lundi, octobre 31, 2022

BRÉSIL ALLELULA!

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Come-back historique pour Lula, élu pour un 3ème mandat au Brésil / Acclamé par une impressionnante marée rouge de centaines de milliers de partisans massés sur l'Avenida Paulista de Sao Paulo, Lula a prôné la "paix et l'unité" après son élection d'une courte tête à la présidence du Brésil.

La Croix avec l'AFP

Lecture en 3 min.

Ne jamais renoncer

DESSIN DE PRESSE
CARLOS LATUFF

il s'est toutefois dit "inquiet" du silence assourdissant de son adversaire, le président sortant Jair Bolsonaro, qui n'avait toujours pas reconnu sa défaite plus de quatre heures après le résultat.

► À lire aussi : AU BRÉSIL, LES ÉVANGÉLIQUES « EN GUERRE SPIRITUELLE » CONTRE LE CANDIDAT LULA

SERVICE INFOGRAPHIE LE MONDE

C'est un come-back historique pour cet ancien métallo de 77 ans, qui débutera le 1er janvier son troisième mandat, 12 ans après avoir quitté le pouvoir sur une popularité record (87%).

DESSIN DE PRESSE
CARLOS LATUFF

Mais aussi après être passé 580 jours par la case prison, après des condamnations pour corruption finalement annulées pour vice de forme.

"On m'avait enterré vivant!", a lancé l'icône inoxydable de la gauche, qui a comparé sa victoire à une "résurrection".

PHOTO SEBASTIAO MOREIRA

Luiz Inacio Lula da Silva a obtenu 50,9% des voix au second tour, contre 49,1% pour le président d'extrême droite Jair Bolsonaro, qui ne s'était toujours pas manifesté.

PHOTO ETTORE CHIEREGUINI

"Dans n'importe quel pays au monde, le candidat défait m'aurait déjà appelé pour reconnaître sa défaite. Il ne m'a toujours pas appelé, je ne sais pas s'il va appeler et s'il va reconnaître" sa défaite, a déclaré Lula s'adressant à ses partisans.

"J'aimerais bien être juste heureux, mais je suis moitié heureux, moitié inquiet", a-t-il insisté.

PHOTO LUCAS LANDAU

Le silence du chef de l'État sortant était troublant, y compris sur les réseaux sociaux, ou il est d'habitude très actif.

C'est la première fois qu'un président brésilien échoue dans sa tentative de réélection.

PHOTO AFP

"À partir du 1er janvier, je vais gouverner pour les 215 millions de Brésiliens et Brésiliennes, pas seulement ceux qui ont voté pour moi", a dit Lula.

"Personne ne veut vivre dans un pays divisé, en état de guerre perpétuelle. Ce pays a besoin de paix et d'unité. (...) Il n'y a pas deux Brésil, nous sommes un seul peuple, une seule nation", a insisté l'icône de la gauche, en référence à la présidence clivante de Bolsonaro.

L'écart, de moins de deux points de pourcentage, est le plus serré entre deux finalistes de la présidentielle depuis le retour à la démocratie après la dictature militaire (1964-1985).

PHOTO MATIAS DELACROIX
- Félicitations de Macron et Biden -

La victoire de Lula a été saluée par des feux d'artifice et des cris de joie dans de grandes villes comme Rio de Janeiro et Sao Paulo, où des centaines de milliers de personnes faisaient la fête dans la rue, ont constaté des journalistes de l’AFP.

Come-back historique pour Lula, élu pour un 3e mandat au Brésil

Le président élu du Brésil Lula s'adresse à la foule après sa victoire à la présidentielle, à Sao Paulo, le 30 octobre 2022 / AFP

"Lula, c'est un synonyme d'espoir, l'espoir de voir des jours meilleurs", a déclaré Alexandra Sitta, enseignante de 48 ans, qui fêtait la victoire du candidat de gauche à Sao Paulo.

PHOTO FERNANDO BIZERRA

Sur l'emblématique Avenue Paulista, une foule compacte de plusieurs centaines de milliers de personnes est venue acclamer le président élu.

"La démocratie est de retour au Brésil, la liberté est de retour!", a-t-il scandé depuis une estrade, devant une foule gigantesque en liesse.

 «  LA JOIE N’EST PAS
SEULEMENT BRÉSILIENNE»
 «UNE DE PÁGINA 12»
DU 31 OCTOBRE 2022

Lula a été rapidement félicité par plusieurs dirigeants étrangers. Le président américain Joe Biden a salué son élection "libre et juste" et son homologue français Emmanuel Macron a estimé que sa victoire "ouvre une nouvelle page de l'histoire du Brésil".

"Notre pays est trop grand pour être relégué au triste rôle de paria", a déclaré le président élu dans son discours de victoire, assurant que le Brésil était "de retour" sur la scène internationale.

Lula a également évoqué le sujet brûlant de l'Amazonie, où la déforestation et les incendies ont fortement augmenté sous le mandat de Jair Bolsonaro.

"Le Brésil est prêt à jouer à nouveau les premiers rôles dans la lutte contre le changement climatique. Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie", a-t-il dit.

"Le cauchemar est enfin terminé. Lula doit agir fermement et rapidement sur l'environnement", a réagi le collectif d'ONG Observatoire du Climat.

« LE CARTEL DE LIMA »

- Espoir d'une "saine transition" -

Les Bolsonariste, eux, étaient particulièrement amers.

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Come-back historique pour Lula, élu pour un 3ème mandat au Brésil

CARICATURE ALEN LAUZÁN

"Je suis révoltée, le peuple brésilien ne va pas avaler une élection manipulée comme cela et remettre le pays entre les mains d'un bandit. Bolsonaro doit agir vite, sinon, on ne pourra plus rien faire", dit Ruth da Silva Barbosa, enseignante de 50 ans, dépitée après avoir suivi le dépouillement à Brasilia.

Mais plusieurs alliés importants de Jair Bolsonaro ont reconnu sa défaite, comme l'ancien juge anticorruption Sergio Moro.

"La démocratie est ainsi. Je serai dans l'opposition en 2023", a tweeté celui qui avait envoyé Lula en prison.

Douze gouverneurs d'États brésiliens ont également été élus dimanche, dont le bolsonariste Tarcisio de Freitas dans l'État de Sao Paulo, le plus peuplé et le plus riche du Brésil.

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VICTOIRE DE LULA AU BRÉSIL

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mercredi, octobre 26, 2022

PARUTION « GÉOPOLITIQUE DE L’AMÉRIQUE LATINE »

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COUVERTURE DE «  GÉOPOLITIQUE DE L’AMÉRIQUE LATINE »

Suggestion de lecture de Maurice L ! 
Pour décrypter l’actualité Au XVème siècle, le pape partagea le continent américain entre les Espagnols et les Portugais, sans se préoccuper des Indiens qui à l’origine l’occupaient, avec leurs lois, leurs coutumes et leurs droits de propriété. Ainsi est plus ou moins née ce qu’on appelle l’« Amérique latine », ce concept imprécis qui, nous dit Christophe Ventura, « sert à distinguer deux Amériques opposées sur le même continent, une saxonne (protestante, blanche) et une latine (catholique, métisse) ». Car en effet, nul n’en ignore, est apparu ultérieurement, au nord, une sorte de géant, mélange d’idéologie et de business : les États-Unis.

Par Maurice Lemoine

Temps de Lecture 13 min 40 s

PHOTO L'HUMANITÉ

cet ex-« Nouveau Monde » – l’Amérique latine – occupe aujourd’hui une place importante au cœur des grands enjeux qui façonnent le XXIème siècle. Mais il est parfois mal connu du fait d’une « information » devenue assemblage de fragments juxtaposés, sans points de repère ni construction. D’où l’intérêt de l’ouvrage rédigé par Ventura, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). En quatre parties – « les Amériques latines », « Economie et sociétés », « Dynamiques sociopolitiques contemporaines », « L’Amérique latine et le monde » – et 40 fiches allant à l’essentiel, l’ouvrage cerne les défis contemporains du sous-continent. Un ensemble de 33 pays (et 43 territoires si l’on prend en compte Porto Rico ainsi que les territoires britanniques, français et néerlandais de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud), comptant 660 millions d’habitants (dont 214 millions au Brésil et plus de 130 millions au Mexique) ainsi que des mégapoles de plus de 10 millions d’habitants (São Paulo, Ciudad de Mexico, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Lima). Ce qui n’est pas rien.

 Le partage du monde entre Espagnols et Portugais /
Planisphère Domingos Teixeira, 1573.
IMAGE GALLICA
On ne prétendra pas que tout est passé au crible dans ce livre, mais l’éventail est large, qui replace la politique, l’économie et le social de la région dans leur contexte. À commencer par l’impérialisme états-unien (même si le terme n’est pas employé), depuis la Destinée manifeste (1840), la Doctrine de Monroe (1823), l’Amendement Platt (1898), le Corollaire de Roosevelt (1904), cadres de référence encore revendiqués par Donald Trump, il n’y a pas si longtemps.


CARICATURE DE JOSEPH FERDINAND KEPPLER DANS PUCK

À cette mention sans doute classique, mais essentielle, s’ajoute une pléthore de sujets transversaux aussi divers que « l’arc caribéen », « 1001 langues », « les systèmes politiques », « reflux catholique et poussée évangélique », « disputes territoriales », « violence et narcotrafic », « Internet et réseaux sociaux », « la crypto-économie », « les mouvements indigènes et afro », « les femmes », « les questions LGBTQIA+ », « les mouvements populaires », etc. Ainsi découvrira-t-on qu’il existe une Agence latino-américaine de l’espace (ALCE) créée en 2020 ou que, après le cycle progressiste (1998-2008) et ses initiatives d’intégration régionale, la pauvreté et l’extrême pauvreté progressent depuis 2014 dans la région.

À la périphérie du capitalisme mondialisé, certains de ces pays, comme l’Argentine, le Brésil, le Chili ou le Mexique, « considérés comme “émergents”, prennent une part croissante dans l’économie mondiale. » Le survol effectué par Ventura permet de discerner les évolutions récentes les plus significatives, depuis l’émergence de l’Antarctique – « où le réchauffement climatique et la fonte des glaces liés aux effets du changement climatique rendent le territoire de plus en plus attractif » – jusqu’au recul historique des Etats-Unis en tant que partenaire commercial de la zone, en passant par le rôle futur de l’ Argentine, de la Bolivie et du Chili, qui abritent les plus grandes réserves de lithium du monde, ce qui (c’est nous qui l’ajoutons) en fait des cibles de premier choix pour les « rapaces » des puissances dites développées.

Comme il se doit, sont évoqués la Chine (acheteuse d’un tiers des exportations agricoles du Brésil, pour ne citer que cette donnée) l’Union européenne, la Russie (à l’heure de la guerre en Ukraine), mais aussi l’Afrique (pour des raisons historiques et culturelles, «par l’intermédiaire du funeste commerce triangulaire»), le Moyen-Orient (« dont l’Amérique latine assure 20 % des besoins alimentaires ») et l’Inde (« avec qui les relations commerciales se multiplient »).

« L’Amérique latine contribuera-t-elle à l’émergence progressive d’un monde plus multipolaire et sera-t-elle capable de peser dans la définition des nouveaux (des)équilibres mondiaux du XXIème siècle ? », interroge l’auteur, dans sa conclusion. Nul n’a sans doute la réponse. Mais, illustré de cartes, de graphiques et de tableaux, cet ensemble permettra aux étudiants et aux curieux d’acquérir les données de base permettant de mieux comprendre, en la replaçant dans son contexte, l’actualité immédiate quotidiennement distillée par les médias.

En tant que lecteur exigeant, on peut regretter que l’ouvrage ne soit pas doté d’une fiche par pays, ce qui le rendrait complet. Mais, à l’évidence, il s’inscrit dans une collection – « Géopolitique » – qui lui impose un format, une maquette (particulièrement élégante) et une pagination préétablie. On se ralliera donc sans réserves excessives au choix de la transversalité. En revanche, une « monstruosité » est demeurée malgré le soin évident apporté à la préparation de cet ensemble. Dans le chapitre « Passions sportives », sont mentionnés les champions Juan Manuel Fangio et Ayrton Senna (automobile), Carlos Monzón, Julio César Chávez et Juan Manuel Márquez (boxe), Luis Herrera, Nairo Quintana et Egan Bernal (cyclisme), les stars du baseball, mais, nulle part, absolument nulle part, ne figurent Edson Arantes do Nascimento, dit « Pelé », et Diego Maradona. Un oubli absolument impardonnable, à corriger dans une prochaine édition.

Encore un effort, Christophe Ventura !


Du même auteur :

« MON PAYS IMAGINAIRE » : FILMER, LE SOUFFLE COUPÉ, LA RÉVOLUTION QUI VIENT

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AFFICHE DU FILM

L’un des plus célèbres Chiliens de Paris, Patricio Guzman, 81 ans, vit en France depuis un demi-siècle. Le coup d’État d’Augusto Pinochet, en 1973, la mort du président Salvador Allende, l’instauration d’une dictature le chassèrent à jamais de chez lui. Il avait alors 32 ans et s’apprêtait, fort de sa rencontre avec l’écrivain, photographe et cinéaste Chris Marker (1921-2012), à réaliser une remarquable trilogie documentaire sur ces événements tragiques, sous le titre générique de La Bataille du Chili.

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« Mon pays imaginaire », Bande-annonce

par Jacques Mandelbaum

AFFICHE DU FILM

La révolte sociale qui a éclaté en octobre 2019 contre le régime du président Sebastian Piñera et abouti, le 19 décembre 2021, à l’élection de son jeune successeur, Gabriel Boric, représentant d’une gauche écologiste et féministe, ne pouvait manquer de captiver Patricio Guzman. C’est un documentaire de facture classique, et d’excellente tenue, qu’il nous propose sur les événements récents. Partant d’une pure revendication sociale – à la suite de l’augmentation du prix du ticket de métro –, le mouvement a enflé, rassemblant tout ce que ce pays compte de groupes marginalisés par l’État.

PHOTO NICOLE KRAMM CAIFAL


Le président Piñera avait, face à cette vague, déclaré le pays « en guerre » et envoyé l’armée. C’est lui qui est parti, tandis qu’une femme mapuche (groupe ethnique et peuple autochtone du Chili et d’Argentine), Elisa Loncon, a été nommée à la tête de l’Assemblée constituante. Guzman, qui a vu en son temps verser le sang de ses camarades et étouffer dans l’œuf l’espoir démocratique exactement pour les mêmes raisons, filme tout cela comme en retenant son souffle. Son film se regarde dans les mêmes dispositions. Jacques Mandelbaum

Documentaire français et chilien de Patricio Guzman (1 h 23)

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CHILI : UNE PERSONNE NON BINAIRE RECONNUE DU GENRE « X »

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PHOTO MARTIN BERNETTI

C'est la première fois au Chili qu'une personne s'identifiant comme non binaire reçoit une carte d'identité avec un genre « X » : Shane Cienfuegos, 29 ans, se réjouit dans un entretien à l'AFP de cette « victoire » qu'elle considère comme collective, après des années de violences et de discriminations. « J'ai senti un grand poids sur mes épaules en recevant le document » d'identité, témoigne celle qui demande à être identifiée avec le pronom « elle », le « iel » français n'existant pas en langue espagnole. Sa carte d'identité, reçue il y a dix jours, comporte un « X » à la place du « F » qui identifie habituellement le genre féminin ou du « M » pour le genre masculin. « C'est difficile d'être la première », explique celle qui se considère comme une personne trans non binaire. [
LE GENRE, LA RACE ET LA CLASSE]

Le Point avec l'AFP

PHOTO MARTIN BERNETTI

Les personnes « non binaires » ne se considèrent ni tout à fait comme un homme ni tout à fait comme une femme, mais comme étant les deux à la fois ou une combinaison des deux. Shane Cienfuegos porte les cheveux longs et du rouge à lèvres, arbore la barbe et est vêtue d'une robe à fleurs, d'un foulard et de sandales plateforme. « Ce n'est pas une victoire pour Shane, c'est une victoire collective », estime-t-elle.

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« Cela va offrir (aux personnes non binaires) des possibilités dont elles ne disposaient pas avant en termes de légitimité de leur identité de genre », estime-t-elle, disant avoir obtenu gain de cause face à l'administration au terme de neuf années de procédures judiciaires.

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« Cela va offrir (aux personnes non binaires) des possibilités dont elles ne disposaient pas avant en termes de légitimité de leur identité de genre », estime-t-elle, disant avoir obtenu gain de cause face à l'administration au terme de neuf années de procédures judiciaires.

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PHOTO MARTIN BERNETTI

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mardi, octobre 25, 2022

AU BRÉSIL, LES ÉVANGÉLIQUES « EN GUERRE SPIRITUELLE » CONTRE LE CANDIDAT LULA

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PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

FACTUEL Nombre de pasteurs fondamentalistes mènent campagne pour la réélection du président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, en déversant des flots de fausses informations qui n’épargnent pas son adversaire de gauche, ni même l’Église catholique.

Par Anne Vigna (Rio de Janeiro, correspondance)

Temps de Lecture 5 min.

PHOTO IAN CHEIBUB

Une soixantaine de fidèles prient, genoux au sol, ce mardi 18 octobre au soir, devant une image de l’esplanade des Mosquées de Jérusalem surmontée du nom de Jésus en lettres bleues lumineuses. Le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu, dans la favela de Fallet, au centre de Rio de Janeiro, est situé en haut d’une ruelle sombre. À l’entrée, les trafiquants continuent leur manège, emballant à plusieurs la drogue dans des sachets. « Ils ne nous gênent pas, au contraire, cette proximité leur permet d’entendre la parole de Dieu », dit le pasteur Moisés Virtuoso, qui préside cette petite assemblée.

► À lire aussi : CHILI : LES ÉVANGÉLIQUES, NOUVEAUX ACTEURS AU CŒUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

Cette réaction pourrait laisser présager qu’il s’agit d’un culte progressiste. Pourtant, après les chants d’introduction, le prêche dévie vite de la lecture biblique vers la politique. Le sourire du pasteur s’évanouit et le ton prend des accents dramatiques : «Ceux qui veulent fermer les églises, qui défendent l’avortement, ne sont pas croyants ! » Le nom de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva n’est jamais prononcé, mais tout le monde a bien compris qu’il est le mécréant en question. Et le pasteur de vociférer, en levant sa bible au ciel : « L’idéologie de genre, non ! S’ils ferment les églises, mes frères, nous irons prêcher dans la rue, mais dès aujourd’hui nous devons combattre de toutes nos forces un tel projet. » Entendez : il faut voter pour l’actuel chef de l’État, Jair Bolsonaro, dimanche 30 octobre, lors du second tour du scrutin présidentiel.

PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Un pasteur prie dans le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu, dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022. 
PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Des femmes prient dans le temple évangélique de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022. L’Assemblée de Dieu est la plus grande dénomination évangélique du Brésil, répartie dans tout le pays. Son chef a ouvertement déclaré son soutien à la réélection de Jair Bolsonaro à la présidence du pays.  

Les fidèles montrent pourtant toutes les caractéristiques des électeurs de l’ancien président Lula : une assemblée majoritairement féminine, noire et pauvre, qui subit la violence des opérations policières que le président d’extrême droite a toujours défendues. « Lula, on ne le voit jamais à l’église », dit l’une ; « c’est quand même Bolsonaro qui défend la famille », ajoute une autre. Elles voteront bien pour le président sortant.

Ont-elles vu la récente déclaration du président sortant sur son attirance pour des jeunes filles de 14 ans et qui a fait scandale au Brésil ? Elles nient et assurent ne rien avoir reçu sur leur principal canal d’information : le groupe WhatsApp de l’Assemblée, où le pasteur Moisés envoie pourtant beaucoup de vidéos en lien avec la politique. Ce dernier connaît bien l’épisode, mais il le balaie d’un revers de la main : «C’est un malentendu de la part du président, car le vrai ennemi des chrétiens est bien Lula, et le mot ennemi n’est pas trop fort », assène-t-il, en élevant légèrement la voix vers les frères qui rangent l’autel.

« Satan veut détruire notre nation »

L’Assemblée de Dieu de Fallet rejoint donc la cohorte de temples évangéliques qui sont désormais en « guerre spirituelle », comme le répète tous les jours la première dame du Brésil, Michelle Bolsonaro. Au côté de la pasteur fondamentaliste et ancienne ministre de la famille Damares Alves, l’épouse du président voyage dans tout le pays pour ce second tour ; elle anime jusqu’à trois cultes par jour, avec un discours à la fois belliqueux et doucereux. Le 20 octobre, à Rio de Janeiro, devant six mille fidèles réunis dans le gigantesque temple de son ami le pasteur Silas Malafaia, Michelle décrit à nouveau « une guerre spirituelle, une lutte contre le mal, contre Satan qui veut détruire notre nation. Malheureusement, beaucoup de chrétiens ne le comprennent pas, mais le Brésil est la dernière barrière contre le communisme ». Et d’une voix apaisée, elle ajoute : « Ne regardez pas mon mari, tournez plutôt votre regard vers moi qui suis une servante du Seigneur. » A Michelle Bolsonaro, la bonté et le rôle d’adoucir l’image d’un mari rustre ; à Damares Alves, le langage cru et la mission d’insuffler la peur et l’effroi.

PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Détail de la Bible pentecôtiste de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022. Le mouvement pentecôtiste est très important au Brésil. 

Ainsi, le 8 octobre, l’ancienne ministre de la famille a prétendu en plein culte détenir « des images de nos enfants, âgés de 4 ans, à qui on arrache les dents pour qu’ils ne mordent pas pendant le sexe oral et qui mangent des aliments pâteux afin que leurs intestins soient libres pour le sexe anal ». Alors que le parquet fédéral lançait une enquête devant la gravité des accusations, la ministre a finalement reconnu que ses « sources » venaient de « conversations avec le peuple dans la rue ». Mais cela n’a en rien diminué les « dangers moraux » que la sénatrice, élue aux élections parlementaires du 2 octobre, dépeint à chaque culte si la gauche reprenait le pouvoir.

« Ces multiples manipulations ont provoqué un nombre record d’incidents dans les temples. Pour un croyant, le pasteur est le représentant de Dieu sur terre et son rôle est d’orienter, donc sa parole compte beaucoup, explique la chercheuse à l’Institut d’études sur les religions Christina Vital da Cunha. Or, en ce moment, les pasteurs sont devenus des auxiliaires de l’extrême droite, relayent leurs “fake news”, condamnent les fidèles qui ne suivent pas leur ligne, expulsent d’autres pasteurs, c’est du jamais-vu. »

La campagne de Lula semble dépassée

L’Eglise catholique n’est pas épargnée par cette « guerre » pendant cette campagne de l’entre-deux-tours. Des militants bolsonaristes ont interrompu des prêtres durant la messe en raison de leurs prêches jugés trop progressistes et ont traité le très conservateur cardinal de Sao Paulo de « communiste » sur les réseaux sociaux parce qu’il portait son vêtement liturgique rouge. Le 12 octobre, jour de la fête de Notre-Dame d’Aparecida, sainte patronne du Brésil, le président sortant s’est imposé pendant la messe, comme il l’avait fait lors d’une procession catholique à Belem. L’homélie de l’archevêque de la basilique d’Aparecida, Dom Orlando Brandes, qui a lancé qu’« une patrie aimée ne peut pas être une patrie armée », a déchaîné ses partisans, qui ont agressé en sortant les journalistes de la TV Aparecida.

PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Pâmella Campos, une influenceuse évangélique de gauche, regarde une vidéo sur TikTok lors d’une réunion du groupe Nouvelles narratives évangéliques, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 16 octobre 2022. 

PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Un homme chante lors d’une célébration au temple évangélique de l’Assemblée de Dieu dans la favela de Fallet, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 octobre 2022.

La campagne de Lula semble totalement dépassée par le tsunami de fausses informations divulguées dans les cultes, puis reprises sur les réseaux sociaux de « pasteurs-chanteurs de gospel » qui affichent des millions d’abonnés. Selon les derniers sondages, l’ancien président a encore perdu des intentions de vote chez les évangéliques, et ce malgré la publication d’une lettre à leur attention le 19 octobre, dans laquelle le leader de la gauche s’engage à « défendre les familles pour éloigner les jeunes des drogues », se déclare « opposé à l’avortement » et promet de respecter la foi religieuse en soulignant « le travail social fondamental fait par les églises ». Mais le geste de Lula a été fait tardivement et à reculons : il n’a pas lu la lettre, et a maladroitement laissé cette tâche non pas à un évangélique, mais à l’ancien ministre Gilberto Carvalho, qui fut séminariste catholique.

Le groupe Nouvelles narratives évangéliques, qui rassemble des collectifs d’évangéliques progressistes, n’a pas attendu cette lettre pour s’opposer sur les réseaux sociaux à ce qu’il nomme le « christo-fascisme ». En ce dimanche 16 octobre ensoleillé, une dizaine de jeunes adultes pianotent frénétiquement sur leurs ordinateurs derrière les volets clos d’un appartement du centre de Rio de Janeiro. Ils produisent des vidéos courtes, à partir de leurs propres expériences de croyants évangéliques rejetés dans leurs églises pour leurs idées politiques. « On déconstruit le christo-fascisme avec les mêmes outils que les influenceurs d’extrême droite, mais en utilisant l’humour et l’argumentation. On se refuse à alimenter cette guerre », explique Pâmella Campos, 24 ans, piercing au nez et tiktokeuse évangélique.

PHOTO IAN CHEIBUB POUR « LE MONDE »

Une femme avec un tatouage représentant la justice prie dans l’église progressiste Batista do Caminho, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 16 octobre 2022.  

Des membres du groupe Nouvelles narratives évangéliques discutent, le 16 octobre 2022 à Rio de Janeiro, de leur stratégie sur les réseaux sociaux en vue du second tour de l’élection présidentielle brésilienne.  

Tous sont conscients de la force de frappe des évangéliques conservateurs, mais ils pensent avoir eux aussi une influence en soulignant leurs contradictions : « L’intolérance et la stigmatisation qu’ils pratiquent vont se retourner contre eux. Car ils s’éloignent toujours plus de la parole de Dieu et les chrétiens ne pourront, à la fin, que s’en rendre compte », se persuade la pasteur baptiste Priscilla Reis. Mais peut-être pas avant le 30 octobre, jour de l’élection.

Par Anne Vigna 

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dimanche, octobre 23, 2022

LA DROITE CHILIENNE ACCUSÉE DE RETARDER LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL

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LA DROITE CHILIENNE RETARDE
LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL


Santiago du Chili, 21 octobre 2022. Les législateurs chiliens ont accusé l'opposition de droite de retarder le processus en cours aujourd'hui au Congrès en vue de l'adoption d'une nouvelle constitution pour remplacer celle en vigueur depuis la dictature (1973-1990).

Prensa Latina

LA DROITE CHILIENNE RETARDE
LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL
les partis de la coalition gouvernementale et la démocratie chrétienne ont présenté une proposition qui prévoit une convention constituante élue à 100 %, composée de 134 représentants, avec des sièges réservés et la participation d'indépendants, et un calendrier de six mois.

Cependant, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de réponse de l'alliance de droite Chile Vamos sur l'organe démocratique, la parité et la participation des peuples autochtones, a déclaré le législateur de la Convergence sociale Diego Ibañez.

Ibañez a dénoncé le fait que tant que l'aile droite n'est pas d'accord, cette table n'a malheureusement aucune chance d'avancer.

L'impasse des négociations a conduit à la suspension de deux réunions prévues cette semaine entre les parties représentées au Parlement et à leur reprogrammation pour lundi prochain.

PHOTO RADIO UCHILE

"Aujourd'hui, c'est Chile Vamos qui doit nous dire en toute clarté, non seulement aux partis politiques, mais aussi à la population, s'il veut ou non parvenir à un accord constitutionnel", a déclaré le chef du banc parlementaire du Parti chrétien-démocrate, Eric Aedo.

Dans des déclarations à Radio Universidad de Chile, Aedo a indiqué qu'ils se trouvent dans une phase où chacune des parties doit mettre toutes ses cartes sur la table quant à la manière dont elle souhaite que le processus se poursuive.

"Il est très difficile de parvenir à un accord lorsque vous faites des propositions et que votre homologue joue aux devinettes", a-t-il dit.

Les discussions au sein du Congrès en vue de l'adoption d'une nouvelle loi fondamentale ont débuté après le rejet, lors du plébiscite du 4 septembre, d'une proposition de nouvelle constitution élaborée par une commission mixte.

La coalition gouvernementale et les chrétiens-démocrates ont insisté sur la nécessité de parvenir à un accord ce mois-ci et de ne pas continuer à retarder une question qui génère davantage d'incertitude pour la population et l'économie.

Cependant, Chile Vamos a refusé de sceller un pacte en octobre, trois ans après le tollé social contre le modèle néolibéral, dont l'une des revendications était de changer la constitution en vigueur depuis l'époque du régime d'Augusto Pinochet. jcc/jha/car 


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