samedi, mai 18, 2024

DÉCÈS DE LA POÉTESSE CHILIENNE CARMEN BERENGUER

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CARMEN BERENGUER

  9 septembre 1946 - ✝ 16 mai 2024  

Décès de la poétesse Carmen Berenguer, la voix qui a secoué la poésie chilienne depuis les marges / La voix poétique qui s'est élevée contre la dictature de Pinochet dans les années 1980 est décédée à l'âge de 82 ans. En 2006, elle avait reçu le prix ibéro-américain de poésie Pablo Neruda en 2008, distinction qui revient pour la première fois à une écrivaine chilienne.
CARMEN BERENGUER

Emperatriz del Carmen Berenguer Núñez connue sous le nom de Carmen Berenguer, née à Santiago le 9 septembre 1946 et morte dans cette même ville le 16 mai 2024, fut une poétesse, artiste audiovisuelle et chroniqueuse chilienne.

COUVERTURE DU LIVRE,
«BOBBY SANDS
 DÉFAILLIT SUR LE MUR» 

La poétesse a publié son premier et célèbre livre, Bobby Sands défaillit sur le mur, en 1983, une période au cours de laquelle la poésie féminine au Chili a pris de l'importance dans la dénonciation de la dictature et de la répression en marge de l'art. Ce livre, imprimé à la main, était un hommage au poète et révolutionnaire irlandais Bobby Sands, décédé après une grève de la faim prolongée sous le régime britannique de Margaret Thatcher, et qui a laissé un journal de vie bouleversant, dans lequel il a défini les causes de sa lutte et la dignité de leur résistance à la domination anglaise. D'autre part, à travers la figure du poète irlandais, Carmen Berenguer rend hommage aux prisonniers politiques qui luttent pour revendiquer la situation sociopolitique de leur pays. Le livre est aussi une manière de parler des carences et de la dépossession du Chili, opprimé et violé par la dictature militaire.

FLYER PCCH

CARMEN BERENGUER

Poésie :

  1. Bobby Sands desfallece en el muro, (Bobby Sands défaillit sur le mur) autoedición, EIC Producciones Gráficas, Santiago, 1983; descargable desde Memoria Chilena
  2. Huellas de siglo, Sin Fronteras, Santiago, 1986 (reedición: Editorial Cuneta Santiago, 2010)
  3. A media asta, Cuarto Propio, Santiago, 1988 descargable desde Memoria Chilena
  4. Sayal de pieles, Francisco Zegers Editor, 1993
  5. Naciste pintada, Cuarto Propio, Santiago, 1999 (Reedición: Fondo de cultura económica, 2024) descargable desde Memoria Chilena
  6. Mama Marx, LOM, Santiago, 2006 Fragmentos del poemario en Google Books
  7. La casa de la poesía Mago Editores / Carajo, 2008 descargable desde Memoria Chilena
  8. Maravillas pulgares, Librosdementira, Santiago, 2012 lectura en línea
  9. Mi Lai, Mago Editores, Santiago, 2015
  10. Obra poética, Cuarto Propio, Santiago, 2018 (wikipedia)

vendredi, mai 17, 2024

L’ESSENCE DU NÉOLIBÉRALISME

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GAZ . 1940. HUILE SUR TOILE, D'EDOUARD HOPPER.
FONDS MME SIMON GUGGENHEIM

L’essence du néolibéralisme / Qu’est-ce que le néolibéralisme ? Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur. / Le monde économique est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles, et prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu’il inflige, soit de manière automatique, soit — plus exceptionnellement — par l’intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l’OCDE, et des politiques qu’ils imposent : baisse du coût de la main-d’œuvre, réduction des dépenses publiques et flexibilisation du travail ? Et s’il n’était, en réalité, que la mise en pratique d’une utopie, le néolibéralisme, ainsi convertie en programme politique, mais une utopie qui, avec l’aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel ?

par Pierre Bourdieu

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LE MONDE DIPLOMATIQUE - AUDIO 
 « L’ESSENCE DU NÉOLIBÉRALISME »
par Pierre Bourdieu • Lu par Renaud Lambert
 Archive (1998).

« Il n'y a pas d'alternative »
ILLUSTRATION DE L’EXPRESSION
“THERE IS NO ALTERNATIVE” 

Cette théorie tutélaire est une pure fiction mathématique, fondée, dès l’origine, sur une formidable abstraction : celle qui, au nom d’une conception aussi étroite que stricte de la rationalité identifiée à la rationalité individuelle, consiste à mettre entre parenthèses les conditions économiques et sociales des dispositions rationnelles et des structures économiques et sociales qui sont la condition de leur exercice.

Il suffit de penser, pour donner la mesure de l’omission, au seul système d’enseignement, qui n’est jamais pris en compte en tant que tel en un temps où il joue un rôle déterminant dans la production des biens et des services, comme dans la production des producteurs. De cette sorte de faute originelle, inscrite dans le mythe walrasien (1) de la « théorie pure », découlent tous les manques et tous les manquements de la discipline économique, et l’obstination fatale avec laquelle elle s’accroche à l’opposition arbitraire qu’elle fait exister, par sa seule existence, entre la logique proprement économique, fondée sur la concurrence et porteuse d’efficacité, et la logique sociale, soumise à la règle de l’équité.

Cela dit, cette « théorie » originairement désocialisée et déshistoricisée a, aujourd’hui plus que jamais, les moyens de se rendre vraie, empiriquement vérifiable. En effet, le discours néolibéral n’est pas un discours comme les autres. À la manière du discours psychiatrique dans l’asile, selon Erving Goffman (2), c’est un « discours fort », qui n’est si fort et si difficile à combattre que parce qu’il a pour lui toutes les forces d’un monde de rapports de forces qu’il contribue à faire tel qu’il est, notamment en orientant les choix économiques de ceux qui dominent les rapports économiques et en ajoutant ainsi sa force propre, proprement symbolique, à ces rapports de forces. Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.

Le mouvement, rendu possible par la politique de déréglementation financière, vers l’utopie néolibérale d’un marché pur et parfait, s’accomplit à travers l’action transformatrice et, il faut bien le dire, destructrice de toutes les mesures politiques (dont la plus récente est l’AMI, Accord multilatéral sur l’investissement, destiné à protéger, contre les Etats nationaux, les entreprises étrangères et leurs investissements), visant à mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur : nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail, avec, par exemple, l’individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences individuelles et l’atomisation des travailleurs qui en résulte ; collectifs de défense des droits des travailleurs, syndicats, associations, coopératives ; famille même, qui, à travers la constitution de marchés par classes d’âge, perd une part de son contrôle sur la consommation.

Le programme néolibéral, qui tire sa force sociale de la force politico-économique de ceux dont il exprime les intérêts — actionnaires, opérateurs financiers, industriels, hommes politiques conservateurs ou sociaux-démocrates convertis aux démissions rassurantes du laisser-faire, hauts fonctionnaires des finances, d’autant plus acharnés à imposer une politique prônant leur propre dépérissement que, à la différence des cadres des entreprises, ils ne courent aucun risque d’en payer éventuellement les conséquences —, tend globalement à favoriser la coupure entre l’économie et les réalités sociales, et à construire ainsi, dans la réalité, un système économique conforme à la description théorique, c’est-à-dire une sorte de machine logique, qui se présente comme une chaîne de contraintes entraînant les agents économiques.

La mondialisation des marchés financiers, jointe au progrès des techniques d’information, assure une mobilité sans précédent de capitaux et donne aux investisseurs, soucieux de la rentabilité à court terme de leurs investissements, la possibilité de comparer de manière permanente la rentabilité des plus grandes entreprises et de sanctionner en conséquence les échecs relatifs. Les entreprises elles-mêmes, placées sous une telle menace permanente, doivent s’ajuster de manière de plus en plus rapide aux exigences des marchés ; cela sous peine, comme l’on dit, de « perdre la confiance des marchés », et, du même coup, le soutien des actionnaires qui, soucieux d’obtenir une rentabilité à court terme, sont de plus en plus capables d’imposer leur volonté aux managers, de leur fixer des normes, à travers les directions financières, et d’orienter leurs politiques en matière d’embauche, d’emploi et de salaire.

Ainsi s’instaurent le règne absolu de la flexibilité, avec les recrutements sous contrats à durée déterminée ou les intérims et les « plans sociaux » à répétition, et, au sein même de l’entreprise, la concurrence entre filiales autonomes, entre équipes contraintes à la polyvalence et, enfin, entre individus, à travers l’individualisation de la relation salariale : fixation d’objectifs individuels ; entretiens individuels d’évaluation ; évaluation permanente ; hausses individualisées des salaires ou octroi de primes en fonction de la compétence et du mérite individuels ; carrières individualisées ; stratégies de « responsabilisation » tendant à assurer l’auto-exploitation de certains cadres qui, simples salariés sous forte dépendance hiérarchique, sont en même temps tenus pour responsables de leurs ventes, de leurs produits, de leur succursale, de leur magasin, etc., à la façon d’« indépendants » ; exigence de l’« autocontrôle » qui étend l’« implication » des salariés, selon les techniques du « management participatif », bien au-delà des emplois de cadres. Autant de techniques d’assujettissement rationnel qui, tout en imposant le surinvestissement dans le travail, et pas seulement dans les postes de responsabilité, et le travail dans l’urgence, concourent à affaiblir ou à abolir les repères et les solidarités collectives (3).

L’institution pratique d’un monde darwinien de la lutte de tous contre tous, à tous les niveaux de la hiérarchie, qui trouve les ressorts de l’adhésion à la tâche et à l’entreprise dans l’insécurité, la souffrance et le stress, ne pourrait sans doute pas réussir aussi complètement si elle ne trouvait la complicité des dispositions précarisées que produit l’insécurité et l’existence, à tous les niveaux de la hiérarchie, et même aux niveaux les plus élevés, parmi les cadres notamment, d’une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique : la condition du fonctionnement « harmonieux » du modèle micro-économique individualiste est un phénomène de masse, l’existence de l’armée de réserve des chômeurs.

Cette violence structurale pèse aussi sur ce que l’on appelle le contrat de travail (savamment rationalisé et déréalisé par la « théorie des contrats »). Le discours d’entreprise n’a jamais autant parlé de confiance, de coopération, de loyauté et de culture d’entreprise qu’à une époque où l’on obtient l’adhésion de chaque instant en faisant disparaître toutes les garanties temporelles (les trois quarts des embauches sont à durée déterminée, la part des emplois précaires ne cesse de croître, le licenciement individuel tend à n’être plus soumis à aucune restriction).

On voit ainsi comment l’utopie néolibérale tend à s’incarner dans la réalité d’une sorte de machine infernale, dont la nécessité s’impose aux dominants eux-mêmes. Comme le marxisme en d’autres temps, avec lequel, sous ce rapport, elle a beaucoup de points communs, cette utopie suscite une formidable croyance, la free trade faith (la foi dans le libre-échange), non seulement chez ceux qui en vivent matériellement, comme les financiers, les patrons de grandes entreprises, etc., mais aussi chez ceux qui en tirent leurs justifications d’exister, comme les hauts fonctionnaires et les politiciens, qui sacralisent le pouvoir des marchés au nom de l’efficacité économique, qui exigent la levée des barrières administratives ou politiques capables de gêner les détenteurs de capitaux dans la recherche purement individuelle de la maximisation du profit individuel, instituée en modèle de rationalité, qui veulent des banques centrales indépendantes, qui prêchent la subordination des Etats nationaux aux exigences de la liberté économique pour les maîtres de l’économie, avec la suppression de toutes les réglementations sur tous les marchés, à commencer par le marché du travail, l’interdiction des déficits et de l’inflation, la privatisation généralisée des services publics, la réduction des dépenses publiques et sociales.

Sans partager nécessairement les intérêts économiques et sociaux des vrais croyants, les économistes ont assez d’intérêts spécifiques dans le champ de la science économique pour apporter une contribution décisive, quels que soient leurs états d’âme à propos des effets économiques et sociaux de l’utopie qu’ils habillent de raison mathématique, à la production et à la reproduction de la croyance dans l’utopie néolibérale. Séparés par toute leur existence et, surtout, par toute leur formation intellectuelle, le plus souvent purement abstraite, livresque et théoriciste, du monde économique et social tel qu’il est, ils sont particulièrement enclins à confondre les choses de la logique avec la logique des choses.

Confiants dans des modèles qu’ils n’ont pratiquement jamais l’occasion de soumettre à l’épreuve de la vérification expérimentale, portés à regarder de haut les acquis des autres sciences historiques, dans lesquels ils ne reconnaissent pas la pureté et la transparence cristalline de leurs jeux mathématiques, et dont ils sont le plus souvent incapables de comprendre la vraie nécessité et la profonde complexité, ils participent et collaborent à un formidable changement économique et social qui, même si certaines de ses conséquences leur font horreur (ils peuvent cotiser au Parti socialiste et donner des conseils avisés à ses représentants dans les instances de pouvoir), ne peut pas leur déplaire puisque, au péril de quelques ratés, imputables notamment à ce qu’ils appellent parfois des « bulles spéculatives », il tend à donner réalité à l’utopie ultraconséquente (comme certaines formes de folie) à laquelle ils consacrent leur vie.

Et pourtant le monde est là, avec les effets immédiatement visibles de la mise en œuvre de la grande utopie néolibérale : non seulement la misère d’une fraction de plus en plus grande des sociétés les plus avancées économiquement, l’accroissement extraordinaire des différences entre les revenus, la disparition progressive des univers autonomes de production culturelle, cinéma, édition, etc., par l’imposition intrusive des valeurs commerciales, mais aussi et surtout la destruction de toutes les instances collectives capables de contrecarrer les effets de la machine infernale, au premier rang desquelles l’Etat, dépositaire de toutes les valeurs universelles associées à l’idée de public, et l’imposition, partout, dans les hautes sphères de l’économie et de l’Etat, ou au sein des entreprises, de cette sorte de darwinisme moral qui, avec le culte du winner, formé aux mathématiques supérieures et au saut à l’élastique, instaure comme normes de toutes les pratiques la lutte de tous contre tous et le cynisme.

Peut-on attendre que la masse extraordinaire de souffrance que produit un tel régime politico-économique soit un jour à l’origine d’un mouvement capable d’arrêter la course à l’abîme ? En fait, on est ici devant un extraordinaire paradoxe : alors que les obstacles rencontrés sur la voie de la réalisation de l’ordre nouveau — celui de l’individu seul, mais libre — sont aujourd’hui tenus pour imputables à des rigidités et des archaïsmes, et que toute intervention directe et consciente, du moins lorsqu’elle vient de l’Etat, par quelque biais que ce soit, est d’avance discréditée, donc sommée de s’effacer au profit d’un mécanisme pur et anonyme, le marché (dont on oublie qu’il est aussi le lieu d’exercice d’intérêts), c’est en réalité la permanence ou la survivance des institutions et des agents de l’ordre ancien en voie de démantèlement, et tout le travail de toutes les catégories de travailleurs sociaux, et aussi toutes les solidarités sociales, familiales ou autres, qui font que l’ordre social ne s’effondre pas dans le chaos malgré le volume croissant de la population précarisée.

Le passage au « libéralisme » s’accomplit de manière insensible, donc imperceptible, comme la dérive des continents, cachant ainsi aux regards ses effets, les plus terribles à long terme. Effets qui se trouvent aussi dissimulés, paradoxalement, par les résistances qu’il suscite, dès maintenant, de la part de ceux qui défendent l’ordre ancien en puisant dans les ressources qu’il recelait, dans les solidarités anciennes, dans les réserves de capital social qui protègent toute une partie de l’ordre social présent de la chute dans l’anomie. (Capital qui, s’il n’est pas renouvelé, reproduit, est voué au dépérissement, mais dont l’épuisement n’est pas pour demain.)

Mais ces mêmes forces de « conservation », qu’il est trop facile de traiter comme des forces conservatrices, sont aussi, sous un autre rapport, des forces de résistance à l’instauration de l’ordre nouveau, qui peuvent devenir des forces subversives. Et si l’on peut donc conserver quelque espérance raisonnable, c’est qu’il existe encore, dans les institutions étatiques et aussi dans les dispositions des agents (notamment les plus attachés à ces institutions, comme la petite noblesse d’Etat), de telles forces qui, sous apparence de défendre simplement, comme on le leur reprochera aussitôt, un ordre disparu et les « privilèges » correspondants, doivent en fait, pour résister à l’épreuve, travailler à inventer et à construire un ordre social qui n’aurait pas pour seule loi la recherche de l’intérêt égoïste et la passion individuelle du profit, et qui ferait place à des collectifs orientés vers la poursuite rationnelle de fins collectivement élaborées et approuvées.

Parmi ces collectifs, associations, syndicats, partis, comment ne pas faire une place spéciale à l’Etat, Etat national ou, mieux encore, supranational, c’est-à-dire européen (étape vers un Etat mondial), capable de contrôler et d’imposer efficacement les profits réalisés sur les marchés financiers et, surtout, de contrecarrer l’action destructrice que ces derniers exercent sur le marché du travail, en organisant, avec l’aide des syndicats, l’élaboration et la défense de l’intérêt public qui, qu’on le veuille ou non, ne sortira jamais, même au prix de quelque faux en écriture mathématique, de la vision de comptable (en un autre temps, on aurait dit d’« épicier ») que la nouvelle croyance présente comme la forme suprême de l’accomplissement humain.

Pierre Bourdieu

Sociologue, professeur au Collège de France.

Notes :

(1) NDLR : par référence à Auguste Walras (1800-1866), économiste français, auteur de De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur (1848) ; il fut l’un des premiers à tenter d’appliquer les mathématiques à l’étude économique.

(2) Erving Goffman, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Editions de Minuit, Paris, 1968.

(3) On pourra se reporter, sur tout cela, aux deux numéros des Actes de la recherche en sciences sociales consacrés aux « Nouvelles formes de domination dans le travail » (1 et 2), n° 114, septembre 1996, et n° 115, décembre 1996, et tout spécialement à l’introduction de Gabrielle Balazs et Michel Pialoux, « Crise du travail et crise du politique », n° 114, p. 3-4.


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jeudi, mai 16, 2024

EN ARGENTINE, L’ASSASSINAT DE TROIS LESBIENNES MET EN LUMIÈRE LA MENACE QUI PÈSE SUR LES LGBT

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VEILLÉE ORGANISÉE DEVANT LA PENSION DE FAMILLE OÙ TROIS
 LESBIENNES ONT ÉTÉ ASSASSINÉES, À BUENOS AIRES,  LE 8 MAI 2024.
PHOTO  JUAN MABROMATA / AFP

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LE MONDE

INTERNATIONAL / ARGENTINE / En Argentine, l’assassinat de trois lesbiennes met en lumière la menace qui pèse sur les LGBT / Quatre lesbiennes ont été la cible d’un cocktail Molotov lancé par un voisin dans la chambre qu’elles partageaient. Trois d’entre elles ont succombé à leurs brûlures. Le collectif LGBT argentin s’inquiète du silence du gouvernement de Javier Milei face à la multiplication des agressions. / Elles s’appelaient Andrea Amarante (42 ans), Pamela Cobas (52 ans), Roxana Figueroa (52 ans) et Sofia Castro Riglos (49 ans). Dans la nuit du 5 au 6 mai, leur voisin, Justo Fernando Barrientos, 67 ans, a mis le feu à la chambre de 16 mètres carrés qu’elles partageaient dans une pension de famille précaire d’un quartier populaire du sud de Buenos Aires. Les quatre femmes, lesbiennes, ont été gravement brûlées. Trois d’entre elles ont succombé à leurs blessures dans les jours qui ont suivi. Sofia Castro Riglos est toujours hospitalisée.

Par Anaïs Dubois (Buenos Aires, correspondance)

Temps de Lecture 3 min.

DOULEUR ET DEMANDE DE JUSTICE POUR
 PAMELA,  ROXANA ET ANDREA.  BARRACAS,
 13 MAI 2024
PHOTO ARIEL GUTRAICH

D’après les témoignages d’autres habitants de l’hôtel, rapportés par les médias locaux, alors que les femmes sortaient de la chambre le corps en feu en se dirigeant vers la salle de bains partagée, Justo Fernando Barrientos les aurait frappées et poussées à nouveau vers les flammes. L’agresseur, qui les avait déjà menacées et insultées en raison de leur orientation sexuelle à plusieurs reprises, était passé à l’acte.

► À lire aussi :        LE CHILI VA VERSER UNE PENSION AUX ENFANTS APRÈS UN FÉMINICIDE

Le lendemain, à l’exception de quelques portails spécialisés ou indépendants, les médias ne parlent presque pas de l’affaire. La chaîne TN, l’une des plus importantes du pays, évoque une « dispute entre voisins » qui aurait provoqué « un incendie », évitant d’évoquer la dimension lesbophobe de l’agression.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

C’est finalement grâce à la mobilisation immédiate de la communauté LGBT que le crime du quartier de Barracas a été porté à la connaissance du public. Le 8 mai, à l’occasion de la présentation au Salon du livre de Buenos Aires de la biographie autorisée Milei, la revolución que no vieron venir (« Milei, la révolution qu’ils n’ont pas vu arriver », éditions Hojas del Sur, non traduit), une manifestation a parcouru les allées. Quelques jours plus tôt, sur une radio, l’auteur, Nicolas Marquez, avait tenu un discours homophobe. « Ce n’est pas de la liberté, c’est de la haine », « Ne soyez pas indifférents, on tue les lesbiennes aux yeux de tous », scandaient les participantes à la mobilisation du 8 mai.

« Bataille culturelle » menée avec virulence

L’attentat de Barracas s’inscrit dans un contexte de « bataille culturelle » menée avec virulence par le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei, resté muet sur ce crime jusqu’à ce qu’une question, posée en conférence de presse, ne le pousse à s’exprimer une semaine plus tard. « Je n’aime pas qu’on le définisse comme un attentat contre un collectif en particulier », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, qualifiant d’« injuste » pour les autres victimes de violences de s’attarder sur cette agression, sans pour autant prononcer le mot « lesbienne ». Dans la foulée des déclarations de son porte-parole, qui ont provoqué un tollé, le président argentin publiait sur son compte Instagram : « Dire la vérité n’est pas inviter à la haine. Si tu hais la vérité, c’est un autre problème… »

« Ce sont des déclarations infantiles, mais qui font mouche dans certains secteurs de la population qui estiment que le collectif LGBT est un ennemi et que les politiques publiques contre les discriminations sont des broutilles qui privent de ressources les plus pauvres et mettent en péril la société », explique Marta Dillon, journaliste et militante lesbienne.

Alors que l’Argentine a mis en place ces quinze dernières années, de façon précoce pour la région, des lois et des institutions permettant de protéger les minorités sexuelles – la loi sur le mariage pour tous date de 2010 –, l’émergence d’une nouvelle droite radicalisée et l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, en décembre 2023, rebat les cartes. Le ministère des femmes, des genres et de la diversité et l’Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (Inadi) ont été démantelés. Entre les deux tours des élections, Diana Mondino, actuelle ministre des affaires étrangères, avait comparé le mariage de personnes du même genre au choix « d’avoir des poux».

« Matérialisation des discours de haine »

Le 23 novembre 2023, quelques jours après l’élection de Javier Milei, une institutrice lesbienne a été victime d’une violente agression dans un bus en banlieue de Buenos Aires, sans qu’aucun passager ne réagisse. Sur les réseaux sociaux comme dans la rue, les insultes contre les minorités sexuelles se multiplient. Plusieurs centres culturels LGBT ont été menacés. Au début de mars, Sabrina Bölke, femme trans et lesbienne, militante de l’association d’enfants de disparus de la dictature, Hijos, a été torturée et agressée sexuellement chez elle. « On fait face à une matérialisation des discours de haine et, surtout, à une concrétisation des menaces de mort [qui circulent sur les réseaux sociaux] », s’inquiète Mme Bölke.

Depuis le drame du 6 mai, la communauté LGBT et les organismes de défense des droits humains font pression pour que l’auteur de l’attentat de Barracas, détenu, soit jugé pour « crime de haine ». « Un crime commis contre une personne du collectif LGBTIQ+ n’est pas un crime comme les autres (…) Ils sont motivés par la haine envers l’orientation sexuelle des victimes, qui appartiennent à un collectif structurellement violenté et discriminé », rappelait Amnesty International dans un communiqué publié le 13 mai. En 2023, 133 personnes appartenant à la communauté LGBT ont été victimes de meurtres et d’agressions physiques, contre 129 en 2022 et 120 en 2020, d’après les rapports de l’Observatoire national de crimes de haine LGBT.

Les mobilisations et assemblées se multiplient pour réclamer justice pour les quatre victimes de la tragédie de Barracas et pour préparer la manifestation du 3 juin, date anniversaire de la première marche Ni una Menos (« Pas une de moins »), en 2015, contre les féminicides.

Anaïs Dubois (Buenos Aires, correspondance)

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mardi, mai 14, 2024

LES MAGNIFIQUES PHOTOS DU VOLCAN VILLARRICA AU CHILI

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ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA SOUS SON MATELAS
 DE NEIGE PENDANT LA NUIT DU 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR
INTERNATIONAL Les magnifiques photos du volcan Villarrica au Chili 13/05/2024 à 14:24, Mis à jour le 14/05/2024 à 11:39 Le volcan Villarrica est l’un des volcans les plus surveillés du pays. Depuis deux ans, il enregistre une activité anormale.
Charles Knefel
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PARIS MATCH
le volcan Villarrica, le plus actif du Chili, est vieux de 600 000 ans. Pendant la nuit du 12 mai, un photographe présent aux abords a capturé des merveilles photos du volcan Villarrica, qui enregistre depuis octobre 2022 une activité anormale. 

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Culminant à plus de 2 800 mètres d’altitude entre les régions de La Araucania et de Los Rios. Il est considéré comme l’un des plus actifs d’Amérique du Sud.
UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR 

UNE VUE MONTRE L’ACTIVITÉ DU VOLCAN VILLARRICA PENDANT
 LA NUIT, VUE DE PUCON, AU CHILI, LE 12 MAI 2024.
PHOTO CRISTOBAL SAAVEDRA ESCOBAR
 

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lundi, mai 13, 2024

FENÊTRE SUR COUR

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« AIDE »


CHILI. «L’ENTRÉE COMPLIQUÉE DE GABRIEL BORIC DANS LA SECONDE MOITIÉ DE SON MANDAT»

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SON EXCELLENCE LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,
 MONSIEUR GABRIEL BORIC FONT, INAUGURE LE MARCHÉ
DES INDUSTRIES CULTURELLES DU SUD
PHOTO SEBASTIÁN RODRÍGUEZ 

Chili. «L’entrée compliquée de Gabriel Boric dans la seconde moitié de son mandat» / La crise sécuritaire qui secoue l’opinion publique a eu un effet sur la modification de l’agenda politique que Gabriel Boric avait annoncé lors de sa campagne électorale [en décembre 2021; entrée en fonction en mars 2022].
«MATAPACOS»
HOMMAGE AU « NEGRO MATAPACOS» BASÉ SUR UNE VIDÉO DE RODCA  
ENREGISTRÉ EN 2012 ET QUI FUT COLORISÉ PAR UNE ÉTUDIANTE EN CINÉMA 


Par Consuelo Ferrer (Santiago de Chile)

GABRIEL BORIC, PRÉSIDENT CHILIEN,
LE 3 MAI 2024 À SANTIAGO
PHOTO RODRIGO ARANGUA

Au Chili, depuis un certain temps, tous les chiens noirs sont, dans une certaine mesure, les mêmes: quiltro – chien de rue, sans race – téméraire et avec un foulard rouge noué autour du cou. Il s’agit d’une image emblématique qui a été déclinée en peintures murales, en affiches, en panneaux de protestation, et qui est même devenue une statue de trois mètres en guise d’hommage.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Le chien «matapacos» s’est fait connaître pour avoir aboyé contre la police – d’où son nom, les carabiniers étant communément appelés «pacos» – lors des manifestations étudiantes de 2011 dans les rues de Santiago, mais il est mort avant que sa figure ne soit adoptée par le mouvement social qui a conduit soulèvement de 2019.

DESSIN @GENI.RIOT

Les journaux télévisés n’ont pas osé prononcer son nom, mais lors des marches, ils l’ont revendiqué comme un héros populaire qui incarnait l’esprit de la mobilisation. Son visage, langue pendante et yeux souriants, est une carte postale de l’année 2019 au Chili, année à la fois mouvementée, surprenante et jadis pleine d’espoir. Près de cinq ans se sont écoulés depuis ce mois d’octobre, avec deux processus constituants ratés et une pandémie entre les deux.

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Sebastián Piñera, le président en fonction lors des mobilisations, est mort dans un accident d’avion en février de cette année. En 2021 et en pleine campagne présidentielle, le candidat, Gabriel Boric, avait déclaré lors d’un débat télévisé: «M. Piñera, vous êtes prévenu, vous serez poursuivi pour les graves violations des droits de l’homme commises sous votre mandat.»

En septembre 2023, l’actuel président Gabriel Boric avait déjà précisé qu’il ne pensait pas que son prédécesseur avait «spécifiquement ordonné une sorte de violation des droits de l’homme». Lors des funérailles de Sebastián Piñera, Boric a déclaré: «Il a défendu des idées différentes de celles de notre courant et avait également une interprétation différente de la mienne de l’explosion sociale de 2019. Il a parfois agi d’une manière avec laquelle je n’étais pas d’accord, mais toujours, je le répète, toujours, en utilisant les mécanismes de la démocratie et de la Constitution.»

C’est pourquoi tout le monde n’a pas été surpris par la déclaration du président Boric lors d’un entretien accordé le jeudi 2 mai à l’Association des organismes de radiodiffusion chiliens, alors qu’il était interrogé sur un nouvel épisode de la crise sécuritaire du pays: l’assassinat de trois policiers dans le sud du pays, à la fin du mois d’avril. «Je n’ai jamais réussi à comprendre le sens de l’image caricaturale de ce chien, le chien «matapacos», comme on l’appelait. Vous ne trouverez jamais une déclaration de ma part qui le célèbre ou s’en targue.» Mais certains documents ont été retrouvés: par exemple, une vieille photo de son ordinateur avec un autocollant représentant le chien. On ne peut pas dire que ce soit à cause de cela, mais lundi 6 mai, le sondage Plaza Pública publié par l’institut de sondage Cadem, l’un des plus respectés du pays, a montré une baisse de six points de l’approbation du président, qui a atteint son niveau le plus bas: 24%.

«Je pense que le président a moins de soutien que lorsqu’il a été élu [avec 25,83% des suffrages au 1er tour, et un taux d’abstention de plus de 52%]. Il est probable que les personnes qui ont voté pour lui et qui se situent à gauche ne soient pas d’accord avec la manière dont le gouvernement a été dirigé. Je ne vois pas, pour le moment, de soutien additionnel», affirme Mireya Dávila, de la Facultad de Gobierno de la Universidad de Chile. Par contre, Marco Moreno, professeur à l’Universidad de Chile, souligne que Gabriel Boric bénéficie d’une base de soutien solide qui ne s’est pas érodée. «Il s’agit d’une approbation solide et cohérente, mais elle ne suffit pas pour gouverner: il doit dépasser ce cercle de soutien qui est limité à ses seuls partisans.»

«Un appui plus durable est conditionné par des questions plus structurelles, telles que la réforme du système de retraite [système par capitalisation privé, avec apport exclusif des salarié·e·s] proposées par son gouvernement. Il s’agit précisément d’actions sujettes à des controverses et qui suscitent des débats, mais qui, en même temps, tendent à consolider un noyau stable de soutien parmi ceux qui considèrent ces initiatives comme nécessaires au changement structurel au Chili», explique Susana Riquelme, universitaire du Departamento de Administración Pública y Ciencia Política de la Universidad de Concepción.

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Le gouvernement de Gabriel Boric a également remporté des victoires significatives et inédites: l’approbation de la loi visant à réduire la semaine de travail de 45 à 40 heures et un salaire minimum à 532 dollars, deux mesures qui seront introduites progressivement. Il a également adopté la loi rendant obligatoire le versement d’une pension alimentaire aux parents et une autre mesure, connue sous le nom de «ticket modérateur zéro», qui permet aux citoyens affiliés à la Caisse nationale de santé d’accéder aux soins médicaux de manière totalement gratuite.

Il a également réussi à faire approuver la «royaltie minière», qui redirige enfin une partie des bénéfices obtenus par les entreprises minières vers les communes touchées par leurs activités, ainsi que vers d’autres localités présentant une plus grande vulnérabilité sociale.

Le gouvernement de Boric a également créé 500’000 nouveaux emplois et réduit les taux d’inflation et de pauvreté. Mais, en même temps, persiste la question de son narratif.

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Susana Riquelme souligne également que le déclin actuel coïncide avec «des situations et des décisions défavorables qui ont accaparé l’opinion publique et les différents débats politiques, des questions à fort impact médiatique et des tragédies qui ont augmenté le niveau de stupeur de l’opinion publique», comme l’assassinat des trois policiers.

Quant à ses commentaires sur la «figure du chien», l’analyste affirme qu’elle «a suscité des critiques et une prise de distance au sein d’une partie de sa base de soutien, car il existe une réticence à l’égard de ce qu’ils perçoivent comme des changements dans sa position ou l’abandon des symboles populaires qui font partie des mobilisations sociales».

Il ne s’agit pas seulement du chien, mais de ce que sa figure incarnait: l’opposition à une police répressive et remise en question. Or, Gabriel Boric lui-même avait promis de la «refonder». Depuis son arrivée à La Moneda, aucun projet concret n’a été formellement présenté, ni de refondation, ni de réforme.

Cette absence de réponse aux requêtes de sa base de soutien issue des mouvements sociaux coexiste avec une situation sécuritaire délicate qui maintient la population dans la peur. La même enquête de l’institut Cadem montre que les deux institutions les plus appréciées par les citoyens/citoyennes sont les Carabiniers (79%) et les Forces armées (68%). En novembre dernier, l’Encuesta Nacional Urbana de Seguridad Chilena a montré que la sensation d’insécurité dans le pays atteignait 90%, soit le taux le plus élevé de la décennie. La question fait l’objet de conversations, de programmes d’information, de colonnes d’opinion dans la presse, de discussions sur le lieu de travail et lors de réunions familiales.

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On s’attendait également à ce que le directeur général des carabiniers, Ricardo Yáñez, nommé au milieu de l’épidémie, soit sanctionné ce mardi 7 mai pour la responsabilité qui lui a été imputée de violations des droits de l’homme au cours de cette période. Cela aurait été une étape importante qui aurait pu marquer le début de la seconde période du gouvernement, qui a achevé la deuxième année de son mandat de quatre ans en mars, mais l’audience a été reportée au mois d’octobre.

Il était également question qu’il démissionne une semaine après la Journée des carabiniers, qui a lieu tous les 27 avril, mais c’est le jour où le pays s’est réveillé avec la nouvelle du triple meurtre. «Nous sommes tous nécessaires, et certainement aussi le général Yáñez», a affirmé le président Gabriel Boric lors d’une conférence de presse qu’il a donnée en compagnie de l’autorité policière.

Gabriel Boric, expliquent les experts, se trouve à la croisée des chemins: soit il tient ses promesses de campagne et prend des mesures concernant la police, soit il soutient davantage les institutions chargées de gérer la sécurité qui menace le bien-être des citoyens. D’une certaine manière, ces deux options sont contradictoires.

La moitié de son mandat et l’imminence de son deuxième rendez-vous public – qui aura lieu au Congrès national le jeudi 1er juin et qui a d’ailleurs signifié une remontée dans les sondages l’année dernière – pourraient être un moment clé pour cette décision. (Article publié dans La Diaria, le 8 mai 2024; traduction rédaction À l’Encontre)


vendredi, mai 10, 2024

CHILI: LES BLESSÉS AUX YEUX DES MANIFESTATIONS DE 2019, EN GRANDES DIFFICULTÉS, RÉCLAMENT AIDE ET JUSTICE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

SANTIAGO, CHILI, LE 12 NOVEMBRE 2019: UN OEIL GÉANT
PORTÉ APR LES MANIFESTANTS POUR TÉMOIGNER DES  GRAVES
BLESSURES INFLIGÉES PAR LES FORCES DE L'ORDRE LORS DES
MANIFESTATIONS POUR RÉCLAMER PLUS DE JUSTICE SOCIALE.
PHOTO ESTEBAN FELIX

Chili: les blessés aux yeux des manifestations de 2019, en grandes difficultés, réclament aide et justice / Au Chili, plus de quatre ans se sont écoulés depuis la crise sociale qui avait éclaté en octobre 2019 et où la population réclamait de meilleures conditions de vie. De grandes manifestations avaient duré pendant plusieurs semaines partout dans le pays, et des débordements avaient donné lieu à des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Trente quatre personnes sont mortes et selon l’Institut national des Droits de l’Homme plus de 3.500 civils ont été blessés, un chiffre en réalité plus élevé. Et parmi les victimes des centaines de personnes ont subi des traumatismes oculaires causés principalement par des tirs de flashball. Ces éborgnés, symbole de la violence parfois extrême des carabiniers, se sentent aujourd’hui bien seuls, complètement abandonnés par l’État chilien. [«Ils éborgnent ceux qui ouvrent les yeux.»
]

Par Naïla Derroisné

DESSIN ALEX FALCÓ CHANG

Un chiffre inédit, comme l’explique Patricio Bustamante, professeur à la faculté de Médecine de l’Université du Chili. « Il y a eu quelques comparaisons avec le conflit entre Israël et les Palestiniens mais il n’y a pas dans la littérature scientifique d’autres cas avec autant de victimes de traumatismes oculaires et dans un laps de temps si court. »

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

INFOGRAPHIE AFP

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Son collègue Joaquin Varas, professeur assistant dans la même université, ajoute que 80 % des victimes étudiées dans le cadre de leur enquête, présentent une cécité totale de leur œil affecté. « Ça veut dire passer de la vision en 3D à la 2D, comme si on regardait un dessin. Il y a des personnes qui, face à cette difficulté, ont eu des problèmes pour continuer leurs études ou poursuivre leur travail. Certaines ont dû changer de profession. »

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UN MANIFESTANT ÉCRIT "ASSASSINS" SUR UN VÉHICULE
DE LA POLICE LORS D'UNE MANIFESTATION
À SANTIAGO DU CHILI LE 3 NOVEMBRE 2019
PHOTO AFP

Changer de profession, de vie

C’est le cas de Natalia Aravena, 29 ans. La jeune femme était dans une manifestation lorsqu’elle a reçu une bombe lacrymogène en plein visage. Elle a perdu son œil droit et depuis tout a changé pour cette infirmière. « Je m’occupais de patients en psychiatrie. Et puis, j’ai perdu confiance en moi car en psychiatrie il y a toujours le risque qu’un patient en crise vous agresse, et avec un seul œil j’ai senti que ça pouvait me mettre en danger. J’ai donc arrêté et aujourd’hui je passe des commandes pour des fournitures médicales, c’est un travail de bureau. »

Mais c’est aussi dans les petites choses simples de la vie quotidienne que tout a changé.

« Remplir un verre d’eau, c’est devenu compliqué, poursuit Natalia. J’ai dû réapprendre à me déplacer dans l’espace car je me cognais partout. Me déplacer dans la rue aussi car je me sentais en danger, je pensais que j’allais recevoir un coup dans l’œil, chaque bruit un peu fort me faisait sursauter… »

FABIOLA CAMPILLAI

Elle est aussi passée par des moments très difficiles. « J’ai eu du stress post-traumatique ; il y a peu j’ai fait une dépression, j’ai des crises d’angoisse… Et puis mon visage a changé aussi. Mon image a changé, j’ai dû m’habituer à ma prothèse. »

LA COLINA, CHILI, LE 10 NOVEMBRE 2019: UN MANIFESTANT PORTE
UN BANDEAU SUR L'OEIL EN SOLIDARITÉ AVEC GUSTAVO GATICA,
ÉTUDIANT QUI A PERDU TOTALEMENT LA VUE APRÈS AVOIR ÉTÉ
BLESSÉ PAR DES TIRS DES FORCES DE L'ORDRE LE 8 NOVEMBRE
 2019 LORS D'UNE MANIFESTATION À SANTIAGO,
FUENTE: REUTERS.

Pas assez de soutien de l'État, ni de réparation

En outre, Natalia se sent aujourd’hui abandonnée par l’État, car même s’il y a eu des programmes pour venir en aide aux victimes ils sont insuffisants : pas assez de personnel, turn-over des médecins, manque de suivi et d’accompagnement psychologique et social.

Alors, comme beaucoup la jeune femme a décidé de se débrouiller seule mais avec de lourdes conséquences financières. « La chirurgie, les consultations ophtalmologiques, le psychiatre, c’a à été des dépenses supplémentaires, les médicaments aussi. Ça n’était pas pris en compte dans le programme et donc pour beaucoup ça s’est traduit par des pertes économiques importantes. »

Et après quatre années d’enquête, Natalia n’a pas non plus obtenu réparation auprès de la Justice, l’investigation avance très lentement.

FABIOLA CAMPILLAI LE 2 JUILLET 2021 LORS D'UN
RASSEMBLEMENT RÉCLAMANT LA JUSTICE POUR LES PERSONNES
BLESSÉS LORS DES MANIFESTATIONS D'OCTOBRE 2019 AU CHILI.
PHOTO ESTEBAN FELIX

« Les institutions nous mettent des bâtons dans les roues, surtout la police », nous explique Alejandra Arriaza, avocate et défenseure des Droits de l’homme qui représente plusieurs victimes de traumas oculaires. « Les Carabiniers n’ont pas transmis les images de leurs caméras embarquées. Des vidéos ont été trafiquées. Des preuves ont aussi été détruites. Ils ont tout fait pour entraver l’enquête. Et de son côté, le ministère public n’a pas non plus accordé l’importance requise à toutes ces affaires. »

Selon l’avocate seulement 5 % des victimes ont pu obtenir un semblant de réparation. Une détresse et un abandon si fort pour certain que c’en est devenu insupportable : en quatre ans, quatre victimes de traumas oculaires se sont ôtées la vie.

DESSIN ALEX FALCÓ CHANG

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