mardi, octobre 13, 2020

AMÉRIQUE LATINE. AU CHILI, LUTTE DES MAPUCHE ET VIOLENCE COLONIALE

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PHOTO F. LAVOZ

Ils sont nombreux à être emprisonnés. Jaime Huenchullan, l’un des porte-parole, dénonce la soumission de l’État à l’oligarchie et veut un changement de Constitution.

Pierre Barbancey

Lorsque, au mois de mai, une vingtaine de prisonniers politiques mapuche ont entamé une grève de la faim, ils savaient que le bras de fer avec le gouvernement chilien allait être dur. Très dur. Ils ont l’habitude. Leur peuple se bat depuis des siècles. D’abord contre le colonisateur espagnol puis, au début du XIXème siècle, contre l’État chilien. Entre 1866 et 1927, les Mapuche ont été dépossédés de 95 % de leurs terres, parqués dans des réserves et soumis à une assimilation forcée. Un processus de ­colonisation qui s’est accentuée sous le régime de Pinochet et a favorisé l’occupation des terres par de grandes entreprises principalement forestières, mais également touristiques, hydroélectriques ou salmonicoles (élevage des saumons et des truites). Un état de fait que ce peuple d’un million de personnes – soit 10 % de la population adulte du Chili vivant principalement dans le centre et le sud du pays – n’a jamais accepté. Les Mapuche combattent parfois durement en bloquant ou en incendiant les camions de ces ­compagnies d’exploitation. La lutte est inlassable pour la récupération du territoire ancestral, le Wallmapu, et pour le droit à l’autodétermination avec ce que cela comprend en termes de langue, de culture et de mode de vie.

« La majorité des frères mapuche sont en prison en raison de la persécution politique et judiciaire de l’État chilien », explique à l’Humanité Jaime Huenchullan, un « werken » (porte-parole) de la communauté Temucuicui, située près de la ville d’Ercilla, dans la région de l’Araucanie (1). « La réponse de l’État à nos revendications a toujours été la répression, la violence contre nous. » Lui-même avait été emprisonné au lendemain de l’opération « Huracan » menée en 2017 contre les Mapuche à partir de faux éléments créés par la police. Samedi matin, sa communauté a de nouveau été attaquée par l’armée et la police.

Le pouvoir utilise la loi antiterroriste édictée par Pinochet

Les grévistes de la faim exigeaient l’application de la convention 169 de l’Organisation internationale du travail dont l’un des articles affirme que lorsque des sanctions pénales sont imposées à des membres de ces peuples, leurs caractéristiques économiques, sociales et culturelles doivent être prises en compte par les États. Notamment en appliquant une assignation à résidence dans la communauté plutôt que l’emprisonnement. Une exigence rendue encore plus forte par le Covid-19. Cette convention a été adoptée par le Chili. Ce qui aurait dû conduire de plus à un certain nombre de réformes juridiques, en particulier dans les Codes de l’eau, du minerai, de la pêche et de celui régissant les concessions électriques. Mais elle n’a jamais été appliquée. « En revanche, le carabinier qui a tué Camilo ­Catrillanca (fermier d’Ercilla, tué d’une balle dans la tête, en novembre 2018, par une unité spéciale de la police surnommée Commando de la jungle – NDLR) et le policier qui a falsifié les preuves de l’opération « Huracan » sont assignés à résidence et non en prison », s’insurge Jaime Huenchullan. Dès lors qu’il s’agit des Mapuche, le pouvoir utilise la loi antiterroriste promulguée durant la junte fasciste de Pinochet et, bien que modifiée, toujours en vigueur.

« La répression est d’autant plus forte que les enjeux économiques sont importants », souligne le werken. «Le patronat, les entreprises s’opposent à nos revendications territoriales. Comme le gouvernement de Sebastian Piñera (président du Chili – NDLR) obéit aux ordres de l’oligarchie, il y a eu une exacerbation des violences contre nous. Notre objectif est de freiner l’industrialisation à outrance dans le domaine du bois et dans le domaine hydroélectrique. C’est un saccage écologique des t erres ancestrales auxquelles nous sommes très attachés. » Il n’a évidemment pas échappé au régime chilien que la cause des Mapuche a largement imprégné les revendications du mouvement social. Le drapeau mapuche est devenu l’un des emblèmes de la lutte et les fresques représentant Camilo Catrillanca ont recouvert les murs de Santiago. Pas étonnant, dans ces conditions, de voir les Mapuche faire campagne pour un changement de Constitution, enjeu du référendum du 25 octobre.

« Nos revendications portent sur la culture, l’identité, la langue »

« À l’intérieur du mouvement social chilien, nous avons nos revendications spécifiques qui sont celles d’un peuple et portent sur la culture, l’identité, la langue », souligne Jaime Huenchullan. « Nous voulons que soient inscrits dans la Constitution les droits de tous les peuples chiliens et la libre détermination du peuple mapuche afin d’aboutir à l’autodétermination dans le cadre de la République chilienne. » Il va plus loin : « Il est très bien qu’une figure aussi populaire que le maire communiste de Recoleta, Daniel Jadue, soit un possible candidat à l’élection présidentielle prévue l’an prochain. Son élection permettrait d’avancer sur les droits des Mapuche. »

Le gouvernement chilien pensait sans doute faire plier la détermination du peuple Mapuche en restant sourd aux revendications des prisonniers politiques et en menant une violente répression contre les manifestants qui campaient même devant les prisons. Si la grève de la faim a été interrompue après cent vingt jours de jeûne, les prisonniers ont en réalité réussi à replacer la question du peuple autochtone au centre des préoccupations du pays. Ce qui n’est pas la moindre des victoires.

(1) La rencontre avec Jaime Huenchullan s’est faite grâce à Jean-François Gareyte, auteur de l’ouvrage le Rêve du sorcier. Antoine de Tounens, roi d’Araucanie et de Patagonie. Une biographie. Éditions la Lauze. Lire son texte « Histoire et actualité du peuple mapuche en Araucanie-Patagonie » sur l’Humanité.fr.

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