dimanche, mai 18, 2025

CHILI: DES FOUILLES AU CERRO CHENA POUR RETROUVER DES TRACES DE VICTIMES DE LA DICTATURE MILITAIRE

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AUGUSTO PINOCHET LORS D'UNE ALLOCUTION À L'ÉCOLE MILITAIRE EN AOÛT 1997.
 LA MÉMOIRE DES EXACTIONS DE LA DICTATURE MILITAIRE AU CHILI EST TOUJOURS
VIVE : ENTRE LE 11 SEPTEMBRE 1973 ET LE 11 MARS 1990, LES CHIFFRES OFFICIELS
RECENSENT 28 459 VICTIMES DE TORTURE, 2 125 MORTS
ET 1 102 DÉTENUS TOUJOURS PORTÉS DISPARUS.
PHOTO AFP/ARCHIVOS

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RFI
Chili: des fouilles au cerro Chena pour retrouver des traces de victimes de la dictature militaire / Au Chili, la mémoire de la dictature d’Augusto Pinochet reste vivace. Entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1990, les chiffres officiels recensent 28 459 victimes de torture, 2 125 morts et 1 102 détenus toujours portés disparus. Parmi eux, certains ont été vus pour la dernière fois sur le cerro Chena, à 25 kilomètres au sud du centre de Santiago. Des fouilles ont commencé le lundi 5 mai, pour, peut-être, retrouver leurs traces. [Où sont-ils ?]

RFI  avec notre correspondante à Santiago, Marion Bellal Publié le : 17/05/2025 

4 min

les familles de disparus, le service médico-légal, la police d’investigation chilienne… Tous sont rassemblés devant une plate-bande terreuse, délimitée par un fil jaune. L'ambiance est détendue : quelques échanges souriants, quelques oiseaux chantent… jusqu’aux premiers coups de pelleteuse.

DES MANIFESTANTS PORTENT DES PHOTOS DE PERSONNES DISPARUES  LORS
D'UN RASSEMBLEMENT COMMÉMORANT LE 51ÈME ANNIVERSAIRE DU COUP
D'ÉTAT MILITAIRE DE 1973, À SANTIAGO DU CHILI, LE 8 SEPTEMBRE 2024.
PHOTO RAUL BRAVO

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

C’est ici, sur le cerro (mont) Chena [ensemble de collines], qu’un nombre indéterminé de personnes ont été torturées il y a cinquante-deux ans, dans un bâtiment bas, d’une cinquantaine de mètres de long, désormais à l’abandon. Peut-être que certains détenus ont été fusillés à proximité, peut-être même une centaine.

DES FOUILLES HISTORIQUES COMMENCENT DANS LA CASERNE MILITAIRE
DE CERRO CHENA À LA RECHERCHE DE PERSONNES DISPARUES DE LA DICTATURE
PHOTO PIENSA PRENSA TV

José Miguel Gúzman est directeur d’une association de santé mentale qui accompagne les victimes de la dictature chilienne et leurs proches. Il salue la persévérance des familles pour que justice soit enfin faite. « La sortie de la dictature dans notre pays a résulté d’un accord. Il y a eu une négociation politique. Donc c’est vrai qu’à plusieurs reprises, les familles concernées ont pu avoir la sensation qu’il n’y avait pas de véritable volonté politique à faire justice. »

DES FOUILLES HISTORIQUES COMMENCENT DANS LA CASERNE MILITAIRE
DE CERRO CHENA À LA RECHERCHE DE PERSONNES DISPARUES DE LA DICTATURE
PHOTO PIENSA PRENSA TV

Monica Monsalves León regarde les archéologues travailler avec une émotion palpable. Son père, Adiel Monsalves Martinez, un travailleur ferroviaire syndiqué, a été séquestré ici à partir du 28 septembre 1973. Et des témoins affirment qu’il y a été fusillé le 6 octobre. Pour Monica, qui avait trois ans et demi au moment des faits, la journée est historique, même si elle arrive bien trop tard. « La justice a avancé lentement. Nous, on dit que la justice, quand elle tarde, elle ne peut plus être appelée justice. Parce que ces dernières années, de 2010 à aujourd’hui, il y a effectivement eu des investigations, des avancées, des procès, des condamnations. Mais ces condamnations arrivent quand les criminels génocidaires ont déjà atteint un âge très avancé ; ce sont de vieilles personnes qui ont des maladies propres à la vieillesse… Et beaucoup d’entre eux sont morts. Concernant le mont Chena, il n’y a aucun génocidaire qui a été condamné pour ces crimes. »

DES FOUILLES HISTORIQUES COMMENCENT DANS LA CASERNE MILITAIRE
DE CERRO CHENA À LA RECHERCHE DE PERSONNES DISPARUES DE LA DICTATURE
PHOTO PIENSA PRENSA TV
Mais le temps qui passe n’est pas le seul problème. La surface même du cerro Chena complique les recherches, ce que souligne Veronica Baeza de la Fuente, archéologue. « C’est un lieu immense. Il est difficile de délimiter un endroit comme celui-ci, parce que même s’il y a des témoignages qui permettent d’avoir une idée de ce qu’il s’est passé, on n’a jamais la moindre certitude sur le lieu où les personnes ont été inhumées. »

DES PORTRAITS DE PERSONNES DISPARUES PENDANT LA DICTATURE
DE PINOCHET PROJETÉS SUR LA FAÇADE DU PALAIS PRÉSIDENTIEL DE
LA MONEDA  À SANTIAGO DU CHILI, LE 30 AOÛT 2023  AFP

À la recherche de « stigmates »

Ces derniers mois, un radar à pénétration de sol a parcouru les 1 200 hectares de la colline. Les anomalies de terrain détectées pourraient bien cacher le cimetière clandestin dont les survivants et les familles soupçonnent l’existence. Mais Monica connaît les limites de ces recherches : en 1978, le régime dictatorial a ordonné d’exhumer tous les corps enterrés clandestinement pour effacer les preuves. « Ils les ont fait disparaître une seconde fois. Donc ce qu’on espère trouver maintenant, dans cette enceinte militaire, où ont été amenés les prisonniers disparus, ce sont des stigmates. Des petites traces. Des fragments osseux. Pendant toutes ces années, nous avons lutté dans l’espoir de retrouver leur empreinte.»

La ministre Marianela Cifuentes, sous-secrétaire aux Droits humains, l’assure : politiques et familles sont désormais sur la même longueur d’ondes. « Le fait qu’on cherche, n’est-ce pas, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune question en suspens, dans le fond, c’est un message pour l’avenir. Pour que ce genre d’actions ne se répètent pas. »

L’excavation réalisée par la pelleteuse s’intensifie. Chaque gramme de terre est ensuite passé au tamis, et ce qui ne traverse pas le treillage sera envoyé au service médico-légal pour examen. Les familles devront donc attendre encore plusieurs mois, avant d’obtenir les réponses tant espérées. 

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vendredi, mai 16, 2025

AU FESTIVAL DE CANNES, DIEGO CÉSPEDES S’EMPARE DES ANNÉES SIDA DANS LE CHILI DES ANNÉES 1980

 

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DIEGO CÉSPEDES LORS DU FESTIVAL DE CANNES, LE 15 MAI 2025
PHOTO  ANNA KURTH/AFP
Culture / Festival de Cannes 2025 / 
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Le Monde

Au Festival de Cannes, Diego Céspedes s’empare des années sida dans le Chili des années 1980 / 
Le jeune réalisateur chilien présente « Le Mystérieux Regard du flamant rose » à Un certain regard, un conte queer plein d’humanité dans un village reculé du pays. [
Ce n'est que du cinéma ]

Par Boris Bastide

lui n’a pas connu les années sida, l’arrivée du virus, la mort qui décime peu à peu la communauté gay. Né en 1995, à Santiago, au Chili, Diego Céspedes est un peu trop jeune pour cela. Mais sa mère l’a élevé dans une peur terrifiante de la maladie, traumatisée par les deuils dont elle a été le témoin. Cette femme, vendeuse, et son mari, qui faisait du ramassage scolaire dans les faubourgs les plus pauvres de Santiago, ont monté un salon de coiffure. Dans les années 1980, leurs employés, homosexuels pour la plupart, tombaient les uns après les autres.

IMAGE EXTRAITE DU FILM « LE MYSTÉRIEUX REGARD DU FLAMANT ROSE »,
 DE DIEGO CÉSPEDES. ARIZONA DISTRIBUTION

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Ce n’est que plus tard, quand lui-même a découvert son attirance pour les hommes et qu’il a commencé à fréquenter la communauté gay de Santiago, rencontrant des séropositifs, que Diego Céspedes a mieux saisi la réalité de la maladie. « J’ai pu avoir un spectre plus large, voir toute la mauvaise image que ces personnes ont subie, mais aussi la partie la plus lumineuse de leur personnalité », confie le jeune réalisateur, mercredi 14 mai, à Cannes, encore fatigué du décalage horaire, à la veille de présenter son premier long-métrage, Le Mystérieux Regard du flamant rose (date de sortie indéfinie) à Un certain regard.

Dans ce conte queer, situé au début des années 1980 dans une région reculée du Chili, le sida n’est jamais nommé ainsi. Des hommes y travaillent à la mine et fréquentent un cabaret où se donne en spectacle un groupe de travestis, affublés chacun de drôles de noms d’animaux. Au cœur d’un village, on parle de la « peste » pour décrire ce mystérieux mal qui emporte peu à peu les uns et les autres. La rumeur dit que c’est par les yeux, en tombant amoureux, qu’a lieu la contamination.

Cette question du regard travaille beaucoup Diego Céspedes. « C’est la façon la plus profonde que l’on a d’entrer en relation avec autrui. Dans le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, on ne trouve pas forcément le temps de le faire. » Lui aime profondément ses personnages de travestis et leurs interprètes trouvés au terme d’un très long casting mené au sein de la communauté LGBT. Et il voudrait que, le temps du film, nous les regardions avec les mêmes infinies douceur et empathie avec lesquelles il les a filmés.


Objet éminemment politique

Diego Céspedes avait à cœur d’explorer la profonde humanité de figures qui ont beaucoup été caricaturées jusque dans le cinéma, et dont la mémoire a essentiellement été transmise, jusque-là, de manière orale. Leur vécu cabossé d’amour et de souffrances a nourri une narration aussi chaotique que leurs existences. « Ces personnes ont été longtemps invisibilisées. Le film devient aussi une façon d’affirmer le fait que nous continuons d’être qui nous sommes et de raconter nos histoires, et d’exister quoi qu’il arrive. » Le réalisateur est conscient que la percée, un peu partout dans le monde, d’une idéologie d’extrême droite, qui pousse à la mise en place de politiques de plus en plus répressives envers la communauté LGBT, et notamment les personnes trans, fait du Mystérieux Regard du flamant rose un objet éminemment politique.

Cinéaste issu d’un milieu très populaire, où la culture n’a pas forcément sa place, Diego Céspedes n’a pas peur de la dissidence. En autodidacte, encore marqué par sa découverte, adolescent, du film argentin La ciénaga (2001), de Lucrecia Martel, qui lui ouvrit soudain un nouveau monde à explorer, il a tracé son chemin. L’aide de professeurs et de bourses l’a mis sur la voie du cinéma. Ses deux premiers courts-métrages, en 2018 et 2022, ont été projetés à Cannes, lui ouvrant un début de reconnaissance. Mais assumer le statut d’artiste au Chili reste difficile : « C’est une lutte. Il y a une incompréhension d’autant plus profonde que beaucoup de personnes n’ont pas accès à l’art. Comment pourraient-elles accorder du crédit à ceux qui le font ? Moi, très clairement, c’est grâce aux aides en France ou en Espagne que j’ai pu poursuivre ma carrière et avoir les moyens, tout simplement, de vivre de ma pratique. »

Pour l’heure, Diego Céspedes essaie de ne pas trop penser à la sortie du film dans son pays. Il sait qu’il trouvera certainement un accueil bienveillant de la part des cinéphiles de la communauté LGBT, et que, par son seul sujet, il suscitera le rejet d’une partie des spectateurs, même si l’opinion publique est globalement beaucoup plus tolérante aujourd’hui, notamment dans les grandes villes. Etre issu d’une minorité n’en reste pas moins une position vulnérable. « Puisque l’on s’oriente vers des périodes plus sombres, c’est intéressant de regarder en arrière et de voir comment ces personnes ont survécu, quels outils de résistance elles ont créés et pratiqués, afin de s’en inspirer. » Faire des films est son arme à lui pour dire que, plutôt que de céder à la haine et aux préjugés, il existe une autre voie. Par le regard, apprendre à mieux connaître l’autre et à l’aimer.

Boris Bastide

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jeudi, mai 15, 2025

XI JINPING RENCONTRE LE PRÉSIDENT CHILIEN


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CAPTURE D'ÉCRAN

CGTN

Chine 10:06, 14 mai 2025 / Xi Jinping rencontre le président chilien / Le président chinois Xi Jinping a rencontré mercredi son homologue chilien, Gabriel Boric, qui vient à Beijing pour la 4ème réunion ministérielle du Forum Chine-CELAC (Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes).

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China Global Television Network Actualisé 13:41, 14 mai 2025

Notant que cette année marque le 55ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, M. Xi a déclaré que la Chine et le Chili devaient constamment enrichir la connotation de leur partenariat stratégique global, créer un modèle de développement commun entre la Chine et les pays d'Amérique latine, donner un excellent exemple de coopération Sud-Sud et promouvoir conjointement la cause de la paix et du progrès pour l'humanité.

PHOTOS DE LA PRÉSIDENCE CHILIENNE
PHOTOGRAPHE ALEX IBAÑEZ

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Selon M. Xi, la Chine est prête à travailler avec le Chili pour consolider la confiance politique mutuelle, renforcer les échanges d'expériences en matière de gouvernance, se soutenir fermement l'un l'autre sur les questions concernant leurs intérêts fondamentaux et leurs préoccupations majeures, et sauvegarder la souveraineté, la sécurité et les intérêts de développement de chacun.

PHOTOS DE LA PRÉSIDENCE CHILIENNE
PHOTOGRAPHE ALEX IBAÑEZ

► À lire aussi :         HUAWEI OUVRIRA SON DEUXIÈME CENTRE DE DONNÉES AU CHILI

M. Xi a appelé les deux pays à mettre en œuvre le plan de coopération "la Ceinture et la Route", à approfondir la coopération dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de l'élevage et de la pêche, des investissements industriels, des infrastructures et des minéraux verts, et à cultiver de nouveaux points de croissance dans les domaines de l'astronomie, des régions polaires, de l'intelligence artificielle, de la biomédecine et de l'économie numérique.

"La Chine encourage davantage d'entreprises chinoises à investir et à faire des affaires au Chili et souhaite que davantage de produits chiliens de haute qualité entrent sur le marché chinois", a-t-il fait savoir.

Il a ajouté que les deux parties devaient renforcer l'apprentissage mutuel entre les civilisations, mener des activités d'échange dans les domaines de l'éducation, de la culture, des médias et de la jeunesse, et faciliter les échanges de personnel.

"En tant que fermes défenseurs du multilatéralisme et du libre-échange, la Chine et le Chili doivent renforcer la collaboration multilatérale afin de préserver les intérêts communs du Sud global", a ajouté M. Xi.

Notant que la Chine est devenue le plus important partenaire commercial du Chili, M. Boric a déclaré que la coopération bilatérale avait bénéficié aux deux peuples.

D'après lui, le Chili adhérera fermement au principe d'une seule Chine et est prêt à élargir la coopération avec la Chine dans les domaines du commerce, de l'investissement et de l'intelligence artificielle, à faire progresser conjointement la coopération de haute qualité dans le cadre de l'Initiative "la Ceinture et la Route", et à renforcer les échanges culturels et humains.

"Tous les pays doivent adhérer au libre-échange, aux bénéfices mutuels et aux résultats gagnant-gagnant, et le commerce ne doit pas servir uniquement les intérêts privés d'un pays", a déclaré M. Boric, ajoutant que mener une guerre commerciale ne mènera nulle part.

"Le Chili est prêt à travailler avec la Chine pour sauvegarder fermement le multilatéralisme et l'autorité des Nations Unies, insister sur la résolution des différends par le dialogue et défendre conjointement l'équité et la justice internationales", a-t-il affirmé.

Au cours de sa visite en Chine, les deux parties ont signé nombre de documents de coopération dans des domaines tels que l'économie, l'édition, l'inspection et la quarantaine, les médias et les groupes de réflexion.  (Source : Xinhua)

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mercredi, mai 14, 2025

JOSÉ « PEPE » MUJICA, ANCIEN PRÉSIDENT DE L’URUGUAY ET GRANDE VOIX DE L’AMÉRIQUE LATINE, EST MORT

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JOSÉ MUJICA, DANS LES PARTERRES DE SA FERME, À LA
PÉRIPHÉRIE DE MONTEVIDEO, LE 31 OCTOBRE 2004.
PHOTO PABLO LA ROSA

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Le Monde

DISPARITIONS / URUGUAY / José « Pepe » Mujica, ancien président de l’Uruguay et grande voix de l’Amérique latine, est mort / L’ex-guérillero était devenu l’un des leaders les plus respectés d’Amérique latine. Membre du parti de gauche Frente Amplio, il avait dirigé le pays de 2010 à 2015. Issu d’une famille de paysans, réputé pour son intégrité, il avait fait don de 90 % de sa rémunération présidentielle à des associations. / Ancien président de l’Uruguay, José « Pepe » Mujica, 89 ans, est mort des suites d’un cancer de l’œsophage, mardi 13 mai, a annoncé l’actuel président Yamando Orsi. L’ex-guérillero était devenu l’un des leaders les plus écoutés, les plus respectés et les plus populaires d’Amérique latine. Les réformes qu’il a contribué à mettre en œuvre en tant que président de la République (2010-2015) ont marqué l’entrée de l’Uruguay dans le XXIème siècle.

Par Denis Merklen (Sociologue, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine)

Publié hier à 21h33, modifié à 14h10 

Temps de Lecture 8 min.

José Mujica Cordano est né le 20 mai 1935 dans une zone semi-rurale de l’ouest de Montevideo. Fils unique d’une famille de paysans, il n’a que 8 ans à la mort de son père. Il consacre une bonne partie de son enfance et de sa jeunesse au cyclisme et à la culture de fleurs dans la petite parcelle de terre qu’il travaille avec sa mère, fleurs vendues dans les marchés de la capitale. Mais le jeune José poursuit ses études jusqu’au baccalauréat, puis intègre une classe préparatoire en droit à l’Instituto Alfredo Vazquez Acevedo, un lycée public situé derrière l’université de la République, où il côtoie une bonne partie de la jeune intelligentsia de l’Uruguay des années 1950.

JOSÉ « PEPE » MUJICA CHEZ LUI, À RINCON DEL CERRO,
LE 6 NOVEMBRE 2024.
PHOTO MARIANA GREIF

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Le pays possède déjà un système d’éducation publique exemplaire où enseignent les meilleurs intellectuels du pays, dont de nombreux Espagnols réfugiés de la guerre civile. Le jeune Mujica milite au sein de l’aile la plus progressiste du Parti national (centre droit), qu’il quitte en 1962 pour fonder l’Union populaire, en alliance avec le Parti socialiste. Un an plus tard, il participe à la fondation de l’une des guérillas les plus célèbres d’Amérique latine, le Mouvement de libération nationale-Tupamaros, dont il deviendra l’un des principaux dirigeants.
LE PRÉSIDENT BRÉSILIEN LULA (À GAUCHE), EMBRASSE L’ANCIEN
PRÉSIDENT URUGUAYEN (2010-2015) JOSÉ MUJICA, APRÈS L’AVOIR DÉCORÉ
DE L’ORDRE NATIONAL DE LA CROIX DU SUD LORS D’UNE VISITE
À SON DOMICILE, À MONTEVIDEO, LE 5 DÉCEMBRE 2024.
PHOTO DANTE FERNANDEZ 

L’urgence de la « révolution »

Avec 2,7 millions d’habitants, l’Uruguay fait alors figure d’exception dans la région, grâce aux réformes du président José Batlle (1903-1907 et 1911-1915). La peine de mort a été abolie en 1907, le divorce légalisé en 1913, l’Eglise séparée de l’Etat en 1917, les femmes votent depuis 1927. Grâce au poids considérable d’un salariat protecteur qui couvre plus de trois quarts de sa population active et à un taux d’urbanisation supérieur à 80 % depuis les années 1930, l’Uruguay est doté d’un modèle social qui fera dire au sociologue Alain Touraine que ce pays a inventé la social-démocratie, bien avant l’Autriche ou l’Allemagne.

Cependant, à partir de 1950, l’Uruguay glisse vers une conjoncture de plus en plus difficile. L’économie stagne, l’inflation et le chômage sont incontrôlables. Les deux partis de gouvernement (Nacional et Colorado) se montrent incapables de donner un nouveau cap à la petite république. Les jeunes ont le sentiment d’un pays sans avenir, rongé par la corruption, où pauvreté et inégalités deviennent insupportables.

Mujica et ses camarades concluent que la « Suisse d’Amérique latine » se dirige inéluctablement vers une dictature. Ils s’organisent pour résister à l’autoritarisme et mettre fin aux injustices. Une exploration récente des archives diplomatiques révèle que ce diagnostic est partagé par les ambassadeurs français qui se succèdent à Montevideo : divers secteurs de l’armée conspirent depuis 1964 avec le soutien des administrations nord-américaines. Les jeunes quittent les structures partisanes de la gauche socialiste, communiste et chrétienne et prennent les armes : ils s’appellent « Tupamaros », en référence aux gauchos rebelles déclarés hors-la-loi par l’administration coloniale espagnole. Ils posent avec urgence la nécessité de la « révolution ».

Fidel Castro et ses compagnons cubains ont montré que la volonté politique pouvait vaincre dictateurs, empire et inerties conservatrices. Le Vietnam et l’Algérie en donnent d’autres exemples. Mais cette jeunesse lettrée de l’Uruguay, qui se sent capable de prendre sa destinée en main, ne suivra aucune recette, ni celle du foco, les foyers de guérilla rurale du Che Guevara, ni celle, maoïste, de l’encerclement des villes par les campagnes : la lutte sera urbaine.

Grâce à leur créativité, les Tupamaros deviennent un exemple pour des dizaines de groupes armés dans les capitales du monde entier, de la Palestine à la Californie, en passant par l’Italie, la France ou l’Allemagne. En 1971, 111 guérilleros, dont Mujica, s’évadent par un tunnel de la prison pour hommes de Punta Carretas où ils sont détenus. Quelques semaines plus tôt, des dizaines de Tupamaras s’étaient échappées de la prison pour femmes de Cabildo. La même année, les Tupamaros démasquent l’agent de la CIA expert en torture et techniques de contre-insurrection Dan Mitrione et l’exécutent, inspirant le film Etat de siège (1973), de Costa Gavras, avec Yves Montand dans le rôle de l’espion. Ils enlèvent puis libèrent ministres, ambassadeurs et diplomates.

Dans un texte célèbre intitulé « Apprendre d’eux », l’écrivain Régis Debray écrit en 1971 : « Il se déroule en ce moment (…) une lutte violente qui pourrait venir inquiéter les avant-gardes révolutionnaires du monde entier. La puissance explosive du combat que mènent les Tupamaros contre l’oligarchie de leur pays dépasse de loin, par sa portée, les frontières de l’Uruguay. Non pas par ces opérations sensationnelles – enlèvements, expropriations, attaques militaires, évasion en masse – qui font (…) la manchette des journaux. Mais pour une raison à la fois moins spectaculaire et plus décisive : tout simplement parce qu’[ils ont] inauguré avec succès une nouvelle manière d’entreprendre la révolution socialiste. »

Retour de la social-démocratie

La crainte d’une contagion au sein des jeunesses des capitales occidentales est si vive que, le vendredi 16 juin 1972, le Conseil de l’OTAN se réunit à Bruxelles pour étudier le cas des Tupamaros avec une analyse commandée à Geoffrey Jackson, ambassadeur du Royaume-Uni en Uruguay, maintenu prisonnier pendant huit mois dans la prison du Peuple.

Fin 1972, la guérilla est définitivement défaite par l’armée. Ses leaders et bon nombre de ses cadres sont en prison, le reste part en exil. Neuf dirigeants, dont Mujica, seront déclarés « otages » par la dictature militaire qui s’installe après le coup d’Etat de juin 1973 et maintenus dans des conditions terribles d’isolement total et de torture pendant près de treize années, dans des cachots souvent installés dans des puits clandestins de casernes. L’ensemble des Tupamaros est libéré dans le cadre d’une amnistie générale de tous les prisonniers politiques en mars 1985, au retour de la démocratie.

Quatre ans plus tard, en 1989, Mujica et les Tupamaros créent le Mouvement de participation populaire (MPP), partie intégrante de l’alliance des gauches Frente Amplio (Front élargi). Le MPP détient jusqu’à aujourd’hui le plus important groupe de législateurs du pays, et de ses rangs provient le président élu le 24 novembre 2024, Yamandu Orsi. Mujica se présente à une élection pour la première fois en 1995, où il est élu député. En 2000, il est sénateur, en 2005 ministre de l’agriculture, en 2010 président de la République, et à nouveau sénateur en 2015 et 2019.

LE PRÉSIDENT URUGUAYEN JOSÉ MUJICA QUITTE LE SITE OÙ DES RESTES
HUMAINS ONT ÉTÉ DÉCOUVERTS PAR UNE ÉQUIPE D’ANTHROPOLOGUES DU
14ᵉ BATAILLON, À TOLEDO, DANS LA PROVINCE DE CANELONES, EN URUGUAY,
LE 16 MARS 2012.
PHOTO MIGUEL ROJO

Pendant les trois gouvernements du Frente Amplio, entre 2005 et 2020, le petit pays du Sud renoue avec son passé social-démocrate ou « batlliste ». Profitant d’une conjoncture favorable à l’exportation de produits agricoles, l’Uruguay réactive son économie et casse sa dépendance énergétique en investissant massivement dans les sources renouvelables, pour arriver aujourd’hui à produire 98 % d’électricité décarbonée. Le salariat redevient la norme grâce à une réduction volontariste du travail au noir et à la réinstallation des « conseils paritaires » abrogés par la dictature. La pauvreté est divisée par deux et la pauvreté extrême réduite à 1 % de la population ; le système de santé est réformé, offrant un accès assez égalitaire à la santé à partir d’un cocktail public-privé.

Sous la présidence de Mujica, l’Uruguay légalise l’avortement (2012) et le mariage homosexuel (2013) et régule la consommation et la production de cannabis en 2014. Cette même année sont approuvées une loi de modernisation de la procédure pénale et une loi visant à limiter les effets monopolistiques de concentration de la presse.

« Président le plus pauvre du monde »

Pourtant, les conséquences de la crise financière internationale de 2007-2008 se font sentir. L’économie freine, l’inflation reprend et l’emploi se raréfie. Le vieillissement des cadres politiques de la gauche, dont Mujica, qui a 84 ans au moment du scrutin présidentiel de 2019, fait le reste. Par une étroite marge de 30 000 voix, la gauche perd les élections. Le vieux dirigeant est critiqué pour ses phrases à l’emporte-pièce, qui semblent lancées sans réflexion et blessent souvent des fractions de l’électorat. Les gouvernements du Frente Amplio sont surtout critiqués sur les déficits en matière d’insécurité.

Il n’en reste pas moins qu’avant même d’accéder à la présidence de la République, l’ancien guérillero a conquis une immense autorité au sein de la gauche latino-américaine. Une réputation qui prend appui sur l’image de l’Uruguay comme société démocratique et égalitaire, sur celle du Frente Amplio, dont on admire la capacité à préserver l’unité de la gauche depuis 1971, et sur celle, enfin, des Tupamaros, cette guérilla qui n’a jamais été obsédée par la violence et qui a su échapper à la radicalité et au sectarisme.

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La BBC et une bonne partie de la presse internationale vont louer l’intégrité morale dans l’exercice du pouvoir de celui que l’on présente comme le « président le plus pauvre du monde ». Une éthique qui résulte d’une vie toujours menée dans la même frugalité, roulant à côté de sa compagne, Lucia Topolansky, au volant de sa Coccinelle Volkswagen sur les chemins de terre qui le conduisent au palais présidentiel depuis sa petite ferme, la « chacra ». Où, après une journée d’exercice du pouvoir, on l’aperçoit s’occuper de ses plantations de marguerites, de sa chienne à trois pattes Manuela, et recevoir, sur les chaises en plastique de son jardin, autorités, journalistes et célébrités du monde entier.


JOSÉ « PEPE » MUJICA ET SON ÉPOUSE LUCIA TOPOLANSKY, CHEZ EUX,
PRÈS À RINCÓN DEL CERRO, PRÈS DE MONTEVIDEO, LE 6 NOVEMBRE 2024.
PHOTO MARIANA GREIF POUR « LE MONDE »

Le 6 décembre 2024, les présidents brésilien, Lula, et colombien, Gustavo Petro, s’y rendent ensemble pour remettre à Mujica, déjà très malade, la Cruzeiro do Sul et la Cruz de Boyaca, les plus hautes distinctions de leurs pays respectifs. Pendant la totalité de son mandat de président, José Mujica fait don de 90 % de sa rémunération à des associations.

JOSÉ MUJICA DANS SA VOITURE, PRÈS DE CHEZ LUI, LE 1ᵉʳ MARS 2015.
PHOTO PABLO BIELLI

Transmission du pouvoir à la jeunesse

Fort de son image, Mujica prononce deux discours dont le retentissement sera planétaire. Celui qui n’a ni compte Twitter, ni Facebook, ni même de smartphone prend la parole, en 2012, au sommet de l’ONU sur le développement durable à Rio de Janeiro, puis en 2013 lors de la 68ème assemblée des Nations unies à New York. Et, à chaque fois, il provoque un véritable buzz sur les réseaux

Ses nombreux entretiens et vidéos cumulent des dizaines de millions de vues, il fait l’objet d’un nombre incalculable d’articles de presse, de nombreux reportages et documentaires, dont El Pepe. Une vie suprême (2018), d’Emir Kusturica, et de fictions comme Compañeros (2019), d’Alvaro Brechner. Des dizaines de livres lui sont consacrés depuis Les Tupamaros. Guérilla urbaine en Uruguay, d’Alain Labrousse, en 1971 (Seuil).

Le vieux militant n’accorde que peu d’importance au fait d’être au pouvoir, car, pour lui, « ce n’est qu’une circonstance » ; il cherche à laisser « una barra » (« une bande ») de militants jeunes capables de pousser de nouvelles énergies de transformation sociale. Comme s’il avait été un fidèle disciple d’Hannah Arendt, Mujica associe la liberté à la politique et répète aux jeunes : « Tu n’es pas une fourmi ou un scarabée, car tu as de la conscience. Au lieu de suivre un destin naturel, une tradition, ou de mener une vie dépourvue de sens, tu peux faire quelque chose avec le monde où tu vis. Prends la vie entre tes mains et construis un projet collectif. »

JOSÉ MUJICA, LORS DU VOTE DU SECOND TOUR DE L’ÉLECTION
PRÉSIDENTIELLE URUGUAYENNE, À MONTEVIDEO, LE 29 NOVEMBRE 2009.
PHOTO MIGUEL ROJO

Puis, comme s’il suivait les Manuscrits de 1844 du jeune Karl Marx, il avertit contre les périls de l’aliénation sociale. « Ne perds pas ton temps à travailler pour gagner de l’argent, tu n’auras fait que perdre ta vie, ton temps de vie, dont la seule chose importante est de la vivre avec les autres… Vis comme tu penses ou tu finiras par penser comme tu vis ! » Et de contredire ceux qui le qualifient de pauvre : « Je ne suis pas pauvre, je ne me soumets pas à l’obligation de gaspiller mon temps à gagner de l’argent. Je garde la liberté d’être avec les autres. »

En 2020, Mujica avait quitté son poste de sénateur et lâché toutes ses responsabilités pour laisser place aux jeunes. Il déclarait, dans son dernier livre d’entretiens avec les écrivains Carlos Martell et Mario Mazzeo, Semillas al viento (« graines dans le vent », Ediciones del Berretín, 2022, non traduit) : « A quoi sert un vieil arbre s’il ne laisse pas passer la lumière pour que des nouvelles graines poussent à travers son feuillage ? » Cet homme ordinaire et son groupe de camarades nous ont peut-être montré comment déjouer les pièges de l’histoire.

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José Pepe Mujica à la clôture de la campagne du Front Large,
La plena uruguayenne est un rythme qui fusionne la plena portoricaine 
avec d'autres rythmes de salsa. La plena en Uruguay a connu une adaptation 
rythmique qui a donné naissance à ce qu'on appelle la danse plena.

José « Pepe » Mujica en quelques dates

  1. 20 mai 1935 Naissance près de Montevideo
  2. 1963 Participe à la fondation du Mouvement de libération nationale-Tupamaros
  3. 1972-1985 Détention
  4. 1989 Fondation du Mouvement de participation populaire, élu député
  5. 2005 Ministre de l’agriculture
  6. 2010-2015 Président de la République
  7. 13 mai 2025 Mort

Denis Merklen (Sociologue, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine)

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«Merci pour tout, copain.»
DESSIN CARLOS LATTUF

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mardi, mai 13, 2025

L'ANCIEN PRÉSIDENT URUGUAYEN JOSÉ «PEPE» MUJICA EST MORT À L'ÂGE DE 89 ANS

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L'ANCIEN PRÉSIDENT JOSÉ MUJICA, FIGURE CENTRALE
DE L'HISTOIRE RÉCENTE DE L'URUGUAY, EST DÉCÉDÉ.
 / IL AVAIT 89 ANS ET ÉTAIT L’UNE DES FIGURES  ARQUANTES
 DE LA GAUCHE ; IL Y A UN AN, ON LUI A DIAGNOSTIQUÉ
UN CANCER DE L'ŒSOPHAGE
PHOTO LA DIARIA
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RFI
L'ancien président uruguayen José «Pepe» Mujica est mort à l'âge de 89 ans / José « Pepe » Mujica, l'ancien guérillero qui a gouverné l'Uruguay de 2010 à 2015, anticonsumériste au verbe haut et figure de la gauche latino-américaine, est décédé ce mardi 13 mai à l'âge de 89 ans, a annoncé l'actuel président Yamandu Orsi.

Publié le : 13/05/2025 - 3 min

RFI avec l'AFP

YAMANDÚ ORSI APRÈS LA MORT DE JOSÉ MUJICA :
 «MERCI POUR TOUT CE QUE VOUS NOUS AVEZ DONNÉ
 ET POUR VOTRE PROFOND AMOUR POUR VOTRE PEUPLE»
PHOTO LA DIARIA

« C'est avec une profonde douleur que nous annonçons que notre camarade Pepe Mujica est décédé. Président, militant, référent et guide. Tu vas beaucoup nous manquer, cher vieux », a écrit Yamandu Orsi sur le réseau social X. Surnommé le « président le plus pauvre du monde », Pepe Mujica avait révélé en début d'année que son cancer de l'œsophage diagnostiqué en mai 2024 s'était propagé et que son corps vieillissant ne supportait plus les traitements.

JOSÉ « PEPE » MUJICA CHEZ LUI, À RINCON DEL CERRO,
LE 6 NOVEMBRE 2024.
PHOTO MARIANA GREIF

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

José Mujica, dit « Pepe », était devenu célèbre dans le monde entier pour son refus des conventions à l'époque où il dirigeait l'Uruguay (2010-2015). Ce chantre de la frugalité, qui se disait « philosophiquement stoïcien », conduisait lui-même sa vieille Coccinelle et avait refusé de vivre dans la résidence présidentielle, préférant sa modeste ferme des environs de Montevideo. Il devait sa popularité à sa personnalité et à son verbe spontané, sans langue de bois et souvent polémique.

« La vie s'en va, c'est inévitable, mais les causes, elles, demeurent »

Aujourd’hui, une figure emblématique de  la gauche latino-américaine
 nous quitte : José « Pepe » Mujica. /  Un homme calme,
austère et simple, qui a apporté charisme et bon sens à la politique. /
Pour votre profond amour pour le peuple, pour votre désir de changer
 le monde afin qu’il soit plus digne, plus juste et plus égalitaire –
pour tout cela et plus encore, nous vous porterons toujours dans
nos mémoires et dans nos cœurs. Au revoir, cher Pepe. /
 « La seule chose qu'on ne peut pas acheter, c'est la vie.
On passe sa vie à perdre sa liberté, et c'est misérable. » ❤️/
INSTAGRAM JANNETTE JARA

Promoteur de mesures progressistes pour l'Amérique latine, comme la légalisation du cannabis – une première mondiale en 2013 –, l'avortement et le mariage homosexuel, Pepe Mujica avait été surnommé reversait la quasi-totalité de ses revenus à un programme de logement social.

JOSÉ MUJICA, DANS LES PARTERRES DE SA FERME, À LA
PÉRIPHÉRIE DE MONTEVIDEO, LE 31 OCTOBRE 2004.
PHOTO PABLO LA ROSA

Mais dans le petit pays sud-américain de 3,4 millions d'habitants, ce président rond et moustachu a laissé une image plus contrastée. Ses résultats macroéconomiques ont suscité la critique : le pays a vu le déficit budgétaire s'alourdir et l'inflation grimper. Il a aussi laissé en héritage d'importants dossiers non résolus, comme la sécurité, l'amélioration des infrastructures, la santé ou l'éducation.

À l'inverse, ses partisans saluent une politique qui a permis de créer des emplois, une baisse des inégalités et une hausse du niveau des revenus.

Souffrant d'une maladie immunitaire, c'est la pandémie de coronavirus qui l'avait finalement « jeté dehors » et forcé à renoncer, en octobre 2020, à son unique mandat de sénateur, décroché en début d'année. « La seule chose permanente dans la vie, c'est le changement, avait-il dit lors de son discours de démission. La vie s'en va, c'est inévitable, mais les causes, elles, demeurent. »

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CHILI / PROPAGANDE ÉLECTORALE
ÉLECTIONS PRIMAIRES PRÉSIDENTIELLES
DIMANCHE 29 JUIN 2025

 « Jannette Jara, Présidente / Elle travaille pour toi / Votez 2 »

« Le guerrier a droit à son repos »

Pepe Mujica fut, dans les années 1960, l'un des fondateurs de la guérilla d'extrême-gauche des Tupamaros. Blessé par balles en 1970, il fut emprisonné toute la durée de la dictature (1973-1985). Placé à l'isolement, il fut torturé.

S'il n'a jamais caché sa « sympathie » pour le défunt président vénézuélien Hugo Chavez (1999-2013), ancien chef de file de la gauche antilibérale latino-américaine, il se comparait plus volontiers au président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2011) et réélu en 2022.

L'ex-président était marié avec Lucia Topolansky, rencontrée dans « la lutte clandestine » avant l'avènement de la dictature. « Le plus grand succès de ma vie », dira-t-il de sa compagne de toujours. Sénatrice, elle fut de septembre 2017 à mars 2020 vice-présidente d'Uruguay. Lucia Topolansky et Pepe Mujica n'ont pas eu d'enfants.

Début janvier, dans l'une de ses dernières interviews, après avoir fait campagne à 89 ans pour le retour de la gauche au pouvoir avec l'élection de Yamadu Orsi, Pepe Mujica déclarait : « Mon cycle est terminé. Clairement, je suis en train de mourir. Le guerrier a droit à son repos. » Il a demandé à être enterré dans son jardin, sous un arbre qu'il a planté, aux côtés de sa chienne Manuela.

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«Merci pour tout, copain.»
DESSIN CARLOS LATTUF

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