«Penser à la forme, ensuite à l’histoire.» Voilà une approche cinématographique bien singulière ! C’est à partir de ce projet quelque peu farfelu que Sebastian Campos Lelio a tourné La Sagrada Familia, son premier long-métrage. A mi-chemin entre Théorème de Pasolini et Festen de Vinterberg, l’œuvre de Sebastian Campos Lelio est non seulement une expérience originale, mais aussi un véritable pavé dans la marre pas si cristalline des valeurs morales religieuses dominantes au Chili.
La Sagrada Familia est un titre polysémique et judicieusement choisi pour aborder de façon ironique et critique le poids prépondérant de la religion chrétienne au Chili. La Sagrada Familia ou littéralement «La Sainte Famille» renvoie non seulement à Jésus, et donc au fondement de la chrétienté, mais aussi au monument historique de Barcelone qui lui est consacré. La référence à ce monument permet au réalisateur de faire intervenir subtilement Gaudi, son architecte. Gaudi, qui représente dans le film le génie vénéré par le personnage de Marco, étudiant en architecture et en totale opposition avec son père plus moderniste, lui aussi architecte. Cette «Sainte Famille» est donc aussi et surtout celle de Marco, à l’intérieur de laquelle les principes moraux occupent, jusqu’à l’arrivée de Sofia, une place privilégiée.
Le film de Sebastian Campos Lelio est une performance cinématographique incontestable. Tournée en trois jours sans interruption et montée en plus d’un an, l’œuvre a tendance à flirter avec le cinéma expérimental. Car si l’approche du réalisateur chilien n’est pas tout à fait à classer dans le fameux «Dogme 95» du cinéma (réalisation « épurée et proche de la réalité ») comme il le rappelle, son style s’apparente pourtant à celui de Festen de Vinterberg. Le tournage en digital et ce rendu quasi-documentaire procurent aux images une énergie troublante. «Comme des documentaristes, nous avons essayé de capter des mouvements, des gestes, des regards» explique le cinéaste qui revendique une façon de filmer purement intuitive. Et le choix de la réalisation n’est pas la seule fantaisie de Sebastian Campos Lelio ! Le «jeu» des acteurs représentait aussi un défi de taille puisqu’il s’agissait en fait d’une totale improvisation ! Cet aspect contribue aussi grandement à l’impression de réalité et à la fluidité des dialogues. La personnalité de chaque personnage semble solidement ancrée et vient naturellement se mêler à celle des autres.
La puissance du film repose donc sur ce souci de spontanéité et presque, de vérité. A travers des scènes parfois crues, déroutantes voire dérangeantes les personnages portent tous avec eux un morceaux de réalité. Qu’ils s’expriment avec leurs mots ou avec leur corps, ils sont les témoins d’un malaise social, d’une souffrance plus ou moins cachée et prête à exploser et surtout d’une solitude qu’ils ont fini ou qu’ils finiront par accepter. Le sexe, l’alcool et la drogue ne sont ici que les reflets de ce mal-être profond. La Sagrada Familia est ainsi un portrait reflétant les profils duaux du Chili d’aujourd’hui : à la fois conservateur et en quête de liberté, dont personne ne ressort indemne, surtout pas le spectateur. Par Laurence Gramard
Le casting du film
Réalisateur Sebastián Campos
Comédiens :
Patricia López SofíaNéstor Cantillana Marco (fils)Sergio Hernández Marco (père)Coca Guazzini SoledadMacarena Teke RitaMauricio Diocares AldoJuan Pablo Miranda Pedro
Scénariste(s) Sebastián CamposDistributeur(s) Epicentre Films (France)Informations annexes :Lieux de tournage Tunquen, Région V, Chili.