mardi, février 08, 2022

MASSACRE DU MÉTRO CHARONNE : SOIXANTE ANS APRÈS, LA MÉMOIRE S’ÉTIOLE

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PHOTO SADAK SOUICI

Analyse Le 8 février 1962, lors d’une manifestation organisée par différents mouvements de gauche contre l’Organisation de l’armée secrète (OAS), la police tue neuf syndicalistes. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’événement, une commémoration a lieu pour rendre hommage aux victimes et renouveler la mémoire de l’événement.

par Maxime Asseo 

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le 8 février 1962, à l’appel du Parti communiste français, des syndicats et d’autres mouvements de gauche, une manifestation est organisée à Paris contre les crimes et attentats de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). En fin de journée, au moment de se disperser, un cortège situé boulevard Voltaire est chargé par les brigades spéciales de la préfecture de police. Paniqués, des manifestants s’engouffrent dans la bouche du métro Charonne. Poursuivis jusque dans le métro et non armés, ils se font matraquer par les policiers qui jettent sur eux des grilles arrachées aux pieds des arbres. Neuf morts, tous membres de la CGT, et des centaines de blessés.

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Il y a soixante ans, la police française assassinait neuf personnes au métro Charonne, à Paris. Toutes étaient membres de la CGT. Toutes étaient membres du PCF, à l’exception d’une. Daniel Féry avait 15 ans, et assurait le routage de notre journal. Suzanne Martorell et Édouard Lemarchand travaillaient eux aussi à l’Humanité. Leur faute ? Qu’avaient-ils bien pu faire pour mourir étouffés dans le métro, matraqués à mort ? Pourquoi la police leur a-t-elle jeté les lourdes grilles qui entourent les arbres parisiens ? Parce qu’ils étaient venus manifester pacifiquement contre les crimes et les attentats de l’OAS, et pour le droit à l’autodétermination du peuple algérien.(L'Humanité)

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Une mémoire communiste qui s’étiole

Des années 1960 au début des années 1980, lors de la Fête du travail, une minute de silence était respectée devant le métro Charonne lors du passage du cortège, se souvient Gilles Manceron, historien spécialiste de l’histoire coloniale française. « Un rituel qui n’existe plus aujourd’hui », symbole d’une mémoire qui s’amenuise. Pour l’historien, le manque de transmission et les bouleversements démographiques sont à l’origine de cet effacement. « De nouvelles générations remplacent les anciennes, mais ne sont pas très actives dans les commémorations », juge-t-il.

Cet événement « fait partie du patrimoine syndical et communiste. Mais même si la mémoire de Charonne reste vive aujourd’hui, elle s’étiole », souligne à son tour Naïma Yahi, historienne et chercheuse associée à l’université Côte-d’Azur. « Le Parti communiste et la culture syndicale continuent de transmettre la mémoire de cet événement. Mais le PCF au début des années 1980, c’est 15 % du corps électoral. Aujourd’hui, il est crédité à 3 % aux prochaines élections. Comme il décline, son patrimoine de lutte est moins pris en compte. »

L’historienne compare cette mémoire à celle du 17 octobre 1961. Ce jour-là, des dizaines d’Algériens sont tués par la police française à Paris lors d’une manifestation du Front de libération nationale (FLN). « Cet épisode de la guerre d’Algérie fait le chemin inverse. Longtemps occultées par Charonne, les mobilisations militantes des Français issus de l’immigration algérienne permettent aujourd’hui à ce 17 octobre 1961 d’être plus connu par le grand public, comme on l’a constaté en octobre dernier lors de son soixantième anniversaire », explique Naïma Yahi.

« Mettre en récit ce qui fait la France aujourd’hui »

Des militants et des artistes s’activent toutefois pour lutter contre l’oubli. « Dans la bande dessinée Dans l’ombre de Charonne, sorti en 2012, Alain et Désirée Frappier ont restitué avec brio le souvenir d’une survivante de cet événement », illustre Gilles Manceron.

Et au-delà des commémorations, ce soixantième anniversaire pourrait être l’occasion de rouvrir les chantiers autour des pages les plus sombres de la guerre d’Algérie, selon Naïma Yahi. Un travail primordial, selon elle : « L’insécurité culturelle et le grand remplacement prônés par les mouvements identitaires ne sont que l’héritage d’une histoire et d’une mémoire qu’on ne veut pas affronter. Il faut mettre en récit ce qui fait la France d’aujourd’hui. »

DANS L’OMBRE DE CHARONNE
Planche extraite du roman graphique, Dans l’ombre de Charonne, de Désirée et Alain Frappier, préface de Benjamin Stora, Éditions du ­Mauconduit 2012, 136 p., 18,50 euros ou 12,99 euros en version numérique.

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