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Dans le sillage de la vague verte en Argentine, des députées de l’opposition ont présenté au Parlement une proposition de loi visant à dépénaliser l’avortement. [ Augusto Pinochet a interdit l’avortement thérapeutique en 1989, pourtant autorisé dès 1931.]
par Rosa Moussaoui
« IVG : LES CHILIENNES MANIFESTENT POUR RÉTABLIR LEURS DROITS À L'AVORTEMENT » |
La marée verte qui a rendu possible la récente légalisation de l’avortement en Argentine poursuit, au Chili, son irrésistible montée. Le 13 janvier, débutait au Congrès, à l’initiative de l’opposition, l’examen d’une proposition de loi visant la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans les quatorze premières semaines. Réforme à laquelle s’oppose avec hargne le camp du président conservateur Sebastián Piñera. « Le gouvernement est contre l’avortement gratuit, l’avortement pour lequel il n’y a pas d’autre raison que la décision de la femme d’interrompre sa grossesse », a d’emblée prévenu la ministre du Développement social et de la Famille, Karla Rubilar.
Une nouvelle bataille sociale et institutionnelle difficile
Cette hostilité gouvernementale restreint la portée du texte présenté à la délibération législative : contrairement à l’exécutif, les parlementaires ne peuvent soumettre des projets de loi ayant une empreinte sur le budget ; aussi proposent-ils que « bien que cette prestation de santé ne soit pas délivrée dans les hôpitaux publics, une femme qui décide (d’avorter) à domicile ou dans une clinique privée ne devrait pas aller en prison ».
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Il n’est pas donc pas encore question ici de légalisation, ni d’accès libre et gratuit à l’IVG, mais de franchir un nouveau pas vers la dépénalisation de l’avortement. En fait, la criminalisation de l’IVG est un héritage de la dictature, qui l’a interdite sous toutes ses formes en 1989. Sous l’impulsion de la présidente socialiste Michelle Bachelet, en 2017, le Chili dépénalisait l’avortement pour trois motifs seulement : en cas de malformation du fœtus, de risque de décès de la mère ou de grossesse résultant d’un viol.
Tout de vert vêtues, en chantant « Avortement oui, avortement non, c’est à moi de décider ! », des députées de gauche ont donné le coup d’envoi de cette nouvelle bataille sociale et institutionnelle, qui s’annonce difficile. « Les avortements existent et continueront d’exister. L’arrêt des persécutions contre les adolescentes et les femmes qui n’ont pas les moyens d’avorter dans des cliniques, déguisant l’avortement en appendicite, est entre nos mains », a fait valoir, en ouvrant ce débat, Maite Orsini, présidente de la commission des Femmes et de l’Équité entre les sexes à la Chambre des députés. « Nous pouvons continuer à regarder ailleurs : ce n’est pas ainsi que les avortements clandestins dangereux cesseront, insistait, dans la même veine, la députée communiste Camila Vallejo. Nous devons faire pression pour revendiquer le droit que nous avons sur nos corps. »
Un débat qui se joue dans la rue
La puissante vague féministe qui a accompagné, l’an dernier, le soulèvement populaire contre les politiques ultralibérales léguées par la dictature d’ Augusto Pinochet n’est pas étrangère au retour de cette revendication sur la scène parlementaire. Dès l’inscription de cette proposition de loi de dépénalisation à l’ordre du jour de la Chambre des députés, à Santiago du Chili, l’influente coordination féministe 8M appelait à manifester aux portes du palais de la Moneda et faisait déployer sur la façade de la très conservatrice Université catholique, cette banderole : « Avortement libre, légal, sûr et gratuit ». « Nous espérons ouvrir un débat qui se joue dans la rue, comme cela s’est produit en Argentine, et qui déborde du Parlement », a expliqué la porte-parole de cette coordination, Karina Nohales, en appelant à « la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs comme droits fondamentaux ».
Même quand la loi l’autorise, l’exercice de ce droit n’est pas garanti
Comme en Argentine, c’est un lourd enjeu de santé publique qui est posé : 160 000 à 300 000 avortements seraient pratiqués clandestinement chaque année au Chili. Au total, 13 % des cas de décès maternels seraient dus à ces IVG de l’ombre. La situation pourrait s’être aggravée avec la pandémie de Covid-19 et le confinement, qui ont sérieusement compliqué l’accès des femmes à la contraception. Durant cette période, de nombreuses grossesses non désirées ont été signalées à l’Institut de santé publique, en lien avec des lots de pilules contraceptives défaillantes.
L’urgence d’une législation qui protège les femmes
En fait, même dans les cas où la loi autorise l’IVG, l’exercice de ce droit n’est pas garanti. D’abord, par défaut d’information : la loi interdit toute communication publique sur l’offre de services médicaux dans ce domaine. Ensuite, cette même loi reconnaît l’objection de conscience des personnels de santé – la moitié des obstétriciens refuse la pratique de l’IVG. « Cette situation contraste avec l’engagement que l’État chilien devrait avoir, conformément à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedef), visant à garantir le droit des femmes à accéder aux services de santé publique dans des conditions adéquates, fait remarquer Alexia Bórquez, membre de l’équipe d’études de l’Observatoire des droits de l’homme. Si l’avortement n’est pas légal, les femmes devraient-elles être forcées d’être mères en raison d’une erreur d’État ? Selon la législation nationale, oui. Une législation qui protège pleinement les droits des femmes et des filles est nécessaire de toute urgence, ainsi qu’un changement culturel dans la vie de tous les Chiliens attachés à la dignité. »
Pour bien des féministes chiliennes, la criminalisation de l’IVG perpétue le règne de la dictature sur le corps des femmes. La moitié des Chiliens estiment qu’il est urgent de s’extirper de cette situation archaïque. Une aspiration au changement décuplée chez les plus jeunes : 61 % des 18-30 ans se disent favorables à la dépénalisation de l’avortement.
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