lundi, avril 14, 2025

MARIO VARGAS LLOSA, PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE EST MORT

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MARIO VARGAS LLOSA, À NEW YORK,
 LE 19 AVRIL 2001.
PHOTO HOLGER KEIFEL

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Le Monde

Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature et auteur de « La Tante Julia et le scribouillard », est mort / L’écrivain d’origine péruvienne s’est éteint à 89 ans, le 13 avril, à Lima. Chef de file des auteurs latino-américains, il considérait la littérature comme un moyen d’éveiller les consciences. [Du communisme à l'ultralibéralisme thatchérien]

Par Florence Noiville

Temps de Lecture 8 min.

il disait que la littérature « a des effets sur nos vies». Parce qu’« elle dissipe le chaos, embellit la laideur, éternise l’instant et fait de la mort un spectacle » (Eloge de la lecture et de la fiction, Gallimard, 2011). L’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, chef de file des lettres hispaniques contemporaines et Prix Nobel 2010, est mort à Lima, dimanche 13 avril. Il était âgé de 89 ans.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Que le texte « agisse » sur nous était une révélation qu’il avait eue « à 5 ans, en Bolivie ». « C’était en 1941, à Cochabamba, dans la classe du frère Justiniano », nous avait-il confié un jour, à Paris, dans son élégant appartement de la rue Saint-Sulpice. Ce choc, insistait-il, était « ce qui [lui] était arrivé de plus important dans l’existence ». Il avait compris alors qu’on pouvait éprouver physiquement une phrase. Suer sang et eau à la lecture des Misérables, se « traîner dans les entrailles de Paris avec, sur son dos, le corps inerte de Marius » ou même, avec un roman d’Alejo Carpentier, calmer sa peur de l’avion quand le whisky, les somnifères et les anxiolytiques avaient échoué (Comment j’ai vaincu ma peur de l’avion, L’Herne, 2009).

C’est bien sûr cette fascination pour le pouvoir magique de la littérature qui le conduira à écrire. A s’engager. Pour tester l’effet de ses propres mots sur lui et sur les autres.

Né à Arequipa, au Pérou, le 28 mars 1936, Jorge Mario Pedro Vargas Llosa est le fils unique d’Ernesto Vargas Maldonado et de Dora Llosa Ureta. Ses parents se séparent peu après sa naissance. L’enfant passe les premières années de sa vie avec sa famille maternelle, entre le Pérou et la Bolivie. Son père ne se manifeste jamais, si bien que le garçon grandit dans l’idée qu’il est mort. Un jour pourtant, les parents décident de revivre ensemble, et le père réapparaît. Mario a 10 ans. Il fait la connaissance d’un être despotique qui, lorsqu’il a 14 ans, l’expédie à l’académie militaire Leoncio-Prado de Lima. Afin qu’il cesse de gribouiller des poèmes et devienne un homme, un vrai. Cette expérience contribue à sculpter son destin. « Avant de connaître l’autoritarisme politique, j’avais connu l’autoritarisme paternel, disait-il. Ma manière de résister fut d’entrer en littérature. »

Cette entrée, Vargas Llosa l’a superbement décrite dans La Tante Julia et le scribouillard (1977, tous les livres de Vargas Llosa sont publiés chez Gallimard). Comme le jeune « Varguitas », le héros de ce magnifique récit autobiographique, il poursuit mollement des études de droit et de lettres à l’université San Marcos de Lima. Parallèlement, il gagne quelques sols en rédigeant des chroniques de cinéma pour la revue Literatura et le journal El Comercio. A ses moments perdus, il s’essaie à l’écriture – ses premières nouvelles seront réunies dans Los Jefes (Les Caïds, 1959).

Membre de la « grande famille » latino-américaine

C’est à cette époque – il n’a pas 21 ans – que surgit dans son existence Julia Urquidi Illanes qu’il voit pour la première fois « nu-pieds et en bigoudis ». De quinze ans son aînée, Julia est sa tante. Elle arrive de Bolivie où elle vient de divorcer et a très envie d’être aimée à nouveau. « Je lui expliquai que l’amour n’existait pas, que c’était une invention d’un Italien appelé Pétrarque et des troubadours provençaux », fait dire l’écrivain à Varguitas. Comme beaucoup de personnages de Vargas Llosa, la piquante Julia ne manque ni d’érotisme ni de perversité. Elle projette d’emmener le jeune scribouillard voir un film intitulé Mère et maîtresse. Bientôt, dans le roman comme dans la vie, la tante et le neveu finissent par s’épouser malgré la différence d’âge, le lien familial et la fureur de leur entourage.

Nous sommes à la fin des années 1950. Vargas Llosa – qui plus tard quittera sa tante Julia pour sa cousine Patricia – ne va pas tarder à découvrir l’Europe. A Madrid d’abord, où il termine ses études et soutient une thèse de doctorat sur le poète moderniste nicaraguayen Ruben Dario. Puis à Paris – il a remporté un concours organisé par La Revue française, dont le prix est un voyage en France. En 1958, puis de 1959 à 1966, il passera à Paris « les années les plus décisives de [sa] vie ». Il travaille à l’Agence France-Presse et à la Radio-Télévision française.

Tout le passionne. Il découvre Beckett, Ionesco, Vilar, Barrault, le Nouveau Roman, la Nouvelle Vague. Paradoxalement, c’est entre Londres, Barcelone et Paris qu’il découvre la littérature sud-américaine. Il devient l’ami de l’Argentin Julio Cortazar, du Mexicain Carlos Fuentes, du Colombien Gabriel Garcia Marquez alias Gabo, l’aîné admiré, le grand ami avec qui il se brouillera à mort pour une histoire – de femme ? de politique ?… en tout cas une histoire que l’un et l’autre se refuseront toujours à commenter.

MARIO VARGAS LLOSA, LORS D’UN DISCOURS
APRÈS AVOIR REÇU LE PRIX RITZ-HEMINGWAY,
À L’HÔTEL RITZ, À PARIS, LE 29 MARS 1985.
PHOTO DOMINIQUE FAGET

« C’est à Paris que j’ai découvert que j’étais latino-américain, disait-il. Avant, je ne me sentais que péruvien, sans le sentiment de faire partie d’une grande famille. » Dans les années 1960, cette grande famille incarnera ce qu’il est convenu d’appeler le « boom de la littérature latino-américaine ». Celle-ci émane d’un groupe d’auteurs influencés par les lettres occidentales et le modernisme. Un groupe dont Vargas Llosa – avec Fuentes, Onetti, Borges, Roa Bastos… – sera l’une des plus éminentes figures.

C’est aussi en Europe que, nourri de Faulkner, de Flaubert ou de Hugo, l’écrivain découvre Camus, et surtout Sartre. L’auteur de La Nausée le marque de façon indélébile. Il confirme que « la littérature ne peut échapper à son temps ». Qu’elle « n’est ni ne peut être un pur divertissement ». Que « les mots sont des actes » qui forment les consciences. Nourri de ces idées, Vargas Llosa signe, en 1963, La Ville et les chiens, un roman inspiré de son passage à l’académie militaire, qui décrit la vie des cadets opprimés par la discipline. Le personnage d’Alberto, le Poète, qui vend à ses camarades des romans pornographiques et des lettres d’amour destinées à leurs bonnes amies, y apparaît déjà comme l’emblème de l’écrivain selon Vargas Llosa. Un insoumis qui insuffle aux autres la force de réinventer leurs vies.

Un « homme plume »

Bientôt, La Ville et les chiens est traduit dans une vingtaine de langues. Vargas Llosa n’a que 27 ans. Suivra une œuvre exceptionnellement profuse et foisonnante. Romans, nouvelles, essais littéraires et politiques, études étincelantes d’érudition, théâtre, Mémoires… : on compte au total une trentaine d’ouvrages, remarquables par la finesse de l’observation psychologique et sociale, la luxuriance des images, l’art de la polyphonie, la palette des tonalités, tour à tour mordantes, ironiques, sérieuses, burlesques, érotiques, bouffonnes… On y trouve ce que Vargas Llosa appelait des « autopsies de dictatures », comme celle que vécut le Pérou, de 1948 à 1956, sous le général Odria (Conversation à La Catedral, 1969) ou celle qu’imposa Trujillo après le coup d’Etat de 1930 en République dominicaine (La Fête au bouc, 2002).

On y trouve des satires subversives du fanatisme militaire (Pantaléon et les visiteuses, 1973) ou religieux (La Maison verte, 1966). Des interrogations ethnologiques où, comme dans L’Homme qui parle (1987), Vargas Llosa livre ses doutes quant à l’avenir des populations indiennes du Pérou. On y trouve encore de grandes histoires d’utopie comme Le Paradis – un peu plus loin (2003) où l’auteur, croisant les destins de la militante féministe Flora Tristan et de son petit-fils, le peintre Gauguin, évoque la façon dont deux êtres libertaires vivront l’enfer après avoir osé rêver du paradis.

Vargas Llosa est véritablement cet « homme plume » imaginé par Flaubert. Il tâte de tous les genres et sait tout faire. La veine libertine ne lui est pas étrangère. Dans Les Cahiers de don Rigoberto (1997), il sacrifie à Eros avec légèreté et bonne humeur, affirmant que « l’érotisme est inséparable de la civilisation ». Et l’humour non plus. Dans Eloge de la marâtre (1988) où il raconte les amours d’un très jeune garçon pour sa belle-mère, il truffe des pages entières de détails hilarants sur la toilette intime, des oreilles aux aisselles, de son alter ego don Rigoberto.

C’est pour sa « cartographie des structures du pouvoir » que le prix Nobel lui sera attribué en 2010. Vargas Llosa a beau avoir « pris [ses] distances avec Sartre », il laisse volontiers entendre sa foi en la mission sociale de l’écrivain. Une mission qu’il précise en 2015, lorsqu’il est fait docteur honoris causa de l’université de Salamanque. « Les effets [de la littérature] ne peuvent être prémédités, affirme-t-il. Pas moyen pour l’auteur de planifier ce qu’il écrit afin que son livre ait des conséquences déterminées sur la réalité. » Mais ce qui est sûr, c’est qu’« un peuple contaminé par des fictions est plus difficile à asservir qu’un peuple alittéraire ou inculte. La littérature est immensément utile parce que c’est une source d’insatisfaction permanente. Elle fait de nous des citoyens frustrés et récalcitrants. » Insatisfaits du réel mais libres… et donc plus à même (peut-être) de le changer.

Virage à droite, voire à l’extrême droite

MARIO VARGAS LLOSA Et MARGARET THATCHER

Cet engagement n’est pas purement esthétique. Comme chez beaucoup d’auteurs sud-américains de sa génération, écriture et politique ne sont jamais loin. Après un passage au Parti communiste pendant ses études universitaires, Vargas Llosa soutient le gouvernement de Fidel Castro. Mais, déçu par la révolution cubaine, il rompt en 1971 avec l’extrême gauche. Peu à peu, ses opinions glissent du communisme vers un libéralisme thatchérien qu’il assume et revendique.

Convaincu que le système libéral « réduit au maximum les formes possibles d’injustice » et que « libertés politique et économique sont les deux faces d’une même médaille », il se présente en 1990 – il a 54 ans – à l’élection présidentielle péruvienne. Battu au second tour par Alberto Fujimori, il ne reviendra en rien sur ses convictions, mais décidera de refermer cette parenthèse politique hasardeuse – qu’il raconte dans Le Poisson dans l’eau (1993) – pour retourner à ce qu’il sait faire de mieux, écrire.

 L'ÉCRIVAIN PÉRUVIEN MARIO VARGAS LLOSA, QUI FÊTAIT RÉCEMMENT
SES 80 ANS, APPARAÎT DANS LES PANAMA PAPERS COMME L'ACTIONNAIRE
D'UNE SOCIÉTÉ OFFSHORE AUX ÎLES VIERGES BRITANNIQUES.
PHOTO JULIO CESAR AGUILAR 

Cette prise de distance ne l’empêcha pas de continuer à s’impliquer publiquement, actant progressivement, et de plus en plus nettement, son virage à droite, voire à l’extrême droite. Ainsi s’est-il notamment prononcé en faveur de Keiko Fujimori, fille de son ancien rival, face au candidat de la gauche, Pedro Castillo, lors de la présidentielle au Pérou, en 2021, et a-t-il assuré préférer, avant la présidentielle d’octobre 2022 au Brésil, une victoire du président d’alors, Jair Bolsonaro, « malgré ses pitreries », à celle de Lula.

Ayant obtenu la nationalité espagnole en 1993, sans cesse entre deux villes – il a quatre appartements qu’il occupe à tour de rôle, à Lima, à Madrid, à Paris et à Londres –, éloquent, portant beau, il continue de défendre inlassablement ses convictions. Dans Le Héros discret (2013), il dresse du Pérou un tableau sans concession, fustigeant la délinquance mafieuse, la corruption et la tentation de la médiocrité. Avant cela, il était parti en Afrique prendre des notes pour son roman Le Rêve du Celte (2010), dans lequel il racontait l’histoire vraie de Roger Casement, cet Irlandais qui fut l’un des premiers à dénoncer les atrocités commises au Congo belge à l’époque du roi Léopold II.

MARIO VARGAS LLOSA, APRÈS LA CÉRÉMONIE DE SON INTRONISATION
 À L’ACADÉMIE FRANÇAISE, À PARIS, LE 9 FÉVRIER 2023.
PHOTO EMMANUEL DUNAND

Il y avait quelque chose de démesuré et de boulimique chez cet inlassable travailleur couronné par tous les prix possibles et entré de son vivant dans « La Pléiade » (2016). Immense lecteur, voyageur, amateur d’art, Mario Vargas Llosa s’était même fait acteur, à Madrid en 2015. Avec Les Contes de la peste, une adaptation du Décaméron de Boccace qu’il avait imaginée lui-même, il avait débuté sur les planches « malgré le trac » et la « peur du ridicule ». De cette aventure aussi risquée que fascinante, il avait dit plus tard : « Je n’ai jamais eu si peur, en coulisse. Plus peur que lorsque j’étais candidat à la présidence du Pérou et que je risquais de me faire tuer. » Mais il ajoutait aussitôt qu’il serait prêt à retenter l’aventure, « même en rampant », à 90 ans.

Jusqu’au dernier moment, il aura célébré la fiction, répondant indirectement à cette question de Paul Valéry : « Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » Une question qu’il avait symboliquement placée en exergue, c’est-à-dire à la porte de son Paradis.

Mario Vargas Llosa en quelques dates

28 mars 1936 Naissance à Arequipa (Pérou)

1959 S’installe à Paris et travaille à l’Agence France-Presse et à l’ORTF

1969 « Conversation à la cathédrale »

1977 « La Tante Julia et le scribouillard »

1990 Candidat à l’élection présidentielle au Pérou

1993 « Le Poisson dans l’eau »

2002 « La Fête au bouc »

2003 « Le Paradis – un peu plus loin »

2010 Prix Nobel de littérature

2016 Entre dans « La Pléiade »

2021 Elu à l’Académie française

13 avril 2025 Mort à Lima


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samedi, avril 12, 2025

AFRIQUE DU SUD / JOE MODISE, LE CHEF DE L’ARMÉE CLANDESTINE QUI EST VENU À BOUT DE L’APARTHEID

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COUVERTURE DE «CAMARADE ET COMMANDANT,
LA VIE ET ​​L'ÉPOQUE DE JOE MODISE», DE 
RONNIE KASRILS
 ET FIDELIS HOVE, 
JACANA MEDIA,AFRIQUE DU SUD, 2024,
380 RANDS (18 €). DISPONIBLE EN ANGLAIS
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Joe Modise, le chef de l’armée clandestine qui est venu à bout de l’apartheid / Entretien · Un livre collectif raconte l’histoire de celui qui a été le commandant de la branche armée du Congrès national africain avant d’accompagner, comme ministre de la Défense de Nelson Mandela, la transition des forces armées sud-africaines vers une armée mixte et démocratique. Joe Modise a été un acteur central des luttes de libération en Afrique australe, comme le raconte l’un de ses frères d’armes qui a supervisé l’ouvrage, Ronnie Kasrils.

Décolonisation Histoire Afrique australe Afrique du Sud Angola Conflit armé Mozambique URSS Zimbabwe

Victoria Brittain > 11 avril 2025    

JOE MODISE

Les cinquante auteurs de Comrade & Commander, The Life and Times of Joe Modise sont, pour la plupart, issus du réseau militaire clandestin né en 1963, avec la formation, en Union soviétique, des 150 premières recrues sud-africaines engagées dans la lutte armée contre le gouvernement le plus puissant d’Afrique. Parmi elles se trouvaient le jeune Joe Modise, qui allait devenir le leader naturel du groupe, et son frère d’armes Ronnie Kasrils, un des deux éditeurs de l’ouvrage qui a accepté d’être interviewé par Afrique XXI.

JOE MODISE AVEC NELSON MANDELA, DÉFILÉ DE MK,
STADE D’ORLANDO STADIUM, SOWETO, DÉCEMBRE 1993.

JOE MODISE AVEC NELSON MANDELA, DÉFILÉ DE MK,
STADE D’ORLANDO STADIUM, SOWETO, DÉCEMBRE 1993.

Cette image en noir et blanc montre deux hommes engagés dans une conversation intense. L'homme à gauche, avec un chapeau de camouflage et un uniforme assorti, a une expression sérieuse et attentive. À sa droite, un autre homme portant également une tenue de camouflage semble écouter avec intérêt. En arrière-plan, on peut voir un groupe de personnes, floues, qui regardent la scène. L'atmosphère de l'image suggère un moment significatif, probablement lié à une discussion importante ou à un événement marquant. / Joe Modise avec Nelson Mandela, défilé d'Umkhonto we Sizwe, (MK) (Lance de la Nation), l'aile militaire du Congrès national africain (ANC), stade d’Orlando Stadium, Soweto, décembre 1993. © DR

Le retour épique au pays des combattants, à travers les colonies britanniques et portugaises, s’est soldé par des dizaines de milliers de morts et de blessés, des années de prison et d’exil et maintes déceptions et trahisons. C’était une génération de sacrifice.

► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Joe Modise n’aimait pas la publicité. L’homme que décrit ce livre est un héros qui surprend par son ingéniosité, sa ténacité et ses compétences de leader, aiguisées de Sophiatown à Odessa et dans les batailles disputées aux côtés des Cubains, en Angola, contre ses compatriotes engagés auprès de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita).

« Il devient à 36 ans le commandant de la branche armée de l’ANC »

Victoria Brittain : Tout d’abord, pourquoi avez-vous choisi de consacrer un livre à Modise, le moins connu des membres du cercle des années les plus dures de la lutte armée en Afrique du Sud ? Et pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire à travers cinquante voix ?

RONALD KASRILS (NÉ LE 15 NOVEMBRE 1938) EST UN HOMME POLITIQUE
SUD-AFRICAIN,  ANCIEN GUÉRILLERO ET COMMANDANT MILITAIRE. IL
 A OCCUPÉ PLUSIEURS POSTES MINISTÉRIELS, NOTAMMENT CELUI DE
MINISTRE DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT DE 2004 À 2008.  IL A ÉTÉ
MEMBRE DU COMITÉ EXÉCUTIF NATIONAL (NEC) DU CONGRÈS NATIONAL
 AFRICAIN (ANC)  DE 1987 À 2007, AINSI QUE DU COMITÉ CENTRAL DU
 PARTI COMMUNISTE SUD-AFRICAIN (SACP) DE DÉCEMBRE 1986 À 2007.

Ronnie Kasrils  : C’est précisément parce que Joe Modise était le moins connu de ces dirigeants, bien qu’étant le plus impliqué et le plus important de la lutte armée pendant toute la longue période allant de ses débuts, en 1961, à la victoire politique, en 1994. Outre le fait qu’il a été un cadre clé, indispensable à Nelson Mandela dans la phase initiale de la lutte armée, où il a conduit en personne des opérations dangereuses, il est devenu, à l’âge de 36 ans, le commandant d’Umkhonto We Sizwe (MK), la Lance de la Nation, le bras armé du Congrès national africain (ANC) créé de concert avec le Parti communiste sud-africain (SACP). C’était en 1965, après l’emprisonnement de Mandela. Modise a occupé ce poste jusqu’à la fin de la lutte armée, en 1994, et la chute de l’apartheid. Cela fait de lui l’un des commandants de guérilla ayant eu la plus grande longévité au monde. Si les rôles de Joe Slovo et de Chris Hani, par exemple, ont été, à juste titre, bien documentés, respectivement en tant que chef d’état-major et commissaire de l’armée, leurs fonctions de commandement ont été beaucoup plus brèves. À travers Joe Modise, on embrasse toutes les péripéties de l’histoire d’Umkhonto We Sizwe.

Modise n’était pas un personnage public comme Slovo, Hani et d’autres. Il préférait travailler dans l’ombre. Il n’était pas non plus aussi populaire auprès des combattants, même si ceux qui travaillaient auprès de lui le tenaient en très haute estime. En tant que commandant, il a dû se battre pour imposer la discipline militaire à des forces irrégulières dispersées et parfois presque rebelles, dans les conditions difficiles de l’exil.

« LOGO » DU MOUVEMENT UMKHONTO WESIZWE

Cela a fait de lui une cible privilégiée des agences de propagande de l’apartheid et de leurs espions, dont beaucoup faisaient partie du mouvement de libération, d’autres étant idéologiquement hostiles à l’ANC et à ses liens avec les communistes. Ces calomnies se poursuivent encore aujourd’hui.

Cet examen de la vie et de l’héritage de Modise, nourri des points de vue de ceux qui ont travaillé en étroite collaboration avec lui, de sa famille et de ses anciens ennemis, n’est pas seulement un hommage à sa contribution à une lutte épique, mais il est essentiel pour que les Sud-Africains, en particulier la jeune génération, comprennent les sacrifices, le courage et l’engagement de ceux qui nous ont permis d’accéder à la liberté.

Victoria Brittain : Pouvez-vous nous parler des origines sociales et familiales de Joe Modise et de son militantisme dans les townships, dans les années 1950 ?

Ronnie Kasrils  : Modise est né en 1929 dans un township métis de Johannesburg, ce qui a façonné ses valeurs non racistes. Son père était un migrant du Botswana qui travaillait dans une usine. Sa mère, métisse, est décédée lorsqu’il avait 12 ans. C’était un écolier brillant, mais il a été contraint de travailler dès l’âge de 14 ans, pour devenir chauffeur de bus à 20 ans. Il vivait alors à Sophiatown, creuset de mouvements politiques noirs rebelles et d’une culture dynamique. Il incarnait le style d’une nouvelle jeunesse consciente des townships, qui respirait le défi par son look vestimentaire et son argot effronté qu’on appelait tsotsitaal. Il appartenait à cette génération post-Seconde Guerre mondiale qui, dans l’Afrique du Sud en voie d’industrialisation, se rallia en masse à l’ANC et au parti communiste.

Modise devint rapidement un lieutenant de Nelson Mandela dans la Campagne de Défiance1 contre les nouvelles lois d’apartheid votées dans les années 1950, qui intensifiaient la ségrégation et la répression. Alors qu’il venait de se marier, il a été expulsé de Sophiatown avec sa jeune femme et sa fille, comme des milliers d’autres habitants noirs, vers des banlieues-dortoirs situées en dehors des villes, dans le cadre de l’expulsion forcée des communautés non blanches des zones urbaines. En tant que travailleur mal payé, il a connu directement l’oppression de classe et l’oppression nationale. Il s’est révélé un organisateur très motivé et compétent.

LES PRÉVENUS DU PROCÈS DE LA TRAHISON,
DÉCEMBRE 1956. © ELI WEINBERG

Ses pairs se souviennent de la façon dont Modise commentait en continu, pour les passagers des banlieues qui montaient dans son bus, la cause de leurs souffrances et la nécessité de s’élever contre l’oppression. Certains de ses détracteurs ont déformé les premières activités militantes de Modise, affirmant qu’il était un délinquant dont l’aisance verbale en tsotsitaal reflétait le passé criminel. En réalité, c’était un organisateur choisi par Mandela et les principaux dirigeants de l’ANC, et l’un des plus jeunes accusés du légendaire Procès pour trahison2qui se déroula de 1956 à 1961. Johannesburg était un melting-pot d’ethnies venues de toute l’Afrique australe pour s’installer dans la métropole. Modise était le reflet du dynamisme non régionaliste, non raciste et multiculturel de la ville, indispensable pour forger l’unité inclusive d’un mouvement de libération nationale.

« L’entraînement des combattants a commencé à Moscou et à Odessa »

Victoria Brittain : Vous avez tous deux été choisis pour suivre un entraînement militaire en Union soviétique. Parlez-nous de cette expérience et de la façon dont Modise a pris la tête d’Umkhonto We Sizwe.

Ronnie Kasrils  : L’entraînement des combattants de l’ANC a commencé à Moscou en 1963 et à Odessa en 1964. Au fil des ans, des formations spécialisées à l’intention de l’ANC et d’une nébuleuse de mouvements de guérilla ont eu lieu dans plusieurs régions de l’URSS. Les officiers de marine de l’ANC ont été formés à Bakou (alors République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan). Les pilotes ont étudié à Frounze (ancien nom de Bichkek, capitale du Kirghizistan, alors en République socialiste soviétique du Tadjikistan), les commissaires politiques à Minsk (République socialiste soviétique de Biélorussie). Une zone d’entraînement cruciale pour les mouvements africains se trouvait en Crimée, où le terrain ressemblait davantage à celui de l’Afrique australe.

La décision d’admettre des camarades de l’ANC à l’entraînement était prise à Moscou, les fonds provenaient du budget de l’État, et l’entraînement était assuré par le ministère de la Défense. J’ai fait partie du groupe initial de 150 recrues de MK formées à Odessa en 1964. Joe Modise commandait le groupe, avec Moses Mabhida, syndicaliste chevronné et futur secrétaire général du SACP, comme commissaire.

Nous étions basés dans un institut militaire d’Odessa destiné à la formation d’officiers subalternes soviétiques appelé Red Banner Combined Arms Command School (« école de commandement interarmes de la bannière rouge »). L’état-major soviétique, commandé par le major général Chernyshenko, vétéran ukrainien de la Grande Guerre patriotique contre l’Allemagne nazie, mettait en œuvre le programme de formation dirigé par le comité central soviétique et le ministère de la Défense, à la demande du dirigeant de l’ANC, Oliver Tambo.

Modise et Mabhida s’entraînaient aux côtés des autres « kursanty » (cadets). La préparation était un hybride de guerre régulière et de guérilla. Rétrospectivement, nous avons pu constater à quel point la planification soviétique était minutieuse et suivie.

« La révolution, c’était pas du rock’n’roll »

Notre contingent était principalement constitué de jeunes d’une vingtaine d’années, originaires de toute l’Afrique du Sud mais surtout des villes. La plupart d’entre eux appartenaient à la classe ouvrière. Peu d’entre eux avaient terminé leurs études secondaires, mais beaucoup avaient participé aux luttes de masse et aux grèves. L’ensemble du détachement suivait les mêmes enseignements généraux, tels que les tactiques de guérilla, le maniement des armes (fusil d’assaut AK47, mitrailleuses légères et lourdes, mortiers et lance-roquettes), l’utilisation des grenades, la pose de mines antichars et antipersonnel, les opérations sur les lignes de front en terrain découvert et les petits groupes de raid. Certains d’entre nous ont même appris à conduire les chars russes T34 ; d’autres ont manipulé de l’artillerie lourde. Modise l’encourageait car, disait-il, « les forces de guérilla s’empareraient de telles armes auprès de l’ennemi ». Beaucoup de temps était consacré à la formation politique.

Notre instructeur politique, le major Chubinyikan, était un Arménien soviétique inoubliable. La révolution, disait-il, était une perspective difficile qu’il ne fallait pas prendre à la légère. Le major Chubinyakan insistait sur le fait que la lutte armée ne devait être engagée qu’en l’absence de libertés démocratiques. Pour lui, la révolution connaissait des revers et des défaites, mais elle était invincible dès lors qu’elle impliquait les masses et qu’elle disposait d’une théorie, d’une stratégie et d’une direction correctes. Selon lui, le prolétariat serait le fossoyeur du capitalisme. Il aimait utiliser les expressions « d’homme à homme comme de loup à loup » pour qualifier le capitalisme et « d’homme à homme comme ami, camarade et frère » pour le socialisme.

Le major nous parlait de l’arriération et de la misère des paysans dans l’empire tsariste et des progrès réalisés par l’Union soviétique, premier pays à avoir envoyé un être humain dans l’espace. En tant qu’Arménien soviétique, il était fier de nous dire qu’avant la révolution l’Arménie était une nation de cireurs de chaussures, et qu’aujourd’hui elle avait le taux de médecins et d’ingénieurs par habitant le plus élevé au monde. Il avait un grand sens de l’humour et disait en anglais :« revolution was not rock’n’roll » (la révolution, c’était pas du rock’n’roll).

Nous nous levions à 6 heures, faisions une demi-heure d’exercice physique avant de prendre notre petit déjeuner et de commencer les cours à 9 heures. Des exercices pratiques suivaient le déjeuner.

La plupart de nos recrues n’avaient jamais rencontré de Blancs, et elles se trouvaient désormais prises en charge au-delà de ce qu’elles pouvaient imaginer : des conditions de vie décentes, des douches chaudes, de bons repas, tous cuisinés par le personnel.

« La haine et le dégoût du fascisme et du racisme sous toutes leurs formes »

Nous avons étudié l’histoire de la Grande Guerre patriotique, dont une bonne partie était consacrée à la guerre menée par les partisans contre les envahisseurs fascistes dans toutes les zones occupées de l’Union soviétique, où les exécutions se comptaient par centaines de milliers, y compris par les collaborateurs des nazis. Nous avons appris l’existence du collaborateur nazi Stepan Bandera et de ses escadrons de la mort, responsables du massacre de centaines de milliers de communistes et de juifs ukrainiens. Nos instructeurs venaient de toute l’Union soviétique, et ceux qui étaient ukrainiens étaient tous communistes. Ils nous ont enseigné la haine et le dégoût du fascisme et du racisme sous toutes leurs formes et le mépris de l’impérialisme et du système capitaliste, ainsi que de ce qu’on appelait le honteux système colonial.

Dans le cadre de notre instruction politique, l’accent était mis sur les luttes anticoloniales et de libération nationale en Afrique, en Asie et en Amérique latine pour créer des États indépendants et faire advenir la liberté et la démocratie et sur la manière de développer l’économie une fois que nous serions libres, afin d’échapper au contrôle de l’impérialisme occidental et du néocolonialisme.

Odessa était une ville cosmopolite et, comme la partie orientale de l’Ukraine, y compris la Crimée, très russe. Nous étions autorisés à entrer librement dans la ville le week-end, nous portions des vêtements civils et nous recevions de l’argent de poche. Nous étions reçus comme des invités d’honneur au centre syndical de la ville. Notre endroit préféré était le « palais » militaire, où il y avait des événements culturels et de la danse le samedi soir et où nous faisions des démonstrations de danse africaine pour amuser les participants soviétiques.

Après six mois d’entraînement à Odessa, nous avons passé trois mois dans un camp d’entraînement en bord de mer où nous avons participé à des simulations de batailles, de raids et d’embuscades. Il s’agissait d’une préparation très réaliste, à l’exception du sang et du carnage. C’est ainsi que Joe Modise est devenu le commandant de l’ensemble du détachement lors d’un exercice de guerre de quatre jours au cours duquel il s’est distingué en tant que chef.

L’exercice prévoyait la traversée d’une immense rivière à l’aide de bateaux à rames et de dériveurs. À l’époque, nous ne savions pas que nous nous préparions pour la traversée du Zambèze, en Zambie, en 1967-1968, contre les forces rhodésiennes, ou pour celle de la rivière Kwanza, en Angola, lors d’affrontements armés contre l’Unita qui surviendraient dans les années 1980. Modise a participé à ces deux campagnes difficiles.

Plus tard, Modise m’a appris tout ce que nous devions à cette formation à Odessa. Lui et Mabhida, avec le personnel soviétique, ont passé des heures à analyser la formation, à identifier les lacunes, à chercher à l’améliorer. Notre propre développement, dans les années qui ont suivi, de la formation de MK, comme celle des autres mouvements de libération nationale africains, s’est enraciné dans ce travail.

« La clandestinité était impérative »

Victoria Brittain : Parlez-nous des premiers mois très difficiles après le retour d’URSS et des itinéraires risqués pour rentrer en Afrique du Sud à travers des pays dangereux et hostiles.

Ronnie Kasrils : Lorsque les premiers groupes de MK formés en Union soviétique sont rentrés en Tanzanie, l’ANC a été confronté à un défi : comment ré-infiltrer les cadres en Afrique du Sud ? Le gouvernement Nyerere avait établi une vaste zone de transit à Kongwa, dans le district de Dodoma, à quelque 300 km de Dar es-Salaam, à l’intérieur des terres, pour les contingents armés des mouvements de libération basés dans le pays et originaires d’Angola, du Mozambique, de Namibie, d’Afrique du Sud et du Zimbabwe. En 1965, le camp de l’ANC comptait quelque 500 cadres formés et prêts à retourner au pays.

Le problème de fond était que le réseau clandestin en Afrique du Sud avait été pratiquement éradiqué par la capture et l’emprisonnement des dirigeants intérieurs et par l’arrestation et l’incarcération de milliers d’activistes. Le plan initial prévoyait que les premiers cadres formés à l’étranger trouveraient à leur retour un accueil sûr et des connections politiques avec les masses. Mais en 1965, ce plan, reposant sur des structures clandestines organisées, n’existait plus. C’était le principal problème auquel l’ANC était confronté, aggravé par la grande distance à parcourir pour rejoindre le pays en traversant les terrains hostiles de la Rhodésie coloniale et du Mozambique et en échappant à la surveillance britannique du Botswana, du Swaziland et de la Zambie. Ce cordon sanitaire était renforcé par un réseau d’agents et d’informateurs ennemis qui s’étendait à l’Afrique indépendante et même à tous les mouvements de libération, ce qui rendait la clandestinité, au sein de l’organisation révolutionnaire, impérative.

Au fil des mois, la patience des combattants de MK a été mise à rude épreuve, ce qui a provoqué des tensions et du mécontentement à l’égard de la direction, accusée de mener une vie plus douce dans la capitale, Dar es-Salaam, et de s’occuper de conférences internationales au lieu du front intérieur. Il y avait également des divisions à l’intérieur des camps, mais, dans le cas de l’ANC, elles avaient un caractère plus régional que tribal. Modise a fait l’objet de nombreuses critiques en raison de ses responsabilités au sein de MK, mais il travaillait dur à trouver des réponses à la nouvelle situation imprévue.

« Beaucoup de jeunes vies ont été perdues »

En 1966, avec l’indépendance de la Zambie, les choses ont changé. Le gouvernement de Kenneth Kaunda a permis aux mouvements de libération d’ouvrir des bureaux à Lusaka et, des possibilités d’infiltration de la guérilla vers l’Afrique du Sud s’étant offertes, Modise a saisi l’occasion. En fait, il jouait un rôle tellement important dans la création d’une alliance de combat avec les combattants de l’opposition rhodésienne membres de la branche armée de la Zapu (Zimbabwe African People’s Union), la ZPRA (Zimbabwe People’s Revolutionary Army) que, lors des incursions conjointes traversant le Zambèze vers la Rhodésie, les officiers de la ZPRA – quelque peu déçus de leurs propres dirigeants politiques – se référaient à lui comme leur commandant.

Les efforts de la ZPRA pour établir des bases à l’intérieur du pays et de MK pour infiltrer des guérilleros en Afrique du Sud, à l’occasion des opérations conjointes qui ont été menées de 1967 à 1968, ont donné lieu à des affrontements féroces mais n’ont pas atteint leurs objectifs. Pourtant, l’héroïsme et l’habileté des combattants africains de la liberté, et les pertes qu’ils ont infligées à leurs ennemis des forces suprémacistes blanches, ont inspiré les masses, tant au Zimbabwe qu’en Afrique du Sud. Le livre contient de nombreux témoignages des qualités de chef de Modise, de sa bravoure et de son ingéniosité. Ces témoignages vont de sa disponibilité à diriger des unités de reconnaissance en territoire ennemi, plutôt que de commander depuis la relative sécurité de l’arrière, à la résolution de problèmes logistiques pratiques tels que la traversée de rivières dangereuses. Il a, notamment, permis d’améliorer la flottabilité des radeaux transportant le matériel lourd en imaginant d’y incorporer des barils de pétrole vides.

Mais le succès n’a pas été au rendez-vous. La Zapu ne disposait d’aucun réseau organisé en Rhodésie ; le terrain dans la vallée du Zambèze et au-delà était extrêmement difficile, sans population à proximité immédiate, chaud et sec, sans ressources en eau sur la route du sud, ce qui donnait un énorme avantage à l’ennemi pourvu d’hélicoptères et d’avions de surveillance. Beaucoup de jeunes vies ont été perdues, à cette période et au fil des ans, contre un ennemi redoutable, aidé et appuyé notamment par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Pourtant, lors de l’incursion zimbabwéenne de 1967-1968, une génération de combattants de la liberté a fait la preuve de son mépris de la mort dans la lutte pour la libération.

Victoria Brittain : Pouvez-vous nous parler de l’étendue du rôle de Modise dans la région ?

Ronnie Kasrils  : La campagne du Zimbabwe a révélé le talent politique de Modise, qui a su développer une alliance de combat avec la ZPRA, ce qui a eu des conséquences favorables pour la poursuite de la coopération après la libération du Zimbabwe, en 1980. L’indépendance de l’Angola et du Mozambique, en 1975, a marqué un tournant, et, en 1976, la jeunesse sud-africaine s’est enrôlée massivement dans MK après les émeutes de Soweto. Les opportunités et les demandes se sont alors multipliées de manière exponentielle. Le défi était de savoir si l’ANC et MK pouvaient répondre à une demande révolutionnaire historique.

Le mouvement collectif uni avait survécu aux années les plus difficiles et avait accumulé l’expérience nécessaire pour faire face à une nouvelle situation. Oliver Tambo avait préservé l’unité du mouvement grâce à ses qualités politiques exceptionnelles. Joe Modise, qui avait servi Tambo avec loyauté, était responsable de la lutte armée. Il était entouré d’un groupe de pairs remarquables tels que Joe Slovo, Moses Mabhida et Mzwai Piliso, ainsi que de la jeune génération du début des années 1960, parmi lesquels Chris Hani, Jackie Sedibe, Mavuso Msimang, Thabo Mbeki et bien d’autres.

Le premier défi était le recrutement par MK des jeunes qui avaient quitté l’Afrique du Sud à la recherche d’armes pour lutter contre le régime de l’apartheid. Ils se sont tournés vers l’ANC, à cause de son histoire et de ses capacités d’organisation reconnues.

« L’Union soviétique était la principale source de livraisons d’armes »

L’ANC avait réussi à maintenir une présence organisationnelle ténue dans des pays comme le Botswana, le Swaziland et le Lesotho, directement sous les yeux de l’ennemi. Ces liens ont été renforcés afin de pouvoir gérer le recrutement clandestin et les filières vers le nord. Le Mozambique est devenu la base stratégique avancée pour l’accueil des recrues et la ré-infiltration ultérieure des cadres formés.

JOE MODISE AVEC UN CADRE DE L’ARMÉE POPULAIRE
RÉVOLUTIONNAIRE DU ZIMBABWE, JEREMY BRICKHILL,
 AU ZIMBABWE, EN1980. © DR

Modise a démontré sa capacité d’organisation en sillonnant la région, en utilisant les relations politiques de parti à parti développées au fil des ans par Tambo, en guidant la création de nouveaux itinéraires clandestins et, surtout, en installant des camps d’entraînement en Angola. Avec Tambo et Joe Slovo, il a fait venir des instructeurs de Cuba, de RDA et d’Union soviétique pour contribuer à l’entraînement en Afrique et, surtout, à la formation avancée des combattants de MK dans ces pays socialistes.

L’Union soviétique était la principale source de livraisons d’armes. Modise a organisé dans les détails la réception de cette marchandise et, entre autres mesures, il a mis en place des sociétés écrans pour acheminer les armes vers le sud. En 1977, les premières recrues de la cohorte 1976 sont rentrées en Afrique du Sud pour reprendre les opérations armées à l’intérieur du pays, pour la première fois depuis le début des années 1960.

« Il avait recruté des ingénieurs palestiniens dotés de passeports israéliens »

Modise opérait à partir de Lusaka, en Zambie, mais il était rarement chez lui. Il habitait une petite maison dans un township de Lusaka avec sa femme, Jackie Sedibe, une autre commandante de MK, responsable des communications militaires. Il avait confié des responsabilités opérationnelles à Slovo, basé à Maputo, sur le flanc est de l’Afrique du Sud, tandis qu’il s’occupait du Botswana, sur le flanc ouest. Il était dangereux de pénétrer dans les zones avancées, mais Modise se rendait souvent au Botswana. Un jour, il s’est fait arrêter pour contrebande d’armes et il a purgé une peine de prison de près d’un an.

En guise d’exemple de ses contacts internationalistes et de son ingéniosité pour les développer, citons le recrutement par ses soins d’un groupe d’ingénieurs palestiniens employés dans l’industrie du diamant au Botswana, qui avaient des passeports israéliens. Ils ont effectué des reconnaissances pour lui à l’intérieur de l’Afrique du Sud.

Ses origines ouvrières sont mises en évidence dans beaucoup d’anecdotes sur la façon dont il dirigeait ses camarades dans les camps pour cultiver des jardins potagers et construire des bâtiments. Une jeune recrue d’un camp angolais se souvient que Modise les faisait creuser avec des pioches et des bêches et former une chaîne humaine, faisant passer de l’eau dans un seau depuis la rivière jusqu’au potager nouvellement préparé. Il ne se contentait pas de donner des instructions mais participait aux tâches.

Parfois, il était incognito, comme le montre l’histoire d’une nouvelle recrue dans une maison de transit de Maputo, qui avait remarqué un ouvrier occupé tranquillement pendant plusieurs jours à réparer le toit, avant de découvrir par la suite qu’il s’agissait du commandant de MK, Joe Modise. Il surgissait un peu partout dans cette vaste région. Ahmed Timol, officier clandestin de renseignement, marié à une femme locale, se souvient de Modise dégustant un dîner de crevettes et de poulet, lui demandant la recette et l’interrogeant minutieusement sur tous les aspects de l’entreprise de meubles qu’elle dirigeait. Spencer Hodgson se souvient de sa visite au Somafco (Solomon Mahlangu Freedom College), le centre éducatif et agricole de l’ANC en Tanzanie, où il se montrait très intéressé par les détails de la construction des infrastructures, de la culture du maïs et de l’élevage.

« Modise lavait lui-même ses vêtements »

Modise n’était pas régionaliste, et, même si ceux qui étaient déployés dans leurs régions d’origine s’y trouvaient dans les meilleures conditions de survie, il les envoyait ailleurs pour renforcer l’identité nationale. Il était remarquablement non raciste, choisissant des camarades indiens, métis et blancs pour travailler à ses côtés. Il veillait également à ce que les femmes fassent partie des structures de MK à tous les niveaux et il était très respecté pour son approche des questions de genre. Une recrue de MK, Ribbon Mosholi, le décrit comme « un Sud-Africain typique », mais qui « a su rester à la page en ce qui concerne la promotion des femmes [...] et [qui] faisait tout son possible pour promouvoir les femmes ».

Les personnes qui alimentent les rumeurs sur Modise sont souvent des mécontents qui se sont heurtés à lui pour indiscipline. En tant que commandant de l’armée, il se devait d’être strict en matière de discipline, et sa corpulence et sa voix bourrue en déconcertaient plus d’un, apportant de l’eau au moulin des rumeurs. Mais ceux qui l’approchaient dans les moments de détente, même les simples soldats, étaient ravis de constater qu’il se mettait à leur niveau pour parler de politique ou de sport, émaillant ses blagues d’expressions tsotsi. Pallo Jordan, membre de la génération des années 1960 et intellectuel de premier plan, se souvient que, dans un logement à Luanda, Modise lavait lui-même ses vêtements et plaisantait avec lui sur l’attrait d’une armée régulière où le commandant se voyait affecter une ordonnance pour s’occuper de ce genre de tâches. L’empathie de Modise pour ses troupes pouvait parfois se manifester de manière inattendue. Garth Strachan, un commandant relativement subalterne, raconte que Modise est venu le voir pour lui présenter ses condoléances après avoir appris le décès de sa sœur au pays, et il commente : « Ce petit geste a été très important pour moi et m’a fait comprendre qu’il était tout sauf le militaire dur et insensible dont il jouait le rôle. »

Les relations personnelles très étroites de Modise avec ses camarades de la ZPRA/Zapu du Zimbabwe, évoquées plus haut, ont permis de créer des liens très favorables après l’indépendance, en 1980. La Zanu, rivale de Robert Mugabe, remporta les élections et, bien que la Zapu ait été un partenaire junior de la Zanu au gouvernement et qu’elle ait fusionné avec elle au sein de la Zanu-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front Patriotique), l’ANC a dû faire preuve de discrétion pour se voir attribuer une reconnaissance politique et une présence stratégique dans le pays. L’immense confiance dont jouissait Modise auprès des camarades de la ZPRA, désormais membres des forces de défense du Zimbabwe, a permis l’intégration de plusieurs centaines de cadres dans MK, au nez et à la barbe des inspecteurs britanniques et rhodésiens, pour aider d’autres cadres de MK à opérer clandestinement en Afrique du Sud, de l’autre côté de la frontière.

« Un exemple remarquable de solidarité internationale »

La qualité de l’alliance ANC-Zapu fut un exemple remarquable de solidarité internationale et l’un des fruits du travail de Modise et d’autres pendant de nombreuses années. L’année précédant la libération du Zimbabwe, il avait accompagné Tambo dans un voyage au Vietnam afin de consolider les relations avec ce pays et d’étudier les leçons de sa victoire sur le colonialisme français et l’impérialisme américain.

Si l’ANC s’est consacrée pendant des années au seul domaine militaire, c’est parce que les structures politiques internes avaient été quasiment anéanties au fil des ans. Modise, comme tous les dirigeants, s’est rapidement adapté à la restructuration d’une approche politico-militaire lorsque, au début des années 1980, des organisations intérieures populaires ont émergé aux côtés d’un mouvement syndical progressiste : le Front démocratique uni (UDF) et le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu).

Mais malgré les progrès enregistrés sur le front intérieur, l’ANC était confronté à des défis dans toute la région, car Pretoria déstabilisait les États de la ligne de front : un coup d’État au Lesotho, un accord imposé au Mozambique en 1984 (l’accord de Nkomati) pour expulser MK et des accords similaires au Swaziland voisin. En Angola et au Mozambique, l’Afrique du Sud soutenait l’Unita et avait pratiquement créé la Renamo, deux groupes terroristes armés.

MODISE, À DROITE, DANS UN CAMP EN ANGOLA,  AVEC
UN OFFICIER SOVIÉTIQUE ET OLIVER TAMBO, VERS 1969
PHOTO COLLECTION PRIVÉE FAMILLE MODISE

En Angola, MK a aidé les forces gouvernementales. Modise lui-même a dirigé certaines offensives de MK et, comme au Zimbabwe en 1987-1988, il a insisté pour être sur la ligne de front avec ses troupes. En 1988, avec l’aide des forces cubaines, les Angolais ont vaincu l’armée sud-africaine (SADF), l’obligeant à quitter le pays et ouvrant la voie à l’indépendance de la Namibie. J’étais avec Modise à Cuba lorsqu’il a reçu les remerciements personnels de Fidel Castro pour la contribution de MK à la guerre contre l’Unita, le proxy des forces armées sud-africaines, et pour avoir fourni aux forces angolaises et cubaines des renseignements importants sur les plans de bataille, le personnel et l’équipement des forces armées sud-africaines.

« Gagner la confiance de l’adversaire »

Victoria Brittain : Quand le tournant politique des négociations est-il apparu ?

Ronnie Kasrils : Au milieu et à la fin des années 1980, avec l’émergence de l’UDF et du Cosatu, coïncidant avec la défaite militaire de l’Afrique du Sud en Angola puis l’indépendance de la Namibie, l’équilibre des forces s’était considérablement modifié en faveur de la percée démocratique. C’était clairement la conséquence de la lutte du peuple, renforcée par des actions armées, un réseau clandestin et le poids de la solidarité internationale qui avait isolé le régime d’apartheid. Cette situation a contraint les autorités à engager des négociations en vue d’une transition pacifique vers le changement. Les milieux d’affaires faisaient pression sur le régime pour qu’il accepte les conditions du changement, à l’instar des puissances occidentales. L’élite économique du pays, qui s’étendait jusqu’à certains échelons supérieurs de l’armée, s’accordait sur la nécessité de saisir l’occasion d’un changement réformiste. Le fait que le mouvement de libération nationale ait accepté la voie de la négociation pour accéder au pouvoir politique n’était pas seulement la conséquence de l’influence considérable de Mandela, mais était aussi lié à la conviction qu’il fallait en passer par cette étape pour résoudre les problèmes socio-économiques du pays. Modise, Hani et Slovo, qui était devenu secrétaire général du SACP, ont accepté la voie de la négociation non pas en tant qu’individus, mais en tant que dirigeants de formations militaires et politiques clés.

Victoria Brittain : Comment Modise a-t-il été capable de nouer de nouvelles relations avec les généraux de l’ère de l’apartheid ?

Ronnie Kasrils  : Mandela et les dirigeants de l’ANC ont démontré leur confiance en Modise en lui confiant la responsabilité de négocier la transition dans le domaine militaire avec les généraux de l’armée sud-africaine. Au niveau politique, il avait été convenu que l’ex-armée sud-africaine et les armées des bantoustans seraient fusionnées avec le MK de l’ANC et l’aile armée du Pan African Congress [3] qui ne fonctionnait guère, l’Apla. La tension était très vive, avec des craintes de coup d’État de la part de certains éléments de l’armée et de la police de l’apartheid. Il s’agissait de groupes impliqués dans la guerre sale qui avait fait plus de 20 000 morts entre 1990 et 1994, lors d’opérations de répression dans les townships africains marquées par des assassinats d’activistes, notamment celui du cadre communiste Chris Hani, en 1993. Cela faisait partie d’une stratégie déployée par l’extrême droite pour faire échouer les négociations, affaiblir l’ANC et déstabiliser le pays.

Les services de renseignements de Modise connaissaient bien l’armée sud-africaine et les divisions entre la Force à temps partiel (composée de réservistes et de soldats à temps partiel) et la Force permanente. Les premiers constituaient la majorité des effectifs, et beaucoup, dans les structures de commandement, issus de la classe moyenne et du secteur des affaires, étaient intéressés par le changement. Modise a gagné leur confiance, comme il a, plus tard, impressionné les généraux de la force permanente, qui détenaient le pouvoir, par son engagement en faveur de la création d’une armée professionnelle.

Gagner la confiance de l’ancien adversaire a été la clé de la transformation en douceur qui a suivi, et l’une de ses plus grandes réalisations. Ce qu’ils ont vraiment apprécié, c’est la volonté de Modise de construire une force de défense moderne et bien équipée, grâce au remplacement de l’armement obsolète qu’ils estimaient avoir perdu dans la guerre en Angola à cause des sanctions internationales. Comme l’a dit le commandant de la Marine : « Nous, dans les forces armées, avons été ravis quand [Modise] est devenu notre ministre de la Défense... Malgré sa position politique, [il] est demeuré un soldat avant tout... En tant que tel, il n’a jamais traité injustement le personnel des ex-SADF. »

Le commandant en chef des anciennes Forces de défense d’Afrique du Sud, Georg Meiring, a été nommé par Mandela à la tête de la nouvelle armée, la SANDF (Force de défense nationale sud-africaine). Il était très conservateur, et il a essayé de ralentir la transition en limitant à trois les commandants de MK élevés au grade de général. Modise n’a pas voulu de cela et il a insisté pour qu’ils soient dix-huit, dont, pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique du Sud, une femme noire. En 1998, Meiring a pris sa retraite anticipée, et un général de MK est devenu le chef de la SANDF. J’ai rappelé à Modise qu’un des lieutenants de Meiring avait dit, après un premier round de négociations, que « l’Afrique du Sud pourrait avoir l’une des meilleures armées au monde : des officiers blancs et des soldats noirs ».

Une nouvelle armée « au service de la démocratie »

Victoria Brittain : En tant que ministre de la Défense du gouvernement de Mandela, quels ont été les principaux changements qu’il a apportés ?

Ronnie Kasrils  : Le plus important était de conduire une transformation globale de l’armée pour en faire une force au service de la démocratie. Il a créé un secrétariat civil de la défense auprès du ministère, et mis fin à des années pendant lesquelles l’armée fixait son propre budget, exerçait le contrôle de ses finances, décidait de sa politique et de sa doctrine et échappait au contrôle parlementaire. La conscription a été abolie. L’égalité des sexes et un programme d’éducation civique ont été mis en place pour créer une nouvelle culture de défense.

Modise a fait ratifier une convention internationale prohibant l’usage des mines antipersonnel et il a soumis l’armée aux accords relevant du mandat de l’Organisation de l’Union africaine et des opérations de maintien de la paix, régionales et autres. Cela a suscité le respect régional et international en faveur de la nouvelle armée sud-africaine.

Victoria Brittain : Lorsque des problèmes de santé ont abouti au retrait de Modise de la vie politique, dans les années Thabo Mbeki, pourquoi les médias se sont-ils déchaînés contre lui, ruinant sa réputation par des accusations de corruption émanant de membres de l’ANC, en contradiction avec l’histoire que vous racontez dans ce livre ?

Ronnie Kasrils : J’ai déjà fait allusion aux tentatives pour salir la réputation de Modise et celle d’autres dirigeants lors des années d’exil et de lutte. Pendant la période de prospérité de la présidence de Mandela, par la manière dont Modise avait gagné la confiance de l’armée sud-africaine, sa popularité était élevée. La Revue de la Défense, qui a conduit au programme d’achat de nouveaux équipements militaires, a été approuvée à l’unanimité par le Parlement.

C’est après le départ de Mandela et de Modise, en mai 1999, qu’a été signé le contrat concernant l’achat de matériel d’armement auprès d’entreprises étrangères, suivant la Revue de Défense de Modise. En 2005, le conseiller financier de Jacob Zuma, vice-président de Mbeki, a été reconnu coupable de corruption dans le cadre d’un contrat avec la société française d’armement Thales. Les auditions au Parlement ont commencé, et des rumeurs sont apparues sur des soupçons de corruption au sein du gouvernement.

Des personnes, parfois sans scrupule, parfois de bonne foi, ont pointé du doigt des gens comme le président Mbeki et Modise. Malgré trois enquêtes publiques sur le rôle du cabinet, dont une du vérificateur général et une commission d’enquête, aucune preuve n’a été produite. Les médias et plusieurs auteurs de livres sur le sujet ont déterré du passé toutes les calomnies policières sur la corruption de l’ANC en exil. Modise n’est pas mort riche, et sa veuve, la générale Jackie Sedibe [4], a travaillé jusqu’à près de 80 ans pour préserver un mode de vie modeste pour elle et ses enfants.

Victoria Brittain

Journaliste britannique. Elle a vécu à Alger, Nairobi, Saigon, Washington, et a réalisé des reportages dans de nombreux pays d’Afrique, notamment en Angola, au Ghana, au Soudan, au Mali, en Ouganda et au Rwanda, ainsi qu’au Moyen-Orient. Elle a travaillé au Guardian pendant 20 ans et a contribué au Monde diplomatique et à AfriqueAsie. Elle est l’auteur de plusieurs livres et pièces de théâtre.

Notes :


  1. Defence Campaign Against Unjust Laws, lancée par l’ANC en 1952.
  2. Procès pour trahison / De 156 membres de l’ANC, finalement tous acquittés
  3. Pan African Congress / Mouvement issu d’une scission de l’ANC en 1959 et prônant une vision africaine et non multiraciale de l’Afrique du Sud.
  4. Jackie Sedibe faisait partie du premier groupe de recrues de l’ANC envoyées en formation militaire en Union soviétique, puis elle a occupé des positions clés à la tête du département des transmissions pendant des décennies de clandestinité. Ces nominations résultaient de décisions collégiales, comme sa promotion au grade de générale qui fut approuvée par Mandela. Elle était aussi l’épouse de Modise, qui, lui, n’avait pas soutenu cette promotion.


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