« Nous soutenons l’adoption de la nouvelle Constitution du Chili »
NOUVELLE CONSTITUTION DU CHILI |
TRIBUNE Collectif
À l’initiative d’organisations chiliennes – la Coordinadora Feminista del 8 Marzo et le Modatima, réunis dans la campagne Movimientos Sociales por el Apruebo – et de la Fondation Danielle-Mitterrand, plus de 400 personnalités, parmi lesquelles Philippe Descola ou Virginie Despentes, appellent, dans une tribune au « Monde », à l’adoption de la nouvelle Constitution chilienne.Publié hier à 08h23 Temps deLecture 4 min.
APRUEBO |
Le 4 septembre, le Chili devra voter pour approuver ou rejeter la nouvelle Constitution, préparée depuis un an par une Assemblée constituante. Ouvert grâce à la révolte populaire qui a éclaté en octobre 2019, le processus constituant chilien est un moment historique décisif au niveau international. Il concerne toutes celles et ceux qui veulent mettre fin au néolibéralisme et construire des sociétés justes, solidaires, démocratiques et écologiques.
Depuis la France, nous, universitaires, juristes, avocats, élus, scientifiques, artistes, militants associatifs, nous nous engageons aux côtés de la campagne pour approuver ce projet de Constitution et nous soutenons l’adoption de la nouvelle Constitution du Chili. Si les peuples du Chili l’approuvent, ce nouveau texte mettra fin à une Constitution imposée en 1974 par la dictature d’Augusto Pinochet (1915-2006), qui a institutionnalisé un modèle néolibéral sauvage réduisant les droits humains et sociaux fondamentaux, privatisant des pans entiers d’activités et précarisant la vie de la grande majorité de la population.
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Le Chili a été le laboratoire de ce modèle désastreux, imposé dans un régime autoritaire et répressif, qui s’est depuis reproduit dans une grande partie du monde. Le bilan de quarante ans de néolibéralisme est sans appel : le Chili est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Un pays où les droits humains sont violés par l’État et les entreprises. Un pays où l’exploitation des territoires – et notamment des terres habitées par les peuples autochtones – conduit au sacrifice de zones entières.
Un modèle de Constitution pour le monde
Un pays où l’endettement est une condition de la survie quotidienne. Un pays où les retraités survivent en moyenne avec 288 euros par mois. Un pays où l’eau est une marchandise et où les rivières s’assèchent pour que les portefeuilles de l’agrobusiness et des industries minières se remplissent. Un pays où la santé et l’éducation sont un marché. Un pays où le droit de grève n’est quasiment pas garanti.
Ce processus constituant représente ainsi un moment historique, car il vient remettre en question le modèle néolibéral qui a provoqué ou aggravé des désastres : explosion des inégalités et des ségrégations, déprédation environnementale, destruction des solidarités, montée en flèche des nationalismes, des haines et de la logique du « bouc émissaire »…
La recherche de nouvelles alternatives économiques et sociales que représente le processus constituant chilien est donc particulièrement importante à l’heure où, partout dans le monde, nous constatons que la crise du capitalisme se retourne une fois de plus contre les populations les plus démunies, alors que, au même moment, les crises écologiques remettent directement en question nos modèles de développement.
Une démocratie inclusive et paritaire
Dans un contexte mondial marqué par l’extension des logiques autoritaires, le processus constituant chilien est un espoir pour les forces d’émancipation. Participatif et paritaire, le processus s’est articulé aux territoires et aux luttes étudiantes, écologistes, autochtones, féministes, syndicales. Ces mobilisations populaires, qui remettent quotidiennement en cause le système néolibéral depuis des décennies, ont été la base des avancées du projet de Constitution, qui ouvre un horizon de profonde démocratisation sociale.
Le projet de Constitution reconnaît le caractère plurinational et interculturel de la République chilienne, pour garantir le respect des droits à l’autodétermination et à l’autonomie des peuples et nations autochtones. La proposition de nouvelle Constitution garantit les droits sexuels et reproductifs, en particulier le droit de décider de l’interruption volontaire de grossesse – une première pour une Constitution –, le droit à une vie sans violence fondée sur le genre.
Elle promeut la construction d’un système judiciaire avec une perspective basée sur le genre, les droits humains et une approche intersectionnelle. Elle propose une démocratie inclusive et paritaire, pour progresser vers une égalité réelle, avec une participation d’au moins la moitié des femmes dans tous les organes de l’État, les sociétés publiques et semi-publiques. Elle prévoit l’adoption de mesures visant à garantir la représentation de la diversité sexuelle et de genre.
Reconnaissance des droits de la nature
Elle promeut le passage à un État social dont le rôle est de protéger et de garantir les droits sociaux fondamentaux individuels et collectifs : droit à la santé ; éducation publique, gratuite, laïque, de qualité, non sexiste, interculturelle ; le droit à la sécurité sociale par le biais d’un système public ; les droits du travail pour garantir des emplois décents ; la reconnaissance du travail domestique et de soins ; les droits syndicaux pour les secteurs public et privé ; le droit de négociation collective et le droit de grève.
APRUEBO |
Elle propose des avancées importantes pour garantir les droits fonciers et environnementaux : elle reconnaît l’eau comme un bien commun inappropriable et non échangeable. Elle reconnaît les droits de la nature, comme la protection de l’eau, des glaciers, de la biodiversité, des zones humides, des forêts indigènes et des sols, ainsi que la responsabilité de l’État en matière de prévention, d’adaptation et d’atténuation des risques pour faire face à la crise écologique que nous traversons.
En ce moment historique pour le Chili et le monde, nous espérons que la nouvelle Constitution sera largement approuvée, afin de faire progresser des droits importants au Chili et d’inspirer des changements transformateurs dans de nombreuses régions du monde.
Les premiers signataires de la tribune : Eve Chiapello, sociologue et directrice d’études à l’EHESS ; Françoise Combes, astrophysicienne et professeure au Collège de France ; Philippe Descola, anthropologue et professeur émérite au Collège de France ; Virginie Despentes, écrivaine ; Didier Fassin, anthropologue, sociologue et médecin, professeur à Princeton et directeur d’études à l’EHESS ; Donna Haraway, professeure émérite d’histoire de la conscience et des études féministes à l’université de Californie-Santa Cruz ; Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC, paléoclimatologue et directrice de recherches au CEA ; Albert Ogien, directeur de recherche émérite en sociologie, CNRS ; Carlo Rovelli, physicien et philosophe au centre de physique théorique de Luminy ; Isabelle Stengers, philosophe et professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles ; Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous, ONG pour la justice climatique ; Jacques Testart, biologiste, président de l’association Fondation sciences citoyennes ; Bruno Théret, économiste et directeur de recherche émérite au CNRS.
La liste complète des signataires en cliquant sur ce lien
Collectif
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