mercredi, mai 31, 2023

CONDAMNATION DES TENTATIVES DE BOYCOTT D’UNE POÈTE CUBAINE EN FRANCE

   [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

NANCY MOREJON,  ÉCRIVAINE, POÉTESSE,
ESSAYISTE ET TRADUCTRICE CUBAINE 
PHOTO PRENSA LATINA

La Havane, 31 mai  Des intellectuels cubains ont dénoncé aujourd’hui les actions de secteurs contre-révolutionnaires en Europe qui tentent de boycotter la participation de la poète Nancy Morejón au Marché de la poésie de Paris. 

Prensa Latina

NANCY MOREJON
PHOTO AFROFÉMINAS

L’Union des écrivains et artistes de Cuba (Uneac) a assuré le soutien de ses membres à celle qui a notamment reçu le Prix National de Littérature (2001) et qui a été choisie comme président d’honneur de l’événement dans la capitale française.

«Nous, écrivains et artistes cubains, rejetons toute tentative de disqualifier la carrière poétique de Nancy et exprimons notre soutien solidaire à l’éminente créatrice», a indiqué la déclaration de l’Uneac lue par le narrateur Alberto Marrero.

Il a fait part de la condamnation, par les intellectuels cubains, des campagnes diffamatoires lancées s’opposer à la participation de l’essayiste et traductrice au Marché de la poésie. 

Fondé en 1983, le Marché de la poésie réunit à Paris des écrivains, des éditeurs et des publications de tout le globe.

Le rendez-vous, qui se déroulera du 7 au 12 juin, prévoit que Nancy Morejón (78 ans) prononce un discours d’ouverture et donne des conférences sur la poésie caribéenne.

Ce mercredi, le ministre cubain de la Culture, Alpidio Alonso, a dénoncé les nouvelles actions des ennemis de la Révolution contre les artistes de l’île, cette fois contre la poète membre de l’Académie Cubaine de la Langue depuis 1999. 

La rage et l’impuissance des haineux face à la Révolution cubaine se déchaîne aujourd’hui contre nos artistes, a écrit Marrero sur Twitter. 

«Notre solidarité avec la grande poète Nancy Morejón, victime de l’outrage de quelques lâches qui ne pourront pas taire la vérité de sa voix ni amoindrir la stature morale de son exemple», a-t-il noté.

La veille, le Comité d’organisation du 29 Festival international de poésie de La Havane a condamné la guerre culturelle et communicationnelle contre Cuba et sa Révolution.

À ces attaques s’ajoutent celles perpétrées récemment contre le duo Buena Fe lors d’une tournée en Espagne.

Le leader du populaire duo, Israel Rojas, a déclaré qu’il n’était pas possible de permettre que ces pratiques peu intelligentes, incultes et vulgaires s’installent dans la culture cubaine, au cœur de notre nation.

Il a également attiré l’attention sur les tentatives de nuire à cet échange culturel indispensable, absolument organique, que Cuba possède avec l’Espagne, l’Europe et le reste du monde. peo/ro/mml


lundi, mai 29, 2023

AU CHILI, DARK VADOR «CONDAMNÉ» À L’ISSUE D’UN PROCÈS FICTIF

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

DARK VADOR, QUI A PRIS PLACE DANS LA COUR D’APPEL DE VALPARAÍSO,
A ÉTÉ CONDAMNÉ POUR AVOIR COUPÉ LA MAIN DE SON FILS, LUKE SKYWALKER.
PHOTO AFP 

INSOLITE: 
Au Chili, Dark Vador «condamné» à l’issue d’un procès fictif / La justice chilienne organisait dimanche, dans le cadre de la Journée du patrimoine, le procès en appel de Dark Vador, le méchant de l’univers «Star Wars».

 Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

Le Matin.ch avec l'AFP

La justice chilienne a finalement réduit la peine prononcée contre Dark Vador, sombre méchant culte de la saga «Star Wars», qui a comparu dimanche devant la cour d’appel de Valparaíso dans un procès fictif organisé à l’occasion de la Journée du patrimoine du pays.

À 120 kilomètres à l’ouest de la capitale chilienne Santiago, la cour d’appel de Valparaíso a rendu sa décision contre Dark Vador au terme d’un procès à caractère éducatif, visant à rapprocher la justice des citoyens chiliens lors de la Journée du patrimoine célébrée ce week-end dans le pays.

«C’est un être humain»

Fidèle au scénario de la saga et à son épisode V: L’Empire contre-attaque, Dark Vador a ainsi été condamné pour avoir coupé la main de son fils, Luke Skywalker. «Ce qui est condamné est la mutilation, non ce que Dark Vador a fait auparavant», a établi la cour.

Pour cette raison et «compte tenu des peines prévues par le code pénal de l’espace (…), il va être condamné à une juste peine». Dark Vador devra ainsi «rester congelé pendant 30 ans dans la carbonite» et aura interdiction «d’approcher pendant 30 ans la victime, Luke, à une distance d’au moins trois planètes».

En outre, Dark Vador s’est vu interdire pour toujours «l’utilisation obscure de la force» et de son sabre laser. «Je ne demande ni plus ni moins que la justice», a déclaré devant la cour son avocat, Juan Carlos Manriquez. «C’est un être humain avec des droits (…) C’est presque une machine, mais aussi un homme. Un père».

«Rapprocher la justice des citoyens»

L’objectif de ce procès reconstitué grandeur nature était de «rapprocher la justice, si peu comprise, des citoyens», a expliqué Maria del Rosario Lavin, présidente de la cour d’appel de Valparaíso. «Car les gens connaissent bien les procès et les tribunaux, mais très peu le rôle» d’une cour d’appel, estime-t-elle.

«Bien sûr que j’ai eu affaire à des criminels terriblement mauvais au cours de ma carrière», insiste la magistrate, qui souligne que la présence de quelqu’un comme Dark Vador n’est pas «une nouveauté». Dans le cadre de la Journée du patrimoine, des institutions, des musées et de multiples édifices, dont le palais présidentiel de La Moneda à Santiago, ont gratuitement ouvert leurs portes au public, un peu partout à travers le Chili.  (AFP)

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

ILLUSTRATION RAMIRO ALONSO

jeudi, mai 25, 2023

CHILI : « LE CONSTAT QUE LE “GRAND SOIR” CONSTITUTIONNEL N’AURA PAS LIEU EST UNE DOUCHE FROIDE »

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

ILLUSTRATION RAMIRO ALONSO

Dans une tribune au « Monde », le géographe Sébastien Velut constate que les élections au Conseil constitutionnel, remportées par l’extrême droite, montrent l’impasse que représentent les réformes de la Loi fondamentale quand elles sont mises sur les rails sans accord politique préalable.

Sébastien Velut Géographe

Depuis quelques années, les gauches sont de nouveau au pouvoir en Amérique latine : c’est le cas au Mexique, en Argentine, en Colombie, au Chili et, ce qui n’a pas été une petite victoire, au Brésil. Faisant face aux effets conjugués de la crise mondiale et de la pandémie, ces gouvernements affrontent également une nouvelle droite sans complexe, en rupture affichée avec les garde-fous de la démocratie, alors même qu’une partie des sociétés latino-américaines exprime de nouvelles aspirations.

Dimanche 7 mai, les électeurs et électrices du Chili ont voté pour désigner les membres du Conseil constitutionnel, chargé de rédiger une nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum le 17 décembre, dans un calendrier très serré. Après le rejet à une large majorité de la proposition de texte préparée par la convention constituante réunie entre 2021 et 2022, le président Gabriel Boric et les partis représentés au Parlement s’étaient accordés pour relancer un processus constitutionnel plus encadré que celui de la convention, et donner une nouvelle chance à la réforme.

Une commission d’experts désignés par les partis représentés au Sénat et à la Chambre des députés prépare depuis le mois de mars un texte, qui sera discuté dans le Conseil constitutionnel nouvellement élu. Douze grands principes encadrent la rédaction. Ils définissent les caractéristiques du régime politique et énoncent des principes de respect des droits humains, des identités des peuples indigènes et de la nature.

Clivages trop forts

Un seul parti n’a pas signé cet accord : le Parti républicain (PR, extrême droite), issu en 2019 d’une scission de la droite conservatrice. Sous la conduite de José Antonio Kast, candidat battu au second tour de la présidentielle de 2021, le PR considère qu’il est inutile de renouveler la Constitution. Il a présenté le vote du 7 mai comme l’occasion de sanctionner le gouvernement de Gabriel Boric, alors que la droite classique a fait essentiellement campagne sur la montée supposée de l’insécurité.

► À lire aussi  : Article réservé à nos abonnés Au Chili, le président Gabriel Boric essuie un nouveau revers

Or, ce dimanche 7 mai, le PR vient de remporter largement l’élection. Il arrive en tête au niveau national avec plus de 35 % des voix et, grâce au système de scrutin par circonscription, il occupera 23 des 51 sièges du Conseil constitutionnel. Un chiffre insuffisant pour pouvoir être seul à décider, puisqu’il faudra la majorité des trois cinquièmes – soit 31 voix – pour approuver ou rejeter les articles proposés par la commission d’experts, mais assez pour pouvoir bloquer toute réforme, puisque les forces proches du gouvernement actuel totalisent 16 élus et la droite traditionnelle 11 – un seul siège est attribué aux peuples indigènes, qui disposaient dans la convention précédente de 17 conseillers sur 155.

Une alliance entre le PR et une partie de la droite pourrait également permettre de préparer un nouveau texte, marqué du sceau du conservatisme, qui amènerait la gauche à jouer à front renversé, en misant sur son rejet par le référendum de décembre.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Chili : « Si la droite s’allie à l’ultradroite, elles auront la possibilité d’écrire la Constitution qu’elles veulent »

La réforme constitutionnelle chilienne est de nouveau dans l’impasse. Les clivages au sein de l’Assemblée semblent trop forts pour qu’on puisse raisonnablement espérer trouver d’ici à la fin de l’année des accords partiels pour voter un nouveau texte. Le maintien de la Constitution de 1980, rédigée certes sous la dictature, mais amendée à de nombreuses reprises par les gouvernements démocratiques, semblerait tout compte fait la moins mauvaise des options. Ce texte est jugé infamant par une partie de la gauche et insuffisant par les mouvements sociaux, qui voudraient y voir inscrire de nouveaux droits. Par rapport à l’euphorie communicative des manifestations de 2019, le constat que le « grand soir » constitutionnel n’aura pas lieu est une douche froide en ce début d’automne austral.

Geste politique

Au Chili, le président Boric et ses alliés ont subi un revers, mais ils conservent au Parlement une majorité relative. Ils peuvent même espérer que la menace que fait peser l’ascension du PR amène une partie de la droite modérée à s’ouvrir davantage au dialogue. Il lui faudra pour cela une grande habileté et espérer qu’une partie des élus acceptent de le suivre, sans quoi les prochaines années de son mandat risquent d’être un long chemin de croix, alors que les Chiliens et les Chiliennes attendent un certain nombre de réformes tenant compte des évolutions de la société.

Le vote du 7 mai a montré toute la difficulté de réformer les textes constitutionnels. Il avait fallu des circonstances exceptionnelles telles que la sortie des dictatures pour pouvoir réformer les Constitutions comme celles du Brésil (1988) ou de l’Argentine (1994). Ou encore des gouvernements disposant de fortes majorités et menés par des leaders radicaux comme Hugo Chavez (Constitution du Venezuela en 1999) ou Evo Morales (Constitution de la Bolivie en 2009). Au Mexique, Lopez Obrador s’est engagé dans la bataille pour réformer certains articles de la Constitution mexicaine, sans prétendre faire un nouveau texte : celui hérité de la révolution de 1917 est un monument national.

Par rapport au grand geste politique d’une réforme constitutionnelle, censée résoudre les problèmes fondamentaux d’une société, l’impasse chilienne montre que, au fond, les révisions de la Loi fondamentale n’aboutissent que lorsque des accords préalables existent, et que les changements constitutionnels sont autant un aboutissement qu’un commencement.

Dans des sociétés fortement clivées, où les factions sont arc-boutées sur leurs positions, construire ces convergences demande de la patience, mais la démocratie est à ce prix. C’est peut-être ce qui devrait inspirer les gauches latino-américaines si elles aspirent à des réformes, et non pas à des gesticulations.

Sébastien Velut est professeur de géographie à la Sorbonne-Nouvelle, Institut des hautes études de l’Amérique latine.

Sébastien Velut (Géographe)


lundi, mai 22, 2023

AU CHILI, JEANNETTE JARA, LA MINISTRE QUI RÉFORME LE TRAVAIL

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

LA MINISTRE @JEANNETTE_JARA   PRÉSENTE LE COMPTE PUBLIC
PARTICIPATIF 2022-2023, DANS LEQUEL IL DÉVOILE LES PRINCIPALES
RÉALISATIONS ET AVANCÉES DU MINISTÈRE DU TRAVAIL ET
DE LA PRÉVOYANCE SOCIALE LE 18 MAI. 2023
PHOTO MINISTERIO DEL TRABAJO Y PREVISIÓN SOCIAL
LOGO
LE MONDE

Au Chili, Jeannette Jara, la ministre qui réforme le travail / Au  moment où l’extrême droite monte dans les urnes, la dirigeante communiste est l’une des figures les plus populaires du gouvernement de gauche de Gabriel Boric, dont elle porte plusieurs réformes emblématiques.

Par Flora Genoux (Santiago (Chili), envoyée spéciale)

LE PRÉSIDENT CHILIEN, GABRIEL BORIC,
LORS DE SA PRÉSENTATION DE LA
RÉFORME DU TRAVAIL, LE 23 AOÛT 2022.
PHOTO IVAN ALVARADO/REUTERS 

Le ton est calme, pédagogue, jovial à l’occasion. Dans les médias et au Parlement, la ministre du travail chilienne, Jeannette Jara, 49 ans, défend ses mesures. « Il est nécessaire de parvenir à des accords, et telle est ma tâche », expose-t-elle au Monde, vendredi 5 mai, dans son bureau du centre de Santiago d’où elle porte les réformes les plus abouties du gouvernement du président Gabriel Boric (gauche). L’opinion publique lui en sait gré. L’ancienne dirigeante syndicale, ex-présidente d’une organisation étudiante et membre du Parti communiste, figure parmi les ministres les mieux notés du gouvernement, alors même que le président est malmené dans les enquêtes d’opinion quasiment depuis son arrivée au pouvoir, en mars 2022 ; et que l’extrême droite s’installe sur le devant de la scène politique, comme l’ont montré les élections au Conseil constitutionnel, le 7 mai.

LA MINISTRE DU TRAVAIL CHILIENNE, JEANNETTE JARA, APRÈS
L’APPROBATION D’UN PROJET DE LOI RÉDUISANT LE TEMPS DE
TRAVAIL HEBDOMADAIRE DE 45 HEURES À 40 HEURES,
AU CONGRÈS À VALPARAISO (CHILI), LE 11 AVRIL 2023.
PHOTO RODRIGO GARRIDO / REUTERS

Le très conservateur Parti républicain est arrivé en tête de ce scrutin et il a déjà annoncé qu’il comptait bien préserver dans la future Constitution le concept d’Etat subsidiaire, n’intervenant qu’en dernier ressort – après le secteur privé –, au centre du texte actuel, hérité de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Les grands projets de réformes sociales de Gabriel Boric, déjà en grande partie amputés ou tempérés, continueront donc d’être menés dans un climat défavorable, avec un Parlement sans majorité et une extrême droite galvanisée. Jeannette Jara défend actuellement devant les députés une nouvelle revalorisation du salaire minimum. Elle voudrait le porter à 500 000 pesos (575 euros) en juillet 2024, contre 410 000 actuellement, et 350 000 pesos lors de l’arrivée au pouvoir de Gabriel Boric.

C’est la première revalorisation qui a ouvert à Jeannette Jara les portes du petit cercle présidentiel. Le « comité politique du gouvernement », actuellement composé de six ministres, se réunit chaque semaine avec le président. Elle y travaille étroitement avec Mario Marcel, le ministre des finances. Des doutes existaient sur la compatibilité de ce duo, en raison des différences entre les communistes et le centre gauche, dont est issu Mario Marcel. Mais Jeannette Jara « a démontré avoir la capacité de construire de grands accords, parfois improbables, qui sont ceux dont a besoin notre pays en ce moment », a complimenté Gabriel Boric. Une capacité saluée jusque dans l’opposition.

Plus grand acquis social du gouvernement

Le chantier le plus ardu de la ministre est la réforme du système des retraites. « C’est là-dessus que va se jouer le bilan de Boric. Il s’agit aussi de la grande demande de la révolte sociale de 2019 et de la promesse du gouvernement », observe Rolando Alvarez Vallejos, historien à l’université Santiago du Chili, spécialiste du Parti communiste. Une refonte avait déjà été tentée, en vain, par les deux derniers présidents, Michelle Bachelet (centre gauche, 2006- 2010 puis 2014-2018) et Sebastian Piñera (droite, 2010-2014 puis 2018-2022).

L’actuel projet entend créer une cotisation patronale, dans un pays où prévaut la capitalisation individuelle privée et obligatoire, un système bâti par les « Chicago Boy’s », économistes néolibéraux aux commandes sous la dictature. Cinquante ans plus tard, le quart des pensions ne dépassent pas le seuil de pauvreté. Loin des explications techniques, Jeannette Jara tâche de faire passer ce message grand public : « L’objectif est d’augmenter le montant des retraites. »

Les discussions sont rugueuses. La ministre, décrite comme pragmatique et tenace, veut continuer de s’appuyer sur le dialogue social. Sa méthode a déjà fonctionné. En avril, le gouvernement a obtenu une victoire de taille : les députés ont approuvé à une large majorité la semaine de travail de 40 heures à salaire constant (contre 45 heures actuellement), après un vote unanime au Sénat. Un changement culturel majeur, obtenu dans un consensus frappant, dans un continent où prévaut la semaine de 48 heures. Des concessions (progressivité de l’application de la réforme sur cinq ans, souplesse selon les métiers) ont été accordées au patronat et à la droite. Il s’agit du plus grand acquis social du gouvernement.

« Jeannette [Jara] a une grande intelligence politique, du leadership. Elle est affable, capable d’établir des relations de travail saines, sans arrogance », décrit Dafne Concha, conseillère communiste à la mairie de Santiago, qui l’a côtoyée lorsque la ministre travaillait pour la maire de la ville, Iraci Hassler, en 2021. Dans son cabinet, l’équipe de Jeannette Jara va du Parti communiste au centre gauche. Elle s’appuie sur une connaissance fine des partenaires sociaux et des négociations, acquise lorsqu’elle était secrétaire générale du syndicat des inspecteurs des finances publiques (2008-2010), avant d’être directrice de cabinet puis sous-secrétaire chargée de la prévision sociale sous le second mandat de Michelle Bachelet.

Image consensuelle, accessible et familiale

Maîtrisant parfaitement ses dossiers, elle cultive une image consensuelle, accessible et familiale. Aînée d’une fratrie de cinq enfants, fille d’un ouvrier et d’une mère au foyer, issue d’un quartier populaire de l’agglomération de Santiago, elle est le premier membre de sa famille à obtenir un diplôme universitaire, en administration publique, puis de juriste spécialisée en droit fiscal et en sécurité sociale. Elle se décrit comme proche de sa mère et de son abuelita, sa « petite grand-mère », qui lui enjoint de tenir ses promesses politiques. La ministre compte sur la solidarité familiale pour la relayer auprès de son fils adolescent lors des journées chargées. Pendant son temps libre, elle s’adonne à la culture de son potager et met en avant l’argument familial pour attaquer le Parti républicain : « Ils se déclarent profamille, mais ils ont voté contre les 40 heures et le salaire minimum », tançait-elle le 10 mai.

« Il s’agit d’une personne directe, qui a aussi dû s’imposer au sein d’un Parti communiste très masculin», décrit Rolando Alvarez. Un parti auquel elle a adhéré à l’âge de 14 ans, et au comité central duquel elle siège toujours. Quand on lui demande ce qu’elle a de communiste, Jeannette Jara rit. Puis livre une définition générale : « Défendre les droits des travailleurs est ma principale motivation. »


Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

C'EST ASSEZ RARE POUR ÊTRE SOULIGNÉ. /
ON VOIT RAREMENT DEUX COMMUNISTES
MME 
LA DÉPUTÉE KAROL CARIOLA PCCh 
ET CAMILA VALLEJO, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT  
SOURIRE EN COUVERTURE D'« EL MERCURIO ». 

du 12 avril 2023

SUR LE MÊME SUJET :

vendredi, mai 19, 2023

LA BELLE SOLIDARITÉ DES FOOTBALLEURS CHILIENS AVEC LA PALESTINE !

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]


La solidarité avec les Palestiniens se manifeste de bien des façons au Chili. Mais ce samedi, toute l’équipe du Club Deportivo Palestino de la Premier League chilienne a exprimé sa solidarité en portant le keffieh palestinien avant le match contre Colo-Colo. [
«On s'en foot !»]

Oumma.com

Luis Jiménez, capitaine du Club Deportivo Palestino chilien
LUIS JIMÉNEZ, CAPITAINE DU CLUB
DEPORTIVO PALESTINO CHILIEN
Il faut dire que ce club de football a été fondé au Chili en 1920 par des immigrants palestiniens dans la ville d’Osorno, dans le sud du pays. Elle est connue comme la « deuxième équipe nationale » de Palestine.

► À lire aussi  :   POUR LA PREMIÈRE FOIS, L’ONU COMMÉMORE LA JOURNÉE DE LA NAKBA

Comme le rappelle Middle East Monitor, le Chili abrite la plus grande – et l’une des plus anciennes – communautés palestiniennes en dehors du monde arabe. Près d’un demi-million de personnes d’origine palestinienne y vivent, sur une population totale de 18 millions.

Les «Chilestiniens» sont arrivés de Palestine au XIXe siècle, suivis d’une vague de réfugiés en 1948, incarnant un lien entre le Moyen-Orient et l’Amérique latine.

Au début de la migration palestinienne vers le Chili, le football était considéré comme un moyen de s’intégrer dans la société. En tant que grand club de football chilien, il offre désormais une fenêtre permettant au peuple opprimé de Palestine d’être vu et entendu.

« Ce qui se passe à Sheikh Jarrah montre que le droit international et les droits de l’homme sont une fois de plus bafoués », a souligné Jorge Uauy, « et que la majeure partie du monde regarde en silence. Il doit y avoir des comptes rendus pour ce qui arrive aux Palestiniens, pas seulement à Jérusalem, mais dans toute la Palestine occupée », a-t-il ajouté en insistant sur le fait que « La décision de toute l’équipe de porter le keffieh a eu un effet positif sur le groupe ».

Ce n’est pas la première fois que le Club Deportivo Palestino fait preuve d’une telle solidarité avec le peuple palestinien. En 2014, lors de la brutale offensive militaire d’Israël contre la bande de Gaza, le club a remplacé le numéro 1 sur les maillots de l’équipe par une carte allongée de la Palestine.

L’année dernière, le club a fêté son centenaire en produisant un maillot commémoratif avec « Plus qu’une équipe, c’est tout un peuple » écrit dessus.

Et lors de l’assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh par Israel, l’an dernier, le club a également été affecté, et l’a montré :

ASSASSINAT DE LA JOURNALISTE PALESTINIENNE
SHIREEN ABU AKLEH PAR ISRAEL

La solidarité chilienne ne se limite cependant pas au football ; elle s’étend à toute la société. En juillet de l’année dernière, la tour téléphonique de la capitale Santiago a été illuminée du keffieh palestinien en soutien au peuple palestinien et au rejet des projets d’Israël d’annexer une grande partie de la Cisjordanie occupée.

Toujours en juillet, le Sénat chilien a approuvé une résolution appelant le président Sebastian Piñera Echenique à adopter une loi boycottant les biens des colonies israéliennes et interdisant les activités commerciales avec les entreprises opérant dans les territoires palestiniens occupés.

Les footballeurs chiliens apportant leur propre solidarité, ils ont fourni un exemple frappant de la véritable force de l’identité palestinienne collective. « Mon cœur se brise toujours avec la violence et l’injustice que les Palestiniens subissent chaque jour », a conclu Jorge Uauy. « Il est important de travailler dur afin de poursuivre l’héritage de nos fondateurs et de réaliser de grandes choses dans le domaine sportif.»

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

DES SUPPORTRICES DU CLUB
 DE FOOTBALL « PALESTINO »
 

SUR LE MÊME SUJET :

jeudi, mai 18, 2023

AU CHILI, COMMENT L’ÉDITEUR AMANUTA A BOULEVERSÉ LA LITTÉRATURE JEUNESSE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

DES LIVRES ÉDITÉS PAR AMANUTA.
A SANTIAGO, LE 8 MAI 2023.
PHOTO FLORA GENOUX / LE MONDE
INTERNATIONAL / LETTRES DE / Au Chili, comment l’éditeur Amanuta a bouleversé la littérature jeunesse / Depuis plus de vingt ans, cette maison d’édition veille à publier des ouvrages intelligents, novateurs et propres à la culture régionale, entraînant dans son sillage de nombreux acteurs du secteur.

Par Flora Genoux (Santiago, Chili, envoyée spéciale)

Temps de Lecture 4 min.

LETTRE DE SANTIAGO

SET GABRIELA MISTRAL

À la fin, le loup « et a moulu les chairs, et a moulu les os/et a pressé le cœur comme une cerise ». Cinglante, poétique, la conclusion de cette version en vers du Petit Chaperon rouge par Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature, a été exhumée par l’auteur et chercheur en littérature jeunesse Manuel Peña. « Ce texte était perdu, il s’agit d’un conte ramené à un contexte latino-américain et qui se termine de façon dramatique, car Gabriela Mistral ne cherchait pas à édulcorer pour les enfants », décrit-il. Une vision iconoclaste de la fable, portée par la maison d’édition Amanuta qui a publié en 2012 une série de contes revisités par la poétesse chilienne – Blanche Neige, La Belle au bois dormant, Cendrillon –, dans la lignée de son singulier et profond travail de sélection mené depuis 2002.

CAPTURE D'ÉCRAN

Plus de 200 livres et vingt et un ans plus tard, elle a reçu au mois de mars le prestigieux Prix de la meilleure maison d’édition pour enfants d’Amérique latine, à la Foire du livre de jeunesse de Bologne, en Italie. Dans la maison basse de Santiago où est installée Amanuta – qui fait aussi office de librairie pour le grand public désirant passer la porte –, des étagères remplies de tranches colorées, et des cartons de livres en partance pour l’étranger. « Au départ, on a décidé de se lancer dans l’édition parce qu’on ne trouvait pas les histoires que l’on souhaitait lire à nos enfants », raconte Ana Maria Pavez, économiste et archéologue de formation, cofondatrice avec la pédopsychiatre Constanza Recart d’Amanuta, qui signifie « avec intention » en langue aymara, l’une des populations autochtones du Chili.

La première publication de la maison d’édition, Kiwala découvre la mer, raconte l’histoire d’un lama curieux et intrépide souhaitant s’échapper de son village afin de goûter aux joies de l’océan. Sur sa route, l’animal croise d’autres espèces locales : un puma, un serpent, un condor et une baleine. « Il faut que nos enfants sachent d’où ils viennent. L’histoire et la culture sont des éléments essentiels de la formation d’une société. Et encore plus aujourd’hui, où tout est si mondialisé », explique Ana Maria Pavez.

► À lire aussi  :  AUTODAFÉS AU CHILI

La part belle aux populations autochtones

« Pendant la dictature [1973-1990], il y a eu une censure de la littérature pour enfants », retrace Manuel Peña, le chercheur en littérature jeunesse. Des histoires en général stéréotypées ont émergé : des princes, des princesses, des animaux des bois… Des narrations plutôt sans relief et surtout très peu chiliennes et « latinas ». « Amanuta a ouvert le chemin et, dans son sillon, de nombreuses maisons indépendantes sont nées et font un travail de qualité, avec des livres esthétiques et en rapport avec l’histoire du pays, sur le devoir de mémoire lié à la dictature par exemple, observe Manuel Peña. Aujourd’hui, la littérature jeunesse vit au Chili sa meilleure période. » Le nombre de livres pour enfants publiés annuellement a ainsi doublé entre 2015 et 2020, selon les données de la chambre du livre chilienne.

COUVERTURE DU 
« ATLAS AMÉRICAIN »

À l’image des aventures du lama andin Kiwala, Amanuta fait la part belle aux histoires mettant en scène les populations autochtones – 13 % des Chiliens, longtemps invisibilisés. D’autres ouvrages s’inscrivent dans la culture régionale en général. Avocat, chocolat, papaye, chirimoya, pomme de terre… en 2009, fut ainsi publié un livre déclinant les aliments seulement présents en Amérique latine avant la colonisation du XVème siècle. Des recettes simples accompagnent les illustrations. A notamment suivi un ouvrage autour de la malnutrition, qui demeure l’un des grands fardeaux sanitaires du continent. Puis Atlas Americano (« Atlas américain »), en 2017, qui, sur de grandes pages, associent les silhouettes des pays à des éléments ayant forgé leur identité. La terre si longiligne du Chili est ainsi parsemée de nombreuses illustrations, parmi lesquelles le poète Pablo Neruda, des manchots royaux ou encore l’araucaria, l’arbre national.

Des petites filles pirates

COUVERTURE DU
« LE CHEMIN DE MARWAN »

Au fil des années, Amanuta s’est adaptée à l’époque, se faisant l’écho des grands enjeux nationaux et même internationaux. Ainsi de ce livre sur un enfant migrant, El camino de Marwan (« Le chemin de Marwan », 2016, non traduit au français), au moment où l’immigration devient une réalité chilienne, avec une population étrangère multipliée par deux entre 2018 et 2021.

COUVERTURE DU
« DIX PETITES FILLES PIRATES »
Parmi les étagères fournies des éditrices se trouvent par ailleurs des histoires sur l’écologie, sur les émotions, mais aussi une racontant les aventures des Dix petites filles pirates (2019) d’Esteban Cabezas. « Quand j’allais faire des interventions dans les écoles, les filles se plaignaient de ne pas avoir de personnages d’action qui leur ressemblaient », rapporte l’auteur, qui souhaite « ne pas sous-estimer les enfants, ne pas être mièvre mais leur poser un défi ». Courageuses, ces pirates partent à l’assaut un sabre sous le bras, et se délectent de sushis à base de viande de requin. « Ce que je cherche avec mes livres, c’est à faire rire. Si les enfants réclament qu’on leur lise plusieurs fois l’histoire, alors j’ai réussi. Je ne cherche pas à être moraliste ni à faire de littérature d’apprentissage », devise Esteban Cabezas.

Si ses petites pirates portent des prénoms espagnols et si le regard d’Amanuta est avant tout régional, de nombreuses histoires à la portée universelles voyagent à travers le monde. Dans toute l’Amérique latine, d’abord, mais aussi au-delà, avec des traductions en chinois, coréen, russe ou français. « Notre défi, c’est que les enfants lisent et surtout continuent à lire, avec la tentation des écrans qui devient encore plus forte après l’âge de 5 ans », remarque Ana Maria Pavez. Une concurrence d’autant plus dangereuse qu’au Chili, l’inflation – près de 10 % sur un an – a détourné les parents des librairies. « Cette année, nos ventes ont baissé d’environ 20 %, rapporte Ana Maria Pavez. On réduit un peu la voilure au niveau des publications et on en profite pour chercher encore plus de nouveautés à publier l’année prochaine. »

Retrouvez ici toutes les lettres de nos correspondants

Flora Genoux (Santiago, Chili, envoyée spéciale)

SUR LE MÊME SUJET :

QUAND WASHINGTON TORPILLE LE VENEZUELA ET… LA COLOMBIE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PHOTOMONTAGE ILLUSTRATION / CONFÉRENCE INTERNATIONALE
SUR LE VENEZUELA ET LE PRÉSIDENT COLOMBIEN GUSTAVO PETRO,
BOGOTA, 25 AVRIL 2023.
PHOTOS CRISTIAN GARAVITO - PRESIDENCIA.
 
Le Maurice Lemoine Nouveau est arrivé ! /     Quand Washington torpille le Venezuela et… la Colombie / À l’initiative du président colombien Gustavo Petro, une vingtaine de pays se sont réunis le 25 avril en Colombie pour tenter de « contribuer à la reprise du dialogue politique » au Venezuela. Alors que se profile l’élection présidentielle de 2024, les négociations menées au Mexique entre le gouvernement chaviste de Nicolás Maduro et la Plateforme unitaire – l’une des factions de son opposition – sont en effet gelées depuis novembre 2022.

par Maurice Lemoine

Temps de Lecture 21 min

PHOTO L'HUMANITÉ

Une telle démarche n’eut pas été possible sans la normalisation menée à bien par Petro, depuis son arrivée à la présidence, avec son voisin vénézuélien. Les relations diplomatiques étaient rompues depuis février 2019, le président Iván Duque ayant agi en allié inconditionnel de l’administration de Donald Trump dans l’entreprise de déstabilisation menée contre la République bolivarienne.

► À lire aussi :      L’ÉQUATEUR PRIS AU LASSO

► À lire aussi :    L’ÉQUATEUR ORGANISERAIT DES ÉLECTIONS GÉNÉRALES ANTICIPÉES LE 20 AOÛT

► À lire aussi :    DÉMOCRATIE. ÉQUATEUR : GUILLERMO LASSO TENTE UNE «MANŒUVRE RADICALE» ET DISSOUT L’ASSEMBLÉE

Fort d’un passé au sein de la guérilla du M-19 (1974-1990), Petro, premier président de gauche dans la tragique histoire républicaine de son pays, a une claire notion de ce qu’est l’impérialisme, même s’il ne prononce pas le mot à tout propos. De ce fait, il est à même de juger ce qu’a été l’agression menée depuis Washington, avec l’aide de comparses tels que Duque ou le brésilien Jair Bolsonaro, contre le gouvernement bolivarien. Pour d’aussi évidentes raisons, il a par ailleurs besoin de rapports normalisés avec celui-ci.

Le difficile processus de « paix totale » que Petro tente de mener dans son propre pays jouit en effet de l’appui du Venezuela, l’un des trois pays garants (avec Cuba et la Norvège) des négociations qu’il a entreprises avec (entre autres) l’Armée de libération nationale (ELN), l’une des guérillas historiques encore en activité. Sachant que, de son côté, Caracas a tout intérêt à une fin des conflits armés en Colombie, divers groupes insurgés (dont l’ELN) et/ou narco-criminels agissant à cheval sur la frontière et opérant, avec des conséquences néfastes, en territoire vénézuélien [1].

Autre dimension des relations entre les deux pays : la terrible crise économique provoquée par les mesures coercitives unilatérales (communément appelées « sanctions ») des États-Unis contre Caracas a provoqué une forte migration de Vénézuéliens. Principal pays d’accueil du fait des 2219 kilomètres de frontière commune, la Colombie en a reçu de l’ordre de 2,2 millions d’après l’organisme Migración Colombia. Un évident fardeau. L’opération de « retours volontaires » prônée par Pétro ne peut qu’être favorisée par une amélioration de la situation économique au Venezuela. Effective depuis plusieurs mois, cette embellie a déjà eu des effets positifs puisque, constate le président colombien, « les dernières données dont je dispose sont que la direction [des flux de déplacés vénézuéliens] n’est plus du Venezuela vers la Colombie, mais de la Colombie vers le Venezuela ; nous allons examiner cela avec plus de temps pour faire une évaluation approfondie [2].  »

Enfin, la réouverture de la frontière allant de pair avec une économie vénézuélienne revigorée ne peut que stimuler une reprise des échanges commerciaux dont l’effondrement a lourdement affecté les deux pays.

Le 23 mars 2023, et pour la troisième fois – la première ayant eu un caractère très spectaculaire par sa portée symbolique et l’excellence manifeste des relations entre les deux hommes –, Petro a rencontré officiellement Nicolás Maduro. C’est avec l’accord de ce dernier qu’il a organisé la conférence du 25 avril, Maduro exprimant, lors d’un programme télévisé, «tout le soutien du Venezuela pour que ce sommet dynamise et relance la lutte de notre pays pour obtenir le respect de sa souveraineté, de son indépendance et la levée définitive de toutes les mesures coercitives unilatérales ». Par ailleurs, et avant même une rencontre de Petro avec Joe Biden, à Washington, le 20 avril 2023, les États-Unis avaient confirmé qu’ils ne s’opposeraient pas à cette initiative et qu’ils enverraient même une délégation.

Impliquant fondamentalement la « communauté internationale » et prévue pour se dérouler sans présence de Vénézuéliens, la réunion n’en a pas moins été précédée d’une entrevue de Petro avec une délégation de la Plateforme unitaire, le secteur anti-chaviste qui, sous l’égide du royaume de Norvège, menait les négociations au Mexique jusqu’à leur interruption. Emmenés par leur coordinateur Gerardo Blyde, les opposants n’ont toutefois été reçus que dans la résidence officielle de Hato Grande, située à Sopó, à une cinquantaine de kilomètres de Bogotá, et non au Palais présidentiel. Si figuraient dans la représentation des membres du parti conservateur Primero Justicia (PJ ; Justice d’abord), d’Action démocratique (AD ; supposément social-démocrate) et du parti dit abusivement « de centre-droit » Un Nouveau temps (UNT), aucun représentant du très radical (pour ne pas dire factieux) Volonté populaire (VP) n’avait fait le déplacement [3].

Il s’agissait de fait de la seconde rencontre entre Petro et Blyde. Les deux hommes s’étaient déjà retrouvés à Paris, le 11 novembre 2022, en compagnie du négociateur de Maduro, le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodríguez, et des chefs d’États français et argentin Emmanuel Macron et Alberto Fernández.

Rencontre de Gustavo Petro et de Nicolas Maduro, le 1er novembre 2022, à Caracas.
RENCONTRE DE GUSTAVO PETRO ET DE NICOLAS MADURO,
LE 1ER NOVEMBRE 2022, À CARACAS.

En Colombie, les opposants ont pu exposer au président Petro « la situation difficile » que vivent les Vénézuéliens et « les mesures nécessaires pour sauver la démocratie » grâce à « des élections libres, observables et vérifiables répondant aux normes démocratiques internationales ». Ils ont néanmoins précisé que – après l’avoir longtemps et ardemment soutenue ! – ils laissaient derrière eux « la politique de pression maximale » mise en œuvre par Trump et symbolisée, de janvier 2019 à janvier 2022, par l’État parallèle du président autoproclamé Juan Guaido. Par l’intermédiaire de Blyde, ils ont également affirmé applaudir l’initiative de Petro : « Nous croyons que cette réunion est très importante et nous avons l’espoir qu’elle soit couronnée de succès [4].  »

Feu vert, donc, et en apparence, bonne volonté, à tous les niveaux.

Ouverture de la Conférence. Se retrouvent au Palais de San Carlos, siège du ministère colombien des Affaires étrangères (et, en son temps, quartier général de Simón Bolívar), trois ministres des Affaires étrangères (Chili, Bolivie, Argentine) ; Celso Amorim, conseiller et homme de confiance du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ; Jonathan Finer, adjoint à la Sécurité nationale des Etats Unis et Chris Dodd, conseiller spécial du Département d’État pour les Amériques ; Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; des ambassadeurs ou diplomates de treize pays [5].

Brillant orateur, le président Petro prononce le discours d’inauguration. « L’Amérique ne peut pas être un espace de sanctions, l’Amérique doit être un espace de libertés et l’Amérique doit être un espace de démocratie », attaque-t-il d’emblée, se plaçant à équidistance des acteurs vénézuéliens et internationaux du conflit. Il revient d’emblée sur une suggestion prononcée dès son arrivée au pouvoir : que le Venezuela réintègre le Système interaméricain des droits de l’Homme (SIDH). L’entité, que Caracas a quittée en 2012, dépend de l’Organisation des Etats américains (OEA), abandonnée elle aussi en 2017 en raison de son ingérence éhontée dans les affaires du pays.

Petro expose ensuite l’idée force qu’il a déjà développée lors de son entretien avec Biden : la mise en œuvre d’un processus à « deux voies » qui avanceraient en parallèle. Soit l’élaboration de garanties pour la prochaine échéance électorale allant de pair avec l’élimination progressive des sanctions unilatérales imposées au Venezuela.

De la rencontre qui a suivi, tenue à huis clos durant tout l’après-midi, peu de détails ont filtré. Dans son intervention devant la presse, le ministre colombien des Affaires étrangères, Álvaro Leyva ne lira qu’un bref communiqué final de 258 mots exprimant les « positions communes » des délégations présentes. En premier lieu, « la nécessité d’établir un calendrier électoral permettant des élections libres, transparentes et avec toutes les garanties pour tous les acteurs vénézuéliens ». En appui à cet objectif initial, une prise en compte des recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (UE) présente lors des scrutins régionaux et municipaux de novembre 2021. Troisième point : « que les démarches [précédentes] convenues à la satisfaction des parties aillent de pair avec la levée des différentes sanctions ». L’ensemble devant être acquis dans le cadre de négociations reprises à Mexico.

Au-delà de ces préconisations somme toute sans surprises, aucun engagement concret n’a été annoncé. D’après Álvaro Leyva, le président Maduro, les secteurs de l’opposition et la société civile seraient ultérieurement informés des résultats de l’événement « pour évaluation et commentaires ». Les délégations participantes devant être convoquées à court terme, afin d’en suivre les développements.

► À lire aussi :  AU VENEZUELA, L’OPPOSITION VOTE POUR METTRE FIN À LA « PRÉSIDENCE INTÉRIMAIRE» DE JUAN GUAIDO

Le sujet divise évidemment l’opposition vénézuélienne, par définition… divisée. Les partisans du dialogue avec le pouvoir ont soutenu l’initiative de Petro. La droite radicale (vénézuélienne et colombienne) l’accuse de « faire le jeu de la dictature ». C’est évidemment la position de l’inévitable Juan Guaido. Lequel a tenté de profiter de la conférence pour monter l’un de ses habituels « shows ».

Dans les faits, alors que jusque-là il n’était rien, Guaido est désormais moins que rien. Seule son élection à la tête de l’Assemblée nationale (AN), pendant toute l’année 2019, a permis à l’administration Trump de faire de ce parlementaire un supposé Président de la République intérimaire. Depuis les législatives du 6 décembre 2020, boycottées par les radicaux, mais auxquelles a participé l’opposition démocratique, Guaido n’est même plus député. Il n’a pu maintenir ce conte – président de l’« Assemblée nationale 2015 » – que grâce au soutien inconditionnel de la Maison-Blanche – du républicain Trump au démocrate Biden – et du Département d’Etat.

Il se trouve que, fin 2022, ce fictif président intérimaire a demandé à la fictive « AN-2015 » de prolonger son mandat fictif, ainsi que la fictive architecture institutionnelle parallèle, pour une durée fictive d’un an à partir du 5 février 2023. Et que le ciel lui est tombé sur la tête : trois des quatre partis (le G-4) constituant l’opposition radicale – AD, PJ et UNT (désormais G-3) – ont fait sécession. Agissant en sous-main et estimant que Guaido a échoué dans les objectifs qui lui avaient été fixés – renverser Nicolás Maduro –, les États-Unis ont en effet modifié leur stratégie. Le 30 décembre, par 72 voix pour, 29 contre et 8 abstentions, Guaido a donc été éjecté par la majorité de ses ex-soutiens « pour cause d’inutilité » [6].

Dans les jours précédant la rencontre de Petro avec Biden, Guaido était déjà monté au créneau contre les propositions du président colombien : « Pour qu’il n’y ait pas de sanctions, nous avons besoin d’une démocratie à 100 %, et le fait que nous ne l’ayons pas est la cause des sanctions. La démocratie se construit avec des actes concrets, pas avec des mots. » L’annonce de la conférence internationale du 25 avril le hérisse : d’abord sur le principe ; ensuite et plus encore parce qu’il n’y a pas été invité. Comme à son habitude, le « rien intérimaire » décide de s’offrir un coup médiatique. Malgré l’interdiction de quitter le territoire vénézuélien – où il est poursuivi par la justice –, il passe clandestinement dans le pays voisin pour perturber le déroulement de l’événement. Il ameute les réseaux sociaux : « Je viens d’arriver en Colombie, comme des millions de Vénézuéliens l’ont fait avant moi, à pied. » Annonce une conférence de presse. Réclame une réunion « avec les délégations internationales présentes ». Prévoit de participer à un sit-in devant le palais de San Carlos où se déroule la conférence.

Guaido a juste oublié un détail. Ce n’est plus son ami Iván Duque qui gouverne la Colombie, mais Gustavo Petro. Il pouvait, à l’époque, entrer dans le pays par les « trochas » [7], sans passer par les postes frontières, accompagné et protégé à l’occasion par des groupes narco-criminels colombiens [8]. Ce temps est révolu. Les services de l’Immigration l’interpellent à Bogotá. Constatent qu’il est entré clandestinement. Ouvrent une procédure administrative. Panique à bord ! Les yankees interviennent, dans le registre « Il faut sauver le soldat Guaido ». Ambassadeur fictif (c’est une manie !) des États-Unis au Venezuela, James Story, qui vit à Bogotá – les relations diplomatiques entre Washington et Caracas étant rompues –, remet à son ex-protégé un billet pour la « capitale des ultras », Miami. Le soir même, des fonctionnaires colombiens et deux « agents » états-uniens chargés d’ « assurer sa sécurité » accompagnent Guaido à l’aéroport international El Dorado et s’assurent qu’il monte dans l’avion.

Indésirable en Colombie, Juan Guaido arrive à Miami. (capture d’écran)
INDÉSIRABLE EN COLOMBIE, JUAN GUAIDO ARRIVE À MIAMI. (
CAPTURE D’ÉCRAN)

Perdu, lâché de tous côtés, le clown de la politique vénézuélienne arrive le lendemain matin en Foride, d’où il délivre un message qui ne surprendra personne : « Malheureusement, aujourd’hui, je dois dire que la persécution se fait également sentir en Colombie. » On ignore, pour l’heure, s’il a l’intention de réclamer une intervention militaire des États-Unis pour déloger Petro.

Fin de cet épisode appartenant au folklore américano-vénézuélien. Retour à la raison et à l’analyse. En effet, si nul ne doute des bonnes intentions du président Petro, les conclusions de la conférence du 25 avril méritent quelques réflexions.

L’insistance de Petro pour que le Venezuela réintègre le Système interaméricain des droits de l’Homme a avant tout pour origine son histoire personnelle. Alors que, maire de Bogotá, il venait d’être destitué en décembre 2013 par le très « uribiste » procureur général Alejandro Ordoñez [9], la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), lui a donné raison, a condamné l’État colombien et a obligé ce dernier à le rétablir dans sa fonction. Ce qui, à quelques années d’intervalle, lui a permis de devenir président de la République, sa mesure de destitution étant à l’époque où elle fut édictée assortie d’une inéligibilité de quinze ans.

Le Venezuela n’a pas forcément une vision aussi positive de l’organisme. Et ce, pour de bonnes raisons. Depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, la CIDH a multiplié les décisions et les rapports particulièrement hostiles à la République bolivarienne. Elle a atteint le summum quand, en avril 2002, Chávez ayant été victime d’un coup d’Etat, elle a, par un courrier de son secrétaire exécutif Santiago Antón, ouvertement reconnu la dictature du patron des patrons Pedro Carmona. C’est le même Chávez qui, le 28 juillet 2012, a annoncé le retrait du Venezuela de la CIDH. Celle-ci venait de condamner le pays suite au jugement d’un poseur de bombe, Raúl José Díaz Peña, sanctionné pour « terrorisme » et de plus en fuite aux États-Unis. « Il est regrettable d’en arriver là, mais le Venezuela y a été contraint par les décisions aberrantes et abusives qui ont été prises contre notre pays depuis 10 ans, expliqua alors le ministre des Affaires étrangères Nicolás Maduro. Aucun pays d’Europe ni les États-Unis n’accepterait que la CIDH y protège un terroriste. »

Il va de soi que, quelque soit son orientation politique, tout pays épinglé par la CIDH rue dans les brancards, de bonne ou (souvent) de mauvaise foi. Force est toutefois de constater que la Commission s’acharne particulièrement sur les gouvernements progressistes. Cette même année 2012, le président équatorien Rafael Correa lui aussi sonna la charge, ulcéré d’avoir été rappelé à l’ordre pour la lourde condamnation du journaliste Emilio Palacio et du quotidien de droite El Universo. Dans un éditorial, Palacio avait accusé le chef de l’État de « crime contre l’Humanité », diffamation que la CIDH considéra comme une « opinion » dans sa dénonciation de l’État équatorien pour « violation du droit à la liberté d’expression ». Pris à partie à son tour en mai 2013, le président bolivien Evo Morales demanda ironiquement : « Où se trouve la CIDH face aux cas de tortures et de détentions arbitraires à Guantánamo ? » Approuvée en 1969, entrée en vigueur en 1978, la Convention américaine relative aux droits de l’Homme a été ratifiée ultérieurement par vingt-quatre pays [10] – mais pas par les États-Unis ! Qui font pourtant la pluie et le beau temps au sein de la CIDH grâce à leur financement (25,1 % en 2022) [11]. Tout comme ils font la loi au sein de la « maison mère », l’OEA.


Cette réalité n’échappe pas totalement à Petro puisqu’il a pris la précaution de plaider en faveur de la révision et de l’actualisation de la Convention interaméricaine, bafouée non seulement par les dictatures militaires du XXème siècle, mais aussi, plus récemment, par un certain nombre de coups d’Etat, parfois de nature « parlementaire » (Honduras, Paraguay, Brésil, Bolivie et tout récemment Pérou) contre des gouvernements élus. Il n’empêche qu’on voit mal le Venezuela réintégrer une CIDH dont le « Rapport 2022 », complètement à charge, à la limite de la caricature, paraît avoir été d’avantage rédigé par l’opposition radicale vénézuélienne que par un organisme indépendant [12].

Courte parenthèse. En août 2021, la CIDH s’en est pris à Caracas pour une loi destinée à obliger les organisations non gouvernementales (ONG) à divulguer leurs financements en provenance de l’étranger. Le Nicaragua avait déjà eu droit au même traitement. Une persécution des ONG – toutes, par définition, blanches comme des colombes ? Sans doute réservée aux pays « civilisés », puisque nul n’y trouve à redire, une telle loi existe depuis longtemps aux États-Unis – le Foreign Agents Registration Act (FARA) [13].

Comme l’ont fait les responsables vénézuélien, nicaraguayen et autres, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a dû protester début mai 2023, dans une lettre à Joe Biden, contre le financement par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) d’organisations de la « société civile » ouvertement d’opposition. Une ingérence tout à fait légitime, à l’évidence, pour la CIDH – accompagnée dans ce registre par les multinationales dites de « défense des droits humains » que sont Amnesty International ou Human Right Watch [14].

Mais alors ?

Pourquoi ne pas condamner la retentissante arrestation, le 9 décembre 2022, à Bruxelles, dans le cadre de ce qu’on appelle désormais le « Qatargate », de la vice-présidente « socialiste » du Parlement européen Eva Kaïli, de son compagnon et assistant parlementaire Francesco Giorgi, de l’ex-euro-député Pier Antonio Panzeri ainsi que de quelques comparses ? Selon l’enquête dirigée par le parquet fédéral belge, le Qatar, mais également le Maroc, auraient tenté d’influencer les décisions et les résolutions du Parlement européen par l’intermédiaire de Panzeri. Celui-ci a généreusement distribué de l’ordre de 1,5 millions d’euros de pots de vin, via son ONG Fight Impunity – une association soi-disant à but non lucratif financée par le Qatar et dont la mission présumée était de… « lutter contre l’impunité et la violation des droits humains » ! Secrétaire général d’une autre ONG, No Peace Without Justice, Nicilo Figa-Tamlamanca est également sous les verrous.

Corruption et inacceptable menace sur la démocratie européenne ici, ingérence légitime, et pourquoi pas bienvenue, là-bas ?

Quoi qu’en pense le président Gustavo Petro, la République bolivarienne a de bonnes raisons de ne rejoindre ni le SIDH ni l’OEA. Au mépris de toutes ses règles et grâce aux manigances de son secrétaire général Luis Almagro, cette dernière a, jusqu’à janvier 2023, octroyé le siège du Venezuela au représentant de l’imposteur Guaido. Le 10 mai dernier, après nombre de ses homologues – dont le bolivien Luis Arce –, AMLO, lors de sa conférence de presse matinale, a assuré que l’OEA, « organisation au service du Département d’État américain », doit disparaître, « car elle ne sert à rien ».

Elle a juste servi, pendant plusieurs années, à justifier, accompagner et appuyer les mesures coercitives unilatérales prises par les États-Unis pour asphyxier le Venezuela.

Mise en avant, la nécessité d’ « élections libres et transparentes » ne fait que reprendre, sans grandes nuances, le discours ambiant prétendant qu’elles ne le sont pas. Affirmation hautement contestable. Si les divers scrutins se déroulent au Venezuela dans des conditions en apparence peu « naturelles » c’est fondamentalement parce que la droite « ultra », dans sa logique de « changement de régime » imposé depuis l’étranger, appelle systématiquement à les boycotter. Au nom de supposées fraudes aussi évidentes que celles dénoncées par les putschistes boliviens en 2019 lorsqu’ils renversèrent Evo Morales, par Donald Trump aux États-Unis ou Jair Bolsonaro au Brésil. En diabolisant les opposants qui se présentent et en favorisant l’abstention, une telle démarche emmène l’opposition dans un cul de sac – 21 députés seulement sur 277 lors du scrutin législatif du 6 décembre 2020 –, mais ne remet nullement en cause la légitimité des élus chavistes. Si, en novembre 2021, décidant finalement de participer aux élections régionales – « avec l’approbation des États-Unis, du Canada et de l’Union européenne », précise Henry Ramos Allup, l’un de ses dirigeants – la droite ne remporte que 4 des 23 postes de gouverneurs (Nueva Esparta, Cojedes, Zulia et Barinas), c’est avant tout du fait de ses divisions ; aux municipales, elle gagne 117 mairies sur 335 (dont celle de la deuxième ville du pays, Maracaibo). Aucun des opposants élus à cette occasion n’a remis en cause le Conseil national électoral (CNE) et la régularité de la consultation [15].

Lorsque, avant de se rendre à Washington, Petro a plaidé avec un certain courage (car, aussi bien en interne qu’en externe, il ne se fait pas que des amis) en faveur d’une levée des sanctions contre la République bolivarienne, l’administration Biden a indiqué qu’elle ne le ferait qu’en cas de reprise du dialogue politique. En sortant du Bureau Ovale, Petro a évoqué deux stratégies : « Tenir d’abord des élections avant de lever les sanctions ou, de manière graduelle, en parallèle, pendant que les étapes d’un calendrier électoral sont remplies, lever les sanctions. »

Deux logiques distinctes. Les conséquences ne sont bien entendu pas les mêmes selon que l’on réduit ou supprime les mesures coercitives avant ou après l’élection. Rappelant le fameux dilemme « l’œuf ou la poule ? », la question ramène au souhait, également exprimé lors de la conférence, d’une reprise des pourparlers suspendus à Mexico. L’hypothèse est évidemment souhaitable, à condition toutefois de poser la question : pourquoi ces négociations ont-elles été interrompues ?

Lors de la dernière réunion tenue au Mexique entre le gouvernement vénézuélien et la Plateforme unitaire, en novembre 2022, un accord partiel a été signé. Prenant implicitement acte de ce que les « sanctions » asphyxient économiquement le pays, pour le plus grand malheur de sa population, cet accord prévoyait que 3,2 milliards de dollars seraient prélevés sur les sommes illégalement retenues par les États-Unis pour être restitués et injectés en urgence dans des secteurs aussi fondamentaux que l’éducation, la santé ou l’alimentation. L’Organisation des Nations unies se chargerait d’administrer ces fonds, en tant que garant de leur bonne utilisation.

Un long silence accompagné d’une longue pause. A la mi-janvier 2023, Jorge Rodríguez a appelé l’opposition à mettre en application le texte signé. Sans résultat. La somme promise n’arrivant définitivement pas, Maduro prit le mors aux dents et, le 16 février, annonça la rupture des négociations : « Ils n’ont pas un seul dollar ! Ils ne peuvent pas respecter un accord qui a été discuté pendant des mois et signé avec des garants internationaux. Quelle garantie, quelle certitude, quelle motivation le gouvernement révolutionnaire peut-il avoir pour s’asseoir à nouveau à une table avec ce secteur de la Plateforme ? Aucune ! »

Sauf les niais, tout le monde a alors compris. Fin 2022, les États-Unis n’ont autorisé l’accord que pour faire avancer le dialogue et leur agenda politique. Pour obtenir des concessions du pouvoir. Une fois ce résultat obtenu, tout s’arrête. A la table des négociations, l’opposition vénézuélienne ne décide de rien. Ne dispose d’aucune marge de manœuvre. Washington donne le tempo. Malgré les promesses, pas un dollar pour Caracas. Aucune libération des fonds illégalement confisqués. Il faut amener Maduro à l’élection en situation de faiblesse, au milieu d’un désastre économique et social, pour qu’il subisse un vote sanction.

C’est l’histoire du boxeur à qui l’on crie de se battre à la loyale après lui avoir ligoté pieds et poings.

Est-ce à dire que dans l’injonction « élections libres, transparentes et avec toutes les garanties pour tous les acteurs vénézuéliens », la mention « tous les acteurs » ne concernerait pas les chavistes, mais uniquement la droite et l’extrême droite ?

Le 24 avril, en s’adressant aux autorités colombiennes et aux représentants de gouvernements qui participeraient le lendemain à la conférence de Bogotá, Maduro a clairement exprimé la position du Venezuela : « Si quelqu’un parmi vous veut, aspire à ce que les négociations politiques entre ce secteur minoritaire de l’opposition, appelé Plateforme unitaire, et le gouvernement bolivarien et chaviste du Venezuela, reprennent au Mexique, vous n’avez qu’une chose à faire : dans le communiqué officiel que vous approuverez, demandez que le gouvernement américain dépose les 3,2 milliards de dollars séquestrés sur les comptes bancaires que nous avons à l’étranger pour le plan social signé dans l’accord partiel au Mexique, en novembre 2022. »

« Une fois qu’ils auront fait le dépôt, nous irons à nouveau au Mexique », a ajouté le dirigeant vénézuélien.

Peu après la clôture de la conférence, le gouvernement bolivarien a réitéré « l’impérieuse nécessité » de lever « toutes et chacune des mesures coercitives unilatérales, illégales et préjudiciables au droit international, qui constituent une agression contre l’ensemble de la population vénézuélienne et entravent le développement de la vie économique et sociale du pays » [16].

« Ce genre de réunion suscite de grandes attentes, ou peut au contraire entraîner de grandes déceptions », avait prévenu, très lucide, dans son discours d’ouverture, le président Petro. Il n’ignorait évidemment pas que, le 2 mars 2023, comme son prédécesseur Trump, Biden a prolongé d’un an le décret qui qualifie le Venezuela de « menace extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis ». Il n’ignorait sans doute pas plus que, le lendemain, le secrétaire d’État Antony Blinken, en remettant un rapport au Congrès, a déclaré, contre toute évidence, mais on ne peut plus solennellement : « Le rôle du Venezuela dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de la cocaïne est passé du statut de pays de transit à celui de pays producteur. »

Sans doute, comme beaucoup, Petro a-t-il compté sur l’apparent assouplissement de l’attitude de Washington depuis que la guerre en Ukraine a chahuté le marché de l’énergie. En effet, après qu’en mars 2022, le président Biden ait envoyé une délégation discuter avec Maduro, reconnaissant ainsi son statut de chef de l’Etat, la multinationale Chevron a été autorisée à reprendre ses opérations d’extraction et de commercialisation du pétrole vénézuélien – l’espagnole Repsol et l’italienne ENI se voyant pour leur part octroyer la possibilité d’exporter du gaz liquide vers l’union européenne. Sans doute Petro a-t-il également pris au sérieux le « grand ami » Biden l’accueillant à la Maison-Blanche – « Monsieur le président, c’est formidable de vous voir ici dans le bureau ovale… » – avec un sourire des plus francs.

Quelques jours après la conférence internationale, douche froide et retour à la réalité. Le 1er mai, Andrea Gacki, directeur de l’Office de contrôle des avoirs étrangers (en anglais, OFAC) signe une « licence générale n° 42 ». Celle-ci établit l’autorisation de liquider les actifs de Citgo Petroleum Corporation (filiale aux États-Unis de la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne PDVSA), confisquée à son légitime propriétaire par le gouvernement américain. Cette mesure de l’OFAC ouvre la possibilité pour un certain nombre d’entreprises et de multinationales – Crystallex, ConocoPhillips, O-I Glass Inc, Huntington Ingalls Industries Inc, ACL1 Investments Ltd et Rusoro Mining Ltd – ayant un litige avec Caracas, de saisir, grâce aux décisions de la justice américaine, les actions de Citgo. Sans que le gouvernement bolivarien ne puisse défendre l’entreprise, l’opposition vénézuélienne s’en étant vue attribuer la gestion. Ce que l’on qualifiera ici de « vol en bande organisée ».

Depuis janvier 2023 et la mise hors circuit de Guaido, trop « démonétisé » au sein d’une communauté internationale qui ne le prenait plus au sérieux, Washington reconnaît en effet en Dinorah Figuera – ex-députée (vivant en Espagne) du parti Primero Justicia – la présidente de l’ « Assemblée nationale 2015 » (qui n’existe plus). Le 5 mai, le Département d’État a autorisé cette potiche purement décorative à accéder à environ 347 millions de dollars gelés dans des banques étatsuniennes et appartenant au gouvernement vénézuélien.

Une façon d’indiquer clairement que la guerre implacable menée contre le pouvoir chaviste continue. Mais aussi un cynique et insultant « bras d’honneur » à la démarche constructive du président Petro visant à ce que le Venezuela, et par-là même toute la région, revienne à la normalité.

Illustration : Conférence internationale sur le Venezuela et le président colombien Gustavo Petro, Bogota, 25 avril 2023. Photos : Cristian Garavito - Presidencia.

Notes : 

[1] Lire « Ex-rebelles, rebelles et pseudo rebelles au prisme de l’Arauca» (25 juin 2022) : https://www.medelu.org/Ex-rebelles-rebelles-et-pseudo-rebelles-au-prisme-de-l-Arauca

[2] https://petro.presidencia.gov.co/prensa/Paginas/Estatuto-Temporal-de-Proteccion-debe-garantizar-derechos-efectivos-para-mig-221003.aspx

[3] Outre Gerardo Blyde étaient présents dans la délégation Claudia Nikken, Tomás Guanipa, Stalin González, Luis Aquiles Moreno, Luis Emilio Rondón, Alejandro Mora et Roberto Enríquez.

[4] https://t.co/cOZNoOanql

[5] Barbade, Canada, France, Allemagne, Honduras, Italie, Mexique, Norvège, Portugal, Espagne, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Afrique du Sud, Turquie.

[6] Lire « Un président imaginaire renversé par une Assemblée qui n’existe pas » (17 janvier 2023) – https://www.medelu.org/Un-president-imaginaire-renverse-par-une-Assemblee-qui-n-existe-pas

[7] Chemins de traverse utilisés par l’immigration clandestine, la contrebande et les réseaux criminels.

[8] Lire « Venezuela : aux sources de la désinformation (7 octobre 2019 – https://www.medelu.org/Venezuela-aux-sources-de-la-desinformation

[9] Uribiste : partisan du président d’extrême droite Álvaro Uribe (2002-2010).

[10] Argentine, Barbade, Brésil, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Dominique, République dominicaine, Equateur, Salvador, Grenade, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panamá, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela.

[11] https://www.oas.org/es/cidh/docs/anual/2022/capitulos/15-IA2022_Cap_6_ES.pdf

[12] https://www.oas.org/es/cidh/informes/ia.asp?Year=2022

[13] Lire « Vol d’hypocrites au-dessus du Nicaragua » (1er juillet 2021) – https://www.medelu.org/Vol-d-hypocrites-au-dessus-du-Nicaragua

[14] https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/mexique-faut-arreter-projet-regressif-briderait-organisations

[15] Lire « Paysages vénézuéliens avant la victoire (chaviste) ! », 10 décembre 2021 – https://www.medelu.org/Paysages-venezueliens-avant-la-victoire-chaviste

[16] Caracas revendique également la fin des attaques par le biais des tribunaux étatsuniens ou de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que l’octroi d’une liberté absolue au diplomate Alex Saab – séquestré au Cap Vert et détenu aux États-Unis pour avoir participé au contournement de l’embargo empêchent l’importation d’aliments au Venezuela.

Du même auteur :