jeudi, juin 29, 2023

LE NÉOLIBÉRALISME COMME REFORMATAGE DU POUVOIR DE L’ÉTAT – ENTRETIEN AVEC AMY KAPCZYNSKI

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EVGUENI MOROZOV 
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Le néolibéralisme ne consiste pas dans le simple retrait de l’État au profit du marché : il est l’institution, par l’État, d’une logique de marché. Mais au-delà de ce lieu commun, est-il une simple idéologie, un régime économique ou un paradigme de gouvernance ? Amy Kapczynski, professeur de droit à l’Université de Yale et co-fondatrice du « Law and Political Economy Project », se concentre sur ce troisième aspect. Selon elle, le néolibéralisme consiste en un « reformatage du pouvoir de l’État », qui accouche d’un cadre institutionnel favorable à la maximisation du profit des grandes sociétés dont les géants de la tech et les entreprises pharmaceutiques constituent deux des manifestations les plus emblématiques. Entretien réalisé par Evgeny Morozov et Ekaitz Cancela, édité par Marc Shkurovich pour The Syllabus et traduit par Alexandra Knez pour LVSL.

LVSL

Evgeny Morozov et Ekaitz Cancela – Comment définissez-vous le néolibéralisme dans votre travail?

AMY KAPCZYNSKI
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Amy Kapczynski – 

Comme une logique de gouvernance orientée vers l’accroissement du pouvoir des acteurs du marché, et la diminution de l’autorité publique sur ces acteurs. Wendy Brown utilise un terme charmant, le « reformatage du capitalisme ». Il s’agit d’un reformatage du capitalisme qui vise non seulement à accroître le pouvoir des acteurs privés – et donc leur capacité à extraire du profit – mais aussi à combattre le contrôle démocratique sur ces acteurs.

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Pour moi, c’est ainsi qu’il faut voir les choses, plutôt que, par exemple, comme un mouvement de déréglementation. Le néolibéralisme est en réalité très régulateur. Il est régulateur avec un paradigme et un objectif particuliers comme horizon. Il est important de garder à l’esprit la manière dont l’économie a été réglementée – par un droit du travail défavorable aux salariés ou une législation antitrust, entre autres – pour d’optimiser la recherche de profit.

Il est également important de comprendre les liens entre cette régulation et les paradigmes réglementaires de l’État-providence, de l’État carcéral, etc. En un mot, la période néolibérale n’est pas une période de déréglementation générale – en particulier aux États-Unis.

EKAITZ CANCELA
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EM et EK – Si l’on s’en tient à cette définition du néolibéralisme, que vous explorez dans votre excellente conversation avec Wendy Brown, observe-t-on des changements au sein de cette logique au cours des dix ou quinze dernières années ? Ou observe-t-on une continuité depuis les années 1970 ?Quelque chose de distinct est-il apparu à l’horizon, notamment avec l’essor des GAFAM?

AK – Le néolibéralisme a, d’une certaine manière, suspendu les anciennes formes de réglementation juridique pour les grandes entreprises technologiques, puis a amplifié certains aspects de la recherche du profit. Ces intermédiaires technologiques, du paysage des réseaux sociaux à Amazon, contrôlent la vie publique et l’économie d’une manière distincte et nouvelle.

Mais je ne pense pas que ces changements reflètent une mutation dans la logique néolibérale elle-même, mais plutôt sa portée lorsqu’elle est appliqué à un secteur qui peut être transformé à la vitesse d’un logiciel. Aujourd’hui, les processus mis en place par le néolibéralisme peuvent fonctionner avec une vitesse stupéfiante. Et la capacité de ces formes de pouvoir concentré à sillonner les domaines ostensiblement publics et privés est extraordinaire.

EM – Les efforts intellectuels pour penser au-delà du néolibéralisme, sur lesquels vous avez attiré l’attention, se sont concrétisés de deux manières différentes – et vous êtes critique à l’égard des deux. Dans un essai, vous vous concentrez sur le « productivisme », ou libéralisme de l’offre, tel qu’il est défendu par Dani Rodrik et d’autres membres de la gauche progressiste. Dans un autre essai, vous vous attaquez à un mouvement de droite connu sous le nom de « constitutionnalisme du bien commun ».Commençons par le premier. Pouvez-vous nous parler des pièges que vous voyez dans le productivisme ?

AK – Le productivisme et le libéralisme de l’offre évoquent tous deux un aspect important de l’incapacité des logiques néolibérales et de la gouvernance économique à produire une économie que nous souhaitons réellement. Ils nomment quelque chose qu’il est important d’aborder. Mais je pense également qu’ils ne doivent pas être considérés comme une réponse au néolibéralisme. Si l’on pense que « là où il y avait le néolibéralisme, il y a maintenant la politique industrielle et le productivisme », alors ce sera un changement très limité…

Le productivisme tel que l’exprime Rodrik – et je pense que le libéralisme de l’offre possède cette même qualité – donne le sentiment que nous nous tournons vers une gestion gouvernementale plus directe des chaînes d’approvisionnement, vers un investissement gouvernemental plus important dans nos secteurs manufacturiers. Le problème est que le secteur des services est bien plus important pour l’avenir des travailleurs américains que le secteur manufacturier. L’ancien concept de « production » ne dit pas grand-chose de l’économie actuelle.

Ainsi, l’idée selon laquelle nous devrions miser sur un nouveau productivisme semble laisser de côté beaucoup de nombreuses dimensions de la critique du néolibéralisme. Qu’en est-il de l’agenda de la santé ? Que fait-on des salariés du secteur des services ? Quid des liens que l’on établit entre le capitalisme et la question environnementale ?

Le productivisme pourrait suggérer, par exemple, que les technologies vertes constitueraient la solution au changement climatique – et on peut bien sûr considérer qu’elles font partie de la solution, si l’on ajoute qu’elles ne seront pas suffisantes. En réalité, le productivisme et le libéralisme de l’offre s’appuient sur des fondements contestables – battus en brèche, par exemple, par les approches féministes et écologistes.

Des mutations ont lieu dans la doctrine du droit constitutionnel. Le premier amendement a été interprété dans un sens favorable aux entreprises, qui revendiquent un statut constitutionnel

Tout dépend de votre compréhension de l’objectif du productivisme. S’agit-il d’une tentative de fonder une alternative au néolibéralisme ? C’est ainsi que j’ai interprété l’utilisation du terme par Rodrik. Et si c’est le cas, il semble négliger de nombreuses critiques du néolibéralisme en le traitant comme s’il s’agissait uniquement d’un mode de production, et non pas également d’un mode de gouvernement. Si l’on ne voit dans le néolibéralisme qu’un mode étroit de production – dans le sens d’uen consolidation des marché -, on ne comprend rien à la gouvernance à laquelle il est lié. Le néolibéralisme, en effet, consiste également à contraindre certains pour que d’autres puissent être libres.

C’est la raison pour laquelle nous avons investi dans l’État carcéral comme moyen de discipliner les travailleurs et d’éviter les obligations sociales, la raison pour laquelle nous investissons davantage dans la police que dans les travailleurs sociaux, etc.

EM – L’autre approche que vous mentionnez, le constitutionnalisme du bien commun, est mise en avant par certaines franges de la droite théocratique. Avant de discuter de son contenu, pouvez-vous nous parler du rôle de ces écoles juridiques conservatrices dans la consolidation du modèle néolibéral ?

AK – Je considère que le droit, et dans une certaine mesure les écoles de droit et les institutions dans lesquelles elles naissent, assurent la cohésion entre les idées néolibérales et la gouvernance. Ces idées sont toujours reflétées à travers des champs de pouvoir et changent à mesure qu’elles s’intègrent dans la gouvernance.

Le loi relative aux ententes et abus de position dominante en est un bon exemple. Les idées sur les pratiques antitrust introduites dans les facultés de droit sous le titre « Law & Economics » sont devenues très puissantes. Elles ont été utilisées pour normaliser une idée du fonctionnement des marchés. Selon ce point de vue, tant qu’il n’y a pas de barrières à l’entrée érigées par le gouvernement, la concurrence se manifestera toujours et les monopoles seront intrinsèquement instables. Les monopoles étaient considérés comme un signe d’efficacité d’échelle. De nombreuses modifications ont donc été apportées à la législation afin de faciliter les fusions-acquisitions. L’application de la loi antitrust a été soumise à une économétrie extrêmement précise, plutôt qu’à des règles qui auraient pu, par exemple, limiter la taille ou l’orientation structurelle de certaines industries.

La législation antitrust repose également sur une autre idée importante, à savoir que ce domaine juridique ne doit servir qu’un seul objectif : l’efficacité. Dans ce contexte, l’efficacité est définie en grande partie par les effets sur les prix. Les conséquences pour la structuration de notre politique, ou pour les travailleurs en général, n’étaient plus considérées comme importantes. Ce qui importait, c’était de réduire les prix pour les consommateurs. Ainsi, de nombreux modèles d’entreprise se sont bâtis sur l’idée de rendre leurs produits gratuits – comme les réseaux sociaux – ou générer les prix les plus bas possibles pour les consommateurs – comme Amazon. Que le secteur génère un pouvoir structurel démesuré, entre autres effets néfastes, n’est pas pris en compte.

En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, de nombreuses modifications ont également été apportées pour faciliter la capitalisation dans l’industrie de l’information. La création de nouveaux types de propriété, les brevets logiciels, les brevets sur les méthodes commerciales, l’extension des droits exclusifs associés à ces types de propriété sont autant de moyens de permettre la capitalisation dans l’industrie. Ils sont apparus en même temps que les formes de réglementation qui auraient pu être utilisées pour limiter la manière dont les entreprises de ces secteurs exerçaient leur autorité. Le Communications Decency Act en est un exemple.


On observe également des changements internes au gouvernement lui-même, comme la montée en puissance de l’analyse coûts-bénéfices.

Enfin, des mutations importantes ont lieu dans la doctrine du droit constitutionnel : que l’on pense à la manière dont le premier amendement est compris. Ce n’est qu’à partir de 1974 qu’il est interprété dans un sens favorable aux entreprises, ce qui revient à revendiquer, pour elles, un statut constitutionnel. Les changements apportés à la loi sur le premier amendement ont eu des répercussions multiformes, des syndicats aux financement de campagnes.

EM – Certaines des caractéristiques que vous critiquez – l’accent mis sur l’efficacité ou l’analyse coût-bénéfice – pourraient également être attribuées au fétichisme de l’économie elle-même. Je ne les attribuerais pas nécessairement au néolibéralisme en tant que tel. Au sein de ce courant, on peut trouver des penseurs – comme James Buchanan – qui refusent de prendre l’efficacité comme horizon. Il semble donc que certaines de ces critiques concernent davantage la pratique que la logique. Lorsqu’il s’agit de la manière dont les tribunaux ou les organismes de réglementation prennent leurs décisions, ils doivent faire appel à certains outils – l’analyse coût-bénéfice étant l’un d’entre eux – mais cette passerelle vers la logique néolibérale pourrait être attaquée par les néolibéraux eux-mêmes…

AK – C’est l’occasion de s’interroger sur ce que signifie appeler le néolibéralisme une « logique ». Plus précisément, nous devons parler du néolibéralisme comme d’un reformatage du pouvoir de l’État. En ce sens, il s’agit d’une politique et non d’une logique pure, je suis tout à fait d’accord.

Lorsque vous examinez de près la logique de l’efficience telle qu’elle est utilisée en droit, il s’avère qu’elle est en réalité utilisée pour signifier de nombreuses choses différentes dans de nombreux contextes juridiques différents. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, le type d’efficacité dont on parle donne la priorité à l’innovation sur tout le reste ; mais il n’a pas grand-chose à voir avec le type d’efficacité dont il est question dans la législation antitrust, ou avec le type d’efficacité exprimé par l’analyse coût-bénéfice. En fait, elles sont toutes différentes.

Et elles sont toutes différentes parce qu’elles répondent en fin de compte à des idées sur la prédominance d’un certain type de pouvoir : le pouvoir des marchés sur les formes démocratiques de gouvernance. Ces conceptions de l’efficacité s’expriment alors de différentes manières, en fonction des avantages que procurent ces formes de pouvoir. En ce sens, je suis tout à fait d’accord pour dire que nous ne sommes pas face à l’expression pure d’une certaine logique, mais plutôt de nombreuses expressions d’un projet politique qui prennent des formes différentes dans des contextes différents.

EM – Vous avez également écrit sur la relation entre le néolibéralisme et les droits humains, plus particulièrement sur le droit à la santé. Que nous révèle cette focalisation sur la santé quant à la relation plus large entre les droits de l’homme et le néolibéralisme ?

AK – J’ai écrit l’article que vous évoquez en raison de la frustration que m’inspiraient à la fois la forme de la législation et du discours dominants en matière de droits de l’homme et certaines critiques de ce discours, comme celles de mon collègue Sam Moyn. Ayant participé au mouvement mondial pour l’accès au traitement du VIH et à d’autres médicaments, il est clair que la revendication d’un droit à la santé implique nécessairement des questions d’économie politique. Comment peut-on parler de droit à la santé si les sociétés pharmaceutiques, par exemple, se voient accorder des droits de monopole – des brevets – qui leur permettent d’augmenter les prix de produits vitaux, même sans la moindre justification que cela génère de l’innovation ? Regardez les hausses de prix de l’insuline, ou les hausses de prix du vaccin Moderna (qui a été massivement financé par des fonds publics et qui a clairement amorti tous les coûts d’investissement privés) contre le Covid durant la pandémie.

Si vous vous souciez de la santé, vous devez vous attaquer à la structure du secteur et à son pouvoir. Il existe des moyens de structurer l’industrie (notamment en donnant un rôle plus important à l’investissement public et à la réglementation des prix) qui pourraient conduire à la fois à un meilleur accès aux soins et à plus d’innovation. Les tribunaux et les institutions de défense des droits de l’homme devraient s’en préoccuper, tout comme les militants qui luttent pour le droit à la santé. Mais la plupart du temps ils rejettent cette perspective, parce qu’ils considèrent les brevets et la structure industrielle comme quelque chose d’entièrement distinct de la sphère des droits de l’homme.

C’est la frustration que j’éprouve à l’égard des approches fondées sur les droits de l’homme : ils ont pris forme à une époque de néolibéralisme exacerbé, où l’on pensait que les questions d’économie étaient totalement distinctes des questions de droits. Les droits de l’homme sont même revendiqués au nom des entreprises, qui affirment – parfois avec succès, comme dans l’Union européenne – que leurs droits de propriété intellectuelle méritent d’être protégés dans le cadre des droits de l’homme !

Mais il y a également eu des dissidences dans cette tradition – les organisations de lutte contre le sida soutenant que le droit à la santé pourrait permettre aux tribunaux de limiter le droit des brevets, par exemple. En ce sens, les critiques des droits de l’homme comme celle de Sam Moyn atténuent ou négligent parfois les initiatives inédites visant à utiliser cette tradition, y compris pour contribuer à la mobilisation de l’opinion publique, comme l’a fait le mouvement en faveur d’un meilleur accès aux médicaments.

EM – Quels sont les principaux héritages du néolibéralisme dans la gouvernance mondiale de la santé ? Qu’est-ce que le Covid nous a appris sur leur pérennité et leur contestabilité ?


AK – Nous sommes face à un régime de gouvernance mondiale de la santé qui n’a pas contesté le pouvoir du secteur privé, et qui s’est accommodé de discours et de pratiques marchnades qui nuisent gravement à la santé. Dans le contexte du Covid, nous avons pu produire des vaccins extrêmement efficaces – une merveille scientifique – grâce à un soutien public considérable, y compris un soutien à la recherche sur les coronavirus qui a eu lieu de nombreuses années avant la pandémie, ainsi qu’un soutien à la surveillance mondiale des maladies et à l’analyse génomique qui ont été essentiels pour le processus.


Mais au cours des dernières années, des gouvernements ont décidé de ne pas imposer aux entreprises des conditions qui auraient contribué à garantir la possibilité d’utiliser les vaccins obtenus pour faire progresser la santé de tous. Nous avons autorisé un monopole de production des vaccins ARNm les plus efficaces au sein de chaînes d’approvisionnement privées auxquelles le Nord avait un accès privilégié, et nous avons autorisé les entreprises à refuser toute assistance aux efforts critiques de fabrication de ces vaccins dans le Sud.


Bien qu’il y ait eu une nouvelle prise de conscience que l’ordre commercial mondial et l’accord ADPIC (qui fait partie de l’OMC et protège les brevets sur les médicaments) posaient un réel problème, et qu’il y ait eu de petites tentatives de réforme, nous n’avons finalement pas réussi à surmonter la capacité de l’industrie à dicter les termes de la production et de l’accès aux vaccins – ce, en dépit de subventions publiques massives. Il s’agit d’un héritage de l’ordre néolibéral dans le domaine de la santé.

EM – Vous avez expliqué en détail comment le système actuel des brevets actuel profite aux pays riches et aux entreprises. Y a-t-il des raisons d’être optimistes quant à la possibilité de changer la donne ?

AK – Je vois des raisons d’espérer. Le fait que le gouvernement américain se soit prononcé en faveur de la suspension d’au moins certaines parties de l’accord sur les ADPIC concernant le Covid était sans précédent. J’aurais aimé qu’ils aillent plus loin et que l’Europe ne soit pas aussi récalcitrante, mais il s’agit d’une étape importante et nouvelle. Cela reflète le fait que l’ordre commercial néolibéral est réellement remis en question, même si ce qui le remplacera n’est pas encore clairement défini.

Je fonde encore plus d’espoir sur des expériences comme cette nouvelle installation de production d’ARNm en Afrique du Sud, qui est soutenue par l’Organisation mondiale de la santé, et dans le fait que l’État de Californie travaille maintenant à la fabrication de sa propre insuline. Pour contester l’autorité des entreprises, il faudra non seulement modifier les droits de propriété intellectuelle, mais aussi procéder à de véritables investissements matériels comme ceux-ci, afin de modifier l’équilibre des pouvoirs sur les biens essentiels.

Il existe une coalition, petite mais solide, de groupes de pression dans les pays du Nord qui s’efforcent de remettre en cause le pouvoir et les prix des entreprises pharmaceutiques, et dont beaucoup ont commencé à travailler dans ce domaine en tant que militants pour un meilleur accès aux médicaments à l’échelle mondiale. Ce sont finalement ces liens entre les mouvements qui me donnent le plus d’espoir, parce qu’ils impliquent des personnes brillantes et créatives qui se penchent sur les questions les plus difficiles, comme la manière d’améliorer à la fois l’innovation et l’accès, et parce qu’ils le font d’une manière qui peut être réellement bénéfique pour les populations du Nord comme du Sud.

EM et EK – Nous avons parlé plus tôt du bagage ontologique que les économistes apportent à ce débat.Pensez-vous que l’on puisse effectuer une analyse similaire dans le domaine du droit? Que lorsque le néolibéralisme est abordé dans les facultés de droit, on passe souvent à côté du sujet ?

AK – Inversons les rôles. Qu’en pensez-vous ?

EM – Je pense que certaines réalités sont invisibilisées. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse uniquement d’un problème spécifique aux juristes. Même dans le cas de Wendy Brown, il y a une certaine réticence à aborder le néolibéralisme comme quelque chose qui pourrait réellement jouir d’une légitimité – même parmi ses victimes, pour ainsi dire. Pour expliquer cela, je pense qu’il faut reconnaître que dans le néolibéralisme il existe des éléments réellement excitants, voire utopiques – ce qui n’est pas le cas si l’on se concentre uniquement sur le reformatage du pouvoir de l’État. Au niveau de la vie quotidienne, il est difficile de s’enthousiasmer pour les réglementations..

Quelqu’un comme Hayek pense que le marché est un outil de civilisation. Ce n’est pas seulement un outil d’agrégation des connaissances ou d’allocation des ressources, mais plutôt un moyen d’organiser la modernité et de réduire la complexité. Ce qui empêche la société de s’effondrer, compte tenu de sa multiplicité, c’est cette gigantesque boîte noire qu’est le marché, qui nous fait aussi avancer.

Si l’on n’en tient pas compte, si l’on n’introduit pas une sorte d’utopie parallèle et alternative, j’ai beaucoup de mal à imaginer comment une logique alternative pourrait voir le jour. Et je ne vois pas comment cette logique pourrait voir le jour en se concentrant uniquement sur la redistribution, les réparations ou la restauration du pouvoir de l’État administratif.

AK – Je suis d’accord pour dire qu’à certains égards le néolib queéralisme exerce un réel attrait. Les analyses historiques sur la manière dont la gauche, ou du moins les libéraux « progressistes », en sont venus à adopter le néolibéralisme, sont instructives. Ce dernier prétendait revitaliser certaines parties de la société américaine. Il possédait un élan libérateur.

Il allait discipliner un État qui était profondément bloqué, incapable de fournir les choses que les gens souhaitaient. Ayant été formé dans une école de droit, j’ai entendu, en tant qu’étudiante, l’histoire du rôle que le tournant vers cette efficacité était censé jouer, en tant que technologie neutre qui nous permettrait à tous de nous entendre et d’avoir les choses que chacun d’entre nous désirait. À ce titre, je pense qu’il a exercé un attrait puissant.

La question qui se pose alors est la suivante : si nous voulons critiquer le néolibéralisme, quelles sont ses alternatives ? Je suis très intéressée par les écrits de l’un de mes collègues de Yale, Martin Hägglund, en particulier par son livre This Life. Ce livre propose une vision laïque de la libération – être libre d’utiliser son temps comme on l’entend, et avoir une obligation envers les autres, pour partager le travail que personne ne veut faire – qui comporte des aspects de gouvernance très intéressants.


Mais ce n’est pas fondamentalement basée sur l’idée, par exemple, d’un État administratif plus fort. Il s’agit plutôt d’une idée de ce que nous devrions attendre d’un État et de ce que nous devrions attendre de notre politique. Pour moi, c’est passionnant parce que cela correspond bien aux mobilisations politiques contemporaines, qu’il s’agisse des mouvements en faveur la généralisation des soins de santé ou des mouvements visant à remplacer les réponses carcérales par des réponses plus solidaires, enracinées dans des formes de soins.

En d’autres termes, les critiques du néolibéralisme devraient prendre au sérieux une partie de son attrait populaire. Critiquer le néolibéralisme ne dit pas grand-chose sur les alternatives possibles. Avoir une idée de ces alternatives me semble très important.

EM – Dans l’un de vos récents essais, vous parlez de la nécessité de démocratiser la conception des marchés. Qu’est-ce que cela implique ?

AK – Il s’agit notamment de s’éloigner du principe selon lequel les marchés suivent leurs propres lois. Nous devons admettre que nous établissons les lois, les formes de pratiques sociales qui donnent aux marchés leur forme et leurs conséquences. Nous devrions comprendre que nous avons un pouvoir sur la conception des marchés et ne pas nous contenter de dire que l’offre et la demande sont à l’origine de telle ou telle chose.

Les produits pharmaceutiques constituent une manifestation indéniable de la manière dont notre pouvoir collectif, par l’intermédiaire de l’État, est utilisé pour façonner ce que l’on appelle les résultats du marché. Nous conférons une grande autorité aux entreprises pour fixer les prix, puis nous constatons que les prix des médicaments augmentent. Cette situation est en profonde contradiction avec l’idée que nous devrions tous avoir un accès à ce dont nous avons besoin pour être en bonne santé.

EM et EK – Mais toutes les alternatives p Mais toutes les alternatives roposées ne relèvent pas de positions aussi progressistes, y compris cette idée de constitutionnalisme du bien commun, pour finalement y revenir.

AK – C’est vrai. Le constitutionnalisme du bien commun est une évolution du raisonnement juridique qu’un groupe de penseurs essentiellement catholiques est en train de consolider, afin de réinjecter une morale catholique dans le discours constitutionnel. Une manifestation très concrète de ceci dans le contexte politique américain est l’abandon par la droite de l’originalisme, une approche historique de l’interprétation de la Constitution qui revient à ce que voulaient les « pères fondateurs », au profit d’un ordre constitutionnel plus musclé et plus affirmé, fondé sur des principes religieux.

Par exemple, les originalistes ont remporté une victoire célèbre dans la récente bataille autour de l’avortement en soutenant que le texte de la Constitution ne protégeait pas l’avortement et qu’il laissait donc cette question à la discrétion des États. Les constitutionnalistes du bien commun, quant à eux, sont beaucoup plus intéressés par une Constitution qui protégerait la vie du fœtus. Plutôt que de laisser les États choisir de protéger l’avortement, la Constitution du bien commun leur interdirait de le faire. Cette imprégnation de l’ordre constitutionnel américain par des valeurs religieuses est l’expression d’un mouvement plus large que j’observe dans la droite post-néolibérale.

Une caractéristique très forte de ce mouvement est de reconnaître les problèmes posés par le fondamentalisme du marché et le néolibéralisme – ils utilisent même ce terme – et d’affirmer que nous devons réintroduire des valeurs dans la vie américaine. Pour eux, cela devrait prendre la forme d’un retour au salaire familial, d’un retour aux familles normatives et hétérosexuelles, d’un retour à des formes de soutien de l’État pour des modes de vie ordonnés par la religion, d’un retour aux valeurs religieuses même sur le marché.


Aux États-Unis, on peut en observer des manifestations économiques à travers une entreprise comme Hobby Lobby, qui souhaite imprégner le marché d’un caractère religieux – et aller à l’encontre, aussi bien, du progressisme marchand que de la couverture des moyens de contraception. Ce qui me préoccupe à ce sujet – bien qu’il ne s’agisse que d’une petite partie d’une droite très large et diversifiée – c’est que cette mouvance possède une idée assez nette de la manière dont elle pourrait parvenir à la prééminence, c’est-à-dire par le biais de la Cour suprême, étant donné le pouvoir dont celle-ci dispose dans ce pays. Il s’agit donc d’une évolution très importante…


EM et EK – Pour revenir aux thèmes du néolibéralisme et de l’utopie, il semble que nous devrions essayer d’élaborer une théorie sociale capable de nous montrer quelles autres institutions permettent de créer un monde aussi diversifié et dynamique que celui qui est médiatisé par les marchés et le droit – ce qui correspond à la vision de Jürgen Habermas, avec quelques mouvements sociaux en plus.

Il y a vingt ans, les écoles de droit américaines étaient très douées pour imaginer cette dimension utopique, même s’il s’agissait d’une utopie naïve. Mais cette dimension a disparu de l’analyse du néolibéralisme aujourd’hui, ce qui est troublant. Les plus utopistes ont-ils été tellement traumatisés par l’essor de la Silicon Valley qu’ils ont renoncé à réfléchir à ces questions ?

AK – Je pense qu’il y a des idées utopiques – certainement des idées progressistes et ambitieuses – dans les facultés de droit de nos jours. Regardez certains travaux sur l’argent. Les gens réfléchissent à ce que cela signifierait de créer toutes sortes de choses, depuis des autorités nationales d’investissement jusqu’à une Fed fonctionnant selon des principes très différents, en passant par la réorganisation de la structure bancaire afin de permettre de nouvelles formes d’aide sociale et de lutter contre le changement climatique. C’est un exemple de quelque chose d’assez nouveau.

Nous voyons également de nombreuses demandes pour ce que l’on pourrait appeler la démarchandisation : des garanties de logement, des garanties de soins de santé, et même des expressions institutionnelles qui pourraient participer à ce que vous décrivez. En d’autres termes, comment gérer un système complexe tel qu’un établissement de santé en se basant sur les besoins plutôt que sur le profit ? Les gens ont vraiment réfléchi à cette question. Nous avons des expressions réelles de ces principes dans le monde, et elles inspirent des idées sur ce que cela signifierait de faire évoluer d’autres pouvoirs institutionnels dans cette direction.

Si vous deviez rassembler un grand nombre de ces éléments – des idées sur la façon dont les investissements pourraient être dirigés plus démocratiquement, sur la façon dont le logement pourrait être organisé plus démocratiquement, sur la façon dont les soins de santé pourraient être organisés plus démocratiquement ; tous ces éléments font l’objet de discussions au sein des facultés de droit, ainsi qu’en dehors de celles-ci – ils constitueraient les éléments d’une vision beaucoup plus affirmée d’un avenir qui n’est pas organisé selon des lignes néolibérales. C’est l’assemblage de toutes ces pièces, et le fait de leur donner un nouveau nom, qui n’a pas encore été accompli.

Mais je pense que ces éléments sont beaucoup plus intéressants que ce qu’on avait dans les années 2000, par exemple les mouvements autour du libre accès et des Creative Commons auxquels vous avez fait allusion, parce qu’ils abordent aussi directement la nécessité de disposer de certaines formes de pouvoir public pour créer ces choses. Et ils ne reposent pas sur une idée purement volontariste de ce que nous pouvons attendre ou réaliser.

EM – Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’une vision radicale, mais elle est conservatrice à mon goût en ce qui concerne son mélange institutionnel. Je reconnais que la démarchandisation est radicale après 50 ans de néolibéralisme, mais elle n’est pas radicale si on la compare à l’État-providence britannique des années 1940.

AK – Je vous propose à présent de vous interroger sur les alternatives.

EM – La personne qu’il faut convaincre que le règne du marché est révolu n’est pas tant le juge ordinaire que quelqu’un comme Habermas. Or, il n’y a pas grand-chose qui puisse le convaincre que nous nous sommes éloignés du marché et du droit comme les deux formes dominantes à travers lesquelles la modernité prend forme.

Je ne vois pas beaucoup de réflexion sur les autres façons de formater la modernité. Sans elles, la seule chose que nous pouvons changer est l’équilibre entre les deux formes – que, bien sûr, je préférerais du côté de l’État plutôt que du côté du marché.

AK – Quels sont les nouveaux véhicules qui vous viennent à l’esprit ? Un rapport avec le socialisme numérique ?

EM – En fin de compte, je pense qu’il s’agit de formes alternatives de génération de valeur, à la fois économique et culturelle. Et cela implique de comprendre la contrepartie progressiste adéquate au marché. Pour ma part, je ne pense pas que le pendant progressiste du marché soit l’État. Je pense qu’il devrait s’agir de la culture, définie de manière très large – une culture qui englobe les connaissances et les pratiques des communautés.

AK – En ce sens, vous vous situez davantage dans la lignée des biens communs que dans celle de l’État ?

EM – Oui, c’est un moyen de fournir des infrastructures pour susciter la nouveauté et s’assurer que nous pouvons ensuite nous coordonner pour appréhender les effets qui s’ensuivent. La technologie est un élément clé à cet égard.


DU MÊME AUTEUR :

lundi, juin 26, 2023

MORT CROISÉE ET ÉLECTIONS « EXPRESS » EN ÉQUATEUR

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ILLUSTRATIONS : LUISA GONZÁLEZ ET YAKU PÉREZ / SOURCES :
ASAMBLEA NACIONAL DEL ÉCUADOR WIKIMEDIA
ET AZUAY ECOLÓGICA PREFECTURA FLICKR

Le Maurice Lemoine Nouveau est arrivé ! / Mort croisée et élections « express » en Équateur / Accusé de « corruption » et à deux doigts d’une destitution infâmante par l’Assemblée nationale, le président équatorien Guillermo Lasso s’est débarrassé de cette dernière en la dissolvant, le 17 mai, grâce à l’activation du mécanisme formellement constitutionnel connu sous le nom de « mort croisée ». Discutable et discutée, cette dissolution implique que les autorités électorales doivent organiser des législatives, mais également un scrutin présidentiel anticipé – élections générales qui auront lieu le 20 août. D’ici là et pour une durée de six mois Lasso pourra continuer à gouverner par décret.

par Maurice Lemoine 

Temps de Lecture 21 min

PHOTO L'HUMANITÉ

Après leur investiture, les 137 nouveaux députés et le président élu termineront ce qui restera du mandat 2021-2025. Au-delà de ses modalités, la séquence marque le cinglant échec du banquier néolibéral et membre de l’Opus Dei arrivé au pouvoir il y a un peu plus de deux années.

À QUITO, LE 17 MAI 2023, LE PRÉSIDENT ÉQUATORIEN
GUILLERMO LASSO (AU CENTRE) A DISSOUS L’ASSEMBLÉE.
PHOTO BOLIVAR PARRA


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C’est après avoir tenté à deux reprises d’accéder à la magistrature suprême que, le 11 avril 2021, Lasso a été élu en battant le candidat de l’Union pour l’Espérance (UNES) Andrés Arauz, ex-ministre et fidèle du fondateur de la Révolution citoyenne Rafael Correa (2007-2017) [1]. L’état de grâce de Lasso fut de courte durée, dû essentiellement à la vaccination réussie de 9 millions de personnes pendant la crise du Covid – gérée de façon calamiteuse par le chef de l’État précédent, le transfuge de la Révolution citoyenne Lenín Moreno (2017-2021).

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Dans le même temps, Lasso tenta de modifier (dans le sens le plus régressif) le code du travail et s’attaqua en les rognant aux budgets de la santé, de l’éducation et de la sécurité. Une telle frénésie dans la réduction du rôle de l’Etat eut rapidement des effets délétères, dont l’un particulièrement remarqué. Déjà en hausse considérable sous le mandat de Moreno, la criminalité a explosé. Autrefois deuxième pays le plus sûr d’Amérique latine avec 5,6 homicides pour 100 000 habitants, l’Equateur est devenu l’un des plus violents de la région. Avec 4603 homicides en 2022 (plus de 10 par jour), le taux passe à 25,5 pour 100 000.

L’Équateur se situe, il est vrai, entre la Colombie et le Pérou, les deux plus grands producteurs de cocaïne du monde, ce qui en fait une escale stratégique pour le trafic. C’était tout aussi vrai sous la présidence de Correa. Jamais on n’y connut pourtant des phénomènes similaires à celui qui a secoué, le 11 avril 2023, pour ne citer que cet exemple, le port de pêche d’Esmeraldas. Dans cette localité de la côte pacifique où plus de 416 assassinats avaient déjà été enregistrés depuis le début de l’année, une trentaine de délinquants lourdement armés ont attaqué des pêcheurs et des vendeurs de crustacés. Au terme de la fusillade, neuf morts et quatre blessés sont restés sur le terrain. Deux bandes rivales – les « Tiguerones » et les « Gangsters » – se disputent le contrôle de cette zone, proche de la Colombie. Sur fond de racket (la « vacuna »), les pêcheurs attaqués auraient subi les représailles des « Tiguerones », l’une des deux « pandillas » [2].

À partir d’avril 2022, quatre périodes d’état d’exception se sont succédées dans les provinces côtières de Guayas, Manabí et Esmeraldas, puis de Los Ríos et Santa Elena, complétées à l’occasion de couvre-feux. Outre le déploiement de 4 000 policiers et 5 000 militaires, le gouvernement a prôné fort imprudemment l’autorisation du port d’arme pour les civils, au risque, s’il en était besoin, d’ajouter le chaos au chaos.

Un véritable arsenal circulant dans les différents établissements pénitentiaires du pays, la crise carcérale a donné lieu depuis 2021 à plus de dix affrontements et massacres qui se sont soldés par le décès de près de 400 prisonniers (et quelques gardiens). Pour l’expert en sécurité Fernando Cerrión, ce désastre a pour origine le gouvernement de Lenín Moreno : « Le ministère de la Justice, qui gérait les prisons et le ministère de la Coordination de la sécurité, le ministère de l’Intérieur, qui s’occupait de la sécurité, et le Conseil national pour le contrôle des stupéfiants et des substances psychotropes ont été supprimés. Tout cela a été regroupé dans un seul ministère qui s’est appelé le ministère de l’Intérieur, et les ressources budgétaires ont été réduites de manière substantielle [3]. »

Une même politique entraînant les mêmes conséquences, l’escalade de la violence ne pouvait en aucun cas être contenue.

Banquier un jour, banquier toujours… Dès la fin de l’année 2021, Lasso soumet au Parlement un projet d’amnistie fiscale permettant aux Équatoriens ayant déposé leurs capitaux dans les paradis fiscaux de les rapatrier et de les légaliser en ne payant que 5 % d’impôt. Il convient de préciser que, depuis le 3 octobre, le scandale dit des « Pandora Papers » éclabousse une quarantaine d’entreprises équatoriennes, mais aussi et surtout le chef de l’Etat.

À l’origine du tapage : le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ce qui est alors mis en lumière : 11,9 millions de documents révélant les transactions de sportifs, d’artistes, d’hommes d’affaires et d’hommes politiques – dont douze chefs d’Etat – dans les paradis fiscaux. Lasso est mis en cause pour quatorze sociétés financières opaques réfugiées au Panamá et dans le Dakota du Sud (Etats-Unis).


Il se trouve que, lors d’un référendum convoqué en 2017 par Correa – « Etes-vous d’accord pour dire que, pour exercer un mandat électif ou être fonctionnaire, il est interdit de détenir des avoirs ou des capitaux de quelque nature que ce soit dans les paradis fiscaux ? » – les Équatoriens ont répondu « oui » à 55 %.

Le 10 octobre 2021, l’Assemblée nationale approuve l’ouverture d’une enquête contre le chef de l’Etat. Celui-ci affirme avoir rapatrié tous ses actifs en Equateur. C’est manifestement faux. Le 25, à partir de documents officiels panaméens, on découvre qu’il a transféré en toute hâte les actions possédées dans sa banque panaméenne à ses trois fils – et ce, trois semaines après avoir annoncé sa candidature à la présidentielle (23 septembre).

Produit du référendum organisé par Correa, la loi de février 2017 mentionne que les personnes exerçant des fonctions publiques ou ayant l’intention d’en exercer ne peuvent pas être propriétaires « directs ou indirects » d’actifs ou de capitaux dans des paradis fiscaux et que « les transferts en faveur de parents jusqu’au quatrième degré de consanguinité » sont interdits.

Bien qu’ayant promis de coopérer avec l’enquête, Lasso refuse de comparaître le 20 octobre devant la commission de l’Assemblée nationale qui l’a convoqué.

Fort heureusement pour lui, les chefs et les sous-fifres du ministère de la propagande veillent au grain. Ils s’étaient déjà distingués en 2016, lors d’un précédent esclandre baptisé « Panama Papers ». Une affaire planétaire d’évasion fiscale, révélée elle aussi par l’ICIJ et une centaine de médias partenaires, à partir de millions de documents du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. S’agissant de l’Equateur, l’ICIJ avait sélectionné les quotidiens de droite El Comercio et El Universo pour livrer à leurs concitoyens les informations les concernant directement. Un vrai feu d’artifice ! Les brillants journalistes autoproclamés « d’investigation » se contentèrent de mentionner, parmi les Equatoriens impliqués, le Procureur général de la République Galo Chiriboga, un soi-disant cousin du président Rafael Correa, Pedro Delgado, et un ex conseiller du Secrétariat national du renseignement. Lorsque Correa demanda que soit publié l’ensemble des informations disponibles, afin de pouvoir enquêter sur les Equatoriens ayant recours aux paradis fiscaux pour échapper aux impôts, les mercenaires de l’information refusèrent catégoriquement. Pas question d’annoncer quoi que ce soit susceptible de porter préjudice aux intérêts des oligarques économiques que soutiennent leurs patrons.

Cinq années plus tard, la couverture par les mêmes des « Pandora Papers » donne lieu à une comédie identique. Si le site Web d’El Universo mentionne la mise en cause de Lasso, c’est en mode particulièrement mineur : le cas du chanteur espagnol Julio Iglesias et de son empire immobilier en Floride l’intéresse infiniment plus.

La version papier du même El Universo se veut beaucoup plus… incisive. Après une interview écrite du chef de l’Etat en réponse aux questions de l’ICIJ par l’intermédiaire de la journaliste Mónica Almeida, le quotidien titre hardiment : « Guillermo Lasso s’est débarrassé d’entités offshore avant de devenir candidat » [4]. Un titre inoffensif, mais encore trop explosif. Le Président expédie au directeur Carlos Pérez Barriga un droit de réponse dans lequel il se plaint amèrement du traitement qui lui a été réservé : « Ce qui me préoccupe, c’est qu’un média comme le vôtre se prête de manière aussi évidente et puérile à une campagne visant à discréditer un président qui tente de réparer tous les dommages causés aux institutions équatoriennes, une situation dont vous avez vous-mêmes été victimes pendant tant d’années [sous-entendu, pendant les mandats de Correa] [5].  » El Universo ne discute pas. Il publie intégralement la réponse de Lasso, accompagnée du jappement malheureux d’un petit chien dont le maître a douté de la fidélité : « Dans cet article, il n’a été mentionné aucun système d’évasion fiscale et il [le président] n’a été accusé d’aucune illégalité [6].  »

Le bureau du procureur général ayant malgré tout ouvert une enquête, Lasso accuse un « triumvirat de la conspiration » composé de l’ex-président Correa, de l’ex-maire (de droite) de Guayaquil Jaime Nebot et du président de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) Leonidas Iza d’être derrière une tentative de « coup d’Etat institutionnel ». Pendant qu’il vitupère, le président de la commission de contrôle de l’Assemblée, Fernando Villavicencio, un allié inconditionnel, élabore un rapport le lavant de tout soupçon. En conséquence, et « faute de preuves à charge », le Bureau du contrôleur général de l’Etat (CGE) clôt l’enquête le 7 décembre 2021. Pour parfaire la séquence, la justice équatorienne ouvre de nouvelles poursuites contre… l’ancien président Correa ! Celui-ci est cette fois mis en cause pour « détournement de fonds présumé » dans un dossier intitulé « Sucre » impliquant Alex Saab, homme d’affaires chaviste persécuté par Washington et rebaptisé « homme de paille » du « dictateur vénézuélien Nicolás Maduro [7] ».

Une « cantinflada » [8] de plus, s’insurge Correa depuis la Belgique où il vit et a obtenu l’asile politique, en qualifiant de « cirque » un système judiciaire qui le poursuit sous les prétextes les plus baroques – comme l’exercice d’une « influence psychique » sur des suspects – et l’a déjà condamné par contumace à huit ans de prison et vingt-cinq ans d’inéligibilité.


Indépendamment de ces frasques financières, la gestion du pouvoir s’est écartée à tel point des promesses de campagne que Lasso et son parti CREO (Créer des opportunités) ont réussi la performance de perdre leur principal allié, le très droitier Parti social chrétien (PSC). Devenue religion d’Etat, la doxa libérale ne pouvait par ailleurs que jeter les classes populaires dans la rue. Menée par la CONAIE, rejointe par les organisations syndicales et étudiantes, une grève nationale illimitée a éclaté le 13 juin 2022.

Principal leader du mouvement, Leonidas Iza avait déjà acquis une grande notoriété lors du soulèvement d’octobre 2019 contre Lenín Moreno – mouvement social durement réprimé (10 morts, plus de 1300 blessés, près de 2000 arrestations). Brièvement emprisonné, accusé de « sabotage » et de « terrorisme », Iza a bénéficié d’une amnistie approuvée par l’Assemblée nationale le 10 mars 2022. En ont également profité des militants et dirigeants de la Révolution citoyenne, dont la préfète de la province de Pinchicha Paola Pabón, accusée de « rébellion » et un temps incarcérée. Entre temps, Iza a été élu président de la CONAIE en juin 2021.

Opposés cette fois à Lasso, les contestataires de 2022 exigent en tout premier lieu une baisse des prix du carburant, le gallon (3,78 litres) de diesel ayant augmenté de 90 % (à 1,90 dollars) et celui de l’essence de 46 % (à 2,55 dollars) en presque douze mois. Un moratoire d’un an sur le paiement des dettes bancaires des paysans et l’interdiction des concessions minières sur les territoires indigènes figurent également parmi les dix demandes présentées au chef de l’État.

Une brève détention d’Iza échauffe les esprits. Marches et barricades se multiplient dans plusieurs villes et autour de la capitale Quito. Affectant six provinces – Pichincha (siège : Quito), Cotopaxi, Imbabura, Chimborazo, Tungurahua et Pastaza –, l’état d’urgence permet de mobiliser les forces armées, de suspendre les droits des citoyens et d’instaurer des couvre-feux. Le 21 juin, le ministre de la Défense Luis Lara criminalise les manifestations en affirmant que, derrière la violence, « se trouve la main du narcotrafic ». Depuis Washington, toujours ravi lorsqu’une vague de violence insurrectionnelle tente de déstabiliser un gouvernement progressiste, le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) Luis Almagro découvre soudain par miracle que « le chemin de la protestation doit être pacifique et démocratique».

Une première fois, Lasso échappe à la destitution. Déposée par l’UNES devant l’Assemblée nationale pour « grave crise politique et commotion interne » (condition imposée par l’article 148 de la Constitution), la proposition ne recueille que 80 voix sur les 92 nécessaires. Après dix-huit jours de blocages dans tout le pays, mouvement indigène et gouvernement parviendront finalement à un accord, grâce à la médiation de la Conférence épiscopale. Parmi les mesures obtenues, une baisse de 15 centimes de dollar du prix du gallon d’essence ainsi qu’une meilleure maîtrise des activités minière et pétrolière. Le conflit a fait six morts (dont un militaire) et plus de 600 blessés.

Ayant perdu le plus important de ses alliés naturels (le PSC), Lasso pactise avec une faction droitière du parti Pachakutik – le bras politique de la CONAIE –, désormais divisé. Malgré cette alliance contre-nature lorsqu’on connaît l’histoire passée et très clairement « progressiste » du mouvement indigène, le chef de l’Etat est désormais en minorité au sein d’une Assemblée nationale dont il perd le contrôle. Comme il perd le contrôle du pays.

La catastrophe atteint son apogée le 5 février 2023 à l’occasion d’élections régionales et municipales. Avec 9,03 % des voix, CREO, la plateforme de Lasso, n’obtient aucune des 23 préfectures et ne conserve que 25 mairies sur les 32 qu’il administrait. Le PSC (12,65 %) arrache 2 préfectures et 28 mairies. Pachakutik (8,73 %), tire son épingle du jeu avec 6 préfectures et 26 mairies dans son ancrage naturel des Andes et de l’Amazonie.

Toutefois, avec 9 préfectures – dont Guayas, Pichincha et Manabí, les plus peuplées du pays – et 50 mairies – parmi lesquelles la capitale Quito ainsi que le grand port de Guayaquil – c’est Révolution citoyenne (23,8 % des suffrages), la gauche « correiste », qui l’emporte largement [9]. La conquête de Guayaquil est particulièrement emblématique : pendant trente ans, la deuxième ville de la République a été gouvernée sans interruption par le PSC. La réélection dans la province de Guayas de Paola Pabón (27,98% des voix), persécutée par Moreno puis par Lasso, complète la dimension symbolique de l’événement.

Là ne s’arrête pas, le 5 février dernier, la déroute de l’impopulaire Lasso. Par avance conscient du risque de Bérézina électorale, il a imaginé s’offrir de l‘oxygène en organisant un référendum sur huit questions dont l’une touche à la possibilité d’extrader les citoyens équatoriens coupables de délits et de crimes transnationaux. En écho aux préoccupations de la population confrontée à la vague d’insécurité, cette question de l’« extradition » était censée provoquer un « oui » automatique « d’ approbation du chef de l’Etat » et ouvrir la voie à un même vote sur tout ou partie des sept autres questions. Parmi lesquelles les plus pertinentes ou attractives – protection de certaines zones où se trouvent des sources d’eau considérées comme d’intérêt public, mise en place de compensations pour les populations et communautés qui protègent l’environnement – servent elles aussi de rideau de fumée aux plus polémiques – réduction du nombre de membres de l’Assemblée nationale, suppression du pouvoir de nomination des autorités dont dispose le Conseil de participation citoyenne et de contrôle social (CPCCS), organisme autonome haï tant par Moreno que par Lasso [10].

Cousue de fil blanc, la manœuvre échoue lamentablement. Indépendamment de leur pertinence, les huit questions déclenchent un vigoureux « non ». De l’avis général, la consultation n’apporte pas de réponse aux graves problèmes qui affectent le pays. Après avoir parlé d’un « appel du peuple au gouvernement », Lasso se raccroche aux branches en estimant que « le bien-être futur de l’Equateur ne passait pas et ne passe pas exclusivement par le référendum ». Après avoir remanié son gouvernement, il lance un appel à un grand Accord national. Que même le PSC rejette immédiatement.

Lors de sa campagne électorale, Lasso a mis l’accent sur la lutte contre la corruption. Avec le recul, le résultat semble pour le moins mitigé. Le 9 janvier 2023, le site numérique La Posta a en effet publié un article intitulé « El Gran Padrino » (« Le Grand parrain »), dans lequel il dénonce des faits délictueux au sein d’entreprises publiques. Un nom y attire particulièrement l’attention : celui de Danilo Carrera Drouet – beau-frère, mais aussi intime du président Lasso. Un patronyme qui, entre parenthèses, eut pu faire l’actualité bien plus tôt. En mai 2021, avant même que Lasso n’accède à la présidence, une enquête a été lancée par les services de renseignement antidrogue pour démasquer la structure de la mafia albanaise – très présente dans ce nouveau hub de la cocaïne qu’est devenu l’Equateur [11]. De façon impromptue, un an plus tard, les généraux Giovani Ponce, Mauro Vargas et la commandante de la police Tanya Varela ont enterré l’enquête baptisée « Encuentro » (« Rencontre ») afin de… « protéger le président » [12]. Deux noms ont en effet fait sursauter les chefs des limiers : Carrera, déjà lui, et l’un de ses très proches amis, l’homme d’affaires Rubén Cherres (emprisonné en 2014, pendant une année, pour narcotrafic, et toujours en attente de jugement). Une présence quelque peu fâcheuse lorsqu’on sait que Carrera a financé de 250 000 dollars la campagne électorale de Lasso en 2021 [13]. Lequel Lasso, d’après une conversation téléphonique de Tanya Varela, connaissait l’existence de l’enquête impliquant son proche entourage et s’est abstenu d’intervenir pour nettoyer les écuries d’Augias.

De l’enquête de La Posta s’appuyant sur le rapport de police escamoté, il ressort également que Carrera – le « Grand parrain » –, sans occuper aucune fonction officielle et en échange de commissions, décide de quelles firmes privées bénéficieront de contrats avec les entreprises publiques – en particulier la Corporation nationale d’électricité et Petroecuador, la compagnie nationale des pétroles. Il intervient également dans les nominations de hauts fonctionnaires – entre autres celle de Hernán Luque à la présidence de l’Entreprise de coordination des entreprises publiques (EMCO EP). Enfin, on retombe sur la mafia albanaise : l’influence de Carrera, Cherres et Luque sur des institutions telles que le Service des Douanes ou le ministère de l’Energie « aurait » permis aux « narcos » de mener leurs « petites affaires » – blanchiment d’argent, trafics d’armes et de coke – avec une relative sérénité.

Si, cette fois, Lasso sort de sa léthargie, c’est pour se porter au secours de son beau-frère : « Danilo Carrera est une personne que j’estime beaucoup ; je le connais depuis soixante-quatre ans. C’est un homme irréprochable qu’on ne peut dénigrer en faisant de son visage le logo du trafic de drogue [14]. » Quelques jours plus tard, trente-sept enquêteurs de la police, dont ceux impliqués dans l’investigation des dossiers sensibles – « Pandera Papers », « Petroecuador », « Encuentro », etc. – sont abruptement mutés. Il faudra une virulente protestation du Ministère public, qui dénonce « une intromission dans la justice », et la décision d’une juge qui suspend la mesure pour que la mise à l’écart de ces acteurs potentiellement dérangeants soit interrompue.

Convoqué devant une commission parlementaire créée pour éclaircir ces faits, Lasso omet une fois de plus de se présenter. Carrera adopte la même attitude. Le 18 janvier 2023, l’Assemblée nationale met en place une commission « Vérité, justice et lutte contre la corruption ». Aux remous provoqués par les affaires précitées s’est ajoutée une accusation de « malversation » dans le cadre d’un contrat douteux portant sur le transport de pétrole brut entre la compagnie publique Flota Petrolera Ecuatoriana (Flopec EP) et Amazonas Tanker. Bien qu’ayant eu eu vent de ce contrat préjudiciable pour le pays dès sa prise de fonction en mai 2021, Lasso ne serait pas intervenu pour y mettre un terme. Pour les plus sévères, et en vertu de l’article 353 du Code pénal, la dissimulation d’informations – relatives à la corruption dans des entreprises publiques et à l’enquête menée par le bureau du procureur général sur les relations présumées de Danilo Carrera et de son ami Cherres avec la mafia – ainsi que l’interférence dans les investigations en permettant au ministère de l’Intérieur le transfert de 37 enquêteurs de la police relèvent du crime de « trahison de la patrie ».

Le 2 mars, un rapport non contraignant de la commission permet à l’Assemblée d’engager une procédure de destitution contre le président.

Le processus commence formellement le 16 mars par une demande de « jugement politique » que déposent des parlementaires de l’UNES, du PSC et des députés dissidents de Pachakutik et de la Gauche démocratique (GD ; parti idéologiquement de droite). Consultée, la Cour constitutionnelle émet un avis de recevabilité partielle, admettant l’accusation relative à un présumé « détournement de fonds » (de près de 6 millions de dollars) dans l’affaire « Florec EP », mais pas celle arguant d’une « extorsion de fonds ». Toutefois, même si, a priori, ils n’impliquent pas directement Lasso, deux événements lourds de sens alourdissent considérablement le climat. Le 31 mars, Rubén Cherres, considéré comme un témoin clé dans « les affaires », est retrouvé assassiné, avec des signes de torture. Le 19 avril 2023, Carrera est arrêté dans l’Aéroport de Guayaquil alors qu’il s’apprêtait à quitter le pays.

Le 9 mai, malgré d’énormes pressions (parfois sonnantes et trébuchantes !) sur les députés dissidents de Pachakutik (proches de Leonidas Iza) et de la GD, le Parlement donne définitivement son feu vert au procès en destitution (88 « pour », 23 « contre », 5 abstentions.) Lors de sa comparution, une semaine plus tard, devant l’Assemblée, Lasso proclame son innocence « totale, évidente et incontestable » tout en dénonçant « une procédure politiquement motivée ».

Deux jours auparavant, le Parlement a élu les autorités qui occuperont sa présidence, sa vice-présidence et les quatre sièges du Conseil d’administration législative (CAL) pour la période 2023-2025 [15]. Les forces politiques d’opposition ont mis les partisans de Lasso en déroute et, avec 96 voix, se sont partagées toutes ces fonctions – Virgilio Saquicela (Democracia Sí), président ; Marcela Holguín (UNES), première vice-présidente ; Esteban Torres (PSC), second vice-président.

Quatre-vingt-seize voix : quatre de plus que le nombre requis (soit 92, les deux tiers de la représentation nationale), pour destituer le chef de l’Etat. La perspective d’une sortie honteuse se resserre, implacablement.

Dissolution ! Chef du commandement conjoint, le général de division Nelson Proaño Rodríguez déclare que les Forces armées et la police nationale appuient la décision du chef de l’Etat. Ce 17 mai, le Parlement est militarisé, personnel et législateurs empêchés d’y pénétrer. Rien d’illégal en apparence, la « mort croisée » est prévue dans l’article 148 de la Constitution. Oui, mais… Lasso invoque l’un de ses attendus – « crise grave et commotion interne » – pour la déclencher [16]. Qu’il y ait une crise politique est évident. Pour autant, une mise en accusation du chef de l’Etat dans le respect des lois et des procédures n’a strictement rien à voir avec une « commotion interne » – phénomène généralement considéré comme un désordre public grave susceptible d’affecter la stabilité institutionnelle et imminente de la sécurité de l’Etat. Depuis la Révolution citoyenne et le PSC, fusent critiques et accusations. Au nom de l’influente CONAIE, Leonidas Iza résume le sentiment général des opposants : « N’ayant pas les voix nécessaires pour se préserver d’une destitution imminente, Lasso mène un lâche auto-coup d’Etat avec l’aide de la police et de l’armée, sans le soutien des citoyens, transformant le pays en dictature en devenir. »

Au Pérou, pour avoir lui aussi voulu dissoudre le Parlement, le président de gauche Pedro Castillo, le 7 décembre 2022, a été arrêté et emprisonné [17]. Pendant le cours des événements et avant cette issue, l’ambassadrice américaine à Lima, Lisa Kenna, l’avait admonesté : « Les Etats-Unis demandent instamment au président Castillo de revenir sur sa tentative de fermer le Congrès et de permettre aux institutions démocratiques du Pérou de fonctionner conformément à la Constitution. » Pas un mot, bien sûr, sur ce qui avait précédé : grossièrement empêché de gouverner depuis dix-huit mois, Castillo affrontait pour la troisième fois une tentative de destitution lancée sous un prétexte aberrant. A peine fut-il embastillé que Washington le qualifia d’« ancien président  » avant de féliciter les autorités de facto pour avoir garanti la « stabilité démocratique » du pays.

Rien de tel s’agissant de l’Equateur. L’ambassadeur Michael J. Fitzpatrick accompagne la fermeture du Congrès dans ces conditions douteuses d’une déclaration affirmant que les Etats-Unis « respectent les processus internes et constitutionnels de l’Equateur » et « continueront à travailler avec le gouvernement constitutionnel, la société civile, le secteur privé et le peuple équatorien [18]  ». Quelques jours auparavant, l’Organisation des Etats américains (OEA), qui a directement participé au coup d’Etat en Bolivie en 2019 et a laissé renverser Castillo au Pérou sans lever le petit doigt, déclarait que, dans le procès politique contre Lasso, le principe devait être « le respect des mandats constitutionnels des présidents élus par le vote populaire ».

Pendant que se succédaient les révélations et que se profilait une possible destitution, la garde rapprochée de Lasso s’est fortement mobilisée. Début mai, plus de 130 corporations et chambres patronales rejetaient l’attitude d’une « classe politique » qui venait de mettre le chef de l’Etat en accusation. En tête de meute, les chiens et chiennes de garde d’El Universo feignaient se demander ce que l’Equateur aurait à gagner d’un procès en destitution : « La préoccupation des citoyens est de savoir comment surmonter la crise sécuritaire qui accable le pays, comment aider les chômeurs à trouver du travail ou encore répondre aux besoins de base en matière de santé ». Bref, « l’instabilité porte atteinte à la démocratie et retarde en même temps la résolution des problèmes les plus graves [19]. »

« Gran Padrino », « Petroecuador », « Encuentro » ? El Universo préfère détourner l’attention du public en accordant une couverture maximale à l’ouvrage d’Ana Karina López et Mónica Almeida, La Revolución malograda (La Révolution manquée) [20]. Ex-journaliste au sein du quotidien conservateur, reine de l’« investigation » (tronquée) des « Panama Papers », Almeida (épouse par ailleurs de l’influenceur français Marc Saint-Upéry) en est à son second ouvrage destiné à ternir l’image de la Révolution citoyenne et à diaboliser Rafael Correa [21]. Tombant fort à propos, ce petit dernier enthousiasme El Universo  : « Cynisme, intrigue, mort, espionnage et corruption se répètent tout au long de ces chroniques où l’exactitude des données n’empêche pas la légèreté du récit [22]. »

Avec une légèreté similaire, la Cour constitutionnelle rejette à l’unanimité les recours en inconstitutionnalité ainsi que des demandes visant à suspendre provisoirement la dissolution. La Cour, tranchent les juges, « n’est pas compétente pour se prononcer sur la vérification et la motivation des causes de la grave crise politique et des troubles intérieurs » que traverse l’Equateur et « aucune autre autorité judiciaire du pays ne l’est non plus ». Curieusement, mais seulement en apparence, la réaction des oppositions ne dépasse pas le stade d’une contestation orale somme toute modérée. Et pour cause. Dans cette entreprise, ceux qui ont semé ne sont pas forcément ceux qui vont récolter. L’aspect positif de cette mesure « illégale », estime ainsi Correa, « est qu’elle conduit à de nouvelles élections ». Que la droite classique va aborder en grande difficulté.

Seule véritable préoccupation : Lasso, qui pendant cent quatre-vingt jours va pouvoir gouverner par décrets-lois, a réuni d’emblée ses collaborateurs pour les mobiliser : « Nous devons faire, en cinq ou six mois, ce que nous aurions dû faire au cours des deux prochaines années ». D’ores et déjà, il a présenté à la Cour constitutionnelle – seul garde-fou pendant cette période –, une réforme fiscale et un texte « urgent » facilitant l’installation de « zones franches » (ou Zones spéciales de développement économique [ZEDE]). Il s’agit, dans ce dernier cas, de permettre aux entreprises privées nationales et étrangères de déclarer de telles zones dans n’importe quelle partie du pays, et même dans un seul bâtiment ou propriété. Ces enclaves bénéficieraient d’une exonération de l’impôt sur le revenu pendant dix ans, d’une suppression des taxes sur le commerce extérieur, d’une TVA nulle pour l’achat de matières premières et de biens d’équipement, et d’une exonération de l’impôt sur les devises pour leurs importations de biens et de services.

Cette fois, la Cour constitutionnelle joue son rôle : le 16 juin, elle considère que ce décret-loi « ne constitue pas en soi une norme d’urgence économique, comme l’exige le scénario exceptionnel prévu à l’article 148 de la Constitution ». En raison des implications pour le modèle économique à long terme et estimant que le règlement proposé « nécessite un débat technico-parlementaire approprié et exhaustif, auquel différents secteurs peuvent participer », la Cour retoque le décret.

Mis devant le fait accompli le 17 mai, les partis politiques ont eu jusqu’au 10 juin, pas un jour de plus, pour choisir en toute hâte leurs candidats et les inscrire devant le Conseil national électoral (CNE).

Très attendu sur le sujet, Lasso, qui aurait pu se représenter, a rompu le suspens le 6 juin. Après avoir dénoncé le « macabre plan d’usurpation institutionnelle » qui le pousse hors de la présidence, il a annoncé qu’il ne serait pas candidat. Nouveau président de CREO, Esteban Bernal a acté la débâcle en notifiant que le mouvement n’aurait de postulants ni pour la présidentielle ni pour les législatives et que les militants auraient toute liberté de vote – sauf pour le « correisme » et le PSC.

Mise en difficulté sur le plan idéologique, la droite doit se réordonner, sans trop savoir autour de quel pôle. Faute de candidat évident, le PSC s’est rallié à un entrepreneur de Guayaquil dans le domaine des télécommunications (Telconet), Jan Topic, passé par la Légion étrangère française, surnommé « Rambo », admirateur du très contesté président salvadorien Nayib Bukele [23].

Ex-vice-président de Lenín Moreno, et donc « anti-correiste primaire », Otto Sonnenholzner ira à la confrontation pour le petit parti Avanza et une coalition parmi laquelle le Mouvement SUMA. Conscient du discrédit qui entoure l’image de Moreno, soupçonné de corruption et exilé au Paraguay, Sonnenholzner doit se livrer à une difficile gymnastique en relativisant les idéologies et en soulignant que « ce qui compte, ce n’est pas tant la personne avec laquelle on a travaillé que son propre talent. »

Plus « anti-corresiste » encore, l’ex-député Fernando Villavicencio n’a trouvé le soutien que de forces tout à fait secondaires (Gente Buena et Construye).

Fils du roi de la banane et de l’évasion fiscale Álvaro Noboa, candidat sans succès aux élections présidentielles de 1998, 2002, 2006, 2009 et 2013, Daniel Noboa essaiera de… faire mieux.


Droite ou gauche ? En 2020, au sein de Pachakutik (PK), le bras politique de la CONAIE, le dirigeant indigène radical Leonidas Iza se vit préférer l’écologiste « pur et dur » Carlos Pérez Guartambel – plus connu sous le nom exotique de Yaku Pérez. Arrivé troisième du premier tour de la présidentielle de 2021, devancé de très peu à la deuxième place par Lasso, Pérez, qui se réclame d’une « gauche [très] flexible et [particulièrement] ouverte » prôna le « vote nul » au second tour, ce qui permit incontestablement la victoire finale du banquier sur le candidat de la Révolution citoyenne Andrés Arauz – avec les conséquences enthousiasmantes que l’on connaît.

Digérant très mal sa défaite, Pérez quitta un PK trop peu discret dans le rapprochement avec Lasso qui permit au parti d’accéder à la présidence de l’Assemblée nationale. Il annonça ensuite qu’il se retirait de la vie politique et, après avoir fondé le mouvement Somos Agua [24], passa son temps à se filmer en train de « marcher sur l’eau » pour les réseaux sociaux.

Devenu pour sa part président de la CONAIE, Iza demeura à la tête des luttes qu’il avait animé en 2019 et fit à nouveau trembler le pouvoir en 2022. De sorte que, le 25 mai dernier – aux cris de « Iza presidente ! Iza, Iza, Iza, comienza la paliza ! » (« Iza, Iza, Iza, la raclée commence ») – le conseil élargi de la CONAIE en fit son candidat pour l’élection anticipée d’août prochain.


Pour accepter l’investiture, Iza, outre d’inviter les citoyens à « se rassembler pour construire un ample projet de gauche », a demandé que « les dirigeants qui ont trahi le mouvement indigène soient écartés de Pachakutik ». Dans le collimateur, un groupe de députés ayant ouvertement appuyé Lasso, puis tenté de le sauver du jugement politique [25]. Iza et la CONAIE exigent également que les candidats à l’Assemblée nationale soient issus des mouvements qui ont participé aux soulèvements sociaux de 2019 et 2022. « Maintenir des négociations avec un gouvernement rejeté à 90 % par le peuple, mafieux et corrompu, c’est se vendre au néolibéralisme », tonne Iza.

En plein conflit interne pour le contrôle de sa coordination nationale que se disputent Marlon Santi (droite) et Guillermo Churuchumbi (proche d’Iza), Pachakutik n’accède pas aux demandes de la CONAIE et de son président, auxquels il est théoriquement subordonné. Iza retire sa candidature. Le marasme atteint son comble lorsque ce parti autrefois politiquement vigoureux annonce qu’il ne présentera personne aux prochaines présidentielle et législatives. Avant que Marlon Santi ne communique que, sans appartenir formellement à sa coalition, Pachakutik se rallie à la postulation de… Yaku Pérez à la tête de l’Etat. Quelques jours plus tard, ajoutant à la confusion, l’ex-députée et ex-présidente de l’Assemblée nationale (PK) Guadalupe Llori entre dans l’équipe ministérielle de Lasso en tant que déléguée au Conseil amazonien, obligeant le parti à se dépatouiller en déclarant « qu’il n’a pas et n’a jamais eu d’accords ou de postes au sein du gouvernement ».


Revenu à la politique aussi vite qu’il en était sorti, Pérez s’invite donc dans la course à la tête d’une coalition Claro que se Puede (Bien sûr qu’on peut) regroupant son mouvement Nous sommes l’Eau, l’Unité populaire, le Parti socialiste équatorien et Démocratie Oui. « Ces mains propres et surtout libres ne sont pas liées à la banque, à l’extractivisme ou à la corruption », a déclaré Pérez lors de son inscription devant le CNE. L’axe central de sa « troisième voie » se résume néanmoins à deux grands thèmes : une écologie déclarée « radicale » et un anti-correisme furibond.

Confrontée comme Pachakutik à un profond conflit interne entre les ralliés à Lasso et ceux qui ont gardé leurs distances, la Gauche démocratique – quatrième en 2021 avec 15,98 % des voix – disparaît elle aussi du panorama. Son candidat d’alors, Xavier Hervas, retente l’aventure, mais en représentation du modeste Rénovation totale (Reto). Après réflexion, la Gauche démocratique décide, elle, d’appuyer Sonnenholzner, sans toutefois faire partie de sa coalition.

Pour être exhaustif, on notera la présence de l’ex-président des Conseils paroissiaux ruraux [26] Bolivar Armijos en représentation d’Action mobilisatrice indépendante générant des opportunités (Amigo).

Dès l’annonce d’une élection anticipée, tous les yeux des sympathisants et militants de la Révolution citoyenne se sont tournés vers Andrés Arauz, dauphin de Correa dont il reste très proche, battu au second tour par Lasso en 2021. « D’abord les thèmes, ensuite les noms », précisa celui-ci après avoir expliqué qu’une nouvelle candidature n’était pas « sa priorité personnelle ». Vu l’urgence, son nom et celui de Carlos Rabascall (qui l’accompagnait en tant que postulant à la vice-présidence en 2021) circulèrent néanmoins abondamment. Avant de trancher définitivement au cours d’une grande assemblée, le mouvement s’offrit le luxe de créer une véritable commotion en choisissant à main levée… Jorge Glas comme porte-drapeau.

Ancien vice-président de Correa puis de Moreno, condamné à huit ans de prison, sans preuves irréfutables, pour « corruption », incarcéré depuis 2017, libéré en avril 2022 pour raisons de santé, réincarcéré par acharnement judiciaire en mai, remis en « liberté provisoire » en novembre, Glas a récupéré ses droits politiques à « élire et être élu » le 10 juin 2023 sur décision d’un juge, John Rodríguez – immédiatement et à son tour poursuivi pour « prévarication » [27] ! Pour faire bonne mesure, la procureure générale de l’Etat, Diana Salazar, a entamé de nouvelles poursuites contre Glas – le jour même où elle était convoquée devant le Conseil de participation citoyenne (CPCCS) pour y répondre du présumé plagiat d’une thèse universitaire et d’un article scientifique qui lui a permis d’être nommée à sa fonction).

Glas ! Cet hommage des siens à une figure de proue du correisme, qui clame son innocence et demeure inébranlable dans ses convictions, s’avérait néanmoins très risqué tant il a été et est une cible prioritaire pour la droite et ses médias. La masse inouïe d’articles et de commentaires faisant de lui un symbole absolu de la corruption a façonné une partie notable de l’opinion. En politique avisé et conscient du problème, Glas déclina la candidature en audience plénière, après avoir expliqué qu’il ne pouvait mettre le mouvement en danger. A nouveau à main levée, les délégués choisirent alors une femme, Luisa González, avec Andrés Arauz en binôme pour la vice-présidence.

Sauf énorme surprise et comme en 2021, la Révolution citoyenne arrivera en tête du premier tour de la présidentielle. Si Luisa González, ex-députée et ex-ministre (Travail et Tourisme) de Correa, manque quelque peu de notoriété, le souvenir de la gestion de l’ancien chef de l’Etat – 2 millions de personnes sorties de la pauvreté et une nette amélioration de la qualité de vie de la population – demeure très présente. Que son image soit « clivante » ne change rien au fait que, sous sa forte influence, la Révolution citoyenne demeure la force politique la plus et la mieux organisée du pays. Qu’une femme soit pour la première fois susceptible d’arriver à la présidence n’assombrit pas le tableau.

Pour l’emporter d’emblée, un candidat doit obtenir la majorité absolue (50 % plus une voix) ou 40 % avec 10 points d’avance sur le second. L’affaire se jouera donc, vraisemblablement, au second tour. Dont les droites classiques, discréditées par les mandats de Moreno et Lasso, ne devraient guère pouvoir tirer profit (pour peu qu’elles y parviennent). S’exprimant tout juste après la « mort croisée », Arauz a posé les termes réels de l’équation en demandant à la gauche de « corriger les erreurs du passé » et de construire une grande coalition baptisée « Bloc historique  » – référence au Pacte historique de Gustavo Petro en Colombie ? – « englobant les différents mouvements sociaux, y compris les peuples indigènes, contrairement à ce qui s’est passé il y a deux ans [28]».

Reste que pour passer une alliance, il faut au moins être deux. Et que, comme toute groupe humain, les Indigènes peuvent être divisés.

« Un Équateur sans Lasso ni correistes », s’enflamme Yaku Pérez, nouvel apôtre de la « troisième voie ». ! Sur son discours « environnemental », il continue à séduire nombre de jeunes des « classes moyennes éduquées ». En revanche, en l’absence formelle de Pachakutik qu’il a contribué à affaiblir en y introduisant le ferment de la division avant de l’abandonner, nul n’est en mesure d’estimer combien de bataillons indigènes il sera capable de rallier. Il les représentait officiellement en 2021. La CONAIE, déjà, ne l’avait pas unanimement appuyé. Les troupes de l’organisation le feront encore moins cette année, ulcérées par la mise hors course de leur candidat naturel, Leonidas Iza. Du côté où elles basculeront au premier tour ou se rallieront au second, dépend en grande partie le résultat de l’élection. Et – en témoignent les élections régionales et municipales de février dernier – nul ne parierait, cette fois, que l’anti-corresisme l’emportera.

Quel que soit le vainqueur, il ne gérera le pays que pour un an et huit mois – la fin du mandat constitutionnel de Lasso. Le temps de se consolider (ou de s’affaiblir) dans la perspective de la prochaine échéance, en 2025. En tête de tous leurs discours de campagne, les candidats mentionnent la lutte contre l’insécurité. « Nous allons prendre le taureau par les cornes et nous attaquer aux causes profondes de la violence et de la criminalité : la faim, la pauvreté, le manque d’éducation, le manque d’opportunités », a ajouté Luisa González, immédiatement après avoir été choisie.

Illustrations : Luisa González et Yaku Pérez / Sources : Asamblea Nacional del Ecuador Wikimedia et Azuay Ecológica Prefectura Flickr


Notes : 

1] Lire « L’Equateur pris au Lasso » (26 avril 2021) – https://www.medelu.org/L-Equateur-pris-au-Lasso

[2] https://dialoguemos.ec/2023/05/detenido-el-presunto-planificador-de-la-masacre-en-esmeraldas/

[3] https://www.rfi.fr/es/programas/noticias-de-am%C3%A9rica/20221104-los-cinco-a%C3%B1os-en-los-que-el-narcotr%C3%A1fico-gangren%C3%B3-ecuador

[4] https://www.eluniverso.com/noticias/politica/guillermo-lasso-deshizo-offshore-panama-paraisos-fiscales-fideicomisos-dakota-del-sur-bretten-liberty-pandora-papers-icij-nota/

[5] https://ms-my.facebook.com/MiHistoriaEnLasCasasDeSaludDelEcuador/posts/4959992934029551/?wtsid=rdr_0aFRjEFxwJYpaCWYR

[6] https://www.eluniverso.com/noticias/politica/nota-de-la-direccion-nota/?modulo=destacadas-dos&plantilla=home

[7] Sur Alex Saab, arrêté illégalement au Cap Vert, séquestré puis extradé aux Etats-Unis le 17 octobre 2021, lire « Trump en a rêvé, Biden l’a fait » (22 octobre 2021) – https://www.medelu.org/Trump-en-a-reve-Biden-l-a-fait

[8] Cantinflada  : parole confuse ou contradictoire, dépourvue de sens ou de fondement, comme celles du personnage comique Cantinflas, interprété par l’acteur mexicain Mario Moreno Reyes.

[9] Ont obtenu une préfecture : Partido Sociedad Patriótica (PSP), de l’ex-président Lucho Guttiérrez ; Izquierda Democratica ; Suma ; Movimiento Reto ; Unidad Popular ; Democracia Sí.

[10] Lui-même élu, le CPCCS, est chargé de nommer, après divers processus de sélection, le Procureur général de l’Etat, le médiateur, le défenseur public, le contrôleur général et les membres du Conseil national électoral (CNE). Il doit également assurer la protection des personnes qui dénoncent des actes de corruption.

[11] https://drive.google.com/file/d/189S3jH5w3Uq6V_L59pRS5uPxncE48ofE/view

[12] https://m.facebook.com/radiocenepa/videos/generales-en-ecuador-caen-por-3ncubrir-al-presidente-lasso/891754742109959/?_rdr

[13] Voir le registre du Conseil national électoral : https://drive.google.com/file/d/1zDtjBf--PZqrmzefPFQpo43bajFxIEhs/view

[14] https://ultimasnoticias.com.ve/noticias/mundo/trama-vincula-a-lasso-y-su-cunado-el-gran-padrino-2/

[15] Ce processus de renouvellement des mandats est prévu par la Constitution et la loi après deux ans de législature.

[16] L’article 148 de la Constitution équatorienne stipule : « Le président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale lorsqu’il estime qu’elle a assumé des fonctions qui ne relèvent pas de sa compétence constitutionnelle, sous réserve d’un avis favorable de la Cour constitutionnelle, ou si elle entrave de manière répétée et injustifiée l’exécution du plan de développement national, ou en raison d’une crise politique grave et de commotion interne. Ce pouvoir ne peut être exercé qu’une seule fois au cours des trois premières années de son mandat. Dans un délai maximum de sept jours après la publication du décret de dissolution, le Conseil national électoral convoque à la même date les élections législatives et présidentielles pour le reste des périodes respectives. »

[17] Lire « victoires de la gauche ou défaites de l’extrême droite ? » (9 décembre 2022) – https://www.medelu.org/Victoires-de-la-gauche-ou-defaites-de-l-extreme-droite

[18] https://wapo.st/3Wq7dLx

[19] Editorial du 10 mai 2023.

[20] Ana Karina López y Mónica Almeida La Revolución malograda. El correato por dentro, Editorial Planeta Colombia, 2023.

[21] Ecrit déjà avec Ana Karina López, le premier ouvrage d’Almeida sur le président Correa s’intitulait El Séptimo Rafael (Aperimus, Quito, 2017).

[22] https://www.eluniverso.com/opinion/columnistas/hipercronica-del-correismo-nota/

[23] Lire Anne-Dominique Correa, « Au Salvador, bitcoins, gangs et buzz présidentiel », Le Monde diplomatique, juin 2023.

[24] Nous sommes l’Eau.

[25] Sont concernés les députés Ricardo Vanegas, Gisela Molina, Mario Ruiz, Édgar Quezada, Guadalupe Llori, Rafael Lucero, Yesica Castillo, Cristian Yucailla, Rosa Cerda, Efrén Calapucha, Sofía Sánchez.

[26] Les cantons équatoriens se divisent en paroisses urbaines et rurales, représentées par les Conseils paroissiaux, qui dépendent de la Municipalité.

[27] Lire Pedro Granja, « Para unos impunidad, para otros castigo : el caso de Jorge Glas en Ecuador », Pagina12, Buenos Aires, 14 juin 2023 – https://www.pagina12.com.ar/558355-para-unos-impunidad-para-otros-castigo-el-caso-de-jorge-glas

[28] EFE, Washington, 18 mai 2023.

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LENÍN BOLTAIRE MORENO GARCÉS « LE TRAÎTRE »

 

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