lundi, novembre 02, 2020

LES CHILIENS AU DÉFI DE FORMER UNE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

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PHOTO JAVIER TORRES

Analyse Une semaine après avoir dit « oui » à 78 % à une nouvelle Constitution, les Chiliens entrent dans le vif du sujet et débattent des critères à retenir pour devenir un membre de la future Assemblée constituante.

Marion Esnault (à Santiago)

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Les Chiliens au défi de former une Assemblée constituante. 

Le taux de participation au référendum a atteint 50,9 %, le plus haut depuis dix ans.

PHOTO PEDRO UGARTE
«Le vote du référendum était ”facile”, parce que c’était un vote contre un système. C’était un vote destituant. Ce qui vient est bien plus difficile : transformer le mouvement destituant en une Convention constituante… » Le politologue chilien Juan Pablo Luna dit bien le défi majeur qui se présente aux Chiliens, pour les semaines et mois qui viennent.

La date du 25 octobre sera, quoi qu’il en soit, inscrite dans leur calendrier comme un premier pas vers la fin d’une démocratie verrouillée par une Constitution écrite en 1980, sous la dictature de Pinochet. Ce dimanche-là, pour la première fois depuis qu’a éclaté la révolution sociale, le 18 octobre 2019, les Chiliens sont descendus dans la rue, non pour exiger une vie digne et être réprimé à coups de gaz lacrymogène et balles de plomb, mais pour célébrer une victoire.

«Les Chiliens veulent un changement structurel»

Dès le lendemain, lundi 26, la société chilienne a commencé à poser ses pions sur l’échiquier politique. Car les Chiliens, avec un taux de participation de 50,9 % – le plus haut depuis dix ans – n’ont pas seulement validé l’écriture d’une nouvelle Constitution, ils ont aussi voté à 79 % pour qu’elle soit écrite par des citoyens élus, et non par un organe composé de parlementaires et de citoyens.

« La victoire écrasante pour l’Assemblée constituante nous indique que les Chiliens veulent un changement structurel dessiné par de nouvelles personnes élues », analyse Sara Larrain, directrice de l’ONG Chile Sustentable et candidate à l’élection présidentielle en 1999. « Nous devons obtenir 70 % des sièges, car les décisions de la Constituante se prendront selon la règle des 2/3. Et la droite conservatrice au pouvoir va présenter ses candidats et bloquer tout changement. »

Alors que, depuis 1997, l’éducation civique a disparu des programmes scolaires et que la moitié des citoyens, désabusés par la politique, ne se déplacent plus pour voter, « le défi sera d’intéresser toute la population au changement en cours, de ne pas laisser l’élite habituelle dominer l’Assemblée constituante », estime Juan Pablo Luna.

Plus largement, il sera de composer une Assemblée constituante dans ce climat de défiance, en pleine pandémie du Covid-19 et ce en seulement cinq mois. Comment s’y prendre ? Si le calendrier est clair, la réponse reste floue et les règles d’élection et de fonctionnement de la Constituante demeurent à définir. Et vite ! Le 11 avril 2021, les Chiliens voteront pour élire les membres qui composeront l’organe d’écriture.

Le diable se cacherait-il dans les détails du processus ?

Ils seront 155 a priori. « Le vote se fera par liste et par circonscription. Pour déposer une liste de candidats, il faut s’inscrire au Service électoral. Les partis politiques, déjà inscrits, pourront présenter des candidats. Mais les citoyens souhaitant former une liste doivent réunir beaucoup de signatures dans un temps très court. Ça ne sera facile, sauf en acceptant les sièges indépendants que proposeront les partis », déplore Sara Larrain.

Certaines formations politiques, en effet, ont dit qu’elles donneraient un quota à des candidats extérieurs, « indépendants ». Le diable se cacherait-il dans les détails du processus ? « Malheureusement, nous avons très peu de temps et de clarté pour ces indépendants. D’autant qu’aller chercher des signatures en temps de Covid-19 sera difficile, exprime Manuela Royo, avocate de différentes communautés mapuches. Pour les peuples autochtones, les conditions de participation restent incertaines. Mais il est temps que le Chili reconnaisse qu’il est un pays interculturel.»

Car, avec l’Uruguay, le Chili est le seul pays d’Amérique du Sud à ne pas reconnaître constitutionnellement ses peuples indigènes – Mapuches, Rapa Nui, Aymaras et autres. En août, les parlementaires s’étaient tout de même accordés pour leur donner des sièges dans la future assemblée, sans en préciser le nombre. Dans la nuit du 29 au 30 octobre, les députés viennent de voter en faveur de 23 sièges supplémentaires. L’Assemblée constituante se composerait donc, non plus de 155 membres, mais de 171. Le débat doit encore se poursuivre au Sénat.