« JUNTOS APROBAMOS » Une nouvelle page pourrait s’écrire au Chili lors du référendum du 4 septembre, qui déterminera l’adoption ou non d’une nouvelle Constitution, estime, dans une tribune au « Monde », l’analyste politique Cristian Zamorano Guzman. Ce dernier s’inquiète néanmoins de la polarisation du pays face à un « choix binaire ». Publié aujourd’hui à 16h00
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Charles Aznavour évoquait, dans « La Bohème », « un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». En mars, au Chili, il en fut quelque peu de même lors du discours d’inauguration du nouveau président, Gabriel Boric. En plus d’être le plus jeune premier mandataire jamais élu, il a obtenu le plus grand nombre de voix de toute l’histoire du pays. La foule nombreuse a alors entonné, spontanément, le célèbre refrain de la chanson du groupe chilien Quilapayun, « El pueblo unido jamás será vencido » (« Le peuple uni jamais ne sera vaincu »), l’hymne des années de la Unidad Popular, « l’Unité populaire » – le gouvernement que dirigea Salvador Allende entre 1970 et 1973.
Le nom du président socialiste, renversé lors du coup d’Etat fomenté par Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, fut d’ailleurs le seul à être accueilli par une effusion d’applaudissements lorsque Gabriel Boric a énuméré ceux qui, à ses yeux, ont marqué l’histoire du Chili. La grande majorité des personnes présentes ce soir-là, devant le palais présidentiel, n’étaient pas encore nées au début des années 1970.
Agé de 36 ans, l’actuel président est l’enfant de la démocratie chilienne, rétablie en 1988. Cependant, il est utile de rappeler que celle-ci reste encore définie en grande partie par la Constitution de 1980, certes amendée par différentes réformes, qu’a laissée la dictature. Et il est impossible de considérer la victoire de Gabriel Boric à l’élection présidentielle sans rappeler l’« estallido social », cette « explosion sociale » ayant éclaté le 18 octobre 2019, et qui est désormais appelé le « 18-O » – une dénomination répondant au « once de septiembre » (1973).
Nouveau contrat social
Ce soulèvement populaire s’est étendu à l’ensemble du pays et les manifestations massives qui s’ensuivirent (plus d’un million de personnes dans la rue) avaient pour dénominateur commun le rejet du système établi par la Constitution de 1980. La situation fut chaotique durant plusieurs mois – jusqu’à ce que le Covid-19 et le confinement ne parviennent à freiner le phénomène. Entre-temps, en novembre 2019, les représentants du pouvoir législatif réunis au sein du Congrès national avaient décidé de proposer par référendum la rédaction d’une nouvelle Constitution, à travers une Convention constitutionnelle démocratiquement élue.
Si, en France, Emmanuel Macron a réussi, pour être élu, à faire exploser le schéma traditionnel des partis, cela a davantage été le fruit d’une intuition politique et stratégique que d’une poussée progressive sociale portée par l’activisme politique de toute une génération. Dans le cas du Chili, une certaine jeunesse est arrivée au pouvoir en mars 2022 – celle-là même qui se manifeste dans les rues, politiquement, depuis deux décennies maintenant. Les figures de l’actuel gouvernement, qui représentent l’avant-garde, sont les enfants du mouvement « pingüino » (« pingouin », allusion aux tenues blanches et noires des écoliers) de 2006, qui discutait le système d’éducation primaire. Ce sont les adolescents du mouvement étudiant qui a eu lieu cinq ans après, en 2011. Ce sont ces mêmes jeunes qui deviendront parlementaires, en 2013.
Rien de plus logique qu’après « el estallido » et un confinement qui a vu les disparités sociales augmenter, ils arrivent à la tête du pays en mars 2022. Et qu’ils soutiennent vivement la Convention constitutionnelle soumettant son texte à un plébiscite d’approbation, le 4 septembre. Si de nombreux paradigmes changent, il est logique d’établir un nouveau contrat social. Car cette génération ne cesse de prendre à contre-pied la culture dominante qui régnait jusqu’alors.
« YA NO HABRÁ LUNA DE MIEL »
INTERPRÉTÉ PAR LUIS ALBERTO MARTINEZ
Ligne de fracture
Presque six mois après le début de son mandat, la cote de popularité du jeune président a considérablement chuté, n’ayant quasiment pas pu bénéficier de la fameuse « lune de miel » des cent premiers jours. En cause, de multiples facteurs : le contexte économique délétère, une installation tardive du gouvernement, la délinquance qui ne cesse de croître, et la problématique de la communauté des Mapuches, un des peuples autochtones du Chili, dans le sud du pays, dont les revendications ont été mal gérées. Signalons également le phénomène migratoire, essentiellement vénézuélien, qui s’accentue – soulevant de nombreuses polémiques dans la population locale.
Plus de trente ans après la transition démocratique, face au choix binaire qui lui est proposé, le pays se retrouve polarisé à l’approche du plébiscite. Si la ligne de démarcation à laquelle nous assistons pousse davantage de personnes vers le centre gauche que lors de l’avènement de Pinochet, une ligne de fracture assimilable à ce qui s’est produit à cette époque est clairement visible. Elle est certes de moindre intensité, ce qui constitue en soi une avancée.
Mais au final, qu’on le veuille ou non, consciemment ou inconsciemment, c’est aussi la survivance de l’héritage de Pinochet dont il est question ici. Et si l’option de la nouvelle Constitution l’emporte, près de cinquante ans après le coup d’Etat du 11 septembre 1973, une nouvelle page pour le Chili s’écrira à partir du 5 septembre – car le lien institutionnel qui existait encore avec la dictature serait cette fois-ci totalement rompu. Un véritable saut dans l’inconnu, plein d’incertitudes et de doutes, mais non dénué d’espoir et de convictions. La fin d’un cycle, et le début d’une ère nouvelle.
Cristian Zamorano Guzman est docteur en sciences politiques de l’université Sorbonne-Nouvelle Paris-III, consultant privé et analyste politique au Chili.
Cristian Zamorano Guzman (Analyste politique)
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RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION CHILI 4S 2022 « J'APPROUVE » |