LA NEIGE BRÛLE |
Un homme et une femme, Boris et Imilla, se cherchent, se perdent, se retrouvent et se manquent. À travers l’Europe et l’Amérique. Dans la lutte, la torture, la mort, l’assassinat. Pour l’amour des hommes. L’Histoire à majuscule habite l’histoire des personnages ; elle est leur chair, leur souffrance, leur espérance.
RÉGIS DEBRAY |
Propos recueillis par Jacques Mandelbaum
L’auteur n’a rien inventé : le roman était dans les journaux et la romance dans sa mémoire. Il revit, et nous fait vivre la « Passion » d’Imilla. Libéré des geôles boliviennes où il a séjourné quatre ans pour sa participation à la guérilla aux côtés de Che Guevara, le philosophe Régis Debray s'installe au Chili en janvier 1971. Il y noue des liens d'amitié avec la plupart des personnages évoqués par Rue Santa Fe. On en retrouve des échos dans son oeuvre. Retour sur l'époque.
Pour quelle raison vous installez-vous au Chili en 1971 ?
Parce que j'avais été expulsé de Bolivie et qu'Allende m'a invité à rester, en me donnant une maison, une chaleur, une raison d'espérer. Il y avait l'espoir d'une reprise de la guérilla en Bolivie et dans les pays voisins et le Chili était une arrière-garde pour les activistes. Mais le Chili de 1971 c'était d'abord un havre de bonheur, avec une ferveur type Front populaire 1936. Après, j'ai regagné Cuba et enfin la France.
Quels rapports entreteniez-vous avec le MIR ?
Je me sentais sentimentalement proche de lui. Le MIR était une formation radicale mais pas extrémiste. Il pratiquait le soutien critique à Allende, auquel il reprochait ses compromis, sans prôner la lutte armée. Après l'expérience bolivienne, je commençais à faire le bilan critique de la lutte armée.
Et avec ses dirigeants ?
Miguel Enriquez était un ami, un homme plein de fougue, avec une intelligence déliée. Il y avait chez lui un mélange de mystique révolutionnaire et de joie de vivre, sans rien de mortifère. J'ai gardé le contact avec lui jusqu'au bout, et nous avons œuvré ensuite, après son assassinat, pour la libération de sa compagne, Carmen Castillo.
Que pensez-vous du film ?
Il y en a plusieurs. Le panégyrique d'un mouvement disparu, l'aventure de la famille Castillo, et l'itinéraire d'une femme. Ce dernier, avec son subtil travail de mémoire et de deuil, m'a le plus ému. C'est très beau.
Une question forte est le sacrifice de l'individu à une cause.
L'idée de mourir pour une cause a quitté le monde occidental. Ce film nous rappelle que, avant de déchoir en politique, la révolution fut une mystique.
Dans le film, le sacrifice va jusqu'à ses propres enfants.
C'est cornélien, admirable et répulsif. Il y a du monstrueux dans toute mystique, on est requis par un absolu. En 1943 aussi, les résistants français quittaient leurs enfants pour monter au Vercors et à la mort.
Comment porter le deuil d'une utopie ? C'est la mélancolie du film.
Et celle d'une génération. Dans une société où a fini par s'imposer le culte du fric, de l'image et de la réussite, le parti des vaincus est ringard. Ça reste le mien. Je vois deux façons de survivre. Faire oeuvre de création, comme Carmen Castillo, dont je définirais la mélancolie comme une fidélité sans amertume. Ou alors tourner la page et oublier. Le film aide à choisir la première solution. Il est donc indispensable.
Article paru dans l'édition du 05.12.07.