mercredi, septembre 29, 2021

DROIT À L’AVORTEMENT : PARTOUT EN AMÉRIQUE LATINE, DES FEMMES MANIFESTENT POUR LE RÉCLAMER OU LE DÉFENDRE

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PABLO VERA / AFP

Des femmes manifestent devant l’ancien Congrès national, pendant la Journée internationale pour le droit à l’avortement sûr et légal, à Santiago du Chili, le 28 septembre 2021. 

Du Mexique au Pérou, en passant par le Salvador, le Chili et la Colombie, les manifestantes arborant le foulard vert ont défilé, mardi, à l’occasion de la Journée mondiale du droit à l’avortement.

Le Monde avec l'AFP

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PHOTO PABLO VERA / AFP

Elles sont des milliers à être descendues dans les rues d’Amérique latine pour réclamer le droit de disposer de leur corps. Du Mexique au Pérou, en passant par le Salvador, le Chili et la Colombie, les manifestantes arborant le foulard vert – symbole de la lutte pour la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) – ont défilé mardi 28 septembre à l’occasion de la Journée mondiale du droit à l’avortement. Sur leurs pancartes, on pouvait lire « Avortement légal maintenant » ou « Droit de décider ». La plupart des pays de la région interdisent, en effet, l’avortement, infligeant à des centaines de femmes du sous-continent des peines de prison.

Lire aussi : CHILI. LA CRIMINALISATION DE L’IVG, UN LEGS DE LA DICTATURE

En Amérique latine, l’interruption volontaire de grossesse est légale en Uruguay, à Cuba, en Argentine, dans la ville de Mexico et trois Etats mexicains. Elle est totalement interdite au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, en République dominicaine et en Haïti. Dans les autres pays d’Amérique latine, l’avortement n’est autorisé que dans les cas où la vie de la femme est en danger, ou dans certains cas s’il y a eu viol ou si le fœtus n’est pas viable.

Un droit limité dans de nombreux pays

Au Salvador, la législation interdit l’IVG en toutes circonstances et les peines peuvent aller jusqu’à huit ans de prison. Mais les procureurs et les juges classent les cas d’avortement, y compris involontaire, comme « homicide aggravé », passible d’une peine de cinquante ans de prison. Actuellement, dix-sept femmes sont incarcérées pour ce dernier chef d’accusation, repérées après qu’elles ont cherché à se faire soigner pour urgence obstétrique. En réponse, des centaines de Salvadoriennes ont présenté un projet de loi permettant l’avortement sous certaines conditions assez restrictives.

À la mi-septembre, le président, Nayib Bukele, avait refusé de garder dans la nouvelle Constitution du pays un passage reconnaissant « le droit à la vie, aussi bien de l’enfant à naître que de la mère enceinte ». Ce texte, s’il avait été maintenu, aurait ouvert la voie à l’avortement thérapeutique dans le cas où la vie de la mère est été en danger.

Au Mexique, plusieurs dizaines de femmes ont manifesté dans la capitale, Mexico, quelques semaines après que la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la pénalisation de l’avortement. « A partir de maintenant, il ne sera pas possible, sans violer les critères du tribunal et de la Constitution, de poursuivre une femme qui avorte dans les cas validés par ce tribunal », a déclaré le président de la cour, Arturo Zaldivar. L’avortement était en effet encore criminalisé dans certains Etats du pays. Désormais dans ces territoires les femmes pourront avoir accès à l’avortement sur décision d’un juge. Autre conséquence de l’arrêt de la Cour suprême : les femmes emprisonnées pour avoir avorté pourront demander à recouvrer leur liberté.

 RODRIGO BUENDIA / AFP

Manifestation en Colombie, le 28 septembre 2021.

En Colombie, des centaines de femmes se sont rassemblées devant le Congrès de Bogota pour exiger la mise en place d’une loi pour permettre une interruption volontaire de grossesse. Dans le pays, l’IVG est légal uniquement en cas de malformation du fœtus, risque mortel pour la mère ou à la suite d’un abus sexuel. Au moins 205 femmes ont été condamnées pour avoir avorté depuis 2005, selon un rapport du collectif La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres.

Au Pérou, un groupe de jeunes femmes manifestaient à Lima, brandissant notamment une pancarte « Un État qui n’accorde pas le droit à l’avortement est un État féminicide ». Une légalisation que le nouveau président péruvien de gauche, Pedro Castillo, conservateur sur les questions sociales, avait d’emblée rejetée lors de sa récente campagne électorale.

PHOTO  PABLO VERA / AFP

Des manifestants brandissent un drapeau vert, symbole de la lutte pour la dépénalisation de l’avortement, à Santiago du Chili, le 28 septembre 2021.

Vote au Chili

Au Chili, la manifestation de mardi coïncidait avec l’agenda politique : ce jour-là, les députés chiliens ont approuvé une proposition de loi dépénalisant l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse. Le texte devant encore être débattu au Sénat.

« La dépénalisation de l’avortement est approuvée ! C’est pour toutes les femmes et les personnes enceintes qui ont été persécutées et criminalisées, surtout si elles ont peu de ressources financières », s’est félicitée sur Twitter la députée communiste Camila Vallejo, une des autrices du texte.

Les parlementaires ont commencé à débattre en janvier de cette proposition de loi déposée en 2018 par l’opposition de gauche pour éviter une peine de prison aux femmes choisissant de se faire avorter.

Jusqu’à 2017, le Chili était un des rares pays n’autorisant l’avortement sous aucune condition, selon une loi votée sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Sous la pression de mouvements féministes, un texte avait finalement été voté permettant l’avortement en cas de danger pour la vie de la mère, de l’enfant ou de viol.

Mais selon les associations, ces IVG ne représentent que 3 % des milliers d’avortements clandestins qui ont lieu chaque année dans ce pays de 18 millions d’habitants.

Retrouvez notre entretien avec la politiste Bérengère Marques-Pereira : « Empêcher une femme de recourir à l’avortement met en cause le droit à la santé » Le Monde avec l'AFP

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    CHILI : L’AVORTEMENT DÉPÉNALISÉ PAR LES DÉPUTÉS, PROCHAIN VOTE AU SÉNAT

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    IVG, Droit des femmes / Chili : l’avortement dépénalisé par les députés, prochain vote au Sénat

    Les députés chiliens ont approuvé mardi une proposition de loi dépénalisant les interruptions volontaires de grossesse jusqu’à 14 semaines. Depuis 2017, il était possible d’y avoir recours mais uniquement en cas de danger pour la vie de la mère, de l’enfant, ou de viol.

    par Libération avec l'AFP

    PHOTO PABLO VERA / AFP

    Une avancée encore à valider. Les députés chiliens ont approuvé mardi une proposition de loi qui dépénalise l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse. Le texte doit désormais être débattu au Sénat. «Avec 75 votes pour, 68 contre et deux abstentions, la Chambre des députés a approuvé le projet pour dépénaliser l’avortement pour les femmes jusqu’à 14 semaines de grossesse», a indiqué l’Assemblée sur Twitter. «La dépénalisation de l’avortement est approuvée ! C’est pour toutes les femmes et les personnes enceintes qui ont été persécutées et criminalisées, surtout si elles ont peu de ressources financières», s’est félicitée sur Twitter la députée communiste Camila Vallejo, une des initiatrices du texte.

    Des milliers d’avortements clandestins

    Les parlementaires ont commencé à débattre en janvier de cette proposition de loi déposée en 2018 par l’opposition de gauche pour éviter une peine de prison aux femmes choisissant de se faire avorter. Pour être définitivement adopté, le texte voté à l’occasion de la Journée mondiale du droit à l’avortement doit encore être approuvé par le Sénat. Le Chili est longtemps resté un des rares pays à prohiber complètement l’avortement, sous aucune condition, selon une loi votée sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Sous la pression de mouvements féministes, un texte avait finalement été voté en 2017 permettant l’avortement en cas de danger pour la vie de la mère, de l’enfant ou de viol. Mais selon les associations, ces IVG ne représentent que 3% des milliers d’avortements clandestins qui ont lieu chaque année dans ce pays de 18 millions d’habitants.

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      mardi, septembre 28, 2021

      CHILI : LANCEMENT D’UNE CAMPAGNE DE VACCINATION ANTI-COVID-19 POUR LES ENFANTS DE 6 À 11 ANS

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      PHOTO FRANCE 24

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      MISE À JOUR LE 25 09 2021
      au Chili la couverture vaccinale s'élargit. Le pays a déjà vacciné 70% de sa population. Les enfants âgés de 6 à 11 ans vont eux aussi pouvoir recevoir leur dose. L'objectif des autorités : atteindre le million et demi de vaccinés d'ici le mois de décembre.

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      « PAUSE RESPIRATOIRE»

      lundi, septembre 27, 2021

      XÉNOPHOBIE.AU CHILI, LES AFFAIRES DE VÉNÉZUÉLIENS BRÛLÉES LORS D’UNE MARCHE ANTI-IMMIGRATION

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      PHOTO ALEX DIAZ
      «La xénophobie ordinaire » ou  « La Kastisation des esprits» / 5 000 personnes ont protesté à Iquique, dans le Nord du Chili, contre l’immigration irrégulière. Une manifestation qui s’est terminée par une scène choquante : les affaires de Vénézuéliens sans-abri brûlées.

      AMÉRIQUES CHILI COURRIER INTERNATIONAL - PARIS

      PICTOLINE

      C’est “une des scènes les plus inhumaines vues dernièrement au Chili”, écrit El País : une manifestation anti-immigration a donné lieu à un brasier où ont été brûlées “les rares possessions d’un groupe de Vénézuéliens sans abri”, samedi 25 septembre à Iquique. “Tentes, matelas, vêtements, jouets pour enfants […] et papiers” ont brûlé à l’issue d’une manifestation spontanée, dans cette ville située dans le désert d’Atacama.

      [ L'ancien garde des Sceaux Robert Badinter, avait inventé la formule « lepénisation des esprits »  pour dénoncer la diffusion des thèses du Front national. / Au Chili on pourrait parler de « la kastisation des esprits » pour dénoncer la propagation des idées xénophobes et racistes répandues par José Antonio Kast un leader de l'extrême droite indigène.]

      5 000 habitants se sont mobilisés au travers des réseaux sociaux, suite à des altercations violentes vendredi entre des familles de migrants qui avaient monté des tentes sur une place de la ville et la police venue les déloger. Les manifestants entendaient dénoncer “la présence incontrôlée d’étrangers et le manque de contrôle […] à la frontière”, résume El País. C’est à un coin de rue qu’un groupe de Chiliens a allumé le brasier et s’est mis à y jeter les affaires d’une dizaine de familles vivant dans un espace public, qui avaient pu trouver refuge auparavant.

      Crise humanitaire

      Porte d’entrée du pays par voie terrestre, le Nord du Chili est confronté à une “crise humanitaire et sanitaire” liée à la forte hausse des arrivées irrégulières d’étrangers ces dernières années. Les entrées irrégulières de Vénézuéliens et d’Haïtiens ont notamment beaucoup augmenté, les premiers représentant aujourd’hui près d’un tiers des étrangers au Chili selon les chiffres officiels. Ce qui conduit à ce que “des dizaines de familles d’étrangers montent leur tente dans les espaces publics”, indique El País.

      Dénoncés par les Nations unies comme “une humiliation inadmissible”, les événements d’Iquique ont provoqué de nombreuses réactions au Chili, partagées entre la dénonciation et la demande de contrôles renforcés à la frontière. Dans le quotidien chilien El Mercurio, les maires d’Iquique et de Colchane, autre ville du Nord du Chili, demandent d’une part plus de contrôle de l’immigration, d’autre part la réalisation de centres d’hébergement pour les migrants. De son côté, le parquet chilien a lancé une enquête pour identifier les auteurs des faits et va aider 16 personnes qui ont vu leurs affaires brûlées.

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      DESSIN LAUZAN

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      dimanche, septembre 26, 2021

      CHILI: MANIFESTATION CONTRE LES MIGRANTS VÉNÉZUÉLIENS CLANDESTINS

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      DESSIN LAUZAN

      «La xénophobie ordinaire » ou  « La Kastisation des esprits» /  Au Chili, environ 5 000 personnes ont manifesté, hier, samedi 25 septembre, à Iquique, dans le nord du pays, contre la présence de migrants clandestins vénézuéliens dans leur ville. Les Vénézuéliens, qui, pour beaucoup ont fui la crise politique et économique qui frappe leur pays, représentent la plus importante communauté étrangère au Chili : près de 400 000 ressortissants vénézuéliens sont enregistrés. Ces derniers mois, de nombreuses entrées clandestines dans le nord du pays ont attisé les tensions.

      RFI  

      PHOTO REUTERS - STRINGER

      Des drapeaux chiliens et des pancartes « Non à l'immigration illégale ». Plusieurs milliers de personnes sont sorties dans les rues d'Iquique, rejoints par des groupes venus d'autres villes du nord du Chili pour réclamer des mesures contre l'immigration irrégulière.

      Lire aussi : DES ORGANISATIONS DÉNONCENT DES EXPULSIONS DE MIGRANTS AU CHILI

      [ L'ancien garde des Sceaux Robert Badinter, avait inventé la formule « lepénisation des esprits »  pour dénoncer la diffusion des thèses du Front national. / Au Chili on pourrait parler de « la kastisation des esprits » pour dénoncer la propagation des idées xénophobes et racistes répandues par José Antonio Kast un leader de l'extrême droite indigène. ]

      « Humiliation inadmissible » 

      « Perdant, Gagnant. Kast et les sondages »    
      RÉSULTATS ENQUÊTE CADEM 
      DESSIN LAUZAN


      Ils s'en sont pris à des Vénézuéliens vivant dans la rue. Des tentes, des matelas et des poussettes ont été brûlés. Une « humiliation inadmissible », juge le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des migrants. Depuis plusieurs mois déjà, les tensions sont vives au Chili, notamment dans le nord, point d'entrée de l'immigration irrégulière.  Selon les autorités migratoires, plus de 23 000 personnes sont entrées illégalement dans le pays les six premiers mois de l'année. Soit 40% de plus que sur l'ensemble de l'année 2020.

      Lire aussi : CHILI : EXPULSION COLLECTIVE DE MIGRANTS VÉNÉZUÉLIENS

      5,6 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays 

      La ville côtière d'Iquique n'est normalement qu'un point de transit vers la capitale. Mais plusieurs centaines de familles vénézuéliennes s'y sont installées dans des espaces publics depuis près d'un an. Vendredi, leur principal campement a été évacué. Le Venezuela est, après la Syrie, le pays qui compte le plus grand nombre de personnes déplacées dans le monde. Selon les estimations de l'ONU, quelque 5,6 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015.

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      LES OISEAUX MIGRATEURS
      DESSIN NÉSTOR SALAS

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      samedi, septembre 25, 2021

      LES PLUS VIEUX PAS AMÉRICAINS D’«HOMO SAPIENS» BOULEVERSENT LA PRÉHISTOIRE DU CONTINENT

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      PHOTO KNOWLEDIA
      Décrites dans la dernière livraison de «Science» jeudi, des empreintes humaines vieilles de 23 000 ans suggèrent à leur tour que le peuplement du continent américain par l’homme anatomiquement moderne est plus ancien qu’on ne le pensait.

      par Florian Bardou 

      PHOTO NATIONA PARK SERVICE
      Qui étaient les premiers Américains ? Et surtout, quand ont-ils foulé pour la première fois le continent ? Tout juste sait-on, en l’état actuel des connaissances, que l’Amérique est le dernier des continents, bien après l’Europe, il y a 45 000 ans, et l’Australie il y a 60 000 ans environ, à avoir été peuplé par l’homme anatomiquement moderne – autrement dit, notre espèce. Néanmoins, selon l’hypothèse encore largement admise quoique fort discutée, Homo sapiens aurait débarqué par le détroit de Béring, de la Sibérie vers l’Alaska, il y a 13 000 ans (voire un peu plus) grâce à l’ouverture d’un couloir liée à la régression des glaciers nord-américains à la fin de la dernière ère glaciaire.

      C’est en tout cas ce que suggère près d’un siècle de découvertes archéologiques (restes humains, outils en pierre taillée, etc.) aux États-Unis, au Canada ou au Mexique. Mais ce modèle dit de «l’âge de Clovis» – du nom de la ville du Nouveau-Mexique où ont été retrouvées dans les années 30 les pointes de flèches préhistoriques les plus anciennes du continent à l’époque – est depuis une vingtaine d’années largement remis en question par une succession de découvertes plus ou moins convaincantes. Et la dernière en date, décrite jeudi dans la dernière livraison de la revue Science, chatouille une nouvelle fois les convictions et les postulats.

      Robustesse de la découverte

      De quoi s’agit-il ? D’une série d’empreintes humaines gravées dans le gypse d’un lac aujourd’hui à sec du parc national de White Sands au Nouveau-Mexique. Dans ce désert blanc, recouvert de prairies verdoyantes, de lacs et de rivières il y a quinze millénaires, les paléoanthropologues ont en effet mis au jour, sur le site d’un ancien lac, parmi les milliers d’empreintes animales (de mammouths, de paresseux géants, de loups, etc.), une soixantaine d’empreintes de pas vieilles de 23 000 ans. Selon les chercheurs américains, compte tenu de leurs dimensions et répartitions, elles seraient majoritairement le fait d’adolescents et d’enfants ; mais ce qui retient l’attention est principalement leur âge canonique obtenu grâce à la datation au radiocarbone de graines fossiles d’une plante aquatique, la rupelle spiralée, dans les couches de sédiments afférentes. Soit dix millénaires de plus que les sites de «l’âge de Clovis» et à l’apogée de la dernière ère glaciaire.

      Une aberration ? Si des datations supplémentaires sont toujours bienvenues pour confirmer de tels résultats, de nombreux scientifiques extérieurs, à l’instar de Tom Higham, professeur d’archéologie à l’université d’Oxford, ou de la paléogénéticienne Jennifer Raff, s’accordent pour reconnaître la robustesse de la découverte de White Sands. Et ce, malgré l’absence d’outils en pierre taillée ou de matériel archéologique sur le site. D’autant que les preuves archéologiques d’un peuplement plus ancien du continent américain s’accumulent (ou du moins brouillent les pistes). C’est le cas de ces pointes de flèches vieilles de 15 500 ans et exhumées sur un site texan ; ou de ces outils en pierre et ces traces d’occupation humaine du site de Monte Verde, au sud du Chili, datés pour les plus anciens de 18 500 ans.

      L’année dernière, l’annonce de la découverte de milliers d’éclats de pointes en silex trouvés dans la grotte de Chiquihuite, dans le nord du Mexique, et datés d’au moins 20 000 ans, a d’ailleurs remis une pièce dans la machine de la controverse chronologique. «L’idée qui prédomine aujourd’hui, c’est un peuplement par cabotage le long de la côte Pacifique dans un intervalle de temps compris entre 20 000 et 14 000 ans, expliquait alors à Libération le préhistorien Antoine Lourdeau. Cela expliquerait assez bien que l’on ait un très vieux site de 15 000 ans dans le sud du Chili.» Une fourchette temporelle que l’analyse de l’ADN des populations autochtones permet aussi d’estimer. Mais là encore les modèles ne sont pas immuables et seuls de nouveaux indices d’un peuplement antérieur permettront de planter définitivement les clous dans le cercueil du modèle de Clovis.

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      mercredi, septembre 22, 2021

      CHILI / LE LYCÉE « INSTITUTO NACIONAL » DEVIENT MIXTE DÈS CETTE ANNÉE.

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      PHOTO AGENCIA UNO
      Le maire de Santiago, Irací Hassler, remet l’écusson traditionnel à une étudiante lors de l'accueil des nouvelles étudiantes de l'Institut National qui, pour la première fois, connaissent l'établissement en personne. 
      L'Instituto Nacional General José Miguel Carrera, ou simplement abrégé en Institut national, fondé le 10 août 1813 par le patriote chilien José Miguel Carrera, est l'un des établissements scolaires les plus prestigieux du Chili et le lycée le plus ancien. Cet établissement d'État est réservée aux garçons du primaire et du secondaire ; il se trouve à Santiago du Chili, près du campus principal de l'université du Chili. Après 207 ans d'histoire, l'Institut National reçoit officiellement des filles depuis le mois de mars 2021.

      Historique : les premières filles inscrites à l'Institut national commencent les cours en présentiel

      Publié par Felipe Delgado  

      PHOTO EQUIPO IRACÍ HASSLER

      La maire de Santiago, Irací Hassler, a accueilli mercredi les nouvelles étudiantes de l'Institut National et qui jusqu'à il y a quelques jours n'avaient eu que des cours à distance en raison de la pandémie.

      Depuis cette semaine, la présence in vivo dans ce traditionnel établissement scolaire du pays a reprit, de sorte que les filles qui s'étaient inscrites en école primaire au début de cette année, entrent pour la première fois dans une salle de classe du campus.

      Ainsi se matérialise un autre jalon de la transformation que connaît l'Institut national, fondé en 1813 et qui jusqu'à cette année n'autorisait l'inscription que des garçons. Il est à noter qu'avant cela, il y avait déjà des femmes qui étudiaient dans l'établissement. Des personnes trans qui ont fait leur transition au lycée ayant été admises sous leur ancienne identité de genre.

      Dans un discours, Hassler a souligné qu'il s'agit d'une étape importante car les espaces éducatifs doivent réfléchir la diversité, à l'instar de la société chilienne.

      "Nous sommes très heureux et heureuses dans la municipalité de Santiago et même dans tout le Chili, qu'on reste attentifs et attentives à ce que nous pouvons faire pour avancer vers une éducation non sexiste", a-t-elle ajouté.

      Pour sa part, le directeur Manuel Ugalde a indiqué que 170 filles s'étaient inscrites en 2021 et que ces jours-ci elles mènent des activités de reconnaissance du campus pour, à partir d'octobre, une rentrée des classes en présentiel. 

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      LE NÉOCONSERVATISME, UNE IDÉOLOGIE EN FAILLITE MAIS UN HÉRITAGE PÉRENNE

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      GEORGE W. BUSH MENANT LA GUERRE
      CONTRE LE TERRORISME, 2007,JEFFREY ISAAC

      Si les défaites américaines en Irak et en Afghanistan ont marqué l’échec de l’idéologie néoconservatrice aux États-Unis, son héritage reste présent non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe, où on agite l’épouvantail d’un Occident sans cesse menacé par les « barbares ».

      Par SYLVAIN CYPEL 

      SYLVAIN CYPEL 

      Le soir du 11 septembre 2001, dans un discours préenregistré, le président américain George W. Bush déclare que l’Amérique a été attaquée parce qu’elle est « le phare le plus brillant au monde de la liberté et de l’opportunité, et personne n’empêchera cette lumière de briller ». Dans un long article établissant un bilan américain des événements advenus il a deux décennies et de leurs suites, appuyé sur le recensement et la critique d’une quinzaine des meilleurs ouvrages et de divers rapports d’enquête publiés sur ce sujet, Carlos Lozada, journaliste au Washington Post réplique a posteriori : « Bush avait raison. Al-Qaida n’avait pas les moyens d’épuiser la promesse de l’Amérique. Seuls nous-mêmes étions en mesure de nous l’infliger » 1.

      Et c’est bien ce qu’il est advenu. Le titre de l’article de Lozada : « Le 11 septembre était un test. L’Amérique y a échoué » résume l’état d’esprit général qui ressort de la quasi-totalité des ouvrages : les États-Unis, dans l’après 11-Septembre, ont failli. Et presque tous les auteurs pointent du doigt, nommément ou implicitement, un responsable majeur : le néoconservatisme, un mouvement politique qui s’est emparé des rênes de l’État fédéral américain au lendemain des attentats d’Al-Qaida. Un mouvement porteur d’une idéologie qui a non seulement amené le pays à s’engager dans deux guerres, en Afghanistan puis en Irak, qui se termineront par des retraites lamentables, mais qui a plus encore grandement participé à l’affaiblissement au Proche-Orient de la première puissance mondiale.

      ILLUSTRATION DE PATRIK SVENSSON

      LA « GUERRE CONTRE LE TERRORISME » AU CŒUR DE L’IDÉOLOGIE

      Selon le néoconservatisme, le XXIème siècle devait voir le triomphe exclusif d’une Amérique devenue la superpuissance unique et incontestée. Deux décennies plus tard, ce serait lui faire trop d’honneur que d’attribuer à la seule idéologie néoconservatrice la responsabilité de l’affaiblissement américain que chacun peut constater à l’échelle mondiale, et tout particulièrement en Orient. Mais sa contribution majeure à cet affaiblissement est criante. Au cœur de cette idéologie figurait un corpus de concepts dont l’un, au lendemain du 11-Septembre, deviendra prééminent. Il s’agit de la « guerre au terrorisme », qui donna forme à un acronyme : la GWOT, pour « Global War on Terror », la guerre mondiale au terrorisme. Cette guerre, conçue par la mouvance « neocon », comme disent par abréviation les Anglo-Saxons aboutira à deux fiascos retentissants, en Irak et en Afghanistan, et à une faillite politique. En suivant les idéologues néoconservateurs, écrit Lozada, « Bush a offert à son ennemi exactement ce qu’il attendait : il a démontré que les États-Unis étaient en guerre contre l’islam, et que nous étions de nouveaux croisés ».

      MAGAZINE HARPER, JUIN 1963
      Pourtant, le néoconservatisme avait connu des premiers pas très encourageants dans son ambition première : le domaine économique. Son influence commence sous l’ère du démocrate Jimmy Carter, président de 1977 à 1981. Il développe une hostilité radicale au New Deal, la politique sociale progressiste adoptée par le président Franklin D. Roosevelt pour résorber la grande crise économique des années 1930 et qui se poursuit alors. L’idéologie néoconservatrice s’inscrit dans une mouvance plus large qui privilégie l’exemplarité de la réussite personnelle et la primauté du mérite individuel sur le contrat social. Dès 1963, Irving Kristol, un des pères du néoconservatisme, juge l’État-providence «obsolète » 2. Il prône l’abandon des prestations sociales

      Sous la présidence de Ronald Reagan (1981-1989), les « néocons » prennent leur essor. Ils s’allient alors aux nationalistes agressifs, déjà représentés au gouvernement par Dick Cheney et Donald Rumsfeld, que l’on retrouvera aux postes de commande de la Maison Blanche vingt ans plus tard, après le 11-Septembre.

      RONALD REAGAN ET  MIKHAÏL GORBATCHEV 
      La différence entre néocons et nationalistes est que les seconds, cyniquement motivés par la seule promotion des intérêts américains, se préoccupent peu de contribuer au bonheur des peuples ou à l’expansion de la démocratie, quand les néoconservateurs, eux, se parent des habits du progrès et théorisent l’idée que l’intérêt américain accompagné du modèle de société qu’il véhicule constitue le phare universel unique qu’ils entendent imposer. Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS, les néocons voient leur capacité d’influence croître encore. L’un de leurs grands idéologues, Charles Krauthammer qualifie ce basculement planétaire de « moment unipolaire ». N’ayant plus d’adversaire, l’Amérique peut agir à sa guise. Le politologue Francis Fukuyama théorise la « fin de l’histoire », le triomphe définitif du modèle démocratique capitaliste américain. En 1996, deux idéologues phares de cette mouvance, William Kristol et Robert Kagan, publient un article retentissant où ils proclament que « l’hégémonie mondiale bienveillante» des États-Unis relève de l’ordre naturel des choses et qu’elle peut être imposée par la force en cas de nécessité 3.

      LE MOMENT UNIPOLAIRE

      Ainsi le néoconservatisme développe désormais une vision où la légitimité de leur pays à diriger le monde unilatéralement résulte d’une sorte de droit naturel. Bientôt, ils vont préciser leur échéancier. Le Proche-Orient se résume à leurs yeux à une série de dictatures entourant leur unique allié fiable et respectable, Israël, seule démocratie de cette région. Il sera le terrain d’expérimentation de leurs thèses. Lorsqu’en janvier 1991 le président George Bush père lance une guerre contre Saddam Hussein qui a annexé le Koweït, il est soutenu par les grands pays occidentaux (Royaume-Uni, France, etc.), mais aussi par le Maroc, l’Égypte, la Syrie, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe. Il dispose d’un mandat de l’ONU pour obliger les troupes irakiennes à quitter le Koweït, ce qu’il obtient en deux semaines de combat. Mais, contrairement à l’espoir des néocons, qui souhaitent profiter de l’aubaine pour renverser Saddam Hussein, Bush père refuse d’enfreindre la résolution de l’ONU et de lancer ses forces à l’assaut de Bagdad.

      Les néoconservateurs ne le lui pardonneront jamais. Dès lors, ils n’auront de cesse de faire de Saddam Hussein l’épouvantail menaçant la paix mondiale. Dès 1992, dans un rapport secret, Paul Wolfowitz, sous-secrétaire à la défense et néoconservateur de premier plan, prône la « guerre préventive » – c’est-à-dire une guerre non conforme au droit international, pour renverser le président irakien. En 1998, Paul Kagan et lui rédigent une lettre ouverte au président Bill Clinton dans laquelle ils lui enjoignent de renverser Saddam par la force ; lettre qui sera signée par une vingtaine de néoconservateurs.

      Lorsque le 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden lance ses terroristes contre les tours jumelles de Wall Street et le Pentagone (et échoue à faire de même avec le Capitole à Washington), l’occasion apparait instantanément comme une aubaine. Le soir, Donald Rumsfeld réunit son cabinet. Un des membres, Stephen Cambone, notera les propos du secrétaire à la défense : « Voir si possible frapper SH (Saddam Hussein), pas seulement OBL (Oussama Ben Laden). Frapper massivement, tout balayer. Que les choses soient liées ou pas » 4

      Relisons bien : « Que les choses soient liées ou pas »: que Saddam soit impliqué ou pas dans les attentats, qu’il ait ou n’ait pas de lien avec Ben Laden importe peu. Il s’agit de profiter des circonstances. Dans quel but ? Pour les néoconservateurs, la soumission de l’Afghanistan, puis celle de l’Irak seront la rampe de lancement d’un « Grand Moyen-Orient » démocratisé, tout à la dévotion de Washington. Au-delà se profile une ambition internationale gigantesque : garantir que le XXIème siècle sera celui d’une domination sans partage des États-Unis sur la planète. D’ailleurs, l’un des principaux think tanks néocons affiche fièrement cette ambition : il se nomme le « Projet pour un nouveau siècle américain ».

      « JE ME FICHE DE CE QUE VONT DIRE LES JURISTES INTERNATIONAUX »

      Dans Contre tous les ennemis (Albin Michel, 2004), Richard Clarke, responsable du contre-terrorisme à la Maison Blanche en 2001, se souvient de la réaction de Bush aux propos d’un conseiller qui évoquait le droit international : « Je me fiche de ce que disent les juristes internationaux, on va botter des culs ». « Le message, écrit Lozada, était sans ambiguïté : la loi est un obstacle à un contre-terrorisme efficace ». L’idée centrale du néoconservatisme, c’est que pour mieux défendre les droits démocratiques, il faut commencer par rogner le droit et s’émanciper de la démocratie. C’est cette ambiguïté qui va mener ses partisans à leur perte : d’un côté, ils veulent offrir à la pointe du fusil la démocratie qui leur convient aux peuples qui en sont privés ; de l’autre, ils entendent y parvenir sans faire aucun cas des droits humains. De là l’épouvantable prison de Bagram, en Afghanistan, puis les prisons secrètes de la CIA disséminées de par le monde, puis le bagne de Guantanamo, puis la découverte des crimes d’Abou Ghraïb qui vont scander les guerres en Afghanistan et en Irak. Dans ces deux pays, le « regime change », ce changement de régime qui est la clé de voûte de la pensée néoconservatrice ressemble comme deux gouttes d’eau à une occupation coloniale.

      Formellement, le néoconservatisme a la prétention d’être une morale. « Nous sommes bons », avait martelé George W. Bush lors de sa première allocution sur « l’état de la Nation » suivant le 11-Septembre, où il avait désigné les membres de « l’axe du Mal » (l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord). Il bénéficie du soutien d’universitaires de premier plan, dont le célèbre Bernard Lewis, qualifié de « plus grand orientaliste au monde ». L’homme assure aux dirigeants américains que les Irakiens accueilleront leurs troupes par une ovation mêlant la joie et la reconnaissance éperdue envers leurs bienfaiteurs. On connait la suite. L’armée américaine conquiert l’Irak sans résistance, mais très rapidement, le pays sombre dans un chaos inouï. Bush a commencé par nommer un idéologue néoconservateur convaincu à un poste qui fait de lui un proconsul américain en Irak. Son nom est Paul Bremer. Difficile de trouver plus ignare et engoncé dans ses convictions obtuses. Quelques analystes de la CIA s’en arrachent les cheveux. L’homme ne pense qu’à l’exploitation pétrolière et à l’installation d’une bourse des valeurs en Irak. Il va commettre toutes les erreurs possibles, y compris du point de vue américain. Sa certitude que le futur de l’Irak réside dans un État structuré par les divisions ethnoreligieuses aboutira vite à un chaos interreligieux effroyablement violent. Il permettra aussi l’épanouissement d’un régime où l’Iran, l’autre ennemi régional prééminent de Washington, parviendra en Irak à une influence. dont il n’aurait jamais pu rêver auparavant. Cette guerre américaine devait, entre autres, préluder à une mise au pas de l’Iran, elle aboutira vite à renforcer sa position régionale.

      THE FOREVER WAR

      Dans The Forever War 5, Dexter Filkins décrit, loin de leurs ambitions officielles, le fond réel de la pensée néoconservatrice : « Avec une bonne dose de peur et de violences et beaucoup d’argent pour entreprendre des projets, nous pouvons convaincre ces gens que nous sommes là pour les aider », lui a expliqué un colonel américain. La phrase est cynique, mais résume en quelques mots cette idéologie : le glaive dans une main, les dollars dans l’autre. Ce vœu pieux s’avèrera rapidement aussi vide que les autres certitudes néoconservatrices. Bientôt, Al-Qaida, qui n’avait jamais existé avant en Irak, s’y développe à un rythme galopant. Les affrontements interethniques font des dizaines de milliers de morts. En trois mois, le pays sombre dans un effroyable chaos.

      Dans un aveu rare, après deux ans d’occupation, Rumsfeld avouera : « Nous n’avons aucune visibilité sur qui sont les méchants ». Un ex-coordinateur des interventions en Afghanistan puis en Irak, le général Douglas Lute, reconnaîtra : « Nous n’avions pas la moindre idée de ce dans quoi nous nous étions lancés»…

      QUI PEUT CROIRE QUE L’AMÉRIQUE REPRÉSENTE « LE BIEN » ?

      Les certitudes ignares des néocons avaient amené Washington à multiplier les bourdes. La suite est une déconfiture rapide, l’armée américaine multipliant les changements de stratégie dans l’espoir de plus en plus vain de stabiliser l’Irak. Aux États-Unis, la contestation enfle. Ce n’est pas tant l’absence de toute « arme de destruction massive », dont la supposée détention par Saddam Hussein constituait une pseudo-justification pour lui mener la guerre qui jette un doute sur les assurances préalables des néoconservateurs, mais la découverte des multiples mensonges et dissimulations inventés pour la justifier. Bientôt, les révélations sur ce qui se passe dans la prison pour « terroristes » d’Abou Ghraïb, les tortures et humiliations que les geôliers y font subir à ceux qu’ils détiennent, font basculer l’opinion. L’Amérique perd le statut de victime hérité du 11-Septembre. Qui, à la vue des épouvantables photos diffusées dans la presse et sur les écrans, peut encore croire que l’Amérique incarne « le Bien » ?

      En 2011, les forces américaines évacuent l’Irak en quasi-totalité, après huit ans d’une guerre d’où ils sont sortis laminés. Dix ans plus tard, ils feront de même avec l’Afghanistan, qu’ils restitueront aux mêmes « terroristes » (les talibans) qu’ils étaient venus éradiquer à jamais. Ce qui reste de la « guerre mondiale au terrorisme », écrit Spencer Ackerman, se résume en une idée simple : « Le terroriste, c’est celui que vous désignez comme tel »6, en d’autres termes l’ennemi utile.

      Aujourd’hui, la faillite du néoconservatisme et l’inanité du concept de « guerre au terrorisme » sont acquises auprès de la plupart des commentateurs américains. Pour autant, l’idéologie néoconservatrice s’est-elle évaporée ? Comme l’estime Baher Azmy, directeur juridique du Centre pour les droits constitutionnels à Washington, la réaction des gouvernants américains au 11-Septembre n’a « pas seulement consisté en une série de politiques aléatoires et de réponses incohérentes, elle a été une construction idéologique qui a affecté en profondeur toute notre culture politique et judiciaire »7. On aurait tort de croire que cet impact culturel s’est évaporé. Au contraire, la marque laissée par le néoconservatisme persiste de manière non négligeable au sein des opinions publiques occidentales. Chaque attentat commis par un groupe djihadiste suscite immédiatement un torrent de réactions qui rappellent, dans leur essence, celles qui suivirent le 11-Septembre. Cela commence par la propension, exprimée avec plus ou moins de véhémence, à assimiler l’islam en tant que tel à la forme moderne de la barbarie. Avec pour corollaire une vision retrouvant des accents anciens de défense de l’Occident dans un monde perçu comme de plus en plus menaçant pour ses « valeurs ». Cela s’accompagne enfin d’un réflexe quasi pavlovien à rechercher dans l’usage de la force, dans la limitation des droits démocratiques et la surveillance accrue et incontrôlée des populations (y compris les populations victimes des actes de terreur) la panacée pour mener des « guerres au terrorisme » toujours renouvelées et toujours plus inefficaces et qui, chaque fois, s’accompagnent au plan intérieur d’une poussée de xénophobie et de racisme et, au plan extérieur, de politiques fleurant bon le néocolonialisme.

      En quoi, s’interroge Ackerman, le 11-Septembre a-t-il joué un rôle dans l’accession de Trump à la Maison Blanche ? Lozada résume ainsi sa pensée :

      Sans la guerre au terrorisme, il est plus difficile d’imaginer un candidat à la présidentielle [Donald Trump] dénonçant un commandant en chef en exercice [Barack Obama] comme un étranger, un musulman illégitime — et utilisant ce mensonge comme une plate-forme politique à succès. Sans la guerre au terrorisme, il est plus difficile d’imaginer une interdiction d’entrée du territoire à des personnes au seul motif qu’elles sont musulmanes. Sans la guerre au terrorisme, il est plus difficile d’imaginer des manifestants américains qualifiés de terroristes […] Trump était une force disruptive, mais il y avait aussi chez lui beaucoup de continuité.

      Et cette continuité descendait en droite ligne de l’abandon assumé par le néoconservatisme des normes démocratiques et du droit international.

      UNE CARICATURE D'OBAMA
      EN ISLAMISTE NE PASSE PAS

      De fait, l’idéologie de la «guerre au terrorisme » reste prégnante dans les pays occidentaux. En France, par exemple, son influence est encore notoire au Quai d’Orsay. Elle est aussi très prisée par des régimes du type de ceux existant en Chine ou en Russie et partout où l’«identitarisme » règne. Accompagnant les évolutions technologiques, cette idéologie a promu dans les pays occidentaux l’expansion de politiques de sécurité d’État où le contrôle des citoyens est de plus en plus légitimé. L’affaire Pegasus a montré combien ces contrôles, formellement destinés à lutter contre « le terrorisme », sont instrumentalisés vers des objectifs beaucoup plus prosaïques de protection des pouvoirs. Ces politiques, dans presque tous les cas, s’accompagnent d’une poussée notoire et constante des moyens mis à la disposition des forces de l’ordre. Quant à la perception d’un Occident menacé par des masses barbares déferlantes et avides de le déposséder, elle se répand de plus en plus. Ce ne sont là que quelques-uns des impacts pérennes laissés par l’idéologie néoconservatrice sur les esprits.

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