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PHILIPPE SOLLERS, ÉCRIVAIN AUTEUR DE ROMANS,
ESSAIS ET BIOGRAPHIE (ICI EN 1999).
PHOTO JOHN FOLEY/OPALE / BRIDGEMAN IMAGES
On lui doit plus de 80 romans, de facture classique ou d’avant-garde. Il a été un chef de file dans le domaine des idées neuves, sans avoir peur de se tromper, quitte à revenir parfois en arrière.
PHILIPPE SOLLERS, EN 2016. PHOTO FRÉDÉRIC STUCIN |
Philippe Sollers est mort le 5 mai, à Paris, à l’âge de 86 ans. Son dernier livre « Graal » était sorti en mars 2022. On n’a pas oublié sa présence médiatique intense, ses lèvres minces, son doigt bagué et son porte-cigarettes. Philippe Sollers (de son vrai nom Philippe Joyaux) naissait à Talence (Gironde) le 28 novembre 1936. Enfance bourgeoise. Famille gaulliste de gauche, catholique. Le père est à la tête d’une usine d’émaillerie avec son frère.
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PHILIPPE SOLLERS AVEC JACQUES LACAN PARIS, 1975 |
Les maladies infantiles à répétition l’obligent à garder la chambre. Il lit beaucoup. À 14 ans, il découvre Baudelaire, Poe, Montaigne et Montesquieu. Inscrit adolescent chez les Jésuites à Versailles, il est renvoyé pour « indiscipline chronique et lecture de livres surréalistes ». Il découvre, de Lautréamont, « les Chants de Maldoror », épopée de la peur, des ténèbres et du mal. Dans le même temps, il troque son nom pour celui de Sollers, du latin « sollus » et « ars » (« tout entier art »).
PHILIPPE SOLLERS ET JULIA KRISTEVA À CASSIS EN AVRIL 1998. PHOTO PATRICK BOX |
Dès 1955, Sollers se frotte à l’écriture en parodiant Proust. Francis Ponge le remarque et l’encourage. En 1958, « Une curieuse solitude », son premier roman, écrit à 21 ans, est immédiatement salué par Mauriac et Aragon qui, dans les Lettres françaises, le loue en ces termes : « Le destin d’écrire est devant lui, comme une admirable prairie ».
Sollers fonde en 1960 la revue Tel Quel (1960-1983), qui s’insurge en ses débuts contre le « somnambulisme général » et la sclérose de la France d’alors, plongée dans la guerre d’Algérie. Tel Quel voit l’alliance d’un groupe, d’un chef de file et d’un éditeur : le Seuil. Bataille leur donne rapidement des manuscrits. La revue devient l’épicentre des avant-gardes littéraires, des anticonformismes et d’un bouillonnement de cerveaux cuirassés de théorie, donnant parfois lieu à des conflits internes à la revue. Au cœur de cette effervescence théorique, Sollers écrit « le Parc », sorti en 1961. Le livre obtient le prix Médicis.
Tel Quel défend les idées du Nouveau Roman et des auteurs comme Francis Ponge ou Claude Simon, futur prix Nobel. La revue ouvre ses portes à des écrivains comme Michel Butor, Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet puis plus tard à la sémiologie, à Roland Barthes et à son « Plaisir du texte », sans oublier Michel Foucault, Lacan, Althusser et Jacques Derrida. Elle a pour sous-titre : « Littérature, philosophie, science, politique. » Ponge y est mis à sa place, centrale. Sade et Bataille aussi, alors encore à moitié interdits, aujourd’hui édités en Poche ! Retenons aussi, au sein de la période, la moisson de livres de Sollers : « Drame » (1965), « Nombres », 1968), « Lois » (1972), « H » (1973), roman d’une seule phrase sans ponctuations, ces derniers « boulons rendant le »je« immobile ». Vers la fin des années 60, Sollers se met à étudier la Chine d’abord au travers de sa langue. Ce qui l’attire alors, plus que le maoïsme (la revue prend fait et cause pour le mouvement), c’est le «mouvement de masses : humaines, graphiques, chromatiques ». En 1974, en compagnie de Roland Barthes et d’autres, Sollers se rend en Chine. Plus tard, il niera avoir jamais été maoïste. Dans le livre d’entretiens avec Josyane Savigneau, il affirmera : « Je persiste à dire (...) que cette révolution épouvantable a fait que la Chine est désormais la première puissance mondiale. » Après la mort de Mao, en 1976, la revue change de cap. Exit le maoïsme et avec le marxisme, haro sur les États-Unis.
En 1981, Sollers publie « Paradis ». Conçu comme « work in progress », le livre prolonge l’expérience de « H ». En 1983, c’est l’abandon de Tel Quel. Sollers sort « Femmes » (1983), roman figuratif de 570 pages, à la fois libertin mais aussi livre du deuil. Il quitte le Seuil pour Gallimard où il devient membre du comité de lecture et directeur de collection. Il fonde une nouvelle revue, l’Infini, axée sur la redécouverte d’auteurs oubliés et forcément scandaleux. Le présent y est mis sur la table de dissection. Après « Femme »s, (que des critiques dénoncent comme « pornographique »), Sollers publie deux autres livres qui font trilogie avec le premier : « Portrait du joueur »(1985) et « le Cœur absolu » (1987). À la fois céliniens et rabelaisiens, ils ciblent la procréation artificielle, la féminisation, l’a-sexualisation du monde présent. Des écrits théoriques de ce fin connaisseur de Casanova (à qui il a consacré une biographie) soutiennent la charge, doublés d’autres, de souvenirs ceux-là.
DOMINIQUE ROLIN ET PHILIPPE SOLLERS, AVEC FRANS DE HAES, POUR LA PRÉSENTATION DE «LA VOYAGEUSE», DE DOMINIQUE ROLIN, AU PALAIS DES BEAUX-ARTS DE BRUXELLES, 1984. PHOTO NICOLE HELLYN |
Sollers était marié depuis 1967 à la psychanalyste et écrivaine Julia Kristeva. Ils ont eu un fils, David. En 2013, dans « Portraits de femmes », il dévoilait sa double vie amoureuse, avec l’écrivaine belge Dominique Rollin, de 23 ans son aînée. Leur correspondance sur un demi-siècle a paru en 2017 et 2018, chez Gallimard. Sollers n’échappa pas à la tentation de la médiatisation. On se souvient de lui sur le plateau d’Apostrophes, avec son grand rire nerveux ou son fin sourire. Il a écrit plus de 80 romans, essais et monographies. Figure du tout-Paris, ou homme solitaire dans son île de Ré, il fut un chef de file majeur dans le combat des avant-gardes, un érudit fou de Venise et un travailleur acharné. À la question : « Si vous deviez mourir demain, que resterait-il de vous ? », il avait répondu : « Une caisse de livres. »
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