jeudi, novembre 04, 2010

CHILI CHEZ LES MAPUCHES, UNE GÉNÉRATION D’INTELLOS

Les Mapuches ne sont pas tous de pauvres paysans, loin s’en faut. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à faire des études supérieures. Et cette génération qui s’instruit ne craint plus de revendiquer haut et fort ses origines.
NATIVIDAD LLANQUILEO PILQUIMÁN, PORTE-PAROLE DES 32 PRISONNIERS MAPUCHES EN GRÈVE DE LA FAIM. CETTE GRÈVE DE LA FAIM, COMMENCÉE LE 12 JUILLET 2010 DANS CINQ CENTRES DE DÉTENTION, A DURÉ QUATRE-VINGT-CINQ JOURS, AU TERME DESQUELS 34 MAPUCHES – RECONNUS COMME PRISONNIERS POLITIQUES PAR LA PLUPART DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES – ONT OBTENU DE NE PLUS ÊTRE POURSUIVIS EN TANT QUE « “TERRORISTES” ». LES GRÉVISTES AVAIENT ÉTÉ POUR LA PLUPART ARRÊTÉS EN 2009 LORS D’UNE MOBILISATION MAPUCHE POUR LA RÉCUPÉRATION DE LEURS TERRES ANCESTRALES. PHOTO QUÉ PASA 

Natividad Llanquileo Pilquimán, 26 ans, venait juste d’entamer son dernier semestre à l’Université bolivarienne de Santiago lorsqu’on lui a demandé, à la mi-juillet, d’être porte-parole des 32 prisonniers mapuches en grève de la faim*, parmi lesquels figuraient deux de ses frères, accusés d’actes terroristes, Héctor (29 ans) et Ramón (30 ans). Etudiante en droit, Natividad a pris le risque de perdre son année scolaire et a immédiatement quitté la faculté (et son emploi alimentaire d’emballeuse dans un supermarché) pour aller s’installer à Concepción. Depuis, son visage apparaît régulièrement dans les médias : elle a joué un rôle clé en allant voir les détenus à la prison El Manzano avec l’évêque (et médiateur) Ricardo Ezzati, mais aussi en devenant l’unique canal de communication entre les grévistes et le gouvernement [le président Piñera n’a abordé publiquement le sujet qu’au 54e jour de grève de la faim]. 
Repère
Le recensement de 2002 indique que les Mapuche, littéralement “peuple de la terre” en mapudungun, sont près de 600 000. Selon Pedro Cayuqueo, directeur de la revue mapuche Azkintuwe, créée en 2003, “on estime à 2 000 le nombre de jeunes Mapuche dans les seules universités publiques et privées de Temuco. Ils sont plusieurs centaines d’autres sur les campus et dans les facultés de Concepción, de Valdivia, d’Osorno et de Puerto Montt.”
J’ai un devoir envers mon peuple et, si on me demandait à nouveau de servir de porte-parole, je le ferais”, nous a-t-elle expliqué depuis l’hôpital de Concepción, où elle se rendait chaque jour pour suivre l’évolution de la santé de 5 des 34 grévistes [à partir du 1er septembre, deux jeunes Mapuches se sont joints aux 32 grévistes de la faim]. Mais, si Natividad s’est engagée politiquement dans la cause mapuche, ce n’est pas seulement parce que deux de ses cinq frères sont en prison [depuis 2009, pour avoir participé à une mobilisation pour la récupération des terres ancestrales ma­puches], ni parce qu’elle a assisté aux manifestations à Puerto Choque lorsqu’elle était enfant, ni parce qu’elle a vu ses parents se battre pour récupérer leurs terres. Natividad fait surtout partie d’une nouvelle génération de jeunes Mapuches éduqués – ils sont souvent les premiers de leurs différentes communautés locales à suivre des études supérieures – qui, en plus d’être des militants actifs, œuvrent à la revalorisation de leur culture à travers ce que beaucoup ont appelé le “nationalisme mapuche” : ils rejoignent des organisations, apprennent le mapudungun [la langue des Mapuche], jouent au palín [jeu traditionnel ressemblant au hockey sur gazon] et viennent en aide aux communautés qui cherchent à reconstruire leur histoire pour la confronter à la version winka (occidentale) inculquée dans les écoles rurales. A l’inverse de leurs parents, qui préfèrent s’effacer – on ne leur a pas appris le mapudungun pour éviter qu’ils ne soient victimes de discriminations à cause de leur accent –, leur origine représente pour ces jeunes une valeur ajoutée. “Nous sommes fiers d’être mapuches”, déclare José Ancalao, 21 ans, étudiant en anthropologie à l’Université catholique de Temuco (UCT).