enceinte est en danger, s’il y a eu viol, ou si le fœtus est malformé. En 2023, un peu plus de 800 avortements ont été réalisés dans le cadre de cette loi. Un chiffre en réalité dérisoire, car plusieurs dizaines de milliers d’avortements auraient lieu dans la clandestinité chaque année. À l'occasion de la Journée mondiale pour le droit à l'avortement, des centaines de Chiliennes ont manifesté vendredi 27 septembre pour réclamer une légalisation totale de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

RFI / Avec notre correspondante à Santiago, Naila Derroisné

RFI 

« Avanzar, avanzar al aborto sin causal ! » « L’avortement sans conditions », c’est ce que demandent les féministes au Chili.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

« Une femme qui n’entre pas dans le cadre de la loi, mais qui est bien décidée à avorter, devra le faire dans la clandestinité, affirme Andrea, qui fait partie de la coordination féministe du 8 mars. Les femmes qui en ont les moyens vont dans d’autres pays où l’IVG est légale. Mais si elles n’ont pas assez d’argent, elles doivent se cacher, mettant leur vie en danger, prenant le risque d’être arrêtée, avec aussi des conséquences sur leur santé physique et mentale. »

Selon un sondage, 38 % de Chiliens seraient favorables au droit à l'IVG total

Et même lorsqu’une femme entre dans le cadre de la loi, rien n’est gagné d’avance. « Il y a un pourcentage élevé de médecins objecteurs de conscience et c’est un obstacle supplémentaire », précise Aldo.

En juin dernier, le président Gabriel Boric a alors annoncé un projet de loi pour légaliser complètement l’avortement. Amanda, comme d'autres femmes présentes lors de la manifestation à Santiago, n'est pas convaincue. « Le Congrès reste un grand obstacle, car il y a beaucoup de parlementaires de droite qui s’opposent à ce droit des femmes », déplore-t-elle.

Selon un récent sondage, les Chiliens seraient pourtant de plus en plus favorables à l’IVG, 38 % soutiennent l’idée de l’avortement sans conditions.

D'après l'ONG Center for Reproductive Rights, seulement 34 % des femmes en âge de procréer vivent dans des pays (77 au total) où l'avortement est autorisé sur simple demande. Selon la même source, les avortements clandestins causent 39 000 décès par an.


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mercredi, septembre 25, 2024

ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE PATRICIO MANNS

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FESTIVAL DES ETONNANTS VOYAGEURS DE SAINT MALO DE 1996
PORTRAIT DE L'ÉCRIVAIN CHILIEN PATRICIO MANNS
LE 26 MAI 1996 À SAINT MALO, FRANCE. 
PHOTO DE FRÉDÉRIC REGLAIN 
 2021 -25 septembre- 2024

TROISIÈME ANNIVERSAIRE DE
LA MORT 
DE PATRICIO MANNS 

PATRICIO MANNS
Ivan Patricio Eugenio Manns de Folliot, dit Patricio Manns, né le 3 août 1937 à Nacimiento, dans la région du Biobío, au Chili, et décédé le 25 septembre 2021 à Viña del Mar fut un chanteur, musicien, romancier et poète, qui a reçu les plus hautes distinctions littéraires.
« Ton départ laissera un vide impossible à combler, mais ton nom, ton œuvre resteront gravés en lettres de feu dans la mémoire du peuple. » – Mots de ses camarades du groupe «Inti-Illimani »

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PATRICIO MANNS ET JOAN MANUEL SERRAT
 
« EDURNE »


FESTIVAL DE SAN SEBASTIAN: AVEC «EL LUGAR DE LA OTRA», LA CHILIENNE MAITE ALBERDI INTERROGE L'IDENTITÉ

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MERCEDES, INTERPRÉTÉE PAR ELISA ZULUETA, EST LA PRINCIPALE PROTAGONISTE
DU FILM CHILIEN "EL LUGAR DE LA OTRA", DE MAITE ALBERDI, PRÉSENTÉ EN
SECTION OFFICIELLE AU 72E FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE SAN SEBASTIAN
 QUI S'EST OUVERT LE 20 SEPTEMBRE. UN FILM CO-PRODUIT PAR NETFLIX
, QUI SORT EN SALLES DANS LES PROCHAINS JOURS AU CHILI.
PHOTO  FESTIVAL DE SAN SEBASTIAN
LOGO RFI

Culture / Festival de San Sebastian: avec «El lugar de la otra» (À sa place), la Chilienne Maite Alberdi interroge l'identité / Le documentaire de Maite Alberdi, «Memoria infinita», avait été l'une des belles surprises des Rencontres cinémas d'Amérique latine de Toulouse en mars dernier, et «El lugar de la otra», que l'on pourrait traduire par La place de l'autre, long-métrage proposé en sélection officielle à San Sebastian, est à nouveau une belle découverte. Premier film de fiction de la réalisatrice, servi par un casting impeccable et un scénario malin, qui ne peut être enfermé dans une case, le film questionne l'identité et la place de la femme dans le Chili des années cinquante. [« Ce n'est que du Cinéma »]

[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

Par Isabelle Le Gonidec 

De notre envoyée spéciale à San Sebastian,

5 mn

COUVERTURE DE
«LAS HOMICIDAS
/ WHEN WOMEN KILL»

le film est adapté du livre d'Alia Trabucco, Las homicidas (2020), qui raconte quatre agressions commises par des femmes. Le scénario est donc adapté d'une histoire vraie, celle de Maria Carolina Geel, de son nom de plume, une écrivaine qui assassina son amant dans les années 1950 dans le salon de thé du célèbre hôtel Crillon de Santiago. L'affaire défraya la chronique et la presse à sensation. « Je n'ai pas pu tirer de ce livre un documentaire, explique la réalisatrice que l'on connaît comme une documentariste avisée, tous les personnages de l'époque ayant disparu ». Il lui a fallu avoir recours à la fiction, un genre nouveau pour elle, mais profondément nourri d'un travail d'investigation dans les sources littéraires et juridiques de l'époque.

Un «documentaire d'époque»

Il faut souligner le travail du chef opérateur, Sergio Armstrong, auquel on doit aussi les images de Neruda, Emma ou encore Je tremble O Matador. Le cadre est soigné, de même que les costumes et les décors — qu'il a fallu reconstituer le plus souvent, le Chili ayant peu le goût du patrimoine, souligne Maite Alberdi ; et les deux actrices qui interprètent la greffière (Elisa Zulueta) et l'écrivaine (Francisca Lewin) sont tout à fait convaincantes. La première dans son cheminement et la seconde dans son mystère. Maria Carolina Geel a toujours refusé d'expliquer son geste et le scénario respecte ce choix. L'équipe du film, Maite Alberdi et ses co-scénaristes, Inès Bortagaray et Paloma Salas, ont lu toute l'œuvre de Geel et le dossier judiciaire. Une œuvre qui interroge sur la problématique du genre et la place de la femme dans le Chili des années cinquante.

ELISA ZULUETA, MAITE ALBERDI (CENTRE) ET FRANCISCA LEWIN,
COMÉDIENNES ET RÉALISATRICE DU FILM EL LUGAR DE LA OTRA,
PRÉSENTÉ EN SÉLECTION OFFICIELLE AU FESTIVAL
INTERNATIONAL DU FILM DE SAN SEBASTIAN.
PHOTO JORGE FUEMBUENA / SAN SEBASTIAN SSIFF

D'emblée, la question de l'identité est posée. Qui est la criminelle, Georgina Silva Jimenez ou Maria Carolina Geel ? Et qui est Mercedes, l'assistante du juge (auquel on a prêté la moustache de Salvador Allende), que l'on devine intéressée et troublée par l'affaire. Cette mère de famille de classe moyenne modeste, mère de deux garçons turbulents, vit dans un appartement exigu qui sert également de studio photo à son mari qui semble avoir peu de talent pour la photographie. Elle, Mercedes, si, elle a l'œil expert et attentif. Et elle porte sur l'accusée un vrai regard, qui tente de comprendre et auquel fait écho la dernière chanson du film, interprétée par Billie Holiday, I'll be seeing you.

D'autres vies sont possibles

Petite femme terne au début du film, « personne ne la voit », fait remarquer son interprète Elisa Zulueta, Mercedes change de stature au fil de la narration, lorsqu'elle découvre le cadre de vie, la garde-robe, la riche bibliothèque de Maria Carolina Geel. Par petites touches, elle prend de la couleur (du rôle du rouge à lèvres comme nouvelle peau) et de l'assurance : elle prend la pose devant la glace, apprend à se regarder, découvre que d'autres vies de femmes sont possibles.

Divorcée, Maria Carolina Geel refusa d'épouser l'amant qu'elle finira par assassiner. La (véritable) lettre dans laquelle elle lui explique qu'elle ne veut être réduite au rôle d'épouse est lue dans le film. Elle est forte. Et la scène dans laquelle elle jette dans la boueuse rivière Mapocho la cireuse qu'il lui a offerte, dramatiquement cocasse. La cireuse, un instrument qui réduit la femme à sa supposée condition de ménagère. Les larmes aussi de Mercedes lorsque son mari lui en offre une. Elle, que sa famille appelle « la juge », alors qu'elle n'est « que » greffière.

Mercedes enfile littéralement le costume de l'écrivaine. Elle dévore ses livres — la poétesse Gabriela Mistral (Nobel de littérature en 1945) ou encore Maria Luisa Bombal (qui elle aussi défraya la chronique judiciaire) —, avance dans sa quête d'elle-même. Elle ose aussi la photographie : elle a l'instinct du cadre et du portrait, à la différence du photographe officiel, son mari. D'ailleurs le Rolex est à elle, lui rappelle-t-elle, un cadeau de son père. Il est beau le portrait qu'elle fait de l'écrivaine dans sa cellule et celui qu'elle saisit de la femme du peuple emprisonnée pour avoir égorgé son gendre maltraitant.

FILM «À SA PLACE»: FRANCISCA LEWIN
PHOTO  DIEGO ARAYA CORVALÁN

Le film interroge également une justice de genre et une justice de classe. Maria Carolina a été condamnée à une peine de trois ans de prison qui sera réduite à la demande de Gabriela Mistral. Les femmes étaient en général condamnées dans ces affaires de crimes passionnels à de faibles peines ou même graciées, explique la réalisatrice, en raison de leur supposée faiblesse ou hystérie. Une manière de les invisibiliser, selon Maite Alberdi. De cette expérience de la détention, Geel fera un livre, Cárcel de mujeres, qui connaîtra un certain succès. « Même en détention, elle a fait preuve d'une grande liberté intellectuelle », explique la réalisatrice qui revendique un film sur la quête de liberté de chacun, la manière dont on construit cette liberté. Le film, qui fait écho à des questionnements toujours très contemporains, sort dans les prochains jours au Chili et on espère vivement le voir sur les écrans en France.

Le site du festival de San Sebastian

Le rideau s'est levé vendredi 20 septembre sur la 72ème édition du festival de San Sebastian

C'est la comédienne australo-américaine Cate Blanchett qui a ouvert le bal, recevant le prix Donostia du festival. L'acteur Javier Bardem, qui avait reçu l'an dernier le prix mais n'était pas venu à San Sebastian par solidarité avec la grève du syndicat des comédiens aux États-Unis, a également récupéré le sien. Carton plein donc pour les hommages avec, en cerise sur le gâteau, Pedro Almodovar dont le dernier long métrage La habitación de al lado, est projeté jeudi 26 septembre. Côté films, la profusion habituelle, tant au niveau des différentes sections du festival, que du public toujours fidèle qui attend les derniers films de François Ozon, Costa Gavras ou encore Joshua Oppenheimer, et de découvrir de nouveaux talents. Comme chaque année, le cinéma latino-américain est présent en force et un focus sur l'Argentine, dont la culture est largement sacrifiée par la politique d'austérité du gouvernement Milei, est proposé. Après Toulouse et Cannes, San Sebastian donne la parole aux cinéastes. Côté polémique, un peu de tensions à l'annonce de la projection du dernier film d'Albert Serra, Tardes de soledad, qui suit les pas d'un toréador. Sa sélection a soulevé la critique du mouvement animaliste alors que justement cette année, le Grand prix national de tauromachie a été supprimé en Espagne. La tauromachie ne fait pas partie de mon univers, a rétorqué José Luis Rebordinos, directeur du festival, mais « J'ai vu le film et il me paraît très intéressant, parce que c'est une approche artistique du monde de la tauromachie ». Gageons qu'on en reparlera.

 

FILM «À SA PLACE»: FRANCISCA LEWIN
PHOTO  DIEGO ARAYA CORVALÁN

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lundi, septembre 23, 2024

ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE JOSÉ MIGUEL VARAS

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JOSÉ MIGUEL VARAS
ARCHIVE DE FAMILLE

13ème ANNIVERSAIRE 
DE LA MORT DE JOSÉ MIGUEL VARAS
2011 -23 SEPTEMBRE- 2024

Un vendredi 23 septembre 2011, le Prix National de Littérature 2006 et éminent journaliste, José Miguel Varas, est décédé à la suite d’un arrêt cardiaque alors qu’il dormait. Sa mort survient le jour même de la mort de son grand ami, le poète Pablo Neruda.

Par Carlos Pinto Vidal

JOSÉ MIGUEL VARAS

josé Miguel est un personnage de grandes histoires qu’il a écrit, qui lui ont valu la plus haute distinction des lettres au Chili et d’autres dans différents pays, y compris en Europe.

C’est lui qui a dirigé l’équipe de journalistes chiliens qui a développé sous la dictature militaire au Chili des programmes quotidiens par Radio Moscou, destinés à l’opinion publique internationale et au peuple chilien.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

« Écoute Chili », a été suggéré depuis le Chili par un groupe de combattants clandestins. José Miguel Varas a accompagné le secrétaire général du PC chilien, Luis Corvalán, dans toutes ses tournées dans les pays européens après que la dictature fut contrainte à le libérer sous la pression internationale et grâce à l’aide fraternelle de l’ex-Union soviétique à l’époque.

Les collègues de Varas se souviennent de lui comme d’un réalisateur, un professionnel aux conditions remarquables et à un dévouement à la cause de la liberté du peuple chilien qui a impliqué d’atteindre des niveaux de succès et de maturité politique dans des circonstances nouvelles qui se développaient après le coup d’État militaire au Chili.

Comme l’un de leurs collègues qui fut  assistant dans l’équipe qui a diffusé l’émission « Écoute Chili » ainsi que celle qui portait le nom de « Radio Magellan ».

C’était un homme absolument sérieux et pourtant, possédant un humour et une mémoire enclins au récit d’anecdotes et de blagues ou donnant lieu à des sorties face à des situations comme celles qui se passaient à Moscou, il a écrit un livre qui révèle de nombreux secrets de ce qu’était l’ex-URSS et qu’il a intitulé « Les pantoufles de Staline ». Pour certains de ses amis, collègues, ce livre marque son dévouement à cent pour cent au retour de l’exil à la littérature.

Pour ceux qui ne l’ont pas connu, sachez qu’il avait un esprit aux points de vue d’incalculables nuances, racontées avec un sérieux monacal. À Moscou, sa maison était le lieu de réunion dominicale des journalistes chiliens qui travaillaient à Radio Moscou, avec un barbecue sud-américain et une ou plusieurs vodka soviétiques.

Ceux qui l’ont connu apprécient sa conséquence politique, sa grandeur professionnelle en tant qu’écrivain et journaliste et ses conditions humaines pour être le grand ami dont tout le monde rêve  d’avoir dans notre vie.

JOSÉ MIGUEL VARAS

samedi, septembre 21, 2024

TIKTOK SUPPRIME LES COMPTES RT ET SPUTNIK

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LES MÉCHANTS LOUPS
DESSIN CARLOS AMORIM 

LOGO 
RT France
Page d'accueil / International  / TikTok supprime les comptes RT et Sputnik 21 sept. 2024, 17:58 © Kiichiro Sato Source: AP Suivez RT en français sur Telegram Les comptes de Sputnik Serbie, Sputnik Afrique, Sputnik International, Sputnik Brésil, Sputnik Monde et Sputnik Indonésie sont inaccessibles depuis la matinée de ce 21 septembre. Cette décision, qui concerne RT International également intervient après que les États-Unis ont imposé des sanctions à plusieurs médias russes. 

RT en français

Pour contourner la censure utiliser un réseau privé virtuel  (VPN)

Comment utiliser le VPN gratuit et illimité du navigateur Opera ?

La plateforme de partage de vidéos TikTok a supprimé les comptes de plusieurs branches du réseau médiatique Sputnik et RT international. Cette mesure intervient quelques jours après que les États-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions visant plusieurs médias russes, y compris RT. 

PARTI COMMUNISTE CHINOIS ET TIKTOK AUX ÉTATS-UNIS,
ILLUSTRATION PAR ALEXANDER HUNTER
POUR THE WASHINGTON TIMES 


► À lire aussi :         L’ATTAQUE CONTRE TIKTOK OU LA COMPÉTITION DES TARTUFFE

Depuis la matinée de ce 21 septembre, les comptes de Sputnik Serbie, Sputnik Afrique, Sputnik International, Sputnik Brésil, Sputnik Monde et Sputnik Indonésie sont devenus inaccessibles. À l'heure actuelle, TikTok n'a pas encore réagi à cette situation. 

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Sputnik Serbie a publié une image montrant une requête indiquant que le compte était introuvable, ajoutant que sa page avait également été bloquée sur Facebook, mais était toujours opérationnelle sur la plateforme X (anciennement Twitter).

► À lire aussi :         LES STATUES GÉANTES DE L’ÎLE DE PÂQUES MENACÉES PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

LES ÉTATS-UNIS CRAIGNENT QUE BYTEDANCE NE TRANSMETTE DES
INFORMATIONS SUR LES UTILISATEURS AMÉRICAINS DE TIKTOK 
À SON SIÈGE DE PÉKIN ET AUX SERVICES DE   RENSEIGNEMENT 
CHINOIS. BYTEDANCE DÉMENT CETTE INFORMATION
PHOTO GETTY IMAGES

TikTok, propriété de la société chinoise ByteDance, a fait face à une pression croissante de la part des autorités américaines ces derniers mois. En avril, le président Joe Biden avait signé une loi stipulant que le réseau social pourrait être interdit aux États-Unis s'il n'était pas vendu dans un délai d'un an. 

Sanctions américaines contre les médias russes 

La semaine dernière, les États-Unis ont annoncé des sanctions contre plusieurs agences de presse russes, notamment RT ainsi que ses sociétés mères, Rossia Segodnia et TV-Novosti. Les autorités américaines ont déclaré que ces mesures visaient à «saper la démocratie» de manière insidieuse dans le pays.

LE PATRON DE TIKTOK, SHOU ZI CHEW, A ASSURÉ AUX REPRÉSENTANTS
DU CONGRÈS AMÉRICAIN QUE LES AUTORITÉS CHINOISES NE
POSSÈDENT NI NE CONTRÔLENT LA MAISON-MÈRE
 DU TRÈS POPULAIRE RÉSEAU SOCIAL.
PHOTO  MICHAEL REYNOLDS

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a ajouté que RT opérait comme une «branche de facto» des services de renseignement russes.

À la suite des nouvelles restrictions, le géant américain de la technologie Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, a interdit plusieurs réseaux d’information russes, y compris RT. La décision a été justifiée par ce que Meta décrit comme une «activité d’ingérence étrangère» de la part des médias russes. 

La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova a dénoncé les nouvelles sanctions comme un acte d’«agression» flagrant, ajoutant que les restrictions reposaient sur des accusations «monstrueuses et sans fondement». La diplomate russe a également estimé qu’il s’agissait d’une «déclaration de guerre de l’information […] basée sur une idéologie russophobe et nationaliste absolument claire.» 

Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a également fustigé cette décision, affirmant que Meta s’était complètement «discrédité» en s’engageant dans ce qu’il a appelé des «actions sélectives contre les médias russes».

Du côté de RT, on joue la carte de la dérision. «Nous avons diffusé directement depuis le siège du KGB tout ce temps», a fait savoir son service de presse. «Non, mais sérieusement, on manque de pop-corn pour nous asseoir et regarder ce que le gouvernement américain va encore inventer à notre sujet», peut-on lire dans le communiqué de la chaîne.

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LES STATUES GÉANTES DE L’ÎLE DE PÂQUES MENACÉES PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

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STATUES DE PIERRE SUR UNE ZONE DÉVASTÉE PAR UN INCENDIE,
 DANS LE PARC NATIONAL DE RAPA NUI, SUR L’ÎLE DE PÂQUES, AU CHILI,
LE 6 OCTOBRE 2022. RAPANUI MUNICIPALITY SHOWS MOAIS/ AFP

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LE MONDE

PLANÈTE / CLIMAT / Les statues géantes de l’île de Pâques menacées par le changement climatique : « Il faut se rendre à l’évidence, on ne pourra pas toutes les protéger » / Les moaïs, célèbres statues de tuf volcanique, sont rattrapés par la montée des eaux et souffrent des aléas climatiques accentués par le réchauffement. À l’image de l’île elle-même, exposée aux tempêtes, à la sécheresse et aux incendies. / « Voilà mes moaïs ! »  À grands pas, Vaihere Tuki Haoa s’approche d’un monticule de pierres volcaniques face à l’océan. Dans le sud-est de l’île de Pâques, deux géants endormis reposent au sol : torses bombés, visages impassibles et regards tout droit tournés vers le ciel. « Ils ont été sculptés par mes ancêtres, issus du clan Ngaruti. Ce site, c’est la mémoire vivante de ma famille ! », raconte avec émotion cette guide locale âgée de 43 ans.

Par Bruno Meyerfeld (Rapa Nui, Chili envoyé spécial)

Temps de Lecture 8 min.

PHOTO FEIFEI
CUI-PAOLUZZO


Mais les deux colosses de l’Ahu (plate-forme cérémonielle) One Makihi n’ont vraiment pas le même profil. Le premier a le teint blond et le nez pointu, sa figure, son front et ses orbites sont parfaitement dessinés. Quant au second… charbonneux, lépreux, décrépi, les traits de son visage sont à peine discernables. Il ressemble de plus en plus à une grosse pierre. « Mon moaï est laissé à l’abandon. Il disparaît peu à peu », s’attriste Vaihere Tuki Haoa.

LES MOAÏ SONT LES STATUES MONUMENTALES DE L’ÎLE DE PÂQUES,
SITUÉE EN POLYNÉSIE ORIENTALE ET APPARTENANT AU CHILI.
PHOTO AFP

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Pour la guide, aucun doute : l’Ahu One Makihi est loin d’être un cas à part. Sur l’île de Pâques (Rapa Nui, en langue polynésienne), les moaïs se détériorent à vue d’œil, à tel point que certains prédisent la transformation des majestueuses statues de pierre en sable d’ici à quelques dizaines d’années seulement. Une catastrophe économique et culturelle pour ce petit territoire chilien, à peine grand comme l’île d’Oléron, peuplé par 7 700 personnes.

À 3 500 kilomètres des côtes d’Amérique du Sud, l’accès à l’un des havres les plus isolés de la planète se mérite. Rapa Nui, avec ses prairies dénudées parcourues de chevaux libres, son chapelet de volcans éteints, ses falaises éboulées et noires comme de l’encre, se dévoile après cinq heures de survol ininterrompu du Pacifique depuis Santiago. Le minuscule rocher du bout du monde, perdu dans le grand bleu, royaume de tant de fantasmes et de mystères, conserve toute sa force d’envoûtement.

Pierre friable et poreuse

Pedro Edmunds Paoa, maire de la commune de Rapa Nui, en est bien conscient. À 63 ans (dont la moitié à cette fonction), l’édile aime raconter au visiteur de passage la longue histoire de sa petite île, à commencer par l’arrivée du mythique premier roi Hotu Matu’a, débarqué avec sa cour en canoé à double coque, et malgré des courants contraires, depuis les lointaines Marquises, il y a de cela 1 200 ou 800 ans… Une histoire qui, assure-t-il, fascinait au plus haut point l’ancien président français Jacques Chirac, féru d’arts premiers. « Il rêvait de visiter Rapa Nui ! », se souvient M. Paoa.

Mais, à propos des moaïs, le maire s’assombrit : l’île compte autour de mille de ces statues de pierre, redressées, affalées au sol ou semi-enterrées, dont les plus grandes peuvent mesurer 21 mètres et peser 270 tonnes. Mais ces géants ont des pieds d’argile : « Ils ont presque tous été fabriqués à partir de tuf issu du volcan Rano Raraku [dans le sud-est de l’île] », rappelle M. Paoa. Une pierre tendre, facile à travailler, mais friable et poreuse à l’extrême. « Ils subissent de plein fouet les atteintes du vent, de l’eau salée, de la pluie et du soleil. Les moaïs sont constamment menacés et se dégradent d’année en année », s’alarme le maire.


Les colosses disparaîtront-ils avant d’avoir livré leurs secrets ? La fabrication des statues, revêtues d’un couvre-chef ocre (le pukao) et dotées d’yeux de corail blanc, ainsi que leur difficile transport, parfois sur vingt kilomètres, ont donné libre cours à toutes les interprétations, depuis l’intervention d’extraterrestres jusqu’à l’existence d’un écocide provoqué par les habitants de l’île de Pâques : une idée popularisée par le géographe Jared Diamond dans son livre Effondrement (Gallimard, 2006), battue en brèche par les recherches archéologiques et plus récemment par une étude génétique publiée dans la revue Nature, le 11 septembre.

Acheminés vers la côte en roulant sur des rondins de bois ou en « marchant » grâce à un ingénieux système de cordage, les moaïs auraient eu pour fonction de protéger spirituellement les villages et représenter physiquement les anciens, tout en abritant leurs dépouilles. Au fil des siècles, les géants furent d’abord victimes des hommes. Des peuples de Rapa Nui, premièrement, en proie à des guerres intestines et qui n’hésitaient pas à renverser à terre les statues du clan vaincu. De générations de colons, ensuite, depuis l’arrivée du premier explorateur hollandais Jakob Roggeveen, en 1722. Européens et Américains du Nord comme du Sud n’ont pas hésité à réduire la population de l’île en esclavage et à piller ses trésors.

« Rongés par les vagues »

« Mais, aujourd’hui, le principal péril, c’est le changement climatique », tranche Ariki Tepano, 30 ans, directeur de la communauté indigène Ma’u Henua, chargé d’administrer le parc national de Rapa Nui. Fort de treize sites archéologiques, celui-ci s’étend sur près de la moitié de l’île. « Presque tous les moaïs sont construits au bord de l’eau. Or, le niveau de la mer monte. Les monuments sont rongés par les vagues, s’effondrent et tombent dans la mer », constate-t-il.

Rapa Nui est aussi désormais en proie à des sécheresses d’une intensité et d’une durée sans précédent. Conséquence : en octobre 2022, un incendie de grande ampleur a dévasté une centaine d’hectares et endommagé les moaïs par dizaines, dont certains de manière « irrémédiable ». L’image des stoïques colosses au visage calciné, reposant dans un paysage de cendres, a ému la planète.

Attisé par la sécheresse, le feu a été « provoqué par de mauvaises pratiques d’élevage », déplore Ariki Tepano. « Nous sortions de la pandémie de Covid-19 [durant laquelle l’île fut coupée du monde, de mars 2020 à août 2022] et les institutions n’étaient pas prêtes à faire face à un tel événement. Mais, aujourd’hui, nous travaillons dur pour prévenir les incendies. Nous sommes capables d’allumer des contre-feux partout autour du volcan », assure le directeur du Ma’u Henua.

Pour ne rien arranger, les moaïs subissent également des tempêtes tropicales, brèves mais de plus en plus violentes : une autre conséquence du réchauffement climatique. Au mois de juin, un inhabituel cyclone a traversé l’île, prenant les habitants de court. « Le tuf volcanique est comme une éponge : il absorbe très rapidement l’humidité de la pluie. Celle-ci s’infiltre et dégrade fortement la statue », poursuit Ariki Tepano.

Programme de restauration

En urgence, le Ma’u Henua a lancé un programme de restauration des statues. Des moaïs particulièrement abîmés du Rano Raraku vont recevoir, cette année, un traitement biochimique « consolidant et imperméabilisant » (dont l’association se refuse à dévoiler la marque pour « ne pas faire de publicité gratuite »). Le tout doit permettre aux géants de résister aux avaries du temps et du climat.

Mais l’opération reste une goutte d’eau dans le Pacifique : seuls cinq moaïs particulièrement abîmés recevront le traitement biochimique, pour un coût total prohibitif : 100 millions de pesos chiliens (environ 100 000 euros), financés conjointement par l’État chilien et l’association Ma’u Henua. Et le traitement devra être appliqué de nouveau dans quelques années. « Pour cette première intervention, il a fallu acheter beaucoup d’équipements, comme des bâches, des échafaudages… A l’avenir, l’opération reviendra moins cher », assure-t-on du côté de l’association.

L’argent manque cruellement sur cette terre si reculée. Le tourisme n’a pas retrouvé son niveau d’avant-pandémie. A peine 100 000 visiteurs devraient se rendre sur Rapa Nui cette année, contre 160 000 avant le Covid-19. De quoi grever les finances de Ma’u Henua, qui tire ses revenus de la billetterie du parc et a besoin d’un budget de fonctionnement de 3 millions d’euros pour veiller sur ces sites fragiles et uniques, classés au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995.

« L’État chilien se désintéresse de notre situation ! Les élites du continent sont lointaines et peu cultivées. Elles ne comprennent pas l’importance des moaïs. Et ce, peu importe la couleur du gouvernement », dénonce, de son côté, Pedro Edmunds Paoa, qui critique le manque d’investissement de Santiago. Longtemps méprisés par l’État chilien, les autochtones de Rapa Nui n’ont acquis le droit de vote et des papiers d’identité qu’en 1966.

Aujourd’hui, le maire en veut particulièrement au jeune président de gauche, Gabriel Boric, arrivé au pouvoir en 2021, et qui avait obtenu 70 % des voix au second tour sur l’île : « Il a soulevé beaucoup d’espoir… mais, finalement, il n’a rien fait pour nous. Il n’est d’ailleurs jamais venu en visite à Rapa Nui », peste M. Paoa. Afin de donner le change, le chef d’Etat chilien a néanmoins restitué à l’île, en 2022, le célèbre moaï Tau, l’un des très rares taillés dans du basalte, exposé depuis un siècle et demi au Musée national d’histoire naturelle de Santiago.

Patrimoine menacé dans son ensemble

Les géants de pierre sont loin d’être les seuls monuments en péril sur l’île : la petite Rapa Nui abrite plus de 400 sites archéologiques : pétroglyphes, carrières, grottes de pêcheurs, sépultures, villages cérémoniels, vestiges du culte rendu à la divinité homme-oiseau Make-make, postérieurs aux moaïs… « Sauver les seules statues ne sert à rien si on ne préserve pas tout le reste. Sans leur contexte socioculturel, elles perdent tout leur sens et leur symbolique », insiste Rafael Rapu, archéologue à l’association Ma’u Henua.

C’est l’ensemble de ce patrimoine qui est menacé par le climat, mais aussi les sols de cette île dénudée, où les arbres ne recouvrent que 5 % du territoire. « L’érosion est très grave et touche l’ensemble de Rapa Nui, créant des failles jusqu’à deux mètres de profondeur ! », alerte Ninoska Huki, cheffe provinciale de la Corporation nationale forestière (Conaf), organisme gouvernemental chargé de la protection des milieux naturels, et qui reçoit depuis ses bureaux en bois à la forme elliptique, inspirée des traditionnels jardins de pierre volcanique manavai.

Les glissements et affaissements du terrain entraînent l’écroulement des sols sur lesquels reposent les monuments, menacés d’être recouverts par les roches ou de tomber dans la mer. Plusieurs sites de l’île de Pâques sont désormais fermés aux visiteurs, comme celui de Mata Ngarahu. Là, face à l’océan, sur les flancs du grand volcan Rano Kau, sont conservés plus de 1 700 pétroglyphes, sur des roches fortement érodées qui risquent en permanence de sombrer dans l’océan…

Face au danger, la Conaf a lancé un vaste programme de reforestation, prévoyant de planter 240 000 arbres : pour l’essentiel des aitos, sélectionnés avec précaution en Polynésie française grâce à l’Office national des forêts (ONF). Un arbre absent de l’île de Pâques, mais surnommé à raison le « bois-de-fer ». « L’idée est de planter d’abord des arbres très résistants, capables de s’adapter à un environnement salin et volcanique comme celui de Rapa Nui, et efficaces pour ralentir l’érosion et récupérer les sols », détaille Ninoska Huki.

Péril existentiel et rituel

L’ambitieux programme risque cependant de mettre des années, voire des décennies, à produire ses effets. D’ici là, impossible de reproduire avec les moaïs de Rapa Nui l’exemple d’Abou Simbel en Egypte, dont les sanctuaires ont été déplacés pierre par pierre dans les années 1960 pour échapper à la submersion après la construction du barrage d’Assouan sur le Nil. « Il faut se rendre à l’évidence : ces statues, fragiles par essence, ne sont pas exposées dans une salle de musée avec un environnement et une température contrôlés, mais en plein air, sur une île isolée au milieu du Pacifique, frappée par le changement climatique. Même avec un grand programme de conservation, on ne pourra pas toutes les protéger », insiste l’archéologue Rafael Rapu.

L’enjeu dépasse de toute façon de très loin le tourisme, l’économie et le sort des sites archéologiques « Il s’agit ni plus ni moins que de la possibilité de vivre sur cette île. Avec la sécheresse et l’érosion, les nappes phréatiques s’assèchent ou se salinisent et Rapa Nui pourrait très bientôt manquer d’eau douce », frissonne Ninoska Huki.

Mais ce péril existentiel est aussi spirituel pour une population qui, après plusieurs siècles de colonisation, d’asservissement et d’assimilation forcée, proclame désormais fièrement son attachement à son passé et à ses racines. Un lien personnifié par les moaïs, tels ceux de l’Ahu One Makihi, si chers à Vaihere Tuki Haoa. « Les voir disparaître, c’est comme perdre un membre de la famille », conclut tristement la guide.

Par Bruno Meyerfeld

Bruno Meyerfeld (Rapa Nui, Chili envoyé spécial)


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LE MOAI HOA HAKANANAI´A EXPOSÉ AU BRITISH 
MUSEUM DE LONDRES, LE 20 NOVEMBRE 2018
PHOTO AFPARCHIVES


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