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Enquête Le 11 juin 2018, le pape acceptait les premières démissions des évêques chiliens après qu’ils avaient tous remis leur charge sur fond de gestion calamiteuse des abus sexuels dans le pays. Quatre ans plus tard, l’Église apparaît embourbée dans une crise de confiance et de légitimité dont elle ne voit pas l’issue.
Marguerite de Lasa (à Santiago)
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Lorsqu’elle fait une course dans le centre de Santiago, la capitale chilienne, Gina, 67 ans, s’arrête toujours à la cathédrale. Elle y reste vingt minutes, remercie le Seigneur pour sa santé, et confie son fils qui habite loin. Elle prie aussi tous les soirs chez elle. Mais à la messe, elle n’y va plus depuis une dizaine d’années. « Après tout ce qui s’est passé, tous les abus sexuels, nous n’avons plus confiance, s’exclame-t-elle. Comment aller à la messe et se confesser devant un curé ? »
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« Au Chili, tous les indicateurs de confiance dans l’Église sont en baisse, sauf la piété populaire, constate Eduardo Valenzuela, sociologue des religions à l’Université pontificale du Chili. Or la particularité de cette piété, c’est qu’elle se passe de la médiation d’un prêtre. » Ce n’est pas la foi qui est en crise, mais bien l’Église catholique.
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Indicateurs de confiance en baisse
En janvier 2018, la visite du pape François au Chili et ses conséquences provoquent un séisme dans l’Église chilienne, faisant éclater au grand jour la crise des abus sexuels. Convoqués à Rome, les évêques chiliens remettent leur démission au pape le 18 mai.
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Le 31 mai, François publie sa lettre « Au peuple de Dieu qui chemine au Chili », dans laquelle il dénonce « une culture de l’abus et de la dissimulation » ainsi que le cléricalisme. « À ce moment-là, j’ai eu l’espoir que cela change », confie José Andrés Murillo, fondateur d’une association d’aide aux victimes, et lui-même abusé par Fernando Karadima, ancien prêtre pédocriminel chilien.
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Quatre ans plus tard, pourtant, l’Église catholique chilienne semble enlisée dans une crise dont elle ne voit pas l’issue. En 2021, seuls 19 % des fidèles disaient avoir confiance dans l’institution, contre 58 % en 2006. Surtout, l’affiliation à la religion catholique est en chute libre : 42 % de la population se déclarait catholique l’an dernier contre 70 % il y a quinze ans, selon une enquête de l’université catholique. « C’est l’une des chutes les plus rapides du monde », soutient Eduardo Valenzuela.
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Crise des abus et sécularisation
Difficile d’en distinguer la cause principale. « À la différence de la France, où le processus de sécularisation est bien antérieur à la crise des abus, au Chili, les deux phénomènes, qui ont démarré il y a une vingtaine d’années,se renforcent mutuellement et provoquent un changement très rapide », rappelle le sociologue.
D’autant que les révélations de cas de violences sexuelles se sont multipliées après 2018. La parole s’est libérée : plus de la moitié des plaintes enregistrées par l’Église l’ont été entre 2018 et 2019. Parmi les clercs accusés, des figures emblématiques, à l’image du père Renato Poblete, jésuite mort en 2010, aumônier pendant vingt ans du Hogar de Cristo, principal organisme de bienfaisance chilien. Une statue avait été érigée en sa mémoire et un parc portait son nom. « Il représentait le meilleur de l’Église chilienne», insiste Eduardo Valenzuela.
Marginalisation dans le débat public
Signe d’un certain effacement, l’Église, autrefois fer de lance de la lutte pour les droits de l’homme, s’est illustrée par son absence depuis la révolte sociale d’octobre 2019 contre les inégalités. « Elle rencontre d’énormes difficultés à être reconnue comme un acteur du débat public », analyse Eduardo Valenzuela. « Un des aspects de la révolte était la défiance envers l’institution », estime même Marcial Sánchez Gaete, historien de l’Église.
Dans la crise, elle « n’a pas donné de réponse ferme », juge Eduardo Valenzuela, résumant la conclusion d’un rapport qu’il a dirigé en 2020. « Elle doit financer une commission indépendante de vérité, de justice et de réparation, comme cela s’est fait en France », affirme quant à lui José Andrés Murillo. De son côté, Sergio Pérez de Arce, secrétaire général de la conférence épiscopale, assure que « si la société réclame des études plus larges sur la question des abus, pas seulement dans l’Église mais aussi dans d’autres institutions, nous sommes bien sûr disposés à collaborer ».
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La crise de l’Église chilienne
2011. Le père Fernando Karadima est condamné lors d’un procès canonique pour abus sexuel sur mineurs et suspendu à vie de ses fonctions par le Vatican.
Janvier 2018. En visite au Chili, le pape François prend la défense de l’évêque d’Osorno, Mgr Juan Barros, disciple de Fernando Karadima, accusé d’avoir couvert ses agissements. À son retour, le pape confie finalement une enquête dans l’Église chilienne à Mgr Charles Scicluna et Mgr Jordi Bertomeu.
Mai 2018. Les évêques chiliens sont convoqués à Rome et remettent leur démission au pape.
11 juin 2018. Le pape accepte la démission de trois évêques, dont celle de Juan Barros, avant d’en accepter quatre autres entre juin et septembre.
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