dimanche, février 12, 2023

FESTIVAL TRAVELLING: SANTIAGO DU CHILI AU CINÉMA, MILLE VISAGES ET MILLE IMAGES

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APRÈS BEYROUTH, LA NOUVELLE-ORLÉANS,
OU PRAGUE, LE FOCUS PROPOSÉ PAR
L'ÉQUIPE DU FESTIVAL TRAVELLING
DE RENNES PORTE CETTE ANNÉE
SUR SANTIAGO DU CHILI
(JUSQU'AU 14 FÉVRIER).
© TRAVELLING / CLAIR-OBSCUR

La capitale chilienne n'apparaissait pas, a priori, comme une ville de cinéma comme peuvent l'être Rio de Janeiro, Mexico ou Buenos Aires que Travelling a déjà accueillies. Mais au fil du festival rennais, Santiago prend chair. Ville creuset où se brassent cultures et migrations, où se prennent les décisions politiques, et où se fait l'histoire, la grande et la petite, elle devient cinématographique. 

Texte par : Isabelle Le Gonidec

De notre envoyée spéciale à Rennes,

si Santiago est relativement peu connue, le Chili, lui, est associé à de fortes images. Celles de la dictature d'Augusto Pinochet et de la répression. Celles aussi des grandes manifestations de la fin 2019, violemment réprimées, les manifestations de femmes contre les violences de genre orchestrées par le collectif Las Tesis, l'élection du nouveau président Gabriel Boric et le référendum sur la nouvelle Constitution, etc. Ces instantanés, on les retrouve dans l'offre de cinéma proposée par le festival Travelling.

Clair Obscur / Travelling · L'histoire contemporaine du Chili

Fiction ou documentaire, la sélection offre une plongée dans l'histoire contemporaine du pays. Les incontournables de la production de ces trente dernières années sont là : les documentaires de Patricio Guzman, qui offrent un panorama politique et poétique de l'histoire du Chili depuis l'élection de Salvador Allende, ceux aussi de Carmen Castillo ; tous deux ont d'abord travaillé depuis l'exil avant de reprendre le chemin de Santiago dans de fructueux allers-retours.

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Dans la fiction, des réalisateurs chiliens désormais installés parmi les cinéastes connus dans le monde entier racontent les soubresauts de ces cinquante années, à l'image de Pablo Larraín avec Santiago 1973 Post Mortem, Tony Manero ou encore No, qui met en scène le « non » des Chiliens au référendum organisé par Pinochet en octobre 1988 ; de Sebastian Lelio qui, à travers ses portraits de femmes fantastiques, défend le droit à l'altérité ; d'Andrès Wood, désormais plutôt producteur, mais dont le film Mi amigo Machuca a ouvert le ban, pour un public international, au nouveau cinéma d'auteur chilien en 2004. Et parmi les productions plus récentes, La Veronica de Leonardo Medel, sur la manipulation de l'image et des réseaux sociaux.

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Festival Travelling de Rennes, février 2023 : les réalisateurs chiliens Dominga Sotomayor, Ignacio Agüero et (à gauche) Diego Del Pozzo, universitaire et cinéaste qui a aidé aux prises de contact pour la programmation.

FESTIVAL TRAVELLING DE RENNES, FÉVRIER 2023 : LES RÉALISATEURS
 CHILIENS DOMINGA SOTOMAYOR, IGNACIO AGÜERO ET (À GAUCHE)
DIEGO DEL POZZO, UNIVERSITAIRE ET CINÉASTE QUI A AIDÉ
AUX PRISES DE CONTACT POUR LA PROGRAMMATION.
PHOTO GILLES PENSART

L'idée de consacrer une édition à Santiago du Chili a commencé à germer vers 2019, nous explique Anne Le Hénaff, directrice artistique du festival et programmatrice : il faut du temps et des relais pour monter une programmation. Mais étant donné que nous sommes en 2023, année du cinquantenaire du coup d'État, c'était le moment où jamais ! Ensuite, dans cette profusion de sources et d'images, il fallait trouver un fil conducteur, comment raconter Santiago, ses tensions entre passé et présent, son bouillonnement de capitale, mais aussi l'intimité du quotidien de ses habitants, tenter de comprendre pourquoi le pays a explosé en octobre 2019 et enfin convoquer le regard des cinéastes sur leur ville. « Le cinéma n'est pas que le reflet du temps présent, mais on arrive à ce temps présent parce qu'il y a des histoires », explique-t-elle. C'est alors que le projet d'inviter notamment Ignacio Agüero et Dominga Sotomayor a mûri.

Ignacio Agüero, un « portraitiste de Santiago »

Le documentariste Ignacio Agüero s'est imposé comme une évidence, raconte la programmatrice. Ses films les plus récents sont très directement liés à Santiago, mais c'est une ville intime qui nous est racontée : celle du quartier dans lequel vit le réalisateur, Providencia, qui disparaît à cause de la spéculation immobilière. Un quartier de classe moyenne, plutôt aisée si l'on en juge par la taille et l'allure de ces belles maisons sur lesquelles s'acharnent les bulldozers dans C'est ici que l'on construit (ou le lieu où je suis né n'existe plus).

Si Ignacio Agüero a eu une rétrospective de ses œuvres au festival de Biarritz en 2021, son cinéma documentaire est peu distribué en France. « Quand j'ai vu El otro dia, j'ai adoré !, s'enthousiasme Anne Le Henaff, je l'ai rencontré à Cannes, on a beaucoup discuté et c'était une évidence : si tu veux faire un portrait de Santiago, c'est lui qu'il faut inviter... Il intègre sa vie à lui dans la narration dans des allers et retours entre l'intime et le collectif ». Il filme sa maison, ses proches, la fenêtre qui ouvre sur le jardin, la lumière qui caresse les objets et les photos...


Pour les besoins de son film El otro dia (L'autre jour), il se rend chez les gens qui frappent à sa porte : facteur, livreur, mendiants, balayeuse... Des fils rouges tendus sur une grande carte de la ville permettent de visualiser les déplacements dans des quartiers éloignés et dressent une nouvelle géographie de sa ville. « Ce fil, c'est le travelling, le moins cher du monde », ironise le réalisateur. Dans un autre film, Nunca subi el Provincia (Jamais je n'ai gravi le Provincia), le va-et-vient se fait entre la maison et les habitants du quartier. « Ignacio Aguero, c'est le pendant de Patricio, ils sont de la même génération. Lui aussi un vrai conteur qui travaille le passé et le présent par le biais de la nature du pays ».

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Avant de travailler la matière offerte par sa ville, ce réalisateur à la longue carrière a aussi documenté la répression politique avec un documentaire coup de poing proposé à Travelling, No olvidar (Ne pas oublier) sur le massacre de Lonquen, réalisé en 1982 sous pseudonyme, ou encore la découverte du cinéma par des enfants de quartiers pauvres dans Cien niños esperando un tren (Cent enfants qui attendent un train), émouvant film de 1988. Un cinéaste qui questionne sans cesse le cinéma dans son œuvre, au point d'ailleurs de faire du cinéma de sa vie.

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Dominga Sotomayor, le coup de cœur

Autre invitée de premier plan, Dominga Sotomayor, un coup de cœur... Dans ses films, la jeune réalisatrice raconte l'histoire de personnes qui, eux, partent, qui quittent la ville. Mais la réalité sociale du pays est là, en creux, pour qui sait la voir : ce sont des histoires de « vraies gens » puisque ses films sont largement autofictionnels, inspirés d'images de son enfance, de souvenirs, de personnes de son entourage. Mais leur patte intimiste, ces petits riens qui font le quotidien, ne correspond peut-être pas à ce que les diffuseurs français attendent, d'où leur invisibilité de ce côté-ci de l'Atlantique.

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Il a fallu faire venir les copies et traduire ses films, faute de distribution. « Peut-être n'est-elle pas des clous ? », interroge Anne Le Hénaff. Dominga Sotomayor n'est pas dans la représentation que l'on peut avoir, de l'extérieur, du cinéma chilien, soit une cinématographie engagée, très ancrée dans l'histoire politique du pays : la dictature militaire et la répression qui a suivi, un libéralisme économique outrancier qui a laissé des millions de personnes sur le bord de la route, les révoltes successives jusqu'à l'explosion de 2019. « Il y a une méconnaissance de sa palette narrative et de mise en scène », regrette Anne Le Hénaff.

La construction d'un scénario, les choix de montage et de mise en scène... tout ce qui fait un film – comme en écho à la question récurrente posée par Ignacio Agüero à ces collèges cinéastes dans l'un de ses films : « c'est quoi une cinématographie ? » – sont analysés en marge des projections.  Travelling, c'est de la pédagogie : les propositions sont relayées dans les écoles avec l'opération Collège au cinéma, auprès des élèves et des enseignants, dans un désir toujours renouvelé d'éducation, d'éveil à l'image et à la construction d'un récit cinématographique.

Et Travelling Santiago, c'est aussi un focus sur le cinéma d'animation, dont le court métrage Bestia, du réalisateur multiprimé Hugo Covarrubias, des tirés à part sur la question Mapuche, la littérature, une sélection des films d'Alejandro Jodorowsky, merveilleux touche à tout hyper inventif, ou encore des films du plasticien Enrique Ramirez. Autant de propositions renouvelées chaque année pour la ville invitée (ces dernières années Prague, la Nouvelle-Orléans ou encore Beyrouth ont été mises à l'honneur) et c'est aussi bien sûr une fête.

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