vendredi, janvier 04, 2008

LES CRIS DES MAPUCHES RESTENT SANS ÉCHO




Plusieurs militants mapuches emprisonnés dans le sud du pays mènent une grève de la faim. Ils entendent dénoncer la répression politique dont sont victimes ceux qui défendent les droits de cette population indigène. L'écrivain chilien Pedro Lemebel s'indigne du silence général face à ce drame.
Pedro Lemebel La Nación
Voilà plus de soixante-dix jours que mes frères mapuches sont en grève de la faim. Au même moment, notre pays glouton se goberge, multiplie les réveillons, les banquets, les réceptions données dans les palais pour des visiteurs impériaux venus déguster le saumon au pilpil, le charquican [plat traditionnel chilien] ou les papayes au basilic que leur sert la présidence. La honte est un plat fort amer, bien difficile à avaler, quand on sait que des membres d'une communauté du sud du pays ont entrepris une grève de la faim pour protester contre l'injustice, contre la maudite loi antiterroriste. Une loi aux relents dictatoriaux qu'on leur a imposée parce qu'ils défendaient leurs droits ancestraux. 

Une fois de plus, le beau peuple mapuche est agressé sur sa propre terre. Je pense à ses prairies vert olive, à ses montagnes bleues, jaunes, roses – aux paysages du Sud où les tournesols mettent des touches d'aquarelle, et où jadis ce peuple indompté regardait l'aurore sans lunettes de soleil. Quelle honte de penser que des Indiens sont derrière les barreaux pour avoir secoué le joug culturel qu'on leur impose, pour s'être révoltés contre les multinationales qui polluent leurs eaux claires, leurs neiges éternelles, leur forêt vierge. Et que faire de cette colère quand on voit que les chaînes de télévision n'informent presque pas sur cette mobilisation, qui se soldera peut-être par la mort d'un gréviste de la faim ? 

Certains d'entre eux, comme Patricia Troncoso, urinent du sang, ont des nausées et ne tiennent plus debout. Personne ne dit rien. Les politiciens baratineurs se gavent de mets raffinés dans les banquets du Parlement, bouddhas rendus obèses par leur propre logorrhée. Puisse une diarrhée putride les emporter dans la cuvette des WC jusqu'à l'océan ! Mais rien n'y fait, ils ne se départissent pas du sourire hypocrite qu'ils arborent devant les caméras. Entre petits fours et canapés, ils n'arrêtent pas non plus de ruminer leurs discours. Ils bouffent, rebouffent et se bouffent eux-mêmes en un minable festin. Manger et chier, tel est le moyen qu'ils ont trouvé pour continuer à ignorer que des Mapuches refusent toute nourriture. Des actes autistes qui reviennent à refuser de discuter, à ne pas assumer la langue du conquistador. Qui ne dit mot consent ? Il n'y rien à consentir ni à céder, en l'occurrence. A Temuco, on va construire un aéroport sur les tombes de leurs ancêtres. Que diraient les friqués si l'on faisait la même chose dans leurs pompeux cimetières catholiques ? 

L'année se terminant, tous ont réveillonné. Au menu : dinde, faisan, autruche, filet ; mieux encore : poisson, dit la friquée en mordant dans une olive farcie aux anchois. Entre-temps, là-bas, dans le Sud pluvieux, les bouches fermées de la terre agonisaient dans leur grève de la faim. L'année 2007 s'est achevée et la dernière feuille du calendrier est tombée, tandis que de grosses larmes roulaient sur la joue rugueuse d'une grand-mère machi (chamane). L'année s'en est allée, saluée une dernière fois par de coûteux feux d'artifices. Quant aux membres des communautés mapuches, on leur a grillagé le ciel. Ce nouvel an leur fait vraiment mal au ventre.
Pedro LemebelLa Nación