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INTERNATIONAL / ARGENTINE / En Argentine, l’assassinat de trois lesbiennes met en lumière la menace qui pèse sur les LGBT / Quatre lesbiennes ont été la cible d’un cocktail Molotov lancé par un voisin dans la chambre qu’elles partageaient. Trois d’entre elles ont succombé à leurs brûlures. Le collectif LGBT argentin s’inquiète du silence du gouvernement de Javier Milei face à la multiplication des agressions. / Elles s’appelaient Andrea Amarante (42 ans), Pamela Cobas (52 ans), Roxana Figueroa (52 ans) et Sofia Castro Riglos (49 ans). Dans la nuit du 5 au 6 mai, leur voisin, Justo Fernando Barrientos, 67 ans, a mis le feu à la chambre de 16 mètres carrés qu’elles partageaient dans une pension de famille précaire d’un quartier populaire du sud de Buenos Aires. Les quatre femmes, lesbiennes, ont été gravement brûlées. Trois d’entre elles ont succombé à leurs blessures dans les jours qui ont suivi. Sofia Castro Riglos est toujours hospitalisée.
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LE MONDE
Par Anaïs Dubois (Buenos Aires, correspondance)
Temps de Lecture 3 min.
DOULEUR ET DEMANDE DE JUSTICE POUR PAMELA, ROXANA ET ANDREA. BARRACAS, 13 MAI 2024 PHOTO ARIEL GUTRAICH |
D’après les témoignages d’autres habitants de l’hôtel, rapportés par les médias locaux, alors que les femmes sortaient de la chambre le corps en feu en se dirigeant vers la salle de bains partagée, Justo Fernando Barrientos les aurait frappées et poussées à nouveau vers les flammes. L’agresseur, qui les avait déjà menacées et insultées en raison de leur orientation sexuelle à plusieurs reprises, était passé à l’acte.
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Le lendemain, à l’exception de quelques portails spécialisés ou indépendants, les médias ne parlent presque pas de l’affaire. La chaîne TN, l’une des plus importantes du pays, évoque une « dispute entre voisins » qui aurait provoqué « un incendie », évitant d’évoquer la dimension lesbophobe de l’agression.
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C’est finalement grâce à la mobilisation immédiate de la communauté LGBT que le crime du quartier de Barracas a été porté à la connaissance du public. Le 8 mai, à l’occasion de la présentation au Salon du livre de Buenos Aires de la biographie autorisée Milei, la revolución que no vieron venir (« Milei, la révolution qu’ils n’ont pas vu arriver », éditions Hojas del Sur, non traduit), une manifestation a parcouru les allées. Quelques jours plus tôt, sur une radio, l’auteur, Nicolas Marquez, avait tenu un discours homophobe. « Ce n’est pas de la liberté, c’est de la haine », « Ne soyez pas indifférents, on tue les lesbiennes aux yeux de tous », scandaient les participantes à la mobilisation du 8 mai.
« Bataille culturelle » menée avec virulence
L’attentat de Barracas s’inscrit dans un contexte de « bataille culturelle » menée avec virulence par le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei, resté muet sur ce crime jusqu’à ce qu’une question, posée en conférence de presse, ne le pousse à s’exprimer une semaine plus tard. « Je n’aime pas qu’on le définisse comme un attentat contre un collectif en particulier », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, qualifiant d’« injuste » pour les autres victimes de violences de s’attarder sur cette agression, sans pour autant prononcer le mot « lesbienne ». Dans la foulée des déclarations de son porte-parole, qui ont provoqué un tollé, le président argentin publiait sur son compte Instagram : « Dire la vérité n’est pas inviter à la haine. Si tu hais la vérité, c’est un autre problème… »
« Ce sont des déclarations infantiles, mais qui font mouche dans certains secteurs de la population qui estiment que le collectif LGBT est un ennemi et que les politiques publiques contre les discriminations sont des broutilles qui privent de ressources les plus pauvres et mettent en péril la société », explique Marta Dillon, journaliste et militante lesbienne.
Alors que l’Argentine a mis en place ces quinze dernières années, de façon précoce pour la région, des lois et des institutions permettant de protéger les minorités sexuelles – la loi sur le mariage pour tous date de 2010 –, l’émergence d’une nouvelle droite radicalisée et l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, en décembre 2023, rebat les cartes. Le ministère des femmes, des genres et de la diversité et l’Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (Inadi) ont été démantelés. Entre les deux tours des élections, Diana Mondino, actuelle ministre des affaires étrangères, avait comparé le mariage de personnes du même genre au choix « d’avoir des poux».
« Matérialisation des discours de haine »
Le 23 novembre 2023, quelques jours après l’élection de Javier Milei, une institutrice lesbienne a été victime d’une violente agression dans un bus en banlieue de Buenos Aires, sans qu’aucun passager ne réagisse. Sur les réseaux sociaux comme dans la rue, les insultes contre les minorités sexuelles se multiplient. Plusieurs centres culturels LGBT ont été menacés. Au début de mars, Sabrina Bölke, femme trans et lesbienne, militante de l’association d’enfants de disparus de la dictature, Hijos, a été torturée et agressée sexuellement chez elle. « On fait face à une matérialisation des discours de haine et, surtout, à une concrétisation des menaces de mort [qui circulent sur les réseaux sociaux] », s’inquiète Mme Bölke.
Depuis le drame du 6 mai, la communauté LGBT et les organismes de défense des droits humains font pression pour que l’auteur de l’attentat de Barracas, détenu, soit jugé pour « crime de haine ». « Un crime commis contre une personne du collectif LGBTIQ+ n’est pas un crime comme les autres (…) Ils sont motivés par la haine envers l’orientation sexuelle des victimes, qui appartiennent à un collectif structurellement violenté et discriminé », rappelait Amnesty International dans un communiqué publié le 13 mai. En 2023, 133 personnes appartenant à la communauté LGBT ont été victimes de meurtres et d’agressions physiques, contre 129 en 2022 et 120 en 2020, d’après les rapports de l’Observatoire national de crimes de haine LGBT.
Les mobilisations et assemblées se multiplient pour réclamer justice pour les quatre victimes de la tragédie de Barracas et pour préparer la manifestation du 3 juin, date anniversaire de la première marche Ni una Menos (« Pas une de moins »), en 2015, contre les féminicides.
Anaïs Dubois (Buenos Aires, correspondance)