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Lors d'un match du Palestino à Santiago, en janvier 2014. Le numéro 11 du maillot est représenté par deux cartes de la Palestine d'avant la création de l'Etat d'Israël.
CARTE DE LA PALESTINED’AVANT LA COLONISATION
Dans le quartier populaire de Patronato, le Barbès de Santiago, avec ses dédales de marchés aux tissus, tous les Palestiniens se retrouvent au café Beit Jala. A deux pas de la plus vieille église orthodoxe du pays, San Jorge, que les premiers émigrés ont fondée en 1917, les anciens viennent prendre leur café, accompagné de pâtisseries arabes. Les murs sont tapissés de photos de Beit Jala, le village d’où proviennent la majorité des familles de la communauté palestinienne qui vivent au Chili.
PLAN LIEU CLUB PALESTINO À SANTIAGO DU CHILI |
«Je suis la troisième génération de Chiliens », expose le patron, Juan Bishara. Son grand-père est arrivé en bateau à Santiago dans les années 1950. Il parle arabe avec ses clients, sauf avec les plus jeunes qui sont hispanophones, même s’ils comprennent parfois la langue de leurs ancêtres. La communauté a deux écoles et un collège. « Notre quartier est connu comme le quartier arabe même si, depuis ces dernières années, de nombreuses boutiques sont désormais tenues par de nouveaux immigrants, coréens et péruviens », observe Juan Bishara.
Le Chili accueille la plus grande colonie palestinienne, en dehors du monde arabe. En l’absence de statistiques officielles, la communauté est évaluée dans une fourchette large, entre 150 000 et 400 000 personnes, nées en Palestine, ou enfants de Palestiniens et petits-enfants nés au Chili. La plupart d’entre eux, 95 %, sont chrétiens, comme leurs aïeux, ce qui a facilité leur intégration. Plus de 80 % sont arrivés entre 1900 et 1930, provenant principalement de quatre villages : Belén, Beit Jala, Beit Sahour et Beit Safafa. Les parents de l’historien Juan Sakalha sont arrivés, eux, du village chrétien de Tayebh, à 12 km de Ramallah en 1915, après un interminable voyage. Il les a menés à Valparaiso (à 120 km de Santiago), en passant par Beyrouth, Marseille, Panama, Sao Paulo, Buenos Aires, sans oublier la traversée de la cordillère des Andes à dos d’âne.
LEUR PLUS GRANDE FIERTÉ, LE PALESTINO
La plupart étaient des paysans ou des artisans, sachant lire, écrire et compter, installés dans la capitale mais aussi dans des villes de l’intérieur. « Il n’y a pas un seul village chilien qui n’ait son curé, son carabinier et son Palestinien », assure un dicton. A Santiago, ils ont choisi le quartier de Patronato, pour sa proximité avec le marché central et ses loyers économiques. Au coin des rues Filomena et Patronato, le bazar de Jorge Shahuran était, en 1910, le centre de rencontre des premiers émigrants, qui partageaient les souvenirs et les nouvelles du pays et aidaient les nouveaux à s’installer. Dès 1912, la communauté publiait son propre journal, Al Murshid.
Leur plus grande fierté est le Palestino, le club de football professionnel, fondé en 1920, l’unique club au monde qui joue en première division sous les couleurs de la Palestine. Il a défrayé la chronique, sportive et politique, lorsque en janvier les joueurs sont apparus sur les stades avec un maillot où le numéro 1 avait été remplacé par le profil allongé de la carte de la Palestine. Cela leur a porté chance, ils ont gagné trois matchs. La communauté juive, qui regroupe quelque 70 000 personnes, a réagi, protestant contre « une politisation du foot » et accusant la communauté palestinienne « d’importer au Chili un conflit religieux, plus que territorial ».
Maurice Khamis Massu, le président du Palestino, qui possède son propre stade, dans le quartier pauvre de La Cisterna, a été convoqué par l’Association chilienne de football professionnelle (ANFP) qui a interdit le port du polémique maillot et condamné le club à 15 000 dollars d’amende. A la suite de ces sanctions, les joueurs sont sortis sur les stades avec la carte de la Palestine… tatouée sur leur avant-bras. La controverse a envahi les réseaux sociaux, et depuis, les maillots, surtout le numéro 11, se vendent comme des petits pains. « Chaque victoire du Palestino est une joie pour le peuple palestinien qui souffre. Les lamentables événements de Gaza ont renforcé nos liens avec la Palestine et avec nos origines », souligne le président du Palestino.
Il avait 3 ans quand sa famille a émigré au Chili, après la création de l’État d’Israël. Il est membre de la Fondation Belen 2000 qui donne des bourses d’études aux enfants palestiniens ou envoie des médecins en Palestine. Une des grandes satisfactions de Maurice Khamis Massu est la décision de l’Union des fédérations européennes de football de rejeter la candidature d’Israël pour accueillir l’Euro 2020.
La Fédération palestinienne qui, depuis 1985, regroupe plusieurs organisations dont le Palestino, «a vu croître son importance, ces dernières années, au rythme de l’aggravation du conflit de Gaza », renchérit son président, Mauricio Abu-Gosh. « Nos objectifs sont de sensibiliser les Chiliens à la cause palestinienne, dit-il, de faire du Chili un pays ami de la cause palestinienne. Et de faire en sorte que la communauté palestinienne au Chili soit unie. »
« LOBBY TRANSVERSAL »
Cette communauté est influente. Les parlementaires d’origine palestinienne, appartenant à différents partis politiques, du Parti communiste à la droite la plus conservatrice, représentent 10 % du Sénat et 11 % de la Chambre des députés. Ils détiennent 9 mairies et comptent 26 conseilleurs municipaux. La famille de Mahmud Aleuy, vice-ministre de l’intérieur, est venue de Palestine.
Mauricio Abu-Gosh admet l’existence d’un « lobby transversal » fort de quelques « grands succès ». En 2008, le Chili a accueilli 130 refugiés palestiniens fuyant le conflit en Irak. Ils ont été reçus au palais présidentiel de la Moneda par la présidente socialiste Michelle Bachelet le jour d’Al Nakba (catastrophe, en arabe), qui marque l’anniversaire de la violente expulsion de la population palestinienne des territoires où Israël a implanté son État, en mai 1948. Michelle Bachelet, en revanche, n’a pas assisté à la réception de l’ambassade israélienne pour la célébration de la création d’Israël. En 2011, l’ancien président de droite, Sébastian Piñeira, s’est rendu en Palestine et a reconnu le droit à l’existence d’un État palestinien.
À nouveau au pouvoir depuis le 11 mars, la présidente Bachelet a rappelé l’ambassadeur chilien à Tel Aviv, lors de la recrudescence des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza, en août. Plusieurs marches réunissant des milliers de personnes ont eu lieu à Santiago au même moment, en solidarité avec la Palestine. L’ambassadeur chilien n’a rejoint son poste qu’après l’annonce du cessez-le-feu. Plusieurs pays de la région ont fait de même, à l’exception de l’Argentine qui compte, avec ses 250 000 personnes, la plus grande communauté juive du monde après Israël et les États-Unis.
Gerardo Gorodischer, le président de la communauté juive au Chili, regrette « un amalgame entre juifs et Israël » et dénonce la montée « d’un antisémitisme jamais vu au Chili ». « Nous vivons un pogrom, n’hésite-t-il pas à dire, sans que le gouvernement chilien réagisse. Les plus riches pensent quitter le Chili pour s’exiler aux États-Unis. » Il affirme que pendant certaines marches pro-Palestine, des drapeaux israéliens ont été brûlés. Pour les responsables palestiniens, il s’agit « de groupes radicalisés qui ne sont pas représentants de notre communauté ».
« Je suis chilien, palestinien et communiste », énonce fièrement Daniel Jadue, 47 ans, le maire de Recoleta, l’une des communes de Santiago où se trouve le quartier de Patronato. Il a été élu en octobre 2012, après avoir essuyé trois défaites électorales en douze ans. Il est fier que Salvador Allende, l’ancien président socialiste renversé par la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), soit enterré dans sa commune. « Historiquement, les différentes communautés religieuses vivaient en paix jusqu’à la création artificielle de l’État d’Israël par les Européens», soutient-il. Pour lui, « le conflit n’est pas religieux. Les relations sont mauvaises, non pas avec les juifs mais avec les sionistes qui sont les représentants du gouvernement israélien au Chili ».
Au Chili, l’intégration a été difficile. La société, très conservatrice, considérait les Palestiniens comme des immigrants de seconde zone, en comparaison des colonies de Britanniques, d’Allemands ou de Français qui avaient conquis l’aristocratie. Malgré les différences culturelles, les Palestiniens ont réussi à s’assimiler rapidement à la classe moyenne. Certaines familles sont à la tête des plus grandes fortunes du Chili. Pendant les années 1930, elles ont construit de grandes industries textiles, leur propre banque (BCI) et une compagnie d’assurances. Les premières années, face à un climat hostile, les Palestiniens ont opté pour des mariages endogames. Avec une progressive intégration sociale, dès 1970, on estime que 70 % des mariages accueillent des personnes extérieures à la communauté palestinienne.
L’autre endroit de ralliement est le Club palestinien, dans le quartier résidentiel de Las Condes. Fondé en 2007, c’est un véritable mirage de 11 hectares, plantés de palmiers, au pied de la cordillère des Andes enneigée. Piscine olympique, terrains de tennis et de football mais pas d’architecture arabe. Le club house est tout en baies vitrées et en bois. « Tous les présidents chiliens ont fréquenté le Club palestinien, du général Augusto Pinochet jusqu’à la présidente socialiste Michelle Bachelet », rappelle Anuar Majluf, chargé de la communication. La trentaine placide, cet ancien dirigeant de l’Union générale des étudiants palestiniens confie se sentir avant tout chilien. Mais il admet que « le conflit de Gaza a fait renaître la revendication de l’identité palestinienne au Chili ». Il nuance pourtant le propos : « Ce n’est pas qu’on importe le conflit, c’est que le conflit nous importe.» À Santiago, les Palestiniens se défendent de vouloir transposer au Chili le conflit avec Israël.
Le Chili accueille la plus grande colonie palestinienne, en dehors du monde arabe. En l’absence de statistiques officielles, la communauté est évaluée dans une fourchette large, entre 150 000 et 400 000 personnes, nées en Palestine, ou enfants de Palestiniens et petits-enfants nés au Chili. La plupart d’entre eux, 95 %, sont chrétiens, comme leurs aïeux, ce qui a facilité leur intégration. Plus de 80 % sont arrivés entre 1900 et 1930, provenant principalement de quatre villages : Belén, Beit Jala, Beit Sahour et Beit Safafa. Les parents de l’historien Juan Sakalha sont arrivés, eux, du village chrétien de Tayebh, à 12 km de Ramallah en 1915, après un interminable voyage. Il les a menés à Valparaiso (à 120 km de Santiago), en passant par Beyrouth, Marseille, Panama, Sao Paulo, Buenos Aires, sans oublier la traversée de la cordillère des Andes à dos d’âne.
LEUR PLUS GRANDE FIERTÉ, LE PALESTINO
La plupart étaient des paysans ou des artisans, sachant lire, écrire et compter, installés dans la capitale mais aussi dans des villes de l’intérieur. « Il n’y a pas un seul village chilien qui n’ait son curé, son carabinier et son Palestinien », assure un dicton. A Santiago, ils ont choisi le quartier de Patronato, pour sa proximité avec le marché central et ses loyers économiques. Au coin des rues Filomena et Patronato, le bazar de Jorge Shahuran était, en 1910, le centre de rencontre des premiers émigrants, qui partageaient les souvenirs et les nouvelles du pays et aidaient les nouveaux à s’installer. Dès 1912, la communauté publiait son propre journal, Al Murshid.
Leur plus grande fierté est le Palestino, le club de football professionnel, fondé en 1920, l’unique club au monde qui joue en première division sous les couleurs de la Palestine. Il a défrayé la chronique, sportive et politique, lorsque en janvier les joueurs sont apparus sur les stades avec un maillot où le numéro 1 avait été remplacé par le profil allongé de la carte de la Palestine. Cela leur a porté chance, ils ont gagné trois matchs. La communauté juive, qui regroupe quelque 70 000 personnes, a réagi, protestant contre « une politisation du foot » et accusant la communauté palestinienne « d’importer au Chili un conflit religieux, plus que territorial ».
Maurice Khamis Massu, le président du Palestino, qui possède son propre stade, dans le quartier pauvre de La Cisterna, a été convoqué par l’Association chilienne de football professionnelle (ANFP) qui a interdit le port du polémique maillot et condamné le club à 15 000 dollars d’amende. A la suite de ces sanctions, les joueurs sont sortis sur les stades avec la carte de la Palestine… tatouée sur leur avant-bras. La controverse a envahi les réseaux sociaux, et depuis, les maillots, surtout le numéro 11, se vendent comme des petits pains. « Chaque victoire du Palestino est une joie pour le peuple palestinien qui souffre. Les lamentables événements de Gaza ont renforcé nos liens avec la Palestine et avec nos origines », souligne le président du Palestino.
Il avait 3 ans quand sa famille a émigré au Chili, après la création de l’État d’Israël. Il est membre de la Fondation Belen 2000 qui donne des bourses d’études aux enfants palestiniens ou envoie des médecins en Palestine. Une des grandes satisfactions de Maurice Khamis Massu est la décision de l’Union des fédérations européennes de football de rejeter la candidature d’Israël pour accueillir l’Euro 2020.
La Fédération palestinienne qui, depuis 1985, regroupe plusieurs organisations dont le Palestino, «a vu croître son importance, ces dernières années, au rythme de l’aggravation du conflit de Gaza », renchérit son président, Mauricio Abu-Gosh. « Nos objectifs sont de sensibiliser les Chiliens à la cause palestinienne, dit-il, de faire du Chili un pays ami de la cause palestinienne. Et de faire en sorte que la communauté palestinienne au Chili soit unie. »
« LOBBY TRANSVERSAL »
DES DÉPUTÉS CHILIENS SOUTIENNENT LES PALESTINIENS |
Mauricio Abu-Gosh admet l’existence d’un « lobby transversal » fort de quelques « grands succès ». En 2008, le Chili a accueilli 130 refugiés palestiniens fuyant le conflit en Irak. Ils ont été reçus au palais présidentiel de la Moneda par la présidente socialiste Michelle Bachelet le jour d’Al Nakba (catastrophe, en arabe), qui marque l’anniversaire de la violente expulsion de la population palestinienne des territoires où Israël a implanté son État, en mai 1948. Michelle Bachelet, en revanche, n’a pas assisté à la réception de l’ambassade israélienne pour la célébration de la création d’Israël. En 2011, l’ancien président de droite, Sébastian Piñeira, s’est rendu en Palestine et a reconnu le droit à l’existence d’un État palestinien.
À nouveau au pouvoir depuis le 11 mars, la présidente Bachelet a rappelé l’ambassadeur chilien à Tel Aviv, lors de la recrudescence des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza, en août. Plusieurs marches réunissant des milliers de personnes ont eu lieu à Santiago au même moment, en solidarité avec la Palestine. L’ambassadeur chilien n’a rejoint son poste qu’après l’annonce du cessez-le-feu. Plusieurs pays de la région ont fait de même, à l’exception de l’Argentine qui compte, avec ses 250 000 personnes, la plus grande communauté juive du monde après Israël et les États-Unis.
Gerardo Gorodischer, le président de la communauté juive au Chili, regrette « un amalgame entre juifs et Israël » et dénonce la montée « d’un antisémitisme jamais vu au Chili ». « Nous vivons un pogrom, n’hésite-t-il pas à dire, sans que le gouvernement chilien réagisse. Les plus riches pensent quitter le Chili pour s’exiler aux États-Unis. » Il affirme que pendant certaines marches pro-Palestine, des drapeaux israéliens ont été brûlés. Pour les responsables palestiniens, il s’agit « de groupes radicalisés qui ne sont pas représentants de notre communauté ».
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DANIEL JADUE, 47 ANS, LE MAIRE DE LA COMMUNE DE RECOLETA. PHOTO AGENCIA UNO |
Au Chili, l’intégration a été difficile. La société, très conservatrice, considérait les Palestiniens comme des immigrants de seconde zone, en comparaison des colonies de Britanniques, d’Allemands ou de Français qui avaient conquis l’aristocratie. Malgré les différences culturelles, les Palestiniens ont réussi à s’assimiler rapidement à la classe moyenne. Certaines familles sont à la tête des plus grandes fortunes du Chili. Pendant les années 1930, elles ont construit de grandes industries textiles, leur propre banque (BCI) et une compagnie d’assurances. Les premières années, face à un climat hostile, les Palestiniens ont opté pour des mariages endogames. Avec une progressive intégration sociale, dès 1970, on estime que 70 % des mariages accueillent des personnes extérieures à la communauté palestinienne.
L’autre endroit de ralliement est le Club palestinien, dans le quartier résidentiel de Las Condes. Fondé en 2007, c’est un véritable mirage de 11 hectares, plantés de palmiers, au pied de la cordillère des Andes enneigée. Piscine olympique, terrains de tennis et de football mais pas d’architecture arabe. Le club house est tout en baies vitrées et en bois. « Tous les présidents chiliens ont fréquenté le Club palestinien, du général Augusto Pinochet jusqu’à la présidente socialiste Michelle Bachelet », rappelle Anuar Majluf, chargé de la communication. La trentaine placide, cet ancien dirigeant de l’Union générale des étudiants palestiniens confie se sentir avant tout chilien. Mais il admet que « le conflit de Gaza a fait renaître la revendication de l’identité palestinienne au Chili ». Il nuance pourtant le propos : « Ce n’est pas qu’on importe le conflit, c’est que le conflit nous importe.» À Santiago, les Palestiniens se défendent de vouloir transposer au Chili le conflit avec Israël.
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