dimanche, février 23, 2025

CHILI / LE RETOUR AU PAYS DES ENFANTS ADOPTÉS ILLÉGALEMENT À L'ÉTRANGER

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L'AMÉRICAINE ADAMARY GARCÍA (G) ACCUEILLIE PAR SA MÈRE
BIOLOGIQUE  EDITA BIZAMA  À SON ARRIVÉE À L'AÉROPORT
INTERNATIONAL DE SANTIAGO,  LE 22 FÉVRIER 2025 AU CHILI
PHOTO RODRIGO ARANGUA

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Chili / le retour au pays des enfants adoptés illégalement à l'étranger / 
Santiago du Chili (AFP) – Quarante ans après avoir été séparées de force, Adamary Garcia et sa mère biologique se sont retrouvées samedi à l'aéroport de Santiago.

Par France 24 avec l'AFP
23/02/2025 6 min

leur longue et émouvante étreinte illustre le drame des milliers de bébés chiliens illégalement adoptés à l'étranger.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

"Le plus dur est passé", s'est exclamée Edita Bizama, 64 ans, en relâchant enfin sa fille.

Vêtue d'une chemise blanche à manches courtes, Adamary Garcia, 41 ans, a débarqué à Santiago avec quatre autres Chiliennes adoptées illégalement comme elle aux États-Unis.

Elle est arrivée en provenance de Porto Rico, où elle travaille dans le secteur financier.

En route pour ces retrouvailles, elle s'est entretenue avec l'AFP dans un hôtel de Houston, au Texas.

C'est en pleurs qu'elle a raconté comment, à huit ans, elle a découvert par hasard son adoption, un fait qu'elle a ensuite "mis de côté".

Aujourd'hui, elle voit les choses différemment : "J'ai de la chance. J'ai ma mère et mon père, et maintenant une autre mère et trois frères et soeurs".

L'AMÉRICAINE ADAMARY GARCIA LORS D'UNE INTERVIEW
 AVEC L'AFP À HOUSTON, AU TEXAS, LE 21 FÉVRIER 2025
PHOTO RONALDO SCHEMIDT 

Elle raconte s'être reconnue, dès le premier appel vidéo, dans le visage de sa mère. "Je me suis dit : +ça c'est moi, c'est comme ça que je serai+" plus tard.

En octobre, elle a obtenu la confirmation de ses origines grâce à un test ADN, puis a organisé les retrouvailles au Chili avec l'aide de Connecting Roots, une fondation qui depuis 2021 aide à retrouver les familles de Chiliens enlevés à la naissance et adoptés aux États-Unis.

-Manipulation"-

Adamary fait partie des 20.000 enfants séparés de leur mère entre 1950 et 1990 au Chili, selon un rapport du juge chargé de l'affaire à l'époque, Mario Carroza.

L'AMÉRICAINE ADAMARY GARCÍA (2E G) ACCUEILLIE PAR SA MÈRE
BIOLOGIQUE, EDITA BIZAMA (C), SON FRÈRE ET SES DEUX SŒURS
BIOLOGIQUES, À SON ARRIVÉE À L'AÉROPORT INTERNATIONAL
 DE SANTIAGO, LE 22 FÉVRIER 2025 AU CHILI
PHOTO RODRIGO ARANGUA

La plupart de ces séparations ont eu lieu sous la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), selon des documents judiciaires.

À ce jour, aucune condamnation n'a été prononcée dans cette affaire, orchestrée par une véritable mafia impliquant des médecins, des travailleurs sociaux et des juges.

À certaines mères, après avoir accouché, on annonçait que leur bébé "était mort sans jamais leur rendre le corps", explique à l'AFP Juan Luis Insunza, vice-président de Connecting Roots.

D'autres mères "ont été manipulées pour donner (leur enfant) en adoption, par le biais de ruses, pressions ou menaces", ajoute-t-il, précisant que les victimes étaient principalement des femmes pauvres.

L'AMÉRICAINE ADAMARY GARCÍA (G) ACCUEILLIE PAR SA MÈRE
BIOLOGIQUE EDITA BIZAMA À SON ARRIVÉE À L'AÉROPORT
INTERNATIONAL DE SANTIAGO, LE 22 FÉVRIER 2025 AU CHILI
PHOTO RODRIGO ARANGUA 

Leur bébé était confié à des étrangers prêts à payer jusqu'à 40.000 dollars pour une adoption présentée comme légale.

Sa fondation a résolu 36 cas. Celui d'Adamary a commencé à se dénouer en 2024, après qu'elle ait lu un rapport sur le vol de bébés au Chili.

Aujourd'hui, elle affirme ne nourrir aucun ressentiment, mais "seulement de l'amour", estimant que tant sa mère biologique que sa mère adoptive "sont des victimes".

-"Enlevée des bras"-

Avant les retrouvailles à Santiago, Edita Bizama a raconté son drame à l'AFP dans le port de San Antonio, à 100 km de Santiago, face à la mer.

EDITA BIZAMA, LA MÈRE BIOLOGIQUE DE L'AMÉRICAINE ADAMARY GARCIA,
LORS D'UNE INTERVIEW AVEC L'AFP AU PORT DE SAN ANTONIO, DANS
LA RÉGION DE VALPARAISO, AU CHILI, LE 20 FÉVRIER 2025
PHOTO RODRIGO ARANGUA

Lorsque sa fille est née en 1984, elle avait 23 ans, deux enfants à élever et travaillait comme employée de maison à Quintero, une ville éloignée de la capitale.

"Je travaillais pour nourrir mes enfants. C'est tout ce qui comptait", confie-t-elle le regard empreint de tristesse.

Malgré les difficultés, elle avait décidé d'avoir un troisième enfant, mais une assistante sociale lui dit qu'elle ne pourrait pas l'élever à cause de sa situation précaire.

L'AMÉRICANO-CUBAINE DORIA GARCIA, MÈRE ADOPTIVE D'ADAMARY GARCIA,
CHEZ ELLE À COCONUT CREEK, EN FLORIDE, LE 19 FÉVRIER 2025
PHOTO CHANDAN KHANNA 

Lorsque l'accouchement a eu lieu, "ils avaient déjà préparé tous les papiers". "Ils m'ont emmenée de l'hôpital à un bureau ou un tribunal, ont pris mes coordonnées et ont emporté le bébé. Ils me l'ont pratiquement arraché des bras", sanglote-t-elle.

Dans l'appartement de Doria Garcia, une Américano-cubaine de 80 ans vivant à Coconut Creek, en Floride, les photos d'Adamary abondent à côté des drapeaux des États-Unis, de Cuba et du Chili.

En 1984, elle s'est rendue dans le pays sud-américain pour accueillir sa fille de trois mois, qu'elle venait d'adopter, après avoir accompli "les formalités normales", assure-t-elle.

L'AMÉRICANO-CUBAINE DORIA GARCIA, À CÔTÉ D'UNE PHOTO DE SA FILLE
 ADOPTIVE  ADAMARY GARCIA, CHEZ ELLE À COCONUT CREEK, EN FLORIDE,
 LE 19 FÉVRIER 2025
PHOTO CHANDAN KHANNA

"Je garde son visage gravé dans ma mémoire, son sourire, lorsqu'on me l'a remise", se souvient l'ancienne assistante médicale, qui a appris l'existence des bébés volés au Chili par sa fille.

Aujourd'hui, elle se dit heureuse que cette dernière ait pu retrouver sa famille biologique. "C'est merveilleux d'avoir une famille qui apparaît soudainement comme ça". bur-ps/vel/sf/cm


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¿Dónde está Julia Chuñil?

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    vendredi, février 21, 2025

    ANNIVERSAIRE DU MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE

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    PHOTO ANDREW BECRAFT

    1848 - 21 FÉVRIER - 2025
    177ème ANNIVERSAIRE DU 
    MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE
    Le Manifeste du Parti communiste est un opuscule d'une cinquantaine de pages publié anonymement à Londres le 21 février 1848. En dépit de sa minceur, il va inspirer presque tous les mouvements révolutionnaires du XXème siècle. Ses auteurs Karl Marx et Friedrich Engels n'en revendiqueront la paternité qu’en 1872. Karl Marx, âgé de seulement trente ans à sa publication, y exprime déjà l'essentiel de sa philosophie. Il réduit l'histoire de l'humanité à la lutte des classes et explique ses rebondissements par des facteurs économiques. Il pronostique l’avènement prochain du communisme et la fin de l'Histoire, considérant que le capitalisme provoque inconsciemment sa propre fin.

     
    «THE COMMUNIST MANIFESTO» CANTATE (OPUS 82) 1932, 

    ERWIN SCHULHOFF, 
    Cantate pour solistes, chœur et orchestre Texte / Texte : Karl Marx & Friedrich Engels  

    FAC-SIMILÉ DE LA COUVERTURE
    DE L'ÉDITION ORIGINALE
    Le Manifeste paraît la veille de la révolution qui va emporter le roi des Français Louis-Philippe, signe de ce que les temps sont effectivement agités. Il débute sur une assertion quelque peu prémonitoire : « Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne ». 

    Il s'achève sur ce programme : «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Quelques semaines plus tôt, Tocqueville, un penseur conservateur mais au moins aussi lucide, avait déjà mis en garde ses contemporains contre l'avènement d'un conflit de classes! 
    KARL MARX
    À propos
    FAC-SIMILÉ DE LA COUVERTURE
    DE L'ÉDITION FRANÇAISE DE 2004

    « On ne peut prétendre que quelques belles pages peuvent à elles seules changer la face du monde. L'œuvre de Dante tout entière n'a pas suffi à rendre un saint empereur romain aux Communes italiennes. Toutefois, lorsque l'on parle de ce texte que fut le Manifeste du Parti communiste publié par Marx et Engels en 1848 et qui a, indéniablement, exercé une influence considérable sur deux siècles d'histoire, je pense qu'il faut le relire du point de vue de sa qualité littéraire ou, du moins, de son extraordinaire structure rhétorique et argumentative.» Umberto Eco


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    jeudi, février 20, 2025

    BLACKLISTÉ – SUR LE RAPPORT FASCISTE DE TRUMP AU LANGAGE

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    ILLUSTRATION AOC

    Blacklisté – sur le rapport fasciste de Trump au langage / L’action de Donald Trump sur le langage a déjà commencé. Le président des États-Unis renomme des réalités géographiques et proscrit certains mots des textes officiels et des articles scientifiques. Cette action sur le langage prend racine dans les pires instincts du fascisme et dans un « capitalisme linguistique » prédateur. Que ferons-nous lorsque nous n’aurons plus de mots pour qualifier l’effroyable ? [ « Big brother et/ou novlangue »]


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    L'ÉMISSION «JE REVIENS DU MONDE D'AVANT»
     «Trump, un rapport "fasciste" au langage» 
    PAR NICOLAS DEMORAND,  PUBLIÉ LE MARDI 25 FÉVRIER 2025 

    Par Olivier Ertzscheid

    OLIVIER ERTZSCHEID

    Encore des mots, toujours des mots, rien que des mots. C’est une guerre sur la langue, sur le vocabulaire, sur les mots, sur la nomination et la dénomination possibles. Sur ce qu’il est ou non possible de nommer. Une guerre avec ses frappes. Une guerre particulière car lorsque ce sont des mots qui sautent, c’est toute l’humanité qui est victime collatérale directe et immédiate.

    ► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

    Au lendemain de son accession au pouvoir et dans la longue liste des décrets de turpitude de cet homme décrépit, Trump, donc, annonçait vouloir changer le nom d’un golfe, d’une montagne et d’une base militaire.

    CAPTURE D'ÉCRAN X DE LA MAISON-BLANCHE

    Le golfe, c’est celui du Mexique, que Trump a voulu renommer golfe d’Amérique. L’enjeu, c’est d’ôter symboliquement cette dénomination à la population mexicaine qu’il assimile totalement à un danger migratoire. Il y est parvenu.

    La montagne, c’est le mont Denali, situé en Alaska. Anciennement mont McKinley, il avait été rebaptisé, en 2015, par Barack Obama, selon le souhait des populations autochtones. L’enjeu est donc, ici, une nouvelle fois, de réaffirmer la primauté de l’Amérique blanche. Il n’y est pas parvenu, le Sénat de l’Alaska ayant voté contre.

    La base militaire, c’est celle de Fort Liberty, anciennement Fort Bragg, du nom d’un ancien général confédéré, symbole du passé esclavagiste des États-Unis, nom que l’administration Biden avait modifié, tout comme ceux de neuf autres bases pour les mêmes raisons. Trump l’a renommée Fort Bragg. Et son ministre de la Défense a annoncé que les autres bases militaires « dénommées » seraient, de la même manière et pour les mêmes motifs, « renommées ». Et le passé esclavagiste des États-Unis, ainsi « honoré ».

    Un monde exonyme. C’est-à-dire un monde dans lequel « un groupe de personnes dénomme un autre groupe de personnes, un lieu, une langue par un nom distinct du nom régulier employé par l’autre groupe pour se désigner lui-même ».

    Je leur dirai les mots noirs

    Une liste. De mots interdits. De mots à retirer. De mots qui, si vous les utilisez dans un article scientifique ou sur des sites web en lien quelconque avec une quelconque administration étatsunienne, vous vaudront, à votre article, à votre site, et donc, aussi, à vous-même, d’être « flaggé », d’être « signalé » et, ensuite, possiblement, « retiré ».

    Comme cela a été révélé par The Washington Post, un arbre de décision, un logigramme a aussi été envoyé aux responsables des programmes scientifiques de la Fondation nationale pour la science (National Science Foundation) leur indiquant à quel moment prendre la décision de « couper » le déclenchement d’un financement si l’un des mots de la liste interdite apparaissait dans le descriptif général du projet, dans son titre, dans son résumé, etc. Une purge fasciste.

    Des mots qui, dans la tête de Trump, ont vocation à disparaître dans le présent inconditionnel qu’il instaure comme un temps politique majeur.

    La liste est longue. Elle mérite d’être affichée. Archivée. Mémorisée. Engrammée. Car Trump n’aime pas les archives. Il efface aussi des données. Ces mots-là :

    activism, activists, advocacy, advocate, advocates, barrier, barriers, biased, biased toward, biases, biases towards, bipoc, black and latinx, community diversity, community equity, cultural differences, cultural heritage, culturally responsive, disabilities, disability, discriminated, discrimination, discriminatory, diverse backgrounds, diverse communities, diverse community, diverse group, diverse groups, diversified, diversify, diversifying, diversity and inclusion, diversity equity, enhance the diversity, enhancing diversity, equal opportunity, equality, equitable, equity, ethnicity, excluded, female, females, fostering inclusivity, gender, gender diversity, genders, hate speech, hispanic minority, historically, implicit bias, implicit biases, inclusion, inclusive, inclusiveness, inclusivity, increase diversity, increase the diversity, indigenous community, inequalities, inequality, inequitable, inequities, institutional, LGBT, marginalize, marginalized, minorities, minority, multicultural, polarization, political, prejudice, privileges, promoting diversity, race and ethnicity, racial, racial diversity, racial inequality, racial justice, racially, racism, sense of belonging, sexual preferences, social justice, sociocultural, socioeconomic, status, stereotypes, systemic, trauma, under appreciated, under represented, under served, underrepresentation, underrepresented, underserved, undervalued, victim, women, women and underrepresented.

    Diversité, équité et inclusion (DEI), contre laquelle Trump entre en guerre. Guerre qu’il remporte avec l’appui de son administration, mais aussi et surtout de tout un large pan de l’industrie médiatique et numérique. La science aux ordres du pouvoir.

    « Erase, Baby, Erase! »

    Il faut effacer. « Erase, Baby, Erase! »

    Comme Anne-Cécile Mailfert le rappelait dans sa chronique sur France Inter : « [L’administration de Trump] ne se contente pas de sabrer dans les budgets de la recherche ou de nier les faits scientifiques. Elle tente de supprimer les données qui la dérangent. Les indices de vulnérabilité sociale du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies ? Supprimés. Les pages du ministère des Transports sur l’égalité, le genre et le climat ? Évaporées. Les études sur la santé publique qui mettent en lumière les inégalités croisées ? Effacées. Imaginez un immense autodafé numérique, où ce ne sont plus des livres qu’on brûle, mais des sites web, des pages Internet, des index, des bases de données. »

    Trump et son administration ne se contentent pas de faire disparaître des informations. Ils empêchent que de nouvelles soient créées. Les chercheurs qui souhaitent être financés par l’État fédéral doivent maintenant éviter des termes comme « diversité », « inclusion », « femme », « LGBTQI », « changement climatique ». Imaginez des scientifiques contraints de parler d’ouragans sans pouvoir mentionner le climat, d’étudier les inégalités sans pouvoir dire « femme » ou « racisme ». C’est Orwell qui rencontre Kafka dans un épisode de Black Mirror.

    Du côté de l’Agence nationale de la sécurité (National Security Agency, NSA), c’est le « Big Delete », le grand effacement. Des pages et des sites entiers qui disparaissent, puis qui, parfois, réapparaissent sans jamais être capables de dire précisément ce qui a entretemps été modifié ou supprimé ou réécrit…

    Ingénieries de l’effacement

    Il y a donc le langage, et puis il y a l’ensemble des ingénieries de l’effacement des mots, du travestissement de la langue, de la dissimulation du sens. Au premier rang desquelles les ingénieries du numérique. Dans l’une des dernières livraisons de sa newsletter « Cybernetica », Tariq Krim rappelait comment « lorsque vous utilisez Google Maps aux États-Unis, […] l’application affiche désormais Gulf of America pour les utilisateurs américains, tout en conservant Gulf of Mexico pour les utilisateurs mexicains et en affichant les deux noms ailleurs ».

    Jusque-là, le numérique et Google ne sont coupables de rien, ils se contentent d’appliquer les règles du droit. Mais ce faisant, bien sûr, ils s’exposent. Et la manière dont ils répondent à cette exposition est une entrave considérable à nos propres dénominations, à nos capacités à négocier ces dénominations au cœur même des espaces qui les mobilisent et les activent. Ainsi Tariq Krim rappelait-il également que, « maintenant, Google Maps empêche les utilisateurs de laisser des avis sur cet emplacement. Cette restriction intervient après une vague de critiques et de review-bombing, où des centaines d’utilisateurs ont attribué une étoile à l’application pour dénoncer ce changement ».

    Et puis il est d’autres exemples dans lesquels ce sont cette fois ces acteurs du numérique eux-mêmes qui se placent en situation de complaire aux politiques fascisantes en cours, non qu’ils en épousent nécessairement l’idéologie, mais par ce qui relève a minima d’une opportune lâcheté alignée sur un opportunisme économique. Ainsi de la décision de Meta, donc de Zuckerberg, de revenir – rien ne l’y obligeait – sur ses propres politiques en termes de DEI ; ainsi de la décision de Google – rien ne l’y obligeait non plus – de supprimer de Google Calendar l’affichage par défaut d’événements liés à la Gay Pride, au Black History Month, supprimant aussi les rappels calendaires suivants : « Indigenous People Month, Jewish Heritage, Holocaust Remembrance Day, and Hispanic Heritage. »

    Les LGBTQIA+, les Noirs, les peuples indigènes, les Juifs et les Latinos. Le tout dans un monde où un salut nazi n’est plus seulement inqualifiable sur le plan de l’éthique et de la morale, mais dans un monde où plus personne ne semble capable de simplement le qualifier pour ce qu’il est.

    Un grand remplacement documentaire et linguistique

    Il y a les données, les discours, les dates et les mots qui s’effacent, que Trump et Musk, notamment, effacent. Effacent et remplacent. Et il y a le grignotage en cours des espaces, notamment numériques, dans lesquels les contenus « générés artificiellement » sont un grand remplacement documentaire. Des contenus générés artificiellement, un web synthétique qui non seulement gagne du terrain, mais qui a la double particularité, d’une part, de se nourrir d’archives et, d’autre part, d’être totalement inféodé aux règles de génération déterminées par les entreprises qui le déploient. Or ces archives, et ce besoin de bases de données pour être entraîné et pour pouvoir générer des contenus ; ces archives et ces bases de données sont en train d’être littéralement purgées de certains contenus. Et les règles de génération sont, de leur côté, totalement inféodées à des idéologies fascisantes, qui dictent leur agenda.

    Une boucle paradoxale dans laquelle les mêmes technologies d’intelligence artificielle utilisées pour générer des contenus jusqu’au-delà de la saturation sont également mobilisées et utilisées pour rechercher, détecter et supprimer les mots interdits. Et, à partir de là, de nouveau générer des contenus à saturation, mais, cette fois, exempts autant qu’exsangues de cette langue et de ces mots.

    La certitude d’une ingérence

    Avec ce que révèle et met en place le second mandat de Trump, avec l’évolution de la marche du monde qui l’accompagne et sa cohorte de régimes autoritaires, illibéraux ou carrément dictatoriaux d’un bout à l’autre de la planète, nous sommes à ce moment précis de bascule où nous mesurons à quel point tout ce qui jusqu’ici était disqualifié comme discours catastrophiste ou alarmiste se trouve soudainement requalifié en discours simplement programmatique.

    Et l’abîme qui s’ouvre devant nous est vertigineux. Que fera une administration, celle de Trump, aujourd’hui, ou une autre, ailleurs, demain ; que fera une telle administration de l’ensemble de ces données, aussi bien d’ailleurs de celles qu’elle choisit de conserver que de celles qu’elle choisit d’effacer ? Je l’avais documenté dans, notamment, ma série d’articles sur le mouvement des Gilets jaunes, et plus particulièrement dans celui intitulé « Après avoir liké, les Gilets jaunes vont-ils voter ? ». Il faut s’en rappeler aujourd’hui : « Quelle que soit l’issue du mouvement, la base de donnée “opinion” qui restera aux mains de Facebook est une bombe démocratique à retardement… Et nous n’avons à ce jour absolument aucune garantie qu’elle ne soit pas vendue à la découpe au(x) plus offrant(s). »

    Et ce qui est aux mains de Facebook est aujourd’hui aux mains de Trump. Le ralliement de Zuckerberg (et de l’ensemble des patrons des Big Tech) à Trump, l’état de la démocratie étatsunienne autant que les enjeux à l’œuvre dans le cadre de prochaines élections européennes et françaises ne laissent pas seulement « entrevoir » des « possibilités » d’ingérence, mais ils les constituent en certitude, certitude que seule limite – pour l’instant – l’incompétence analytique de ceux qui mettent en place ces outils de captation et leurs infrastructures techniques toxiques (ladite incompétence analytique pouvant aussi entraîner nombre d’autres errances et catastrophes).

    Dans un autre genre, et alors que la Ligue des droits de l’homme vient de déposer plainte, en France, contre Apple, au sujet de l’enregistrement (non-consenti) de conversations via son assistant vocal, Siri, et que l’on sait que ces enregistrements non-consentis couvrent toute la gamme des acteurs qui proposent de tels assistants vocaux et leur palette d’enceintes connectées, c’est-à-dire vont d’Apple à Amazon en passant par Facebook, Microsoft et Google, et par-delà ce qu’Olivier Tesquet qualifie de « Watergate domestique », qu’est-ce qu’une administration qui efface des mots, qui en interdit d’autres, qui réécrit des sites ou modifie et invisibilise des pans entiers de la recherche scientifique, qu’est-ce que ce genre d’administration est capable de faire de l’ensemble de ces conversations enregistrées, qui relèvent de l’intime et du privé ?

    Il semble que nous n’ayons finalement rien appris, rien retenu et, surtout, rien compris de ce qu’ont révélé Edward Snowden et Julian Assange. Ils montraient la surveillance de masse et nous regardions le risque d’une surveillance de masse. Ils montraient le danger du politique et nous regardions le danger de la technique. Il est en tout cas évident que, malgré les lanceurs d’alerte qui ont mis leur réputation et parfois leur vie en danger, malgré le travail tenace et sans relâche des militantes et militants des libertés numériques, rien de tout cela, semble-t-il, n’a été suffisant.

    Calculer la langue

    Orwell en a fait un roman, d’immenses penseurs ont réfléchi à la question de la propagande, à celle de la langue et du vocabulaire à son service. Aujourd’hui, en terre numérique et à l’aune de ce que l’on qualifie bien improprement d’« intelligence artificielle », en héritage, aussi, du capitalisme linguistique théorisé par Frédéric Kaplan ; aujourd’hui, la langue est attaquée à une échelle jamais atteinte. Aujourd’hui, tout comme les possibilités de propagande, les possibilités de censure, d’effacement, de détournement n’ont jamais été aussi simples et aussi massives, elles n’ont jamais été autant à disposition commode de puissances accommodantes et jamais l’écart avec les possibilités d’y résister, d’y échapper, de s’y soustraire ou même, simplement, de documenter ces effacements, ces travestissements et ces censures ; jamais cet écart n’a été aussi grand.

    En partie parce que les puissances calculatoires sont aujourd’hui en situation et en capacité d’atteindre la langue dans des mécanismes de production demeurés longtemps incalculables. On appelle cela, en linguistique de corpus et dans le traitement automatique du langage, les « entités nommées », c’est-à-dire cette capacité « à rechercher des objets textuels (c’est-à-dire un mot, ou un groupe de mots) catégorisables dans des classes telles que noms de personnes, noms d’organisations ou d’entreprises, noms de lieux, quantités, distances, valeurs, dates, etc. » Le travail sur ces entités nommées existe depuis les années 1990 ; elles ont été la base de tous les travaux d’ingénierie linguistique et sont actuellement l’un des cœurs de la puissance générative qui fait aujourd’hui illusion au travers d’outils comme ChatGPT : la recherche, la détection, l’analyse et la production sous stéroïdes d’entités nommées dans des corpus documentaires de l’ordre de l’aporie, c’est-à-dire à la fois calculables linguistiquement mais incommensurables pour l’entendement.

    Quand il n’y aura plus rien à dire, il n’y aura plus rien à voter

    En conclusion, il semble important de redire, de réexpliquer et de réaffirmer qu’à chaque fois que nous utilisons des artefacts génératifs et qu’à chaque fois que nous sommes confrontés à leurs productions (en le sachant ou sans le savoir), nous sommes, avant toute chose, face à un système de valeurs.

    ILLUSTRATION DE WIRED
    Un article récent de Wired se fait l’écho des travaux de Dan Hendrycks, directeur du Center for AI Safety, et de ses collègues (l’article scientifique complet est également disponible en ligne en version preprint) : « Hendrycks et ses collègues ont mesuré les perspectives politiques de plusieurs modèles d’IA de premier plan, notamment Grok de xAI, GPT-4o d’OpenAI et Llama 3.3 de Meta. Grâce à cette technique, ils ont pu comparer les valeurs des différents modèles aux programmes de certains hommes politiques, dont Donald Trump, Kamala Harris, Bernie Sanders et la représentante républicaine Marjorie Taylor Greene. Tous étaient beaucoup plus proches de l’ancien président Joe Biden que de n’importe lequel des autres politiciens. Les chercheurs proposent une nouvelle façon de modifier le comportement d’un modèle en changeant ses fonctions d’utilité sous-jacentes au lieu d’imposer des garde-fous qui bloquent certains résultats. En utilisant cette approche, Hendrycks et ses coauteurs développent ce qu’ils appellent une “assemblée citoyenne”. Il s’agit de collecter des données de recensement américaines sur des questions politiques et d’utiliser les réponses pour modifier les valeurs d’un modèle LLM open-source. Le résultat est un modèle dont les valeurs sont systématiquement plus proches de celles de Trump que de celles de Biden [NdA : traduction de DeepL et moi-même]. »

    En forme de boutade, je pourrais écrire que cette expérimentation qui tend à rapprocher le grand modèle de langage (Large Language Model, LLM) des valeurs de Donald Trump est, pour le coup, enfinune intelligence vraiment artificielle.

    En forme d’angoisse – et c’est, pour le coup, l’une des seules et des rares qui me terrifie sincèrement et depuis longtemps –, je pourrais également écrire que jamais nous n’avons été aussi proche d’une expérimentation grandeur nature de ce que décrit Asimov dans sa nouvelle intitulée « Le Votant ». Plus rien, technologiquement, n’empêche en tout cas de réaliser le scénario décrit par Asimov, à savoir un vote totalement électronique dans lequel un « super ordinateur » (Multivac dans la nouvelle) serait capable de choisir un seul citoyen américain considéré comme suffisamment représentatif de l’ensemble de tout un corps électoral sur la base d’analyses croisant la fine fleur des technologies de data mining et d’intelligence artificielle.

    On peut même tout à fait imaginer l’étape d’après la nouvelle d’Asimov, une étape dans laquelle l’ordinateur seul serait capable de prédire et d’acter le vote, un monde dans lequel il n’y aurait tout simplement plus besoin de voter. Précisément le monde de Trump, qui se faisait augure de cette possibilité : « Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter. »

    En forme d’analyse, le seul enjeu démocratique du siècle à venir et des élections qui vont, à l’échelle de la planète, se dérouler dans les dix ou vingt prochaines années sera de savoir au service de qui seront mis ces grands modèles de langage. Et, avant cela, de savoir s’il est possible de connaître leur système de valeurs. Et, pour cela, de connaître celles et ceux qui décident de ces systèmes de valeurs et de pouvoir leur en faire rendre publiquement compte. Et, pour cela, enfin, de savoir au service et aux intérêts de qui travaillent celles et ceux qui décident des systèmes de valeurs de ces machines de langage, machines de langage qui ne seront jamais au service d’autres que celles et ceux qui en connaissent, en contrôlent et en définissent les systèmes de valeurs.

    Et quand il n’y aura plus rien à dire, il n’y aura plus à voter.

    Olivier Ertzscheid

    Chercheur en sciences de l'information et de la communication, Maître de conférences à l'université de Nantes (IUT de La Roche-sur-Yon) 

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      mercredi, février 19, 2025

      FASCISME, DÉFINITION

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      « RITMI DI ATMOSFERA FASCISTA »
      (RYTHMES D’AMBIANCE FASCISTE), 1938.

       VEROSSI (ALBINO SIVIERO)
      Fascisme, définition / Il devrait commencer à être assez clair, quand des milices défilent dans Paris au cri de « Paris est nazi », et poignardent des militants de gauche, que ce vers quoi nous nous dirigeons mérite d’être appelé « fascisme ». C’est clair, et en même temps pas encore si clair. Il se trouve que dans l’épisode en question, la référence historique directement convoquée, il n’y a pas matière à interpréter sans fin. C’est d’ailleurs bien le drame qu’il faille des affichages aussi nettement reconnaissables pour que le commentaire concède « fascisme ». Il faudra probablement les croix gammées au fronton des édifices publics pour que La Nuance accorde le danger d’une dérive fasciste – pour l’heure, on consent à dire « illibéral », et encore : les jours de grande ébriété politique. Il est vrai que certains en sont toujours, quatre-vingts ans plus tard, à dénier, contre la collaboration et les rafles, qu’il y eut quoi que ce soit comme un fascisme français.

      par Frédéric Lordon
      19 février 2025

      FRÉDÉRIC LORDON
       PARIS, NOVEMBRE 2018
      PHOTOST ÉPHANE BURLOT

      Le refus d’obstacle n’est malheureusement pas circonscrit à la presse bourgeoise. Pour des raisons qui tiennent à des exigences supposées de rigueur historique et à des arrière-pensées politiques moins avouables, de nombreux secteurs de la gauche critique ne veulent simplement pas dire « fascisme » – c’est qu’une « panique fasciste » est mauvaise conseillère, fait les ruées électorales et les fronts républicains assemblés n’importe comment, bref l’errance des masses. Voilà pour les arrière-pensées politiques. Quant aux exigences de rigueur, on les abrite derrière Poulantzas, Marx ou Gramsci – alors on dit : « État autoritaire », « bonapartisme » ou « césarisme ». Mais surtout pas « fascisme ».

      ► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

      Or, nous sortons du « bonapartisme » ou du « césarisme » quand l’État autoritaire se branche sur l’élément raciste au-delà d’un certain seuil – car, « branché », il l’est quasi constitutivement, en tant qu’État du capital, par conséquent, État racial (1), depuis les prédations de l’accumulation primitive jusqu’au traitement contemporain des populations issues de la colonisation ou de l’esclavage. Il y a, pour autant, des franchissements de seuil qui font des différences qualitatives, ainsi quand le racisme systémique d’État commence à se formuler dans la modalité systématique de la déportation. La formulation est désormais explicite dans les États-Unis de Trump, elle ne tardera pas à le devenir dans la France de Le Pen-Retailleau. Dans les deux cas, l’alliance du charter et de la tronçonneuse a de l’avenir – accessoirement on verra bien jusqu’à quand le PS fera semblant de ne rien remarquer.

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      Il n’est même pas certain que cette évolution pourtant aveuglante suffise à désarmer les réticences, et ceci tant que tout le saint-frusquin fasciste, uniformes, brassards et oriflammes, ne se voit pas à nouveau dans les rues (et quand bien même il commence à y être déjà…). Il est vrai que la fixation sur les signes extérieurs répertoriés par l’Histoire et bien identifiés demeure l’obstacle principal à faire reconnaître le même quand il se donne sous une forme autre. S’il n’avait pas prévu la variante « immobilière » du trumpisme, Orwell avait pourtant mis en garde contre les résurgences méconnaissables : le fascisme en « chapeau melon et parapluie roulé » – ou bien en casquette rouge « MAGA ». C’était là l’essentiel, et comme il n’a pas été entendu, le fascisme est demeuré dans son statut d’hapax, impropre à penser la politique contemporaine. Il n’y a qu’un remède à la fixation dans les images – particulières – : le concept – qui, lui, est général. Par conséquent susceptible d’être décliné en configurations historiques, y compris d’accueillir celles que nous ne connaissons pas encore. Tant qu’un concept n’en aura pas été proposé, le fascisme restera une évocation historique intransposable. Il est bien certain qu’une définition n’indique ni les causes ni les issues de secours. Mais on a plutôt intérêt à nommer adéquatement pour identifier et les unes et les autres – et puis même une simple nomination a des effets.

      C’est généralement le moment où l’on invoque Umberto Eco et ses « 14 signaux à quoi reconnaitre le fascisme ». C’est bien cette direction qu’il faut suivre. Mais pas avec 14 critères. 14 critères ne font pas un concept, ou une définition : ils font une description. Et même une décalcomanie – de la première occurrence historique. Dont précisément le tableau ne sera jamais reproduit à l’identique – par conséquent sans utilité pour penser des réactualisations originales.

      Un concept : pas facile. Donc il faut commencer par essayer. Essai : par fascisme, il faut entendre la combinaison de 3 éléments.

      1) Un État autoritaire. D’une part, engagé dans la normalisation institutionnelle de tous les secteurs de la production des idées : éducation, recherche, culture, médias – la purge « antiwoke » des institutions de service public états-uniennes est sans doute appelée à faire modèle du genre. Un État, d’autre part, resserré sur son appareil de force, police-justice acquise à son orientation idéologique, sans doute également armée, employable à des fins policières, appareil formel articulé à des prolongements informels, groupuscules satellites, milices de rue chauffées par des milices numériques, dans un mouvement d’explosion de toutes les normes de la violence politique – parmi les « signaux » (et non les éléments de définition), il entrera à coup sûr l’apparition des assassinats politiques. On peut malheureusement pronostiquer que c’est pour bientôt. En tout cas, la seule règle en matière de violence politique avec le fascisme est qu’il faut s’attendre à tout.

      2) Une instrumentalisation systématique des détresses identificatoires et des passions pénultièmes, en d’autres termes : conduire une majorité des dominés, objectivement maltraités par l’ordre socio-économique et symboliquement dégradés, à se refaire en se retournant, non contre les dominants mais contre plus dominés qu’eux, plus précisément contre quelque partie de la société posée comme infâme et symboliquement construite à cette fin d’émonctoire.

      3) Une doctrine civilisationnelle-hiérarchique, prolongée en horizon apocalyptique, gros de menaces « existentielles ». Veut-on des « signes » ou des « signaux » de résurgence fasciste ? la prolifération du mot « existentiel » en est un par excellence. Il est le concentré paranoïaque du fascisme. Et la clé de ses autorisations à la violence : car s’il y a « menace existentielle », alors il est posé une question « de vie ou de mort », et dans ces conditions de « péril vital », tout est permis. Tirer à la mitrailleuse sur les canots de migrants sera permis puisque le Grand remplacement est notre anéantissement. Génocider les Gazaouis et procéder au nettoyage ethnique des survivants est permis puisque la Palestine en elle-même est une « menace existentielle » pour Israël. Comme la Russie nous le sera s’il faut envisager une guerre extérieure pour faire oublier le pétrin intérieur.

      Du concept à la réalité : où en sommes-nous ? Tout se met bien en place. La bourgeoisie de pouvoir, politique et tout autant médiatique, a désormais élu le racisme anti-Arabe comme sa nouvelle valeur directrice – de l’affaire Benlazar aux destins comparés de Bétharram et du lycée Averroès, l’actualité récente n’en finit pas de confirmer celle qui l’a précédée. Toutes les droites fusionnent dans un bloc idéologiquement homogène d’extrême droite, macronisme compris évidemment, qui aura si bien préparé le terrain pendant huit ans. Les médias dominants n’ont plus qu’un unique agenda : faire barrage. Mais à la gauche. En France, LFI est antisémite, le RN est républicain. Aux États-Unis, tout ce qui est à la gauche de Trump est « communiste ». Le président-bis y fait un salut nazi, l’éditorialisme pense y voir une effusion un peu maladroite. Même quand l’image historique est là sous nos yeux, il demeure possible de ne pas voir. D’ailleurs, une radio de service public examine les potentialités d’une « Riviera à Gaza ». Le processus suit sa trajectoire nominale.

      Frédéric Lordon

      Note :

      (1) Selon la thèse de David Goldberg, reprise et développée par Houria Bouteldja, voir David Theo Golberg, The Racial State, Wiley-Blackwell, 2001 ; Houria Bouteldja, Beaufs et barbares. Le pari du nous, La Fabrique, 2023.



      Fascisme Politique Extrême droite

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      mardi, février 18, 2025

      «AU DELÀ DE LA SCIENCE-FICTION» : LES PREMIÈRES OBSERVATIONS EN 3D DE L’ATMOSPHÈRE D’UNE EXOPLANÈTE

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      STRUCTURE 3D DE L'ATMOSPHÈRE DE L'EXOPLANÈTE TYLOS
      CRÉDIT ESO/M. KORNMESSER
      "Au delà de la science-fiction" : Les premières observations en 3D de l’atmosphère d’une exoplanète révèlent un climat unique. / Des astronomes ont scruté l'atmosphère d'une planète située au-delà du système solaire, cartographiant pour la première fois sa structure en trois dimensions. En combinant les quatre télescopes du Very Large Telescope de l'Observatoire Européen Austral (VLT de l'ESO), ils ont trouvé des vents puissants transportant des éléments chimiques tels que le fer et le titane, créant des modèles météorologiques complexes dans l'atmosphère de la planète. Cette découverte ouvre la voie à des études détaillées de la composition chimique et des conditions météorologiques d'autres mondes extraterrestres.

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      ESO

      « L'atmosphère de cette planète se comporte d'une manière qui remet en question notre compréhension du fonctionnement des conditions météorologiques, non seulement sur la Terre, mais sur toutes les planètes. On se croirait dans un film de science-fiction », déclare Julia Victoria Seidel, chercheuse à l'Observatoire Européen Austral (ESO) au Chili et auteure principale de l'étude publiée aujourd'hui dans la revue Nature.

      ► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

      Cette planète, WASP-121b (également connue sous le nom de Tylos), se trouve à quelque 900 années-lumière de nous, dans la constellation de Puppis. Il s'agit d'un Jupiter ultra-chaud, une géante gazeuse en orbite autour de son étoile hôte, si proche qu'une année n'y dure qu'une trentaine d'heures terrestres. De plus, un côté de la planète est brûlant, car il fait toujours face à l'étoile, tandis que l'autre côté est beaucoup plus froid.

      L'équipe a maintenant sondé les profondeurs de l'atmosphère de Tylos et a révélé des vents distincts dans des couches séparées, formant une carte de la structure 3D de l'atmosphère. C'est la première fois que des astronomes ont pu étudier l'atmosphère d'une planète en dehors de notre système solaire avec autant de profondeur et de détails.

      « Ce que nous avons découvert est surprenant : un courant-jet fait tourner la matière autour de l'équateur de la planète, tandis qu'un flux distinct à des niveaux inférieurs de l'atmosphère déplace le gaz du côté chaud vers le côté plus froid. Ce type de climat n'a jamais été observé auparavant sur aucune planète », explique Julia Victoria, qui est également chercheuse au laboratoire Lagrange, qui fait partie de l'Observatoire de la Côte d'Azur, en France. Le courant-jet observé s'étend sur la moitié de la planète, prenant de la vitesse et agitant violemment l'atmosphère très haut dans le ciel lorsqu'il traverse la face chaude de Tylos. « Même les ouragans les plus violents du système solaire semblent calmes en comparaison », ajoute-t-elle.

      Pour découvrir la structure 3D de l'atmosphère de l'exoplanète, l'équipe a utilisé l'instrument ESPRESSO du VLT de l'ESO pour combiner la lumière de ses quatre grands télescopes en un seul signal. Ce mode combiné du VLT recueille quatre fois plus de lumière qu'un des télescopes seul, révélant ainsi des détails moins lumineux. En observant la planète pendant un transit complet devant son étoile hôte, ESPRESSO a pu détecter les signatures de plusieurs éléments chimiques, sondant ainsi différentes couches de l'atmosphère.

      « Le VLT nous a permis de sonder trois couches différentes de l'atmosphère de l'exoplanète en une seule fois », explique Leonardo A. dos Santos, co-auteur de l'étude et astronome adjoint au Space Telescope Science Institute de Baltimore, aux États-Unis. L'équipe a suivi les mouvements du fer, du sodium et de l'hydrogène, ce qui lui a permis de retracer les vents dans les couches profondes, moyennes et superficielles de l'atmosphère de la planète, respectivement. « C'est le genre d'observation qu'il est très difficile de faire avec des télescopes spatiaux, ce qui souligne l'importance des observations au sol des exoplanètes », ajoute-t-il.

      Il est intéressant de noter que les observations ont également révélé la présence de titane juste en dessous du courant-jet, comme le souligne une étude complémentaire publiée dans Astronomy and Astrophysics. Il s'agit là d'une autre surprise, car les précédentes observations de la planète avaient révélé l'absence de cet élément, peut-être parce qu'il est caché dans les profondeurs de l'atmosphère.

      « Il est vraiment incroyable que nous puissions étudier des détails tels que la composition chimique et les conditions météorologiques d'une planète à une distance aussi grande », déclare Bibiana Prinoth, doctorante à l'université de Lund (Suède) et à l'ESO, qui a dirigé l'étude complémentaire et qui est coauteur de l'article paru dans la revue Nature.

      Pour découvrir l'atmosphère des petites planètes semblables à la Terre, des télescopes plus grands seront toutefois nécessaires. Il s'agit notamment de l'ELT (Extremely Large Telescope) de l'ESO, actuellement en construction dans le désert chilien d'Atacama, et de son instrument ANDES. « L'ELT va changer la donne pour l'étude de l'atmosphère des exoplanètes », a expliqué M. Prinoth. « Cette expérience me donne l'impression que nous sommes sur le point de découvrir des choses incroyables dont nous ne pouvons que rêver aujourd'hui. »

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      PHOTO J. BELTRÁN / ESO

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