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un arrêt du Tribunal constitutionnel va empêcher les Chiliennes les plus pauvres d’utiliser la pilule du lendemain et même le stérilet. Une décision qui remet en cause la politique libérale choisie par le gouvernement Bachelet.
Le député José Antonio Kast, de l’Union démocratique indépendante (UDI, extrême droite), n’avait qu’une idée en tête depuis fin 2006: empêcher le gouvernement d’autoriser la distribution de la pilule du lendemain aux jeunes filles de plus de 14 ans, avec ou sans le consentement de leurs parents. Un an plus tard, ce père de huit enfants – qui est aussi le frère de Miguel Kast, un ancien ministre de Pinochet – est parvenu à faire casser le décret de la présidente socialiste Michelle Bachelet.
Fort du soutien de 35 autres députés de l’Alliance [bloc de droite], il a présenté un recours devant le Tribunal constitutionnel, qui a annoncé sa décision le 4 avril par un communiqué. Résultat : aucune femme qui demandera cette pilule dans une consultation [du secteur public] ne pourra désormais l’obtenir.
Cette décision ramène le Chili au même niveau que l’Iran, l’Ouganda, le Costa Rica, les Philippines ou l’Equateur, où le contraceptif d’urgence est également interdit. A ceci près qu’au Chili l’interdiction ne concerne que la distribution dans le secteur public: la pilule restera en vente dans les pharmacies pour celles qui auront les moyens de la payer.
Pour s’assurer des soutiens dans sa croisade, Kast a commencé par faire du lobbying dans les couloirs du Congrès. Au début, des membres de son parti et de Rénovation nationale (RN, droite libérale) ont été séduits par son projet [de déposer un recours contre le décret du gouvernement]. Mais certains ont eu tôt fait de découvrir que l’objectif était aussi de faire interdire la distribution du stérilet, utilisé par 42,8 % des Chiliennes.
Par ailleurs, il s’agissait de déclarer anticonstitutionnel le lévonorgestrel, un composant présent dans près de 40 % des contraceptifs vendus au Chili. La décision du tribunal est en cours de rédaction et n’entrera en vigueur que le 22 avril. Mais déjà certains députés se plaignent de n’avoir eu connaissance que par la presse de la totalité du contenu de la requête qu’ils ont signée. “Je ne savais pas qu’il était aussi question du stérilet”, commente un député de Rénovation nationale, qui se demande aujourd’hui comment obtenir l’annulation de cette décision. “J’ai l’impression d’avoir aussi été un peu grugé sur la question de la pilule, car mon intention n’était pas de la faire interdire à toutes les femmes, mais seulement aux jeunes filles de moins de 18 ans.
Le recours faisait 50 pages, j’ai beaucoup de choses à faire et je ne l’ai pas lu en entier, alors j’ai fait confiance à ce que me disaient mes camarades du parti.”
Mais il est maintenant impossible de revenir en arrière et tous les députés signataires sont responsables du cours qu’ont pris les politiques de la natalité au Chili. Aucune juridiction ne permet de faire appel de cette décision. La seule possibilité est que le gouvernement propose un nouveau dispositif, qu’il soit débattu et que le tribunal statue de nouveau.
Ramiro Molina, directeur du Centre de médecine reproductive et intégrale de l’adolescent (CEMERA), affirme que la décision du tribunal, adoptée à 5 voix contre 4, est très discriminatoire. “Les trois cinquièmes les plus pauvres de la population ne peuvent pas avoir accès au secteur privé, souligne-t-il. Ce sont 1,9 million de femmes qui vont être interdites de contraception.” En termes de ségrégation géographique, le porte-parole du gouvernement, Francisco Vidal, résume la situation en ces termes : “Celles qui en ont les moyens pourront se procurer la pilule dans une pharmacie de La Dehesa [quartier huppé de Santiago]. Mais sans argent, pas de pilule.” Et ce n’est pas tout. Les détracteurs de la décision assurent que si l’on interdit les comprimés qui contiennent du lévonorgestrel, qui sont meilleur marché, cela incitera moins de femmes à acheter des contraceptifs. Ce qui favorisera les avortements clandestins, particulièrement meurtriers. La Démocratie chrétienne [DC] n’a pas voulu se prononcer sur la décision du tribunal alors même que c’est un démocrate-chrétien qui a fait pencher la balance du vote.
Mario Fernández, l’ancien ministre de la Défense de Ricardo Lagos et actuel membre du Tribunal constitutionnel, a voté en conscience, assure-t-on, sans céder à aucune pression extérieure, mais certains espéraient qu’il voterait en faveur de la politique du gouvernement. Il n’en a pas été ainsi. D’aucuns estiment que la position de la DC s’explique par sa proximité avec l’Eglise catholique, dont les pressions ont été dénoncées par les centaines de manifestants qui ont protesté jeudi 3 avril. “Eloignez vos rosaires de nos ovaires !” pouvait-on lire sur des pancartes qui promettent de se multiplier dans les semaines qui viennent.
Des membres éminents de l’Eglise catholique ont influé sur la décision finale du Tribunal constitutionnel. “Ce n’est pas un hasard si Fernando Chomalí lui-même [membre de la commission de bioéthique de la Conférence épiscopale] a participé à l’audience assis au premier rang”, commente un avocat constitutionnaliste. Même si la décision du tribunal ne peut être révoquée en appel, certains pensent qu’elle risque d’avoir un effet boomerang sur le terrain politique.