lundi, mai 22, 2023

AU CHILI, JEANNETTE JARA, LA MINISTRE QUI RÉFORME LE TRAVAIL

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LA MINISTRE @JEANNETTE_JARA   PRÉSENTE LE COMPTE PUBLIC
PARTICIPATIF 2022-2023, DANS LEQUEL IL DÉVOILE LES PRINCIPALES
RÉALISATIONS ET AVANCÉES DU MINISTÈRE DU TRAVAIL ET
DE LA PRÉVOYANCE SOCIALE LE 18 MAI. 2023
PHOTO MINISTERIO DEL TRABAJO Y PREVISIÓN SOCIAL
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LE MONDE

Au Chili, Jeannette Jara, la ministre qui réforme le travail / Au  moment où l’extrême droite monte dans les urnes, la dirigeante communiste est l’une des figures les plus populaires du gouvernement de gauche de Gabriel Boric, dont elle porte plusieurs réformes emblématiques.

Par Flora Genoux (Santiago (Chili), envoyée spéciale)

LE PRÉSIDENT CHILIEN, GABRIEL BORIC,
LORS DE SA PRÉSENTATION DE LA
RÉFORME DU TRAVAIL, LE 23 AOÛT 2022.
PHOTO IVAN ALVARADO/REUTERS 

Le ton est calme, pédagogue, jovial à l’occasion. Dans les médias et au Parlement, la ministre du travail chilienne, Jeannette Jara, 49 ans, défend ses mesures. « Il est nécessaire de parvenir à des accords, et telle est ma tâche », expose-t-elle au Monde, vendredi 5 mai, dans son bureau du centre de Santiago d’où elle porte les réformes les plus abouties du gouvernement du président Gabriel Boric (gauche). L’opinion publique lui en sait gré. L’ancienne dirigeante syndicale, ex-présidente d’une organisation étudiante et membre du Parti communiste, figure parmi les ministres les mieux notés du gouvernement, alors même que le président est malmené dans les enquêtes d’opinion quasiment depuis son arrivée au pouvoir, en mars 2022 ; et que l’extrême droite s’installe sur le devant de la scène politique, comme l’ont montré les élections au Conseil constitutionnel, le 7 mai.

LA MINISTRE DU TRAVAIL CHILIENNE, JEANNETTE JARA, APRÈS
L’APPROBATION D’UN PROJET DE LOI RÉDUISANT LE TEMPS DE
TRAVAIL HEBDOMADAIRE DE 45 HEURES À 40 HEURES,
AU CONGRÈS À VALPARAISO (CHILI), LE 11 AVRIL 2023.
PHOTO RODRIGO GARRIDO / REUTERS

Le très conservateur Parti républicain est arrivé en tête de ce scrutin et il a déjà annoncé qu’il comptait bien préserver dans la future Constitution le concept d’Etat subsidiaire, n’intervenant qu’en dernier ressort – après le secteur privé –, au centre du texte actuel, hérité de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Les grands projets de réformes sociales de Gabriel Boric, déjà en grande partie amputés ou tempérés, continueront donc d’être menés dans un climat défavorable, avec un Parlement sans majorité et une extrême droite galvanisée. Jeannette Jara défend actuellement devant les députés une nouvelle revalorisation du salaire minimum. Elle voudrait le porter à 500 000 pesos (575 euros) en juillet 2024, contre 410 000 actuellement, et 350 000 pesos lors de l’arrivée au pouvoir de Gabriel Boric.

C’est la première revalorisation qui a ouvert à Jeannette Jara les portes du petit cercle présidentiel. Le « comité politique du gouvernement », actuellement composé de six ministres, se réunit chaque semaine avec le président. Elle y travaille étroitement avec Mario Marcel, le ministre des finances. Des doutes existaient sur la compatibilité de ce duo, en raison des différences entre les communistes et le centre gauche, dont est issu Mario Marcel. Mais Jeannette Jara « a démontré avoir la capacité de construire de grands accords, parfois improbables, qui sont ceux dont a besoin notre pays en ce moment », a complimenté Gabriel Boric. Une capacité saluée jusque dans l’opposition.

Plus grand acquis social du gouvernement

Le chantier le plus ardu de la ministre est la réforme du système des retraites. « C’est là-dessus que va se jouer le bilan de Boric. Il s’agit aussi de la grande demande de la révolte sociale de 2019 et de la promesse du gouvernement », observe Rolando Alvarez Vallejos, historien à l’université Santiago du Chili, spécialiste du Parti communiste. Une refonte avait déjà été tentée, en vain, par les deux derniers présidents, Michelle Bachelet (centre gauche, 2006- 2010 puis 2014-2018) et Sebastian Piñera (droite, 2010-2014 puis 2018-2022).

L’actuel projet entend créer une cotisation patronale, dans un pays où prévaut la capitalisation individuelle privée et obligatoire, un système bâti par les « Chicago Boy’s », économistes néolibéraux aux commandes sous la dictature. Cinquante ans plus tard, le quart des pensions ne dépassent pas le seuil de pauvreté. Loin des explications techniques, Jeannette Jara tâche de faire passer ce message grand public : « L’objectif est d’augmenter le montant des retraites. »

Les discussions sont rugueuses. La ministre, décrite comme pragmatique et tenace, veut continuer de s’appuyer sur le dialogue social. Sa méthode a déjà fonctionné. En avril, le gouvernement a obtenu une victoire de taille : les députés ont approuvé à une large majorité la semaine de travail de 40 heures à salaire constant (contre 45 heures actuellement), après un vote unanime au Sénat. Un changement culturel majeur, obtenu dans un consensus frappant, dans un continent où prévaut la semaine de 48 heures. Des concessions (progressivité de l’application de la réforme sur cinq ans, souplesse selon les métiers) ont été accordées au patronat et à la droite. Il s’agit du plus grand acquis social du gouvernement.

« Jeannette [Jara] a une grande intelligence politique, du leadership. Elle est affable, capable d’établir des relations de travail saines, sans arrogance », décrit Dafne Concha, conseillère communiste à la mairie de Santiago, qui l’a côtoyée lorsque la ministre travaillait pour la maire de la ville, Iraci Hassler, en 2021. Dans son cabinet, l’équipe de Jeannette Jara va du Parti communiste au centre gauche. Elle s’appuie sur une connaissance fine des partenaires sociaux et des négociations, acquise lorsqu’elle était secrétaire générale du syndicat des inspecteurs des finances publiques (2008-2010), avant d’être directrice de cabinet puis sous-secrétaire chargée de la prévision sociale sous le second mandat de Michelle Bachelet.

Image consensuelle, accessible et familiale

Maîtrisant parfaitement ses dossiers, elle cultive une image consensuelle, accessible et familiale. Aînée d’une fratrie de cinq enfants, fille d’un ouvrier et d’une mère au foyer, issue d’un quartier populaire de l’agglomération de Santiago, elle est le premier membre de sa famille à obtenir un diplôme universitaire, en administration publique, puis de juriste spécialisée en droit fiscal et en sécurité sociale. Elle se décrit comme proche de sa mère et de son abuelita, sa « petite grand-mère », qui lui enjoint de tenir ses promesses politiques. La ministre compte sur la solidarité familiale pour la relayer auprès de son fils adolescent lors des journées chargées. Pendant son temps libre, elle s’adonne à la culture de son potager et met en avant l’argument familial pour attaquer le Parti républicain : « Ils se déclarent profamille, mais ils ont voté contre les 40 heures et le salaire minimum », tançait-elle le 10 mai.

« Il s’agit d’une personne directe, qui a aussi dû s’imposer au sein d’un Parti communiste très masculin», décrit Rolando Alvarez. Un parti auquel elle a adhéré à l’âge de 14 ans, et au comité central duquel elle siège toujours. Quand on lui demande ce qu’elle a de communiste, Jeannette Jara rit. Puis livre une définition générale : « Défendre les droits des travailleurs est ma principale motivation. »


Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)


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C'EST ASSEZ RARE POUR ÊTRE SOULIGNÉ. /
ON VOIT RAREMENT DEUX COMMUNISTES
MME 
LA DÉPUTÉE KAROL CARIOLA PCCh 
ET CAMILA VALLEJO, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT  
SOURIRE EN COUVERTURE D'« EL MERCURIO ». 

du 12 avril 2023

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