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Hernán Rivera Letelier à Madrid.
Photo Bernardo Pérez. 18-05-2010
Photo Bernardo Pérez. 18-05-2010
par Hernán Rivera Letelier
DE SAN JOSÉ DE COPIAPÓ
Ils ont tous voulu que j’écrive sur les mineurs bloqués dans la mine de San José de Copiapó, dans le nord du Chili. On m’a proposé de rédiger des articles, d’écrire pour des journaux, des magazines ou des sites Internet.
ne transformez pas cette longue saison en enfer de nos compatriotes en une vulgaire émission de télé-réalité
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L'auteur chilien Hernán Rivera Letelier, à bord d'un train français à grande vitesse (TGV). Photo Daniel Mordzinski, 23-03-2010
On m’a même offert d’écrire un scénario pour un film. “Vous qui avez été mineur, votre opinion nous intéresse, nous voulons savoir ce qui se passe dans la tête de ces 33 hommes.” J’ai refusé systématiquement toutes ces propositions. Je n’ai accepté que les interviews. Et si aujourd’hui j’écris sur le sujet, c’est pour expliquer mon refus. J’ai refusé parce que justement moi aussi, j’ai été mineur. Ecrire sur ces compagnons enterrés vivants, faire de la littérature avec leur tragédie, reviendrait à écrire un conte ou un poème sur le lit de mort de mon père, de mon fils ou de mon frère. Je ne suis pas là pour ça. Mon éthique me l’interdit. J’ai beau être un salaud parfois, il y a tout de même des limites.
Comme tout le monde, cette tragédie m’a profondément attristé, comme tout le monde, j’ai pleuré et comme tout le monde j’ai hurlé de joie quand j’ai appris qu’ils étaient encore en vie. Et je dois avouer que, même si je n’ai jamais été un fervent patriote, mon cœur a manqué lâcher dans ma poitrine quand j’ai entendu les premières strophes de l’hymne national sortir des entrailles de la terre portées par les voix rauques de ces 33 humbles Chiliens. J’étais en Amérique centrale quand j’ai appris la nouvelle. Au premier journaliste qui m’a appelé depuis le Chili j’ai répondu que si ces hommes n’étaient pas morts écrasés, ils allaient survivre jusqu’à ce qu’on les retrouve. Je lui ai dit que je les imaginais en train de s’organiser, de se réconforter les uns les autres, de se raconter des histoires et des blagues, de s’inventer des mensonges. Que les mineurs, comme les pêcheurs, étaient des hommes habitués à lutter contre l’adversité, contre les forces de la nature. Qu’ils ne se laisseraient pas mourir facilement et qu’ils étaient très croyants. Maintenant qu’ils savent que nous savons qu’ils sont en vie, maintenant qu’ils savent que leurs familles les attendent et qu’ils ont compris qu’ils devraient endurer une longue attente, leur courage ne faiblira pas. J’en suis persuadé. Ils sont 33, c’est un nombre sacré. Quand j’étais petit et que je vendais des journaux dans la rue – une expérience que j’ai racontée dans un de mes livres –, je ne vendais que 33 journaux, cela me suffisait pour manger et il ne m’est jamais resté un seul journal sur les bras. Trente-trois ans, c’était l’âge du Christ, et cela me portait chance. Je suis superstitieux, comme tous les mineurs. 33, c’est le chiffre de la mort et de la résurrection.
Et ces hommes sont morts et ressuscités. Laissez-moi demander deux choses pour ces mineurs. Seulement deux. La première s’adresse au gouvernement : ne manquez pas cette opportunité en or de passer à la postérité en réformant profondément la législation du travail pour que des malheurs de ce genre ne se produisent plus jamais – et profitez-en au passage pour suspendre par les couilles les propriétaires de la mine. La seconde s’adresse aux médias : ne transformez pas cette longue saison en enfer de nos compatriotes en une vulgaire émission de télé-réalité. Une fois qu’ils seront tirés d’affaire, vous ferez ce que vous voudrez – avec leur consentement ou non –, mais, en attendant, ayez la décence de respecter les tourments, l’angoisse et le supplice que cela représente d’avoir des millions de tonnes de roche au-dessus de la tête.